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L’Encyclopédie/1re édition/HABITUDE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 17-18).
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HABITUDE, s. f. (Morale.) c’est un penchant acquis par l’exercice des mêmes sentimens, ou par la répétition fréquente des mêmes actions. L’habitude instruit la nature, elle la change ; elle donne de l’énergie aux sens, de la facilité & de la force aux mouvemens du corps & aux facultés de l’esprit ; elle émousse le tranchant de la douleur. Par elle, l’absynthe le plus amer ne paroît plus qu’insipide. Elle ravit une partie de leurs charmes aux objets que l’imagination avoit embellis : elle donne leur juste prix aux-biens dont nos desirs avoient exagéré le mérite ; elle ne dégoûte que parce qu’elle détrompe. L’habitude rend la joüissance insipide, & rend la privation cruelle.

Quand nos cœurs sont attachés à des êtres dignes de notre estime, quand nous nous sommes livrés à des occupations qui nous sauvent de l’ennui & nous honorent, l’habitude fortifie en nous le besoin des mêmes objets, des mêmes travaux ; ils deviennent un mode essentiel de notre ame, une partie de notre être. Alors nous ne les séparons plus de notre chimere de bonheur. Il est sur-tout un plaisir que n’usent ni le tems ni l’habitude, parce que la réflexion l’augmente ; celui de faire le bien.

On distingue les habitudes en habitudes du corps & en habitudes de l’ame, quoiqu’elles paroissent avoir toutes leur origine dans la disposition naturelle ou contractée des organes du corps ; les unes dans la disposition des organes extérieurs, comme les yeux, la tête, les bras, les jambes ; les autres dans la disposition des organes intérieurs, comme le cœur, l’estomac, les intestins, les fibres du cerveau. C’est à celles-ci qu’il est sur-tout difficile de remédier ; c’est un mouvement qui s’excite involontairement ; c’est une idée qui se réveille, qui nous agite, nous tourmente & nous entraîne avec impétuosité vers des objets dont la raison, l’âge, la santé, les bienséances, & une infinité d’autres considérations nous interdisent l’usage. C’est ainsi que nous recherchons dans la vieillesse avec des mains desséchées, tremblantes & goutteuses & des doigts recourbés, des objets qui demandent la chaleur & la vivacité des sens de la jeunesse. Le goût reste, la chose nous échappe, & la tristesse nous saisit.

Si l’on considere jusqu’où les enfans ressemblent quelquefois à leurs parens, on ne doutera guere qu’il n’y ait des penchans héréditaires. Ces penchans nous portent-ils à des choses honnêtes & loüables, on est heureusement né ; à des choses deshonnêtes & honteuses, on est malheureusement né.

Les habitudes prennent le nom de vertus ou de vices, selon la nature des actions. Faites contracter à vos enfans l’habitude du bien. Accoutumez de petites machines à dire la vérité, à étendre la main pour soulager le malheureux, & bien-tôt elles feront par goût, avec facilité & plaisir, ce qu’elles auront fait en automates. Leurs cœurs innocens & tendres ne peuvent s’émouvoir de trop bonne heure aux accens de la loüange.

La force des habitudes est si grande, & leur influence s’étend si loin, que si nous pouvions avoir une histoire assez fidelle de toute notre vie, & une connoissance assez exacte de notre organisation, nous y découvririons l’origine d’une infinité de bons & de faux goûts, d’inclinations raisonnables & de folies qui durent souvent autant que notre vie. Qui est-ce qui connoît bien toute la force d’une idée, d’une terreur jettée de bonne heure dans une ame toute nouvelle ?

On prend l’habitude de respirer un certain air, & de vivre de certains alimens ; on se fait à une sorte de boisson, à des mouvemens, des remedes, des venins, &c.

Un changement subit de ce qui nous est devenu familier à des choses nouvelles est toûjours pénible, & quelquefois dangereux, même en passant de ce qui est regardé comme contraire à la santé, à ce que l’expérience nous a fait regarder comme salutaire.

Une sœur de l’Hôtel-Dieu alloit chaque année voir sa famille à Saint-Germain-en-Laye ; elle y tomboit toûjours malade, & elle ne guérissoit qu’en revenant respirer l’air de cet hôpital.

En seroit-il ainsi des habitudes morales ? & un homme parviendroit-il à contracter une telle habitude du vice, qu’il ne pourroit plus être que malheureux par l’exercice de la vertu ?

Si les organes ont pris l’habitude de s’émouvoir à la présence de certains objets, ils s’émouvront malgré tous les efforts de la raison. Pourquoi Hobbes ne pouvoit-il passer dans les ténebres sans trembler & sans voir des revenans ? C’est que ses organes prenoient alors involontairement les oscillations de la crainte, auxquelles les contes de sa nourice les avoient accoutumés.

Le mot habitude a plusieurs acceptions differentes ; il se prend en Medecine pour l’état général de la machine ; l’habitude du corps est mauvaise. Voyez Habitude, (Medecine.) Il est synonyme à connoissances ; & l’on dit, il ne faut pas s’absenter long-tems de la Cour, pour perdre les habitudes qu’on y avoit. Il se dit aussi d’une sorte de timidité naturelle qui donne de l’aversion pour les objets nouveaux ; c’est un homme d’habitude ; je suis femme d’habitude ; je n’aime point les nouveaux visages ; il y en a peu de celles-là. On l’employe quelquefois pour désigner une passion qui dure depuis long-tems, & que l’usage fait sinon respecter, du-moins excuser ; c’est une habitude de vingt ans. Habitude a dans les Philosophes quelquefois le même sens que rapport ; mais alors ils parlent latin en françois.

Habitude, ἕξις, habitudo, habitus, (Medecine.) ce terme est employé dans les ouvrages qui traitent de l’économie animale, & particulierement dans ceux de Medecine, pour signifier la disposition du corps de l’animal ou de l’homme vivant, relativement à ses qualités extérieures, c’est-à-dire à celles de sa surface, qui tombent sous les sens & qui sont susceptibles de différences par rapport aux différens individus, tant dans l’état de santé, que dans celui de maladie.

Ainsi ceux qui ont la peau douce, souple, sans poil, ou au-moins très-peu velue, assez épaisse, avec une sorte de fermeté, à raison de sa tension, ont l’habitude qui accompagne l’embonpoint : ceux au contraire qui ont la peau rude, mince, fort velue, peu flexible, avec sécheresse & disposition aux rides, ont l’habitude qui se trouve ordinairement jointe à la maigreur de tempérament.

L’habitude qui réunit le plus de bonnes qualités, c’est-à-dire de celles qui accompagnent l’état de santé (voyez Santé), est appellée des Grecs εὐεξία, evexia ; & celle qui n’est composée que de mauvaises qualités est nommée καχεξία, cachexia.

L’habitude, comme le tempérament en général, dépend de la disposition physique des parties consistantes principalement, qui entrent dans la composition des organes, & de celle des humeurs qui s’y distribuent : en quoi l’habitude differe de la constitution ou complexion, qui dépend de la disposition des parties méchaniques, de la conformation, de la faculté propres à chacun des organes & des qualités des humeurs qu’il reçoit. L’habitude differe du tempérament en ce qu’il renferme les qualités communes à toutes les parties du corps, tant externes qu’internes, au lieu qu’elle ne regarde que l’extérieur du corps. Voyez Tempérament.