L’Encyclopédie/1re édition/TEMPÉRAMENT

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TEMPÉRAMENT, s. m. (Philosop.) est cette habitude ou disposition du corps, qui résulte de la proportion des quatre qualités primitives & élémentaires dont il est composé. Voyez Qualité & Élément.

L’idée de tempérament vient de celle de mélange, c’est-à-dire du mélange de différens élémens, comme la terre, l’eau, l’air & le feu, ou pour parler plus juste, à la maniere des Péripatéticiens, du mélange du chaud, du froid, du sec & de l’humide. Ces élémens ou qualités, par leur opposition, tendent à s’affoiblir mutuellement, & à dominer les unes sur les autres, & de toutes ensemble, résulte une sorte de température ou de mélange en telle ou telle proportion ; en conséquence de quoi, selon la qualité qui prédomine, nous disons un tempérament chaud, ou froid, sec ou humide. Voyez Mélange, Crase, &c.

On dispute dans les écoles, si le tempérament comprend proprement les quatre premieres qualités, ou si l’altération que souffrent ces qualités, par l’action réciproque qu’elles ont les unes sur les autres, ne les détruit pas entierement, en sorte qu’il en résulte une cinquieme qualité simple.

Les auteurs distinguent deux sortes de tempérament, l’un qu’ils appellent uniforme, & l’autre qu’ils appellent difforme. Le premier est celui où toutes les qualités sont mêlées dans un degré égal. Le second est celui où elles sont mêlées dans un degré inégal.

Il ne peut y avoir qu’un seul tempérament uniforme. Le tempérament difforme admet huit sortes de combinaisons, puisqu’une seule qualité, ou deux qualités à la fois peuvent dominer ; de-là le tempérament chaud & humide, le tempérament froid & humide, &c. De plus, quelques-uns considérant que les qualités qui dominent, peuvent n’être pas en degré égal, & de même celles qui ne dominent pas ; ils font plusieurs autres nouvelles combinaisons de tempéramens, & en ajoutent jusqu’à douze au nombre ordinaire. En effet, comme il y a une infinité de degrés entre le plus haut point & le plus bas point de chacun des élémens, on peut dire aussi qu’il y a un nombre infini de différentes températures. Voyez Degré.

Tempérament, en Médecine, s’entend plus particulierement de la constitution naturelle du corps de l’homme, ou de l’état des humeurs dans chaque sujet. Voyez Constitution & Humeur.

L’idée de tempérament vient de ce que le sang qui coule dans les veines & les arteres, ne se conçoit pas comme une liqueur simple, mais comme une sorte de mixte imparfait, ou un assemblage de plusieurs autres liquides ; car il n’est pas composé seulement des quatre qualités simples ou primitives, mais encore de quatre autres humeurs secondaires qui en sont aussi composées, & dans lesquelles on suppose qu’il peut se résoudre ; savoir la bile, le phlegme, la mélancolie & le sang proprement dit. Voyez Bile, Phlegme, Mélancolie, Sang

De-là, suivant que telle ou telle de ces humeurs domine dans un sujet, on dit qu’il est d’un tempérament bilieux, phlegmatique, mélancolique, sanguin, &c. Voy. Sanguin, Mélancolie, Bilieux, &c.

Les anciens médecins prétendoient que le tempérament animal répondoit au tempérament universel décrit ci-dessus. Ainsi on croyoit que le tempérament sanguin répondoit au tempérament chaud & humide, le tempérament flegmatique au tempérament froid & humide, le tempérament mélancolique au tempérament froid & sec, &c.

Galien introduisit dans la médecine la doctrine des tempéramens qu’il avoit tirée des Péripatéticiens, & il en fit comme la base de toute la Medecine. L’art de guérir les maladies ne consistoit, selon lui, qu’à tempérer les degrés des qualités des humeurs, &c. Voyez Galenique, Degré, &c.

Dans la médecine d’aujourd’hui on considere beaucoup moins les tempéramens. Le docteur Quincy, & d’autres auteurs méchaniciens, retranchent la plus grande partie de la doctrine de Galien, comme inutile & incertaine, & regardent seulement les tempéramens comme des diversités dans le sang de différentes personnes, qui rendent ce liquide plus capable dans un corps que dans un autre, à de certaines combinaisons, c’est-à-dire de tourner vers la bile, le phlegme, &c. D’où, suivant ces auteurs, les gens sont nommés bilieux, phlegmatiques, &c. Voyez Sang.

Les anciens distinguoient deux sortes de tempéramens dans un même corps ; l’un qu’ils nommoient ad pondus, l’autre qu’ils nommoient ad justitiam.

Le tempérament ad pondus est celui où les qualités élémentaires se trouvent en quantités & en proportions égales : c’est ainsi qu’on les supposoit dans la peau des doigts, sans quoi ces parties ne pourroient pas distinguer assez exactement les objets.

Le tempérament ad justitiam est celui où les qualités élémentaires ne sont pas en proportions égales, mais seulement autant qu’il est nécessaire pour la fonction propre à une partie. Tel est le temperament dans nos os, qui contient plus de parties terreuses que d’aqueuses, afin d’être plus dur & plus solide pour remplir sa fonction de soutenir.

Galien observe que le tempérament ad pondus n’est qu’imaginaire ; & quand il seroit réel, il ne pourroit subsister qu’un moment.

Le docteur Pitcairn regarde les tempéramens comme autant de maladies naturelles. Selon cet auteur, une personne de quelque tempérament qu’elle soit, a en elle-même les semences d’une maladie réelle ; un tempérament particulier supposant toujours que certaines sécrétions sont en plus grande proportion qu’il ne convient pour une longue vie.

Comme les différences des tempéramens ne sont autre chose que des différences de proportions dans la quantité des liquides, lesquelles proportions peuvent varier à l’infini ; il peut y avoir par conséquent une infinité de tempéramens, quoique les auteurs n’en aient supposé que quatre. Ce qu’on appelle d’ordinaire tempérament sanguin, Pitcairn dit que ce n’est qu’une pléthore. Voyez Pléthore.

Tempérament, s. m. en Musique, est la maniere de modifier tellement les sons, qu’au moyen d’une légere altération dans la juste proportion des intervalles, on puisse employer les mêmes cordes à former divers intervalles, & à moduler en différens tons, sans déplaire à l’oreille.

Pythagore, qui trouva le premier les rapports des intervalles harmoniques, prétendoit que ces rapports fussent observés dans toute la rigueur mathématique ; sans rien accorder à la tolérance de l’oreille. Cette sévérité pouvoit être bonne pour son tems, où toute l’étendue du système se bornoit encore à un si petit nombre de cordes. Mais comme la plûpart des instrumens des anciens étoient composés de cordes qui se touchoient à vuide, & qu’il leur falloit, par conséquent, une corde pour chaque son ; à mesure que le système s’étendit, ils ne tarderent pas à s’appercevoir que la regle de Pythagore eût trop multiplié les cordes, & empêché d’en tirer tous les usages dont elles étoient susceptibles. Aristoxene, disciple d’Aristote, voyant combien l’exactitude des calculs de Pythagore étoit nuisible au progrès de la Musique, & à la facilité de l’exécution, prit l’autre extrémité ; & abandonnant presque entierement ces calculs, il s’en rapporta uniquement au jugement de l’oreille, & rejetta comme inutile tout ce que Pythagore avoit établi.

Cela forma dans la Musique deux sectes qui ont long-tems subsisté chez les Grecs ; l’une, des Aristoxéniens, qui étoient les musiciens de pratique ; & l’autre, des Pythagoriciens, qui étoient les philosophes.

Dans la suite, Ptolomée & Dydime trouvant, avec raison, que Pythagore & Aristoxene avoient donné dans des extrémités également insoutenables ; & consultant à la-fois le sens & la raison, travaillerent chacun de leur côté à la réforme de l’ancien système diatonique. Mais comme ils ne s’éloignerent pas des principes établis pour la division des tétracordes, & que reconnoissant la différence du ton majeur au ton mineur, ils n’oserent toucher à celui-ci pour le partager comme l’autre par une corde chromatique en deux parties égales, le système général demeura encore long-tems dans un état d’imperfection qui ne permettoit pas d’appercevoir le vrai principe du tempérament.

Enfin Guy d’Arezze vint, qui refondit en quelque maniere la Musique, & qui inventa, dit-on, le clavecin. Or il est certain que cet instrument n’a pu subsister, non plus que l’orgue, du-moins tels ou à-peu-près que nous les connoissons aujourd’hui, que l’on n’ait en même tems trouvé le tempérament, sans lequel il est impossible de les accorder. Ces diverses inventions, dans quelque tems qu’elles aient été trouvées, n’ont donc pu être sort éloignées l’une de l’autre ; c’est tout ce que nous en savons.

Mais quoique la regle du tempérament soit connue depuis long-tems, il n’en est pas de même du principe sur lequel elle est établie. Le siecle dernier qui fut le siecle des découvertes en tout genre, est le premier qui nous ait donné des lumieres bien nettes sur cette pratique. Le pere Mersenne & M. Loullié se sont exercés à en nous en donner des regles. M. Sauveur a trouvé des divisions de l’octave qui fournissent tous les tempéramens possibles. Enfin M. Rameau, après tous les autres, a cru developper tout de nouveau la véritable théorie du tempérament, & a même prétendu sur cette théorie établir sous son nom une pratique très-ancienne dont nous parlerons bientôt. En voilà assez sur l’histoire du tempérament ; passons à la chose même.

Si l’on accorde bien juste quatre quintes de suite, comme ut, sol, ré, la, mi, on trouvera que cette quatrieme quinte mi, fera avec l’ut une tierce majeure discordante, & de beaucoup trop forte ; c’est que ce mi engendré comme quinte de la, n’est pas le même son qui doit faire la tierce majeure de l’ut. En voici la raison. Le rapport de la quinte est de 2 à 3, ou, si l’on veut, d’1 à 3 ; car c’est ici la même chose, 2 & 1 étant l’octave l’un de l’autre ; ainsi la succèssion des quintes formant une progression triple, on aura ut 1, sol 3, 9, la 27, & mi 81.

Considerons maintenant ce mi comme tierce majeure d’ut. Son rapport est 4, 5, ou 1, 5 ; car 4 n’est que la double octave d’1. Si nous rapprochons d’octave en octave ce mi du précédent, nous trouverons mi 5, mi 10, mi 20, mi 40 & mi 80 ; ainsi la quinte de la étant mi 81, la tierce majeure d’ut est mi 80 ; ces deux mi ne sont donc pas le même ; leur rapport est  : ce qui fait précisément le comma majeur.

D’un autre côté, si nous procédons de quinte en quinte jusqu’à la douzieme puissance d’ut qui est le si dièse, nous trouverons que ce si excede l’ut dont il devroit faire l’unisson, & qu’il est avec lui en rapport de 531441 à 524288, rapport qui donne le comma de Pythagore. De sorte que par le calcul précédent le si dièse devroit exceder l’ut de trois comma majeurs, & par celui-ci, il doit seulement l’excéder du comma de Pythagore.

Mais il faut que le même son mi qui fait la quinte du la, serve encore à faire la tierce majeure de l’ut : il faut que le même si dièse, qui forme la treizieme quinte de ce même ut, en fasse en même tems l’octave, & il faut enfin que ces deux différentes regles se combinent de maniere qu’elles concourent à la constitution générale de tout le système. C’est la maniere d’exécuter tout cela qu’on appelle tempérament.

Si l’on accorde toutes les quintes justes, toutes les tierces majeures seront trop fortes, par conséquent les tierces mineures trop foibles, & la partition, au-lieu de se trouver juste, voyez Partition, donnera à la treizieme quinte une octave de beaucoup trop forte.

Si l’on diminue chaque quinte de la quatrieme partie du comma majeur, les tierces majeures seront très-justes, mais les tierces mineures seront encore trop foibles ; & quand on sera au bout de la partition, on trouvera l’octave fausse, & trop foible de beaucoup.

Que si l’on diminue proportionnellement chaque quinte (c’est le système de M. Rameau), seulement de la douzieme partie du comma de Pythagore, ce sera la distribution la plus égale qu’on puisse imaginer, & la partition se trouvera juste ; mais toutes les tierces majeures seront trop fortes.

Tout ceci n’est que des conséquences nécessaires de ce que nous venons d’établir, & l’on peut voir par-là qu’il est impossible d’éviter tous les inconvéniens. On ne sauroit gagner d’un côté qu’on ne perde de l’autre. Voyons de quelle maniere on combine tout cela, & comment par le tempérament ordinaire on met cette perte même à profit.

Il faut d’abord remarquer ces trois choses : 1°. que l’oreille qui souffre & demande même quelque affoiblissement dans la quinte, est blessée de la moindre altération dans la justesse de la tierce majeure. 2°. Qu’en tempérant les quintes, comme on voudra, il est impossible d’avoir jamais toutes les tierces justes. 3°. Qu’il y a des tons beaucoup moins usités que d’autres, & qu’on n’emploie guere ces premiers que pour les morceaux d’expression.

Relativement à ces observations, les regles du tempérament doivent donc être 1°. de rendre autant qu’il est possible les tierces justes, même aux dépens des quintes, & de rejetter dans les tons qu’on emploie le moins celles qu’on est contraint d’altérer ; car par cette méthode on fait entendre ces tierces le plus rarement qu’il se peut, & l’on les reserve pour les morceaux d’expression qui demandent une harmonie plus extraordinaire. Or c’est ce qu’on observe parfaitement par la regle commune du tempérament.

Pour cela 1°. on commence par l’ut du milieu du clavier, & l’on affoiblit les quatre premieres quintes en montant, jusqu’à ce que la quatrieme mi fasse la tierce majeure bien juste avec le premier son ut, ce qu’on appelle la preuve. 2°. En continuant d’accorder par quintes, dès qu’on est arrivé sur les dièses, on renforce les quintes, quoique les tierces en souffrent, & l’on s’arrête quand on est arrivé au sol dièse. 3°. On reprend l’ut, & l’on accorde les quintes en descendant, savoir, fa, si bémol, &c. en les renforçant toujours, jusqu’à ce qu’on soit parvenu au bémol, lequel, pris comme ut dièse, doit se trouver d’accord, & faire la quinte avec le sol dièse auquel on s’étoit arrêté. Les dernieres quintes se trouveront un peu fortes, de même que les tierces. Mais cette dureté sera supportable, si la partition est bien faite, & d’ailleurs ces quintes par leur situation sont rarement dans le cas d’être employées.

Les musiciens & les facteurs regardent cette maniere de tempérament comme la plus parfaite que l’on puisse pratiquer ; en effet, les tons naturels jouissent par cette méthode de toute la pureté de l’harmonie, & les tons transposés qui forment des modulations peu usitées, offrent encore des ressources au musicien quand il a besoin d’expressions dures & marquées. Car il est bon d’observer, dit M. Rameau, que nous recevons des impressions différentes des intervalles à proportion de leurs différentes altérations. Par exemple, la tierce majeure qui nous excite naturellement à la joie, nous imprime jusqu’à des idées de fureur lorsqu’elle est trop forte, & la tierce mineure qui nous porte naturellement à la douceur & à la tendresse, nous attriste lorsqu’elle est trop foible.

Les habiles musiciens, continue le même auteur, savent profiter à-propos de ces différens effets des intervalles, & font valoir par l’expression qu’ils en tirent, l’altération qu’on pourroit y condamner.

Mais dans sa génération harmonique, M. Rameau parle bien un autre langage. Il se reproche sa condescendance pour l’usage actuel ; & détruisant en un moment tout ce qu’il avoit établi auparavant, il donne une formule d’onze moyennes proportionnelles entre les deux termes de l’octave, sur laquelle il veut qu’on regle toute la succession du système chromatique ; de sorte que ce système résultant de douze semi-tons parfaitement égaux, c’est une nécessité que tous les intervalles semblables qui en seront formés soient aussi parfaitement égaux entre eux.

Pour la pratique, prenez, dit-il, telle touche du clavecin qu’il vous plaira ; accordez-en d’abord la quinte juste, puis diminuez-la si peu que rien, procédez ainsi d’une quinte à l’autre toujours en montant, c’est-à-dire du grave à l’aigu, jusqu’à la derniere dont le son aigu aura été le grave de la premiere, vous pouvez être certain que le clavecin sera bien d’accord, &c.

Il ne paroît pas que ce système ait été goûté des musiciens, ni des facteurs. Le premier ne peut se resoudre à se priver de la variété qu’il trouve dans les différentes impressions qu’occasionne le tempérament. M. Rameau a beau lui dire qu’il se trompe, & que le goût de variété se prend dans l’entrelacement des modes, & nullement dans l’altération des intervalles ; le musicien répond que l’un n’exclut pas l’autre, & ne se tient pas convaincu par une assertion.

A l’égard des facteurs, ils trouvent qu’un clavecin accordé de cette maniere n’est point aussi bien d’accord que l’assure M. Rameau ; les tierces majeures leur paroissent dures & choquantes ; & quand on leur répond qu’ils n’ont qu’à s’accoutumer à l’altération des tierces, comme ils l’étoient ci-devant à celles des quintes, ils repliquent qu’ils ne conçoivent pas comment l’orgue pourra s’accoutumer à ne plus faire les battemens désagréables qu’on y entend par cette maniere de l’accorder. Le pere Mersenne remarque que de son tems plusieurs pensoient que les premiers qui pratiquerent sur le clavecin les semi-tons, qu’il appelle feintes, accorderent d’abord toutes les quintes à-peu-près justes, selon l’accord égal que nous propose aujourd’hui M. Rameau ; mais que leur oreille ne pouvant souffrir la dissonance des tierces majeures nécessairement trop fortes, ils tempérerent l’accord en affoiblissant les quintes pour baisser les tierces majeures. Voilà ce que dit le pere Mersenne.

Je ne dois point finir cet article sans avertir ceux qui voudront lire le chapitre de la génération harmonique, où M. Rameau traite la théorie du tempérament, de ne pas être surpris s’ils ne viennent pas à bout de l’entendre, puisqu’il est aisé de voir que ce chapitre a été fait par deux hommes qui ne s’entendoient pas même l’un l’autre, savoir un mathématicien & un musicien.

La théorie du tempérament offre une petite difficulté de physique, de laquelle il ne paroît pas qu’on se soit beaucoup mis en peine jusqu’à présent.

Le plaisir musical, disent les physiciens, dépend de la perception des rapports des sons. Ces rapports sont-ils simples ? les intervalles sont consonans, les sons plaisent à l’oreille. Mais dès que ces rapports deviennent trop composés, l’ame ne les apperçoit plus, & cela forme la dissonance. Si l’unisson nous plait, c’est qu’il y a rapport d’égalité qui est le plus simple de tous ; dans l’octave, le rapport est d’un à deux, c’est un rapport simple, toutes ses puissances sont dans le même cas ; c’est toujours par la simplicité des rapports que notre oreille saisit avec plaisir les tierces, les quintes, & toutes les consonnances ; dès que le rapport devient plus composé seulement comme de 8 à 9, ou de 9 à 10, l’oreille est choquée ; elle est écorchée quand il est de 15 à 16.

Cela étant, je dis qu’un clavecin parfaitement d’accord, devroit, étant bien joué, produire la plus affreuse cacophonie que l’on puisse jamais entendre ; prenons la quinte ut, sol, son rapport est , rapport simple & facile à appercevoir ; mais il a fallu diminuer cette quinte ; & cette diminution qui est d’un quart de comma, formant une nouvelle raison, le rapport de la quinte ut, sol, ainsi tempérée, est justement de , à 240. Je demande donc en vertu de quoi, un intervalle dont les termes sont en telle raison, n’écorche pas les oreilles.

Si l’on chicane, & qu’on soutienne qu’une telle quinte n’est pas harmonieuse ; je dis en premier lieu que si l’on est instruit, ou qu’on ait de l’oreille, c’est parler de mauvaise foi ; car tous les musiciens savent bien le contraire : de plus, si l’on n’admet pas cette quinte ainsi altérée, on ne sauroit nier, du-moins, qu’une quinte parfaitement juste ne soit susceptible de quelque altération sans être moins agréable à l’oreille. Or il faut remarquer que, plus cette altération sera petite, & plus le rapport qui en résultera sera composé ; d’où il s’ensuit, qu’une quinte peu altérée devroit déplaire encore plus que celle qui le seroit davantage.

Dira-t-on que dans une petite altération, l’oreille supplée à ce qui manque à la justesse de l’accord, & suppose cet accord dans toute son exactitude ? qu’on essaye donc d’écouter une octave fausse ; qu’on y supplée ; qu’on y suppose tout ce qu’on voudra, & qu’on tâche de la trouver agréable. (S)