L’Encyclopédie/1re édition/IMITATIF

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 566-567).
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IMITATIF, adj. (Gramm.) qui sert à l’imitation ; c’est le nom général que l’on donne aux verbes adjectifs qui renferment dans leur signification un attribut d’imitation.

Ces verbes dans la langue greque, sont dérivés du nom même de l’objet imité, auquel on donne la terminaison verbale ίζειν pour caractériser l’imitation : ἀττικίζειν, de ἀττικός ; σικελίζειν, de σικελός ; βαρϐαρίζειν, de βάρϐαρος, &c. La terminaison ίζειν pourroit bien venir elle-même de l’adjectif ἴσος, pareil, semblable, qui semble se retrouver encore à la terminaison des noms terminés en ἴσος, que les Latins rendent par ismus, & nous par ismes, comme archaïsme, néologisme, hellénisme, &c. Il me semble par cette raison même, que l’on pourroit les appeller aussi des noms imitatifs.

Nous avons conservé en françois la même terminaison imitative, en l’adaptant seulement au génie de notre langue, tyranniser, latiniser, franciser. Anciennement on écrivoit tyrannizer, latinizer, francizer, comme on peut le voir au traité de la Gramm. fr. de R. Etienne, imprimée en 1569 (pag. 42.) : & cette orthographe étoit plus conforme que la nôtre, & à notre prononciation & à l’étymologie. Par quelle fantaisie l’avons-nous altérée ?

Les Latins ont fait pareillement une altération à la terminaison radicale, dont ils ont changé le z en ss : atticissare, sicilissare, patrissare. Vossius (Gramm. lat. de derivitatis) remarque que les Latins ont préféré la terminaison latine en or à la terminaison greque en istare, & qu’en conséquence ils ont mieux aimé dire græcari que græcissare.

Si j’osois proposer une conjecture contre l’assertion d’un si savant homme, je dirois que cette différence de terminaison doit avoir un fondement plus raisonnable qu’un simple caprice ; & la réalité de l’existence des deux mots latins græcissare & græcari est une preuve de mon opinion d’autant plus certaine, que l’on sait aujourd’hui qu’aucune langue n’admet une exacte synonymie. Il me paroît assez vraissemblable que la terminaison issare n’exprime qu’une imitation de langage, & que la terminaison ari exprime une imitation de conduite, de mœurs : alticissare (parler comme les Athéniens), patrissare (parler en pere) ; græcari (boire comme les Grecs), vulpinari (agir en renard, ruser). Les verbes imitatifs de la premiere espece ont une terminaison active, parce que l’imitation de langage n’est que momentanée, & dépendante de quelques actes libres qui se succedent de loin à loin, ou même d’un seul acte. Au contraire les verbes imitatifs de la seconde espece ont une terminaison passive ; parce que l’imitation de conduite & de mœurs est plus habituelle, plus continue, & qu’elle fait même prendre les passions qui caractérisent les mœurs, de maniere que le sujet qui imite est pour ainsi dire transformé en l’objet imité : græcari (être fait grec), vulpinari (être fait renard : de sorte qu’il est à présumer que ces verbes, réputés déponens à cause de la maniere active dont nous les traduisons, & peut-être même à cause du sens actif que les Latins y avoient attaché, sont au fond de vrais verbes passifs, si on les considere dans leur origine & selon le véritable sens littéral. Dans la réalité, les uns & les autres, à raison de leur signification usuelle, sont des verbes actifs, absolus ; actifs, parce qu’ils expriment l’action d’imiter ; absolus, parce que le sens en est complet & défini en soi, & n’exige aucun complément extérieur.

Remarquons que la terminaison latine en issare ne suffit pas pour en conclure que le verbe est imitatif : l’assonnance seule n’est pas un guide assez sûr dans les recherches analogiques ; il faut encore faire attention au sens des mots & à leur véritable origine. C’est en quoi il me semble qu’a manqué Scaliger (De caus. ling. lat. cap. cxxiij.), lorsqu’il compte parmi les verbes imitatifs le verbe cyathissare : ce n’est pas qu’il ne sente qu’il n’y a point ici de véritable imitation : neque enim, dit-il, aut imitamur aut sequimur Cyathum ; mais il aime pourtant mieux imaginer une métonymie, que d’abandonner l’idée d’imitation qu’il croyoit voir dans la terminaison. Le verbe grec qui correspond à cyathissare, c’est κυαθύζειν, & non pas κυαθίζειν, comme les vrais imitatifs ; ce qui prouve que l’assonnance de cyathissare avec les verbes imitatifs est purement accidentelle, & n’a nul trait à l’imitation.