L’Encyclopédie/1re édition/IMMUNITÉ

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 577-581).
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IMMUNITÉ, en latin immunitas, (Jurisprud.) est définie vacatio & libertas ab oneribus, exemption de quelque charge, devoir ou imposition.

Ce mot vient du latin munus, lequel en droit signifie trois choses différentes, savoir, don ou présent fait pour cause, charge ou devoir, & office ou fonction publique.

Les Romains appellerent leurs offices ou fonctions publiques munera, parce que dans l’origine c’étoit la récompense de ceux qui avoient bien mérité du public.

Par succession de tems plusieurs offices furent réputés onéreux, tels que ceux des décurions des villes, à cause qu’on les chargea de répondre sur leurs propres biens tant du revenu & autres affaires communes des villes, que des tributs du fisc, ce qui entraînoit ordinairement la ruine de ceux qui étoient chargés de cette fonction, au moyen de quoi il fallut user de contrainte pour obliger d’accepter ces sortes de places & autres semblables, & alors elles furent considérées comme des charges publiques, munera quasi onera ; munus enim aliquando significat onus, aliquando honorem seu officium, dit la loi munus, au digeste de verborum signific.

Les tutelles & curatelles furent dans ce même sens considérées comme des charges publiques, muneræ civilia.

Ceux qui avoient quelque titre ou excuse pour s’exempter de ces charges publiques, étoient immunes, seu liberi à muneribus publicis. Ainsi de munus pris pour charge, fonction ou devoir onéreux, on a fait immunité qui signifie exemption de quelque charge ou devoir ; & le terme d’immunitas a été consacré en droit pour exprimer cette exemption, ainsi qu’on le peut voir dans plusieurs titres du digeste & du code.

Le titre de excusationibus au digeste qui concerne les excuses que l’on peut donner pour s’exempter d’être tuteur ou curateur, appelle cette exemption vacatio munerum.

Le titre de vacatione & excusatione munerum, concerne les immunités par lesquelles on peut s’exempter des diverses fonctions publiques. Ces immunités ou excuses sont tirées de l’âge trop tendre ou trop avancé, des infirmités du corps, de l’exercice, de quelque autre fonction supérieure ou incompatible.

Le code contient aussi plusieurs titres sur les immunités, entr’autres celui de immunitate nemini concédendâ, où il est dit que les greffiers des villes qui auront fabriqué en faveur de quelqu’un de fausses immunités, seront punis du feu.

Les titres de decurionibus, de vacatione muneris publici, de decretis decurionum super immunitate quibusdam concedendâ, de excusationibus munerum, & autres titres suivans, traitent aussi de diverses immunités.

Dans notre usage on joint souvent ensemble les termes de franchises, libertés, privileges, exemptions & immunités. Ces termes ne sont cependant pas synonymes. La franchise consiste à n’être pas sujet à certaines charges ou devoirs ; les libertés sont aussi à-peu-près la même chose que les franchises ; le privilege consiste dans quelque droit qui n’est pas commun à tous ; les exemptions & immunités qui signifient la même chose, sont l’affranchissement de quelque charge ou devoir accordé à quelqu’un qui sans cette exemption y auroit été sujet.

L’immunité est quelquefois prise pour le droit d’asyle ; quelquefois le lieu même qui sert d’asyle, s’appelle l’immunité ; quelquefois enfin le terme d’immunité est pris pour l’amende que l’on paye pour avoir enfreint une immunité, comme quand on dit payer l’immunité de l’Eglise.

Les immunités peuvent être accordées à des particuliers, ou à des corps & communautés.

Les provisions des officiers contiennent ordinairement la clause que le pourvû jouira des honneurs, prérogatives, franchises, privileges, exemptions & immunités attachés à son office.

Les villes & communautés ont aussi leurs immunités.

Toute immunité doit être accordée par le prince ou par quelqu’autre seigneur ou autre personne qui en a le pouvoir.

Au défaut de titre elle peut être fondée sur la possession.

L’immunité est personnelle ou réelle.

On entend par immunité personnelle celle qui exempte la personne de quelque devoir personnel, comme du service militaire de guet & de garde, de tutelle & curatelle, de la collecte & autres fonctions publiques.

Telle est aussi l’exemption de payer certaines impositions, comme la taille, les droits de péages, les droits dûs au roi pour mutation des héritages qui sont dans sa mouvance.

L’immunité réelle est celle qui est attachée à certains fonds, & dont le possesseur ne jouit qu’à cause du fonds, & non à cause d’aucune qualité personnelle. Telles sont les immunités dont jouissent ceux qui demeurent dans certains lieux privilégiés, soit pour l’exemption de taille, soit pour avoir la liberté de travailler de certains arts & métiers sans avoir payé de maîtrise, soit pour n’être pas sujets à la visite & jurisdiction d’autres officiers que de ceux qui ont autorité dans ce lieu.

Chaque ordre de l’état a ses immunités. La noblesse est exempte de taille & des charges publiques qui sont au-dessous de sa condition.

Les bourgeois de certaines villes ont aussi leurs immunités plus ou moins étendues ; il y en a de communes à tous les citoyens, d’autres qui sont propres à certaines professions, & qui sont fondées ou sur la nécessité de leur ministere, ou sur l’honneur que l’on y a attaché.

Mais de toutes les immunités, les plus considérables sont celles qui ont été accordées soit à l’Eglise en général, ou singulierement à certaines Eglises, chapitres & monasteres, ou à chaque ecclésiastique en particulier.

Ces immunités sont de trois sortes ; les unes sont attachées à l’édifice même de l’Eglise, & aux biens ecclésiastiques ; les autres sont attachées à la personne des ecclésiastiques qui desservent l’église ; d’autres enfin sont attachées à la seule qualité d’ecclésiastique.

La premiere espece d’immunités qui est de celles attachées à l’édifice même de l’église, & aux biens ecclésiastiques, consiste 1°. en ce que ces sortes de biens sont hors du commerce. Les églises sont mises en droit dans la classe des choses appellées res sacræ, & sont du nombre de celles que les loix appellent res nullius, parce qu’elles n’appartiennent proprement à personne ; elles sont hors du patrimoine, & ne peuvent être engagées, vendues, ni autrement aliénées.

Nous n’avons pourtant pas là-dessus tout-à fait les mêmes idées que les Romains ; car selon nos mœurs, quoique les églises n’appartiennent proprement à personne, cependant par leur destination elles sont attachées à certaines personnes plus particulierement qu’à d’autres ; ainsi chaque église cathédrale est le chef-lieu du diocese ; chaque église paroissiale est propre à ses paroissiens ; les églises monachales appartiennent chacune à quelque ordre ou congrégation, & ainsi des autres ; de sorte qu’on pourroit plûtôt mettre les églises dans la classe des choses appellées en droit res communes, dont la propriété n’appartient à personne, mais dont l’usage est commun à tout le monde.

Les biens d’église ne peuvent être engagés, vendus, ni autrement aliénés, sans une nécessité ou utilité évidente pour l’église, & sans y observer certaines formalités qui sont une enquête de commodo & incommodo, l’autorisation de l’Evêque diocésain, le consentement du patron s’il y en a un, qu’il y ait des publications faites en justice en présence du ministere public, enfin que le contrat d’aliénation soit homologué par le juge royal.

2°. La prescription des biens d’église ne peut être acquise que par quarante ans, à la différence des biens des particuliers, qui, selon le droit commun, se prescrivent par dix ans entre présens, & vingt ans entre absens avec titre, & par trente ans sans titre.

3°. L’immunité des églises consiste en ce qu’elles sont tenues en franche-aumône. Le seigneur, qui donne un fonds pour construire une église, cimetiere ou autre lieu sacré, ne se réserve ordinairement aucun droit ni devoir sur les biens par lui donnés, auquel cas on tient communément qu’il ne reste plus ni foi ni jurisdiction sur le fonds, du-moins quant à la chose, mais non pas quant aux personnes qui sont toujours justiciables du juge du lieu ; & même quoique le seigneur ne perçoive aucune redevance sur le fonds, & qu’on ne lui en passe point de déclaration ou aveu, il ne perd pas pour cela sa directe ni son droit de justice sur le fonds même, de sorte que s’il est nécessaire de faire quelqu’acte de jurisdiction dans l’église même, ses officiers sont constamment en droit de le faire.

Le seigneur conserve aussi sur le fonds-aumôné le droit de patronage.

On distingue la pure-aumôme de la tenure en franche-aumône ; la premiere est quand on donne à l’église des biens temporels, produisans un revenu sur lesquels le fief & la jurisdiction demeurent, soit au donateur, s’il a le fief & la jurisdiction sur le lieu, soit au seigneur, si le donateur ne l’est pas ; les héritages donnés à l’église en pure-aumône sont tenus franchement, & sans en payer aucune redevance ni autre droit, si ce n’est ad obsequium precum.

Mais l’église ne possede en franche-aumône ou pure-aumône que ce qui lui a été donné à ce titre ; ses autres biens sont sujets aux mêmes lois que ceux des particuliers.

4°. Une autre immunité des églises, c’étoit le droit d’asyle ; mais ce privilége n’appartenoit pas singulierement à l’église, car il tiroit son origine de ce que dans la loi de Moïse, Dieu avoit lui-même établi six villes de réfuge parmi les Israëlites, où les coupables pouvoient se mettre en sureté, lorsqu’ils n’avoient pas commis un crime de propos délibéré. Les payens avoient aussi leurs asyles ; non seulement les autels & les temples en servoient, mais aussi les tombeaux & les statues des héros. Il y a encore des villes en Allemagne, qui ont conservé ce droit d’asyle ; les palais des princes ont ce même privilége, & tous les souverains ont le droit d’asyle dans leurs états pour les sujets d’un autre prince, qui viennent s’y réfugier, à moins que l’intérêt commun des puissances ne demande que le coupable soit rendu à son souverain.

A l’égard des églises, c’étoient les asyles les plus inviolables ; dans leur institution ils ne devoient servir que pour les infortunés & ceux que le hasard ou la nécessité exposoient à la rigueur de la loi ; mais dans la suite on en fit un usage odieux, en les faisant servir à protéger indifféremment & les coupables malheureux & les plus grands scelérats.

L’empereur Arcadius fut le premier qui abolit ces asyles, à l’instigation d’Eutrope son favori ; il fit entre autres choses une loi pour assujettir les œconomes des églises à payer les dettes des refugiés que les clercs refusoient de livrer. Eutrope eut bientôt lieu de se repentir de ce qu’il avoit fait faire ; car l’année d’après il fut obligé de venir chercher dans l’église de Constantinople l’asyle qu’il avoit voulu fermer aux autres. Cependant Arcadius ne pouvant résister aux cris du peuple qui demandoit Eutrope, envoya pour l’arracher de l’autel ; une troupe de soldats vint assiéger l’église l’épée à la main. Eutrope se cacha dans la sacristie ; S. Jean Chrisostome, patriarche de cette église, se présenta pour appaiser la fureur des soldats. Ils se saisirent de lui, & le menerent au palais comme un criminel ; mais il toucha tellement l’empereur & ceux qui étoient présens par ses larmes & par ce qu’il leur dit sur le respect dû aux saints autels, qu’il obtint enfin qu’Eutrope demeureroit en sûreté, tant qu’il seroit dans cet asyle. Il en sortit quelques jours après dans l’espérance de se sauver ; mais il fut pris & banni, & dans la même année il eut la tête tranchée. Après sa mort, Arcadius rétablit l’immunité des églises.

Théodore le jeune fit en 431 une loi concernant les asyles dans les églises. Elle porte que les temples dédiés doivent être ouverts à tous ceux qui sont en péril, & qu’ils seront en sûreté non-seulement près de l’autel, mais dans tous les bâtimens qui dépendent de l’église, pourvu qu’ils y entrent sans armes. Cette loi fut faite à l’occasion d’une profanation qui étoit arrivée nouvellement dans une église de Constantinople ; une troupe d’esclaves s’y étant refugiée près du sanctuaire, s’y maintint les armes à la main pendant plusieurs jours, au bout desquels ils s’égorgerent eux-mêmes.

L’empereur Léon fit aussi en 466 une loi, portant défense sous peine capitale, de tirer personne des églises, ni d’inquieter les évêques & les œconomes pour les dettes des réfugiés, dont on les rendoit responsables suivant la loi d’Arcadius.

Les évêques & les moines profiterent de ces dispositions favorables des souverains pour étendre cette immunité à tous les bâtimens qui étoient des dépendances de l’église. Ils marquoient même au dehors une enceinte, au-delà de laquelle ils plantoient des bornes pour limiter la jurisdiction séculiere. Ces couvens devenoient comme autant de forteresses où le crime étoit à l’abri, & bravoit la puissance du magistrat.

Nous avons d’anciens conciles qui ont fait des canons pour conserver aux églises le droit d’asyle. L’approbation que les souverains y donnoient, contribua beaucoup à faire faire ces decrets.

En Italie & dans plusieurs autres endroits, les églises & autres lieux saints sont encore des asyles pour les criminels. On y a même donné à ce privilége plus d’étendue qu’il n’avoit anciennement.

En France, sous la premiere race de nos rois, le droit d’asyle dans les églises étoit aussi un droit très-sacré. L’église de S. Martin de Tours étoit un asyle des plus respectables ; on ne pouvoit le violer sans se rendre coupable d’un sacrilége des plus scandaleux.

Les conciles tenus alors dans les Gaules, recommandoient de ne point attenter aux asyles que l’on cherchoit dans les églises.

L’immunité fut étendue jusqu’au parvis des églises, aux maisons des évêques, & à tous les autres lieux renfermés dans leurs enceintes, afin de ne pas obliger les réfugiés de rester continuellement dans l’église, où plusieurs actions, nécessaires à la vie, ne pourroient se faire avec bienséance.

Lorsqu’il n’y avoit point de porche, ou de parvis & cimetiere fermé, l’immunité s’étendoit sur un arpent de terre autour de l’église, comme il est dit dans un decret de Clotaire, qui est à la suite de la loi salique, §. xiij.

Les réfugiés avoient la liberté de faire venir des vivres, & c’eût été violer l’immunité ecclésiastique, que de les en empêcher. On ne pouvoit les tirer de cet asyle, sans leur donner une assurance juridique de la vie & de la rémission de leurs crimes, sans qu’ils fussent sujets à aucune peine.

Charlemagne fit sur cette matiere deux capitulaires fort différens ; l’un en 779, portant que les criminels dignes de mort suivant les lois, qui se réfugient dans l’église, n’y doivent point être protégés, & qu’on ne doit point les y tenir, ni leur porter à manger ; l’autre qui fut fait en 788, porte au contraire que les églises serviront d’asyle à ceux qui s’y réfugieront ; qu’on ne les condamnera à mort, ni à mutilation de membre.

Mais il faut observer qu’on en exceptoit certains crimes, pour lesquels on n’accorde jamais de grace.

L’église ne pouvoit pas non plus servir d’asyle aux criminels qui s’étoient évadés de prison.

Lorsque le criminel avoit le tems de se retirer dans un lieu d’asyle, avant que la justice se fût emparée de lui, alors elle ne pouvoit lui faire son procès ; mais au bout de huit jours elle pouvoit l’obliger de forjurer le pays, suivant ce qui est dit en l’ancienne coutume de Normandie, chap. xxiv.

Philippe-le-Bel défendit de tirer les coupables des églises, où ils étoient refugiés, sinon dans les cas où le droit l’autorisoit.

Enfin, François I. par son ordonnance de 1539, art. 166, ordonne qu’il n’y auroit lieu d’immunité pour dettes ni autres matieres civiles, & que l’on pourra prendre toutes personnes en lieu de franchise, sauf à les réintégrer, quand il y aura decret de prise de corps décerné à l’encontre d’eux sur les informations, & qu’il sera ainsi ordonné par le juge ; tel est le dernier état de l’immunité ecclésiastique par rapport au droit d’asyle.

Pour ce qui est des immunités qui peuvent appartenir aux ecclésiastiques, soit en corps, ou en particulier, les princes chrétiens, pour marquer leur respect envers l’église dans la personne de ses ministres, ont accordé aux ecclésiastiques plusieurs priviléges, exemptions & immunités, soit par rapport à leur personne ou à leurs biens ; ces priviléges sont certainement favorables ; on ne prétend pas les contester.

Mais il ne faut pas croire, comme quelques ecclésiastiques l’ont prétendu, que ces priviléges soient de droit divin, ni que l’église soit dans une indépendance absolue de la puissance séculiere.

Il est constant que l’église est dans l’état & sous la protection du souverain ; les ecclésiastiques sujets & citoyens de l’état par leur naissance, ne cessent pas de l’être par leur consécration ; leurs biens personnels, & ceux mêmes qui ont été donnés à l’église (en quoi l’on ne comprend point les offrandes & oblations), demeurent pareillement sujets aux charges de l’état, sauf les priviléges & exemptions que les ecclésiastiques peuvent avoir.

Ces priviléges ont reçu plus ou moins d’étendue, selon les pays, les tems & les conjonctures, & selon que le prince étoit disposé à traiter plus ou moins favorablement les ecclésiastiques, & que la situation de l’état le permettoit.

Si on recherche ce qui s’observoit par rapport aux ministres de la religion sous la loi de Moïse, on trouve que la tribu de Lévi sut soumise à Saül, de même que les onze autres tribus, & si elle ne payoit aucune redevance, c’est qu’elle n’avoit point eu de part dans les terres, & qu’il n’y avoit alors d’autre imposition que le cens qui étoit dû à cause des fonds.

Jesus-Christ a dit qu’il n’étoit pas venu pour délier les sujets de l’obéissance des rois ; il a enseigné que l’église devoit payer le tribut à César, & en a donné lui-même l’exemple, en faisant payer ce tribut pour lui & pour ses apôtres.

La doctrine de S. Paul est conforme à celle de J. C. Toute ame, dit-il, est sujette aux puissances. S. Ambroise, évêque de Milan, disoit à un officier de l’empereur : si vous demandez des tributs, nous ne vous les refusons pas, les terres de l’église payent exactement le tribut. S. Innocent, pape, écrivoit en 404 à S. Victrice, évêque de Rouen, que les terres de l’église payoient le tribut.

Les ecclésiastiques n’eurent aucune exemption ni immunité jusqu’à la fin du troisieme siecle. Constantin leur accorda de grands priviléges ; il les exempta des corvées publiques ; on ne trouve cependant pas de loi qui exemptât leurs biens d’impositions.

Sous Valens, ils cesserent d’être exempts des charges publiques ; car dans une loi qu’il adressa en 370 à Modeste, préfet du prétoire, il soumet aux charges des villes les clercs qui y étoient sujets par leur naissance, & du nombre de ceux que l’on nommoit curiales, à moins qu’ils n’eussent été dix ans dans le clergé.

Honorius ordonna en 412 que les terres des églises seroient sujettes aux charges ordinaires, & les affranchit seulement des charges extraordinaires.

Justinien, par sa novelle 37, permet aux évêques d’Afrique de rentrer dans une partie des biens, dont les Ariens les avoient dépouillés, à condition de payer les charges ordinaires ; ailleurs il exempte les églises des charges extraordinaires seulement ; il n’exempta des charges ordinaires qu’une partie des boutiques de Constantinople, dont le loyer étoit employé aux frais des sépultures, dans la crainte que, s’il les exemptoit toutes, cela ne préjudiciât au public.

Les papes mêmes & les fonds de l’église de Rome, ont été tributaires des empereurs romains ou grecs jusqu’à la fin du huitieme siecle. S. Grégoire recommandoit aux défenseurs de Sicile de faire cultiver avec soin les terres de ce pays, qui appartenoient au saint siége, afin que l’on pût payer plus facilement les impositions dont elles étoient chargées. Pendant plus de cent vingt ans, & jusqu’à Benoît II, le pape étoit confirmé par l’empereur, & lui payoit 20 liv. d’or ; les papes n’ont été exempts de tous tributs, que depuis qu’ils sont devenus souverains de Rome & de l’exarcat de Ravenne, par la donation que Pepin en fit à Etienne III.

Lorsque les Romains eurent conquis les Gaules, tous les ecclésiastiques, soit gaulois ou romains, étoient sujets aux tributs, comme dans le reste de l’empire.

Depuis l’établissement de la monarchie françoise, on suivit pour le clergé ce qui se pratiquoit du tems des empereurs, c’est-à-dire que nos rois exempterent les ecclésiastiques d’une partie des charges personnelles ; mais ils voulurent que les terres de l’église demeurassent sujettes aux charges réelles.

Sous la premiere & la seconde race de nos rois, tems où les fiefs étoient encore inconnus, les ecclésiastiques devoient déja, à cause de leurs terres, le droit de giste ou procuration, & le service militaire ; ces deux devoirs continuerent d’être acquittés par les ecclésiastiques encore long-tems sous la troisieme race.

Le droit de giste & de procuration consistoit à loger & nourrir le roi & ceux de sa suite, quand il passoit dans quelque lieu où des ecclésiastiques seculiers ou réguliers avoient des terres ; ils étoient aussi obligés de recevoir ceux que le roi envoyoit de sa part dans les provinces.

A l’égard du service militaire, lorsqu’il y avoit guerre, les églises étoient obligées d’envoyer à l’armée leurs vassaux & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir ; l’évêque ou l’abbé devoit être à la tête de ses vassaux. Quelques-uns de nos rois, tel que Charlemagne, dispenserent les prélats de se trouver en personne à l’armée, à condition d’envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelque autre seigneur ; il y avoit des monasteres qui payoient au roi une somme d’argent pour être déchargés du service militaire.

Outre le droit de giste & le service militaire, les ecclésiastiques fournissoient encore quelquefois au roi des secours d’argent pour les besoins extraordinaires de l’état. Clotaire I. ordonna en 558 ou 560, qu’ils payeroient le tiers de leur revenu ; tous les évêques y souscrivirent, à l’exception d’Injuriosus, évêque de Tours, dont l’opposition fit changer le roi de volonté ; mais si les ecclésiastiques firent alors quelque difficulté de payer le tiers, il est du-moins constant qu’ils payoient au roi, ou autre seigneur duquel ils tenoient leurs terres, la dixme ou dixieme partie des fruits, à l’exception des églises qui en avoient obtenu l’exemption, comme il paroît par une ordonnance du même Clotaire de l’an 560, ensorte que l’exemption de la dixme étoit alors une des immunités de l’église. Chaque église étoit dotée suffisamment, & n’avoit de dixme ou dixieme portion que sur les terres qu’elle avoit données en bénéfice. Dans la suite les exemptions de dixme étant devenues fréquentes en faveur de l’église, de même que les concessions du droit actif de dixmes, on a regardé les dixmes comme étant ecclésiastiques de leur nature.

Les églises de France étoient aussi dès lors sujettes à certaines impositions. En effet, Grégoire de Tours rapporte que Theodebert, roi d’Austrasie, petit-fils de Clovis, déchargea les églises d’Auvergne de tous les tributs qu’elles lui payoient. Le même auteur nous apprend que Childebert, aussi roi d’Austrasie & petit-fils de Clotaire I. affranchit pareillement le clergé de Tours de toutes sortes d’impôts.

Charles Martel, qui sauva dans tout l’Occident la religion de l’invasion des Sarrasins, fit contribuer le clergé de France à la récompense de la noblesse qui lui avoit aidé à combattre les infideles ; l’opinion commune est qu’il ôta aux ecclésiastiques les dixmes pour les donner à ses principaux officiers ; & c’est de-là que l’on tire communément l’origine des dixmes inféodées ; mais Pasquier, en ses recherches, liv. III. chap. xxxxij, & plusieurs autres auteurs tiennent que Charles Martel ne prit pas les dixmes ; qu’il prit seulement une partie du bien temporel des églises, sur-tout de celles qui étoient de fondation royale, pour le donner à la noblesse françoise, & que l’inféodation des dixmes ne commença qu’au premier voyage d’outremer, qui fut en 1096. On a même vu, par ce qui a été dit il y a un moment, que l’origine de ces dixmes inféodées remonte beaucoup plus haut.

Il est certain d’ailleurs que sous la seconde race, les ecclésiastiques, aussi bien que les seigneurs & le peuple, faisoient tous les ans chacun leur don au roi en plein parlement, & que ce don étoit un véritable tribut, plutôt qu’une libéralité volontaire ; car il y avoit une taxe sur le pié du revenu des fiefs, aleux & autres héritages que chacun possédoit. Les historiens en font mention sous les années 826 & suivantes.

Fauchet dit qu’en 833 Lothaire reçut à Compiegne les présens que les évêques, les abbés, les comtes & le peuple faisoient au Roi tous les ans, & que ces présens étoient proportionnés au revenu de chacun ; Louis le Débonnaire les reçut encore des trois ordres à Orléans, Vorms & Thionville en 835, 836 & 837.

Chaque curé étoit obligé de remettre à son évêque la part pour laquelle il devoit contribuer à ces dons annuels, comme il paroît par un concile de Toulouse tenu en 846, où il est dit que la contribution que chaque curé étoit obligé de fournir à son évêque, consistoit en un minot de froment, un minot d’orge, une mesure de vin & un agneau ; le tout étoit évalué deux sols, & l’évêque avoit le choix de le prendre en argent ou en nature.

Outre ces contributions annuelles que le clergé payoit comme le reste du peuple, Charles le Chauve, empereur, fit en 877 une levée extraordinaire de deniers, tant sur le clergé que sur le peuple ; ayant résolu, à la priere de Jean VIII. dans une assemblée générale au parlement, de passer les monts pour faire la guerre aux Sarrasins qui ravageoient les environs de Rome & tout le reste de l’Italie, il imposa un certain tribut sur tout le peuple, & même sur le clergé. Fauchet, dans la vie de cet empereur, dit que les évêques levoient sur les prêtres, c’est-à-dire, sur les curés & autres bénéficiers de leur diocèse, cinq sols d’or pour les plus riches, & quatre deniers d’argent pour les moins aisés ; que tous ces deniers étoient mis entre les mains de gens commis par le Roi ; on prit même quelque chose du trésor des églises pour payer ce tribut ; cette levée fut la seule de cette espece qui eut lieu sous la seconde race.

On voit aussi, par les actes d’un synode tenu à Soissons en 853, que nos rois faisoient quelquefois des emprunts sur les fiefs de l’Eglise. En effet, Charles le Chauve, qui fut présent à ce synode, renonça à faire ce que l’on appelloit præstarias, c’est-à-dire, de ces sortes d’emprunts, ou du-moins des fournitures, devoirs ou redevances, dont les fiefs de l’Eglise étoient chargés.

On n’entrera point ici dans le détail des subventions que le clergé de France a fourni dans la suite à nos rois, cela étant déja expliqué aux mots décimes & don gratuit.

Les ecclésiastiques sont exempts comme les nobles de la taille, mais ils payent les autres impositions, comme tous les sujets du roi, telles que les droits d’aides & autres droits d’entrée.

Ils sont exempts du logement des gens de guerre, si ce n’est en cas de nécessité.

On les exempte aussi des charges publiques, telles que celles de tutelle & curatelle, & des charges de ville, comme de guet & de garde, de la mairie & échevinage ; mais ils ne sont pas exempts des charges de police, comme de faire nettoyer les rues au devant de leurs maisons, & autres obligations semblables.

Une des principales immunités dont jouit l’église, c’est la jurisdiction que les souverains lui ont accordée sur ses membres, & même sur les laïcs dans les matieres ecclésiastiques ; c’est ce que l’on traitera plus particulierement au mot Jurisdiction Ecclésiastique.

L’ordonnance de Philippe-le-Bel en 1302 dit que si on entreprend quelque chose contre les priviléges du clergé qui lui appartiennent de jure vel antiquâ consuetudine, restaurabuntur ad egardum concilii nostri ; on rappelle par là toutes les immunités de l’église aux regles de la justice & de l’équité.

On ne reconnoit point en France les immunités accordées aux églises & au clergé par les bulles des papes, si ces bulles ne sont revêtues de lettres patentes dûment enregistrées.

Les libertés de l’église gallicane sont une des plus belles immunités de l’église de France. Voyez Libertés.

Voyez les conciles, les historiens de France, les ordonnances de la seconde race, les mémoires du clergé.

Voyez aussi les traités de immunitate ecclesiasticâ par Jacob Wimphelingus, celui de Jean Hyeronime Albanus. (A)

Immunité, (Hist. greq.) les immunités que les villes greques, & sur-tout celle d’Athènes, accordoient à ceux qui avoient rendu des services à l’état, portoient sur des exemptions, des marques d’honneurs & autres bienfaits.

Les exemptions consistoient à être déchargés de l’entretien des lieux d’exercices, du festin public à une des dix tribus, & de toute contribution pour les jeux & les spectacles.

Les marques d’honneur étoient des places particulieres dans les assemblées, des couronnes, le droit de bourgeoisie pour les étrangers, celui d’être nourri dans le pritanée aux dépens du public, des monumens, des statues, & semblables distinctions qu’on accordoit aux grands hommes, & qui passoient quelquefois dans leurs familles. Athènes ne se contenta pas d’ériger des statues à Harmodius & à Aristogiton ses libérateurs, elle exempta à perpétuité leurs descendans de toutes charges, & ils jouissoient encore de ce glorieux privilege plusieurs siecles après. Ainsi tout mérite étoit sûr d’être récompensé dans les beaux jours de la Grece ; tout tendoit à faire germer les vertus & à allumer les talens, le desir de la gloire & l’amour de la patrie. (D. J.)