L’Encyclopédie/1re édition/INDÉCENT

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 667-668).
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* INDÉCENT, adj. (Gram. & Morale.) qui est contre le devoir, la bienséance & l’honnêteté. Un des principaux caracteres d’une belle ame, c’est le sentiment de la décence. Lorsqu’il est porté à l’extrême délicatesse, la nuance s’en répand sur-tout, sur les actions, sur les discours, sur les écrits, sur le silence, sur le geste, sur le maintien ; elle releve le mérite distingué ; elle pallie la médiocrité ; elle embellit la vertu ; elle donne de la grace à l’ignorance.

L’indécence produit les effets contraires. On la pardonne aux hommes, quand elle est accompagnée d’une certaine originalité de caractere, d’une gaiété particuliere & cynique, qui les met au-dessus des usages : elle est insupportable dans les femmes. Une belle femme indécente est une espece de monstre, que je comparerois volontiers à un agneau qui auroit de la férocité. On ne s’attend point à cela. Il y a des états dont on n’ose exiger la décence : l’anatomiste, le médecin, la sage-femme sont indécents sans conséquence. C’est la présence des femmes qui rend la société des hommes décente. Les hommes seuls sont moins décents. Les femmes sont moins décentes entr’elles qu’avec les hommes. Il n’y a presqu’aucun vice qui ne porte à quelqu’action indécente. Il est rare que le vicieux craigne de paroître indécent. Il se croit trop heureux quand il n’a que cette foible barriere à vaincre. Il y a une indécence particuliere & domestique ; il y en a une générale & publique. On blesse celle-ci peut-être toutes les fois qu’entraîné par un goût inconsidéré pour la vérité, on ne ménage pas assez les erreurs publiques. Le luxe d’un citoyen peut devenir indécent dans les tems de calamité ; il ne se montre point sans insulter à la misere d’une nation. Il seroit indécent de se réjouir d’un succès particulier au moment d’une affliction publique. Comme la décence consiste dans une attention scrupuleuse à des circonstances légeres & minutieuses, elle disparoît presque dans le transport des grandes passions. Une mere qui vient de perdre son fils ne s’apperçoit pas du desordre de ses vêtemens. Une femme tendre & passionnée, que le penchant de son cœur, le trouble de son esprit & l’yvresse de ses sens abandonne à l’impétuosité des desirs de son amant, seroit ridicule si elle se ressouvenoit d’être décente, dans un instant où elle a oublié des considérations plus importantes. Elle est rentrée dans l’état de nature : c’est son impression qu’elle suit, & qui dispose d’elle & de ses mouvemens. Le moment du transport passé, la décence renaîtra ; & si elle soupire encore, ses soupirs seront décens.