L’Encyclopédie/1re édition/JASWA-MOREWAIA

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 468).
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JASWA-MOREWAIA, (Medecine.) c’est ainsi que les Russiens nomment une maladie épidémique fort contagieuse qui paroît être la peste ; elle se fait sentir assez fréquemment en plusieurs endroits de la Sibérie, & sur-tout dans la ville de Tara, près des bords de la riviere d’Irtisch, & chez les Calmouques. Le mot russien moreswie signifie peste, & jaswa signifie bubon : cependant cette maladie differe de celle à qui nous donnons ce nom. Cette contagion attaque tout le monde sans distinction d’âge ni de sexe, les chevaux eux-mêmes n’en sont point exempts ; elle s’annonce par une tache blanche ou rouge qui se place sur une des parties du corps, & au milieu de cette tache on dit qu’il y a souvent un petit point noir. Cette tache ou tumeur est entierement dépourvûe de sentiment ; elle est dure & s’éleve un peu au-dessus du reste de la peau ; elle augmente en peu de tems, & en quatre ou cinq jours elle acquiert la grosseur du poing & a toûjours la même dureté & la même insensibilité. Le malade éprouve durant ce tems une grande lassitude, & une soif extraordinaire ; il perd entierement l’appétit, est toûjours assoupi ; il lui prend des étourdissemens aussi-tôt qu’il se tient debout ; il sent un serrement considérable de la poitrine ; enfin, il a de la difficulté à respirer ; son haleine devient puante ; il pâlit ou jaunit ; il éprouve de grandes douleurs intérieurement ; il se retourne & change perpétuellement de situation, & la soif va toûjours en augmentant. Quand tous ces symptomes sont suivis d’une sueur abondante, c’est un signe que la mort approche, & les personnes robustes périssent ordinairement le dixieme ou onzieme jour ; les plus délicates ne vont pas si loin. Ceux qui sont attaqués de cette maladie ne se plaignent que de douleurs de tête tant qu’elle dure ; on ne remarque aucun changement sur la langue, aucune constipation, ni rétention d’urine, & la tête demeure saine jusqu’au dernier moment.

Aussi-tôt qu’un tartare apperçoit une de ces taches sur son corps, il va trouver un cosaque, qui n’est ordinairement qu’un medecin de bestiaux ; il arrache la tache avec ses dents jusqu’au sang, où il enfonce dans le milieu une aiguille & la tourne en-dessous en tous sens, & continue à la détacher ainsi jusqu’à ce que le malade sente son aiguille ; après quoi il acheve de l’arracher avec les dents : il mâche ensuite du tabac, & le saupoudre d’un peu de sel ammoniac ; il applique ce mêlange sur la plaie, & recouvre le tout d’un emplâtre, ou bien il se contente de la bander ; il renouvelle le tabac & le sel ammoniac toutes les vingt-quatre heures, jusqu’à la guérison parfaite, qui se fait au bout de deux, cinq, ou sept jours, suivant le degré de dureté, & la grandeur de la tache ou du bubon : il n’y a pas lieu de craindre que les autres parties du corps prennent la contagion. La partie affligée reprend sa couleur naturelle, & la plaie se cicatrise. Le régime qu’on fait observer au malade consiste à le tenir dans un endroit obscur, à l’empêcher de boire, ou si on le lui permet, ce n’est que du petit-lait aigri ; les autres boissons lui sont interdites : on lui défend aussi les fruits à siliques, & toute nourriture sujette à fermenter ; on lui permet le pain trempé dans le petit-lait, du bouillon de poulet, des raves ; mais toute viande est regardée comme nuisible. On a remarqué que la chair qui est au-dessous de la tache qu’on a enlevée, est bleuâtre.

Cette maladie se manifeste dans les chevaux à-peu-près par les mêmes symptomes, excepté que la tache ou le bubon sont beaucoup plus considérables ; souvent leur soif est si ardente, qu’ils se noyent dans les rivieres à force de boire. Quand on s’apperçoit à tems qu’ils sont attaqués de cette maladie, on ouvre le bubon avec un couteau, ou bien on y enfonce jusqu’au vif un fer rouge. Ce bubon se forme sur toutes les parties du corps du cheval, mais sur-tout sur le poitrail, & sur les parties de la génération : on laisse manger très-peu l’animal durant la cure ; les vaches sont moins sujettes à cette contagion que les chevaux, & les brebis encore moins que les vaches. M. Gmelin, dont nous avons tiré le détail qui précede, observe qu’on ne se souvient point d’avoir jamais éprouvé la vraie peste en Sibérie. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie. Ce savant voyageur dit avoir eu occasion de traiter un homme du pays attaqué de la même maladie : la tache ou la tumeur lui étoit venue au menton ; & comme après avoir eu recours au remede usité par les Cosaques, il négligea de faire autre chose ; M. Gmelin voyant que le cas étoit pressant, eut recours aux remedes les plus violens ; il commença par faire à la plaie des scarifications profondes ; il arrêta le sang avec de l’eau-de-vie, faute d’autre chose ; il répandit sur la plaie du précipité rouge, & mit par-dessus un emplâtre émollient, pour exciter la suppuration, & lui fit prendre intérieurement en quatre prises quatre grains de mercure doux à trois heures de distance : de cette maniere, il le tira d’affaire & fit disparoître les symptomes qui menaçoient sa vie. Gmelin, voyage de Sibérie, tome IV. de l’édition allemande. (—)