L’Encyclopédie/1re édition/LARES

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LARES, s. m. plur. (Mythol. & Littérat.) c’étoient chez les Romains les dieux domestiques, les dieux du foyer, les génies protecteurs de chaque maison, & les gardiens de chaque famille. On appelloit indifféremment ces dieux tutélaires, les dieux Lares ou Pénates ; car pour leur destination, ces deux noms sont synonymes.

L’idée de leur existence & de leur culte, paroît devoir sa premiere origine, à l’ancienne coutume des Egyptiens, d’enterrer dans leurs maisons les morts qui leur étoient chers. Cette coutume subsista chez eux fort long-tems, par la facilité qu’ils avoient de les embaumer & de les conserver. Cependant l’incommodité qui en résultoit à la longue, ayant obligé ces peuples & ceux qui les imiterent, de transporter ailleurs les cadavres, le souvenir de leurs ancêtres & des bienfaits qu’ils en avoient reçus, se perpétua chez les descendans ; ils s’adresserent à eux comme à des dieux propices, toûjours prêts à exaucer leurs prieres.

Ils supposerent que ces dieux domestiques daignoient rentrer dans leurs maisons, pour procurer à la famille tous les biens qu’ils pouvoient, & détourner les maux dont elle étoit menacée ; semblables, dit Plutarque, à des athletes, qui ayant obtenu la permission de se retirer à cause de leur grand âge, se plaisoient à voir leurs éleves s’exercer dans la même carriere, & à les soutenir par leurs conseils.

C’est de cette espece qu’est le dieu Lare, à qui Plaute fait faire le prologue d’une de ses comédies de l’Aulularia ; il y témoigne l’affection qu’il a pour la fille de la maison, assurant qu’en considération de sa piété, il songe à lui procurer un mariage avantageux, par la découverte d’un trésor confie à ses soins, dont il n’a jamais voulu donner connoissance ni au pere de la fille, ni à son ayeul, parce qu’ils en avoient mal usé à son égard.

Mais les particuliers qui ne crurent pas trouver dans leurs ancêtres des ames, des génies assez puissans pour les favoriser & les défendre, se choisirent chacun suivant leur goût, des patrons & des protecteurs parmi les grandes & les petites divinités, auxquelles ils s’adresserent dans leurs besoins ; ainsi s’étendit le nombre des dieux Lares domestiques.

D’abord Rome effrayée de cette multiplicité d’adorations particulieres, défendit d’honorer chez soi des dieux, dont la religion dominante n’admettoit pas le culte. Dans la suite, sa politique plus éclairée, souffrit non-seulement dans son sein l’introduction des dieux particuliers, mais elle crut devoir l’autoriser expressément.

Une loi des douze tables enjoignit à tous les habitans de célebrer les sacrifices de leurs dieux Pénates, & de les conserver sans interruption dans chaque famille, suivant que les chefs de ces mêmes familles l’avoient prescrit.

On sait que lorsque par adoption, quelqu’un passoit d’une famille dans une autre, le magistrat avoit soin de pourvoir au culte des dieux qu’abandonnoit la personne adoptée : ainsi Rome devint l’asile de tous les dieux de l’univers, chaque particulier étant maître d’en prendre pour ses Pénates, tout autant qu’il lui plaisoit, quum singuli, dit Pline, ex semetipsis, totidem deos faciant, Junones, geniosque.

Non-seulement les particuliers & les familles, mais les peuples, les provinces, & les villes, eurent chacune leurs dieux Lares ou Pénates. C’est pour cette raison, que les Romains avant que d’assiéger une ville, en évoquoient les dieux tutélaires, & les prioient de passer de leurs côtés, en leur promettant des temples & des sacrifices, afin qu’ils ne s’opposassent pas à leurs entreprises ; c’étoit-là ce qu’on nommoit évocation. Voyez ce mot.

Après ces remarques, on ne sera pas surpris de trouver dans les auteurs & dans les monumens, outre les Lares publics & particuliers, les Lares qu’on invoquoit contre les ennemis, Lares hostilii ; les Lares des villes, Lares urbani ; les Lares de la campagne, Lares rurales ; les Lares des chemins, Lares viales ; les Lares des carrefours, Lares compitales, &c. En un mot, vous avez dans les inscriptions de Gruter & autres livres d’antiquités, des exemples de toutes sortes de Lares ; il seroit trop long de les rapporter ici.

C’est assez de dire que le temple des Lares de Rome en particulier, étoit situé dans la huitieme région de cette ville. Ce fut Titus Tatius roi des Sabins, qui le premier leur bâtit ce temple : leur fête nommée Lararies, arrivoit le onze avant les calendes de Janvier. Macrobe l’appelle assez plaisamment la solemnité des petites statues, celebritas sigillariorum ; cependant Asconius Pédianus, prétend que ces petites statues étoient celles des douze grands dieux ; mais la plaisanterie de Macrobe n’en est pas moins juste.

Les Lares domestiques étoient à plus forte raison représentés sous la figure de petits marmousets d’argent, d’ivoire, de bois, de cire, & autres matieres ; car chacun en agissoit envers eux, suivant ses facultés. Dans les maisons bourgeoises, on mettoit ces petits marmousets derriere la porte, ou au coin du foyer, qui est encore appellé la lar dans quelques endroits du Languedoc. Les gens qui vivoient plus à leur aise, les plaçoient dans leurs vestibules ; les grands seigneurs les tenoient dans une chapelle nommée Laraire, & avoient un domestique chargé du service de ces dieux ; c’étoit chez les empereurs l’emploi d’un affranchi.

Les dévers aux dieux Lares leur offroient souvent du vin, de la farine, & de la desserte de leurs tables ; ils les couronnoient dans des jours heureux, ou dans certains jours de fêtes, d’herbes & de fleurs, sur-tout de violettes, de thym, & de romarin ; ils leur brûloient de l’encens & des parfums. Enfin, ils mettoient devant leurs statues, des lampes allumées : je tire la preuve de ce dernier fait peu connu, d’une lampe de cuivre à deux branches, qu’on trouva sous terre à Lyon en 1505. Les mains de cette lampe entouroient un petit pié-d’estal de marbre, sur lequel étoit cette inscription : Laribus sacrum, P. F. Rom. qui veut dire, publica felicitati Romanorum. Il eût été agréable de trouver aussi le dieu Lare, mais apparemment que les ouvriers le mirent en pieces en fouillant.

Quand les jeunes enfans de qualité étoient parvenus à l’âge de quitter leurs bulles, petites pieces d’or en forme de cœur, qu’ils portoient sur la poitrine, ils venoient les pendre au cou des dieux Lares, & leur en faire hommage. « Trois de ces enfans, revétus de robes blanches, dit Pétrone, entrerent alors dans la chambre : deux d’entre eux poserent sur la table les Lares ornés de bulles ; le troisieme tournant tout-autour avec une coupe pleine de vin, s’écrioit : Que ces dieux nous soient favorables » !

Les bonnes gens qui leur attribuoient tous les biens & les maux qui arrivoient dans les familles, & leur faisoient des sacrifices pour les remercier ou pour les adoucir ; mais d’autres d’un caractere difficile à contenter, se plaignoient toûjours, comme la Philis d’Horace, de l’injustice de leurs dieux domestiques.

Et Penates
Mæret iniquos.

Caligula que je dois au-moins regarder comme un brutal, fit jetter les siens par la fenêtre, parce qu’il étoit, disoit-il, très-mécontent de leur service.

Les voyageurs religieux portoient toûjours avec eux dans leurs hardes quelque petite statue de dieux Lares ; mais Cicéron craignant de fatiguer sa Minerve dans le voyage qu’il fit avant que de se rendre en exil, la déposa par respect au Capitole.

La victime ordinaire qu’on leur sacrifioit en public, étoit un porc : Plaute appelle ces animaux en badinant porcs sacrés. Ménechme, Act. II. sc. 2. demande combien on les vend, parce qu’il en veut acheter un, afin que Cylindrus l’offre aux dieux Lares, pour être délivré de sa démence.

La flaterie des Romains mit Auguste au rang des dieux Lares, voulant déclarer par cette adulation, que chacun devoit le reconnoître pour le défenseur & le conservateur de sa famille. Mais cette déification parut dans un tems peu favorable ; personne ne croyoit plus aux dieux Lares, & l’on n’étoit pas plus croyant aux vertus d’Auguste : on ne le regardoit que comme un heureux usurpateur de la tyrannie.

J’ai oublié d’observer que les Lares s’appelloient aussi Præstites, comme qui diroit gardiens des portes, quòd præstant oculis omnia tuta suis, dit Ovide dans ses Fastes. J’ajoute que les auteurs latins ont quelquefois employés le mot Lar, pour exprimer une famille entiere, l’état & la fortune d’une personne, parvo sub lare, paterni laris inops, dit Horace.

On peut consulter sur cette matiere, les dictionnaires d’antiquités romaines, les recueils d’inscriptions & de monumens, les recherches de Spon, Casaubon sur Suetone, Lambin, sur le prologue de l’Aulularia de Plaute, & si l’on veut Vossius de Idololatriâ ; mais je doute qu’on prenne tant de peines dans notre pays. (D. J.)