L’Encyclopédie/1re édition/LIGUE

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LIGUE, (Gramm.) union ou confédération entre des princes ou des particuliers pour attaquer ou pour se défendre mutuellement.

Ligue, la, (Hist. de France.) on nomme ainsi par excellence toutes les confédérations qui se formerent dans les troubles du royaume contre Henri III. & contre Henri IV. depuis 1576 jusqu’en 1593.

On appella ces factions la sainte union ou la sainte ligue ; les zélés catholiques en furent les instrumens, les nouveaux religieux les trompettes, & les lorrains les conducteurs. La mollesse d’Henri III. lui laissa prendre l’accroissement, & la reine mere y donna la main ; le pape & le roi d’Espagne la soutintent de toute leur autorité ; ce dernier à cause de la liaison des calvinistes de France avec les confédérés des pays-bas ; l’autre par la crainte qu’il eut de ces mêmes huguenots, qui, s’ils devenoient les plus forts, auroient bientôt sappé sa puissance. Abrégeons tous ces faits que j’ai recueillis par la lecture de plus de trente historiens.

Depuis le massacre de la saint Barthélemi ; le royaume étoit tombé dans une affreuse confusion, à laquelle Henri III. mit le comble à son retour de Pologne. La nation fut accablée d’édits bursaux, les campagnes désolées par la soldatesque, les villes par la rapacité des financiers, l’Eglise par la simonie & le scandale.

Cet excès d’opprobre enhardit le duc Henri de Guise à former la ligue projettée par son oncle le cardinal de Lorraine, & à s’élever sur les ruines d’un état si mal-gouverné. Il étoit devenu le chef de la maison de Lorraine en France, ayant le crédit en main, & vivant dans un tems où tout respiroit les factions ; Henri de Guise étoit fait pour elle. Il avoit, dit-on, toutes les qualités de son pere avec une ambition plus adroite, plus artificieuse & plus effrénée, telle enfin qu’après avoir causé mille maux au royaume, il tomba dans le précipice.

On lui donne la plus belle figure du monde, une éloquence insinuante, qui dans le particulier triomphoit de tous les cœurs ; une libéralité qui alloit jusqu’à la profusion, un train magnifique, une politesse infinie, & un air de dignité dans toutes ses actions ; fin & prudent dans les conseils, prompt dans l’exécution, secret ou plutôt dissimulé sous l’apparence de la franchise ; du reste accoutumé à souffrir également le froid & le chaud, la faim & la soif, dormant peu, travaillant sans cesse, & si habile à manier les affaires, que les plus importantes ne sembloient être pour lui qu’un badinage. La France, dit Balzac, étoit folle de cet homme-là ; car c’est trop peu de dire amoureuse ; une telle passion alloit bien près de l’idolâtrie. Un courtisan de ce regne prétendoit que les huguenots étoient de la ligue quand ils regardoient le duc de Guise. C’est de son pere & de lui que la maréchale de Retz disoit, qu’auprès d’eux tous les autres princes paroissoient peuple.

On vantoit aussi la générosité de son cœur ; mais il n’en donna pas un exemple, quand il investit lui-même la maison de l’amiral Coligny, &, qu’attendant dans la cour l’exécution de l’assassinat de ce grand homme, qu’il fit commettre par son valet (Breme), il cria qu’on jettât le cadavre par les fenêtres, pour s’en assurer & le voir à ses piés : tel étoit le duc de Guise, à qui la soif de régner applanit tous les chemins du crime.

Il commença par proposer la ligue dans Paris, fit courir chez les bourgeois, qu’il avoit déja gagnés par ses largesses, des papiers qui contenoient un projet d’association, pour défendre la religion, le roi & la liberté de l’état, c’est-à-dire pour opprimer à la fois la fois le roi & l’état, par les armes de la religion ; la ligue fut ensuite signée solemnellement à Péronne, & dans presque toute la Picardie, par les menées & le credit de d’Humieres gouverneur de la province. Il ne fut pas difficile d’engager la Champagne & la Bourgogne dans cette association, les Guises y étoient absolus. La Tremouille y porta le Poitou, & bientôt après toutes les autres provinces y entrerent.

Le roi craignant que les états ne nommassent le duc de Guise à la tête du parti qui vouloit lui ravir la liberté, crut faire un coup d’état, en signant lui-même la ligue, de peur qu’elle ne l’écrasât. Il devint, de roi, chef de cabale, & de pere commun, ennemi de ses propres sujets. Il ignoroit que les princes doivent veiller sur les ligues, & n’y jamais entrer. Les rois sont la planéte centrale qui entraîne tous les globes dans son tourbillon : ceux-ci ont un mouvement particulier, mais toujours lent & subordonné à la marche uniforme & rapide du premier mobile. En vain, dans la suite, Henri III. voulut arrêter les progrès de cette ligue : il ne sut pas y travailler ni l’éteindre ; elle éclata contre lui, & fut cause de sa perte.

Comme le premier dessein de la ligue étoit la ruine des calvinistes, on ne manqua pas d’en communiquer avec dom Juan d’Autriche, qui, allant prendre possession des Pays-Bas, se rendit déguisé à Paris, pour en concerter avec le duc de Guise : on se conduisit de même avec le légat du pape. En conséquence la guerre se renouvela contre les protestans ; mais le roi s’étant embarqué trop légérement dans ces nouvelles hostilités, fit bien-tôt la paix, & créa l’ordre du S. Esprit, comptant, par le serment auquel s’engageoient les nouveaux chevaliers, d’avoir un moyen sûr pour s’opposer aux desseins de la ligue. Cependant dans le même tems, il se rendit odieux & méprisable, par son genre de vie efféminée, par ses confrairies, par ses pénitences, & par ses profusions pour ses favoris qui l’engagerent à établir sans nécessité des édits bursaux, & à les faire vérifier par son parlement.

Les peuples voyant que du trône & du sanctuaire de la Justice, il ne sortoit plus que des édits d’oppression, perdirent peu à peu le respect & l’affection qu’ils portoient au prince & au parlement. Les chefs de la ligue ne manquerent pas de s’en prévaloir, & en recueillant ces édits onéreux, d’attiser le mépris & l’aversion du peuple.

Henri III. ne regnoit plus : ses mignons disposoient insolemment & souverainement des finances, pendant que la ligue catholique & les confédérés protestans se faisoient la guerre malgré lui dans les provinces ; les maladies contagieuses & la famine se joignoient à tant de fléaux. C’est dans ces momens de calamités, que, pour opposer des favoris au duc de Guise, il dépensa quatre millions aux nôces du duc de Joyeuse. De nouveaux impôts qu’il mit à ce sujet, changerent les marques d’affection en haine & en indignation publique.

Dans ces conjonctures, le duc d’Anjou son frere, vint dans les Pays-Bas, chercher au milieu d’une désolation non moins funeste, une principauté qu’il perdit par une tirannique imprudence, que sa mort suivit de près.

Cette mort rendant le roi de Navarre le plus proche héritier de la couronne, parce qu’on regardoit comme une chose certaine, qu’Henri III. n’auroit point d’enfans, servit de prétexte au duc de Guise, pour se déclarer chef de la ligue, en faisant craindre aux François d’avoir pour roi un prince séparé de l’Eglise. En même tems, le pape fulmina contre le roi de Navarre & le prince de Condé, cette fameuse bulle dans laquelle il les appelle génération bâtarde & détestable de la maison de Bourbon ; il les déclare en conséquence déchus de tout droit & de toute succession. La ligue profitant de cette bulle, força le roi à poursuivre son beau-frere qui vouloit le secourir, & à seconder le duc de Guise qui vouloit le détrôner.

Ce duc, de son côté, persuada au vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, que la couronne le regardoit, afin de se donner le tems, à l’abri de ce nom, d’agir pour lui-même. Le vieux cardinal, charmé de se croire l’héritier présomptif de la couronne, vint à aimer le duc de Guise comme son soutien, à haïr le roi de Navarre son neveu, comme son rival, & à lever l’étendart de la ligue contre l’autorité royale, sans ménagement, sans crainte & sans mesure.

Il fit plus ; il prit en 1585, dans un manifeste public, le titre de premier prince du sang, & recommandoit aux François de maintenir la couronne dans la branche catholique. Le manifeste étoit appuyé des noms de plusieurs princes, & entr’autres, de ceux du roi d’Espagne & du pape à la tête : Henri III. au lieu d’opposer la force à cette insulte, fit son apologie ; & les ligueurs s’emparerent de quelques villes du royaume, entr’autres, de Tours & de Verdun.

C’est cette même année 1585, que se fit l’établissement des seize, espece de ligue particuliere pour Paris seulement, composée de gens vendus au duc de Guise, & ennemis jurés de la royauté. Leur audace alla si loin, que le lieutenant du prevôt de l’île de France révéla au roi l’entreprise qu’ils avoient formée de lui ôter la couronne & la liberté. Henri III. se contenta de menaces, qui porterent les seize à presser le duc de Guise de revenir à Paris. Le roi écrivit deux lettres au duc, pour lui défendre d’y venir.

M. de Voltaire rapporte à ce sujet une anecdote fort curieuse ; il nous apprend qu’Henri III. ordonna qu’on dépêchât ses deux lettres par deux couriers, & que, comme on ne trouva point d’argent dans l’épargne pour cette dépense nécessaire, on mit les lettres à la poste ; de sorte que le duc de Guise se rendit à Paris, ayant pour excuse, qu’il n’avoit point reçû d’ordre contraire.

De-là suivit la journée des barricades, trop connue pour en faire le récit ; c’est assez de dire que le duc de Guise, se piquant de générosité, rendit les armes aux gardes du roi qui suivant le conseil de sa mere, ou plutôt de sa frayeur, se sauva en grand desordre & à toute bride à Chartres. Le duc, maître de la capitale, négocia avec Catherine de Médicis un traité de paix qui fut tout à l’avantage de la ligue, & à la honte de la royauté.

A peine le roi l’eut conclu, qu’il s’apperçut, quand il n’en fut plus tems, de l’abîme que la reine mere lui avoit creusé, & de l’autorité souveraine des Guises, dont l’audace portée au comble, demandoit quelque coup d’éclat. Ayant donc médité son plan, dans un accès de bile noire à laquelle il étoit sujet en hiver, il convoqua les états de Blois, & là, il fit assassiner le 23 & le 24 Décembre le duc de Guise, & le cardinal son frere.

Les lois, dit très-bien le poëte immortel de l’histoire de la ligue, les lois sont une chose si respectable & si sainte, que si Henri III. en avoit seulement conservé l’apparence, & qu’ayant dans ses mains le duc & le cardinal, il eût mis quelque formalité de justice dans leur mort ; sa gloire, & peut-être sa vie eussent été sauvées ; mais l’assassinat d’un héros & d’un prêtre le rendirent exécrable aux yeux de tous les catholiques, sans le rendre plus redoutable.

Il commit une seconde faute, en ne courant pas dans l’instant à Paris avec ses troupes. Les ligueurs, ameutés par son absence, & irrités de la mort du duc & du cardinal de Guise, continuerent leurs excès. La Sorbonne s’enhardit à donner un decret qui délioit les sujets du serment de fidélité qu’ils doivent au roi, & le pape l’excommunia. A tous ces attentats, ce prince n’opposa que de la cire & du parchemin.

Cependant le duc de Mayenne en particulier se voyoit chargé à regret de vanger la mort de son frere qu’il n’aimoit pas, & qu’il avoit autrefois appellé en duel. Il sentoit d’ailleurs que tôt ou tard le parti des Ligueurs seroit accablé ; mais sa position & son honneur emporterent la balance. Il vint à Paris, & s’y fit déclarer lieutenant général de la couronne de France, par le conseil de l’union : ce conseil de l’union se trouvoit alors composé de 70 personnes.

L’exemple de la capitale entraîna le reste du royaume ; Henri III. réduit à l’extrémité, prit le parti, par l’avis de M. de Schomberg, d’appeller à son aide le roi de Navarre qu’il avoit tant persécuté ; celui-ci, dont l’ame étoit si belle & si grande, vole à son secours, l’embrasse, & décide qu’il falloit se rendre à force ouverte dans la capitale.

Déja les deux rois s’avançoient vers Paris, avec leurs armées réunies, fortes de plus de trente mille hommes ; déja le siége de cette ville étoit ordonné, & sa prise immanquable, quand Henri III. fut assassiné, le premier Août 1589, par le frere Jacques Clement, dominiquain : ce prêtre fanatique fut encouragé à ce parricide par son prieur Bourgoin, & par l’esprit de la ligue.

Quelques Historiens ajoutent, que Madame de Montpensier eut grande part à cette horrible action, moins peut-être par vengeance du sang de son frere, que par un ancien ressentiment que cette dame conservoit dans le cœur, de certains discours libres tenus autrefois par le roi sur son compte, & qui découvroient quelques défauts secrets qu’elle avoit : outrage, dit Mézerai, bien plus impardonnable à l’égard des femmes, que celui qu’on fait à leur honneur.

Personne n’ignore qu’on mit sur les autels de Paris le portrait du parricide ; qu’on tira le canon à Rome, à la nouvelle du succès de son crime ; enfin, qu’on prononça dans cette capitale du monde-catholique l’éloge du moine assassin.

Henri IV (car il faut maintenant l’appeller ainsi avec M. de Voltaire, puisque ce nom si célebre & si cher est devenu un nom propre) Henri IV. dis-je, changea la face de la ligue. Tout le monde sait comment ce prince, le pere & le vainqueur de son peuple, vint à bout de la détruire. Je me contenterai seulement de remarquer, que le cardinal de Bourbon, dit Charles X. oncle d’Henri IV. mourut dans sa prison le 9 Mai 1590 ; que le cardinal Cajetan légat à latere, & Mendoze ambassadeur d’Espagne, s’accorderent pour faire tomber la couronne à l’infante d’Espagne, tandis que le duc de Lorraine la vouloit pour lui-même, & que le duc de Mayenne ne songeoit qu’à prolonger son autorité. Sixte V. mourut dégouté de la ligue. Grégoire XIV. publia sans succès, des lettres monitoriales contre Henri IV. en vain le jeune cardinal de Bourbon neveu du dernier mort, tenta de former quelque faction en sa faveur ; en vain le duc de Parme voulut soutenir celle d’Espagne, les armes à la main ; Henri IV. fut partout victorieux ; par-tout il battit les troupes des ligueurs, à Arques, à Ivry, à Fontaine françoise, comme à Coutras. Enfin, reconnu roi, il soumit par ses bienfaits, le royaume à son obéissance : son abjuration porta le dernier coup à cette ligue monstrueuse, qui fait l’événement le plus étrange de toute l’histoire de France.

Aucuns regnes n’ont fourni tant d’anecdotes, tant de piéces fugitives, tant de mémoires, tant de livres, tant de chansons satyriques, tant d’estampes, en un mot, tant de choses singulieres, que les regnes d’Henri III. & d’Henri IV. Et, en admirant le regne de ce dernier monarque, nous ne sommes pas moins avides d’être instruits des faits arrivés sous son prédécesseur, que si nous avions à vivre dans des tems si malheureux. (D. J.)

Ligue, (Géog.) nom commun aux trois parties qui composent le pays des Grisons ; l’une se nomme la ligue grise ou haute, l’autre la ligue de la Caddée, & la troisieme la ligue des dix jurisdictions, ou des dix droitures. Voyez Grisons.

La ligue grise, ou la ligue haute, en allemand, graw-bunds, en latin, fœdus superius, ou fœdus canum, est la plus considérable des trois, & a communiqué son nom à tout le pays. C’est ici que se trouvent les trois sources du Rhin. Cette ligue est partagée en huit grandes communautés, qui contiennent vingt-deux jurisdictions. Les habitans de la ligue grise parlent, les uns allemand, les autres italien, & d’autres un certain jargon qu’ils appellent roman : ce jargon est un mélange d’italien ou de latin, & de la langue des anciens Lépontiens.

La ligue de la Caddée, ou maison de Dieu, en allemand, gotts hansf-bundt, est partagée en onze grandes communautés, qui se subdivisent en vingt-une jurisdictions. Dans les affaires générales qui se nomment autrement dietes, cette ligue a vingt-quatre voix. Voyez Cadée.

La ligue des dix jurisdictions, ou dix droitures, tire son nom des dix jurisdictions qui la forment, sous sept communautés générales : tous les habitans de cette derniere ligue, à un ou deux villages près, parlent allemand. (D. J.)