L’Encyclopédie/1re édition/MULTITUDE
MULTITUDE, s. f. (Gramm.) ce terme désigne un grand nombre d’objets rassemblés, & se dit des choses & des personnes : une multitude d’animaux, une multitude d’hommes, une multitude de choses rares. Méfiez-vous du jugement de la multitude ; dans les matieres de raisonnement & de philosophie, sa voix alors est celle de la méchanceté, de la sottise, de l’inhumanité, de la déraison & du préjugé. Méfiez-vous-en encore dans les choses qui supposent ou beaucoup de connoissances, ou un goût exquis. La multitude est ignorante & hébétée. Méfiez-vous-en sur-tout dans le premier moment ; elle juge mal, lorsqu’un certain nombre de personnes, d’après lesquelles elle réforme ses jugemens, ne lui ont pas encore donné le ton. Méfiez-vous-en dans la morale ; elle n’est pas capable d’actions fortes & généreuses : elle en est plus étonnée qu’approbatrice ; l’héroïsme est presque une folie à ses yeux. Méfiez-vous-en dans les choses de sentiment ; la délicatesse de sentimens est-elle donc une qualité si commune qu’il faille l’accorder à la multitude ? En quoi donc, & quand est-ce que la multitude a raison ? En tout ; mais au bout d’un très-long-tems, parce qu’alors c’est un écho qui répete le jugement d’un petit nombre d’hommes sensés qui forment d’avance celui de la postérité. Si vous avez pour vous le témoignage de votre conscience, & contre vous celui de la multitude, consolez-vous-en, & soyez sûr que le tems fait justice.