L’Encyclopédie/1re édition/ORIENTAL

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ORIENTAL, adj. (Ast. & Géog.) se dit proprement de quelque chose qui est située à l’est ou au levant par rapport à nous ; il est opposé à occidental ; mais on dit plus généralement oriental de tout ce qui a rapport aux pays situés à l’orient par rapport à nous. Voyez Est, Levant & Occidental.

C’est dans ce sens qu’on dit, perles orientales, lorsqu’on parle des perles qui se trouvent dans les Indes orientales. Voyez Perle. On dit encore langues orientales, en parlant de l’hébreu, du syriaque, du chaldéen, & du cophte. Voyez Langue.

Dans l’Astronomie on dit qu’une planete est orientale lorsqu’elle paroît précéder le soleil vers le levant. Voyez Levant, voyez Lucifer. Chambers. (O)

Orientale, Philosophie, (Hist. de la Philosoph.) peu de tems après la naissance de Jesus-Christ, il se forma une secte de philosophes assez singuliere dans les contrées les plus connues de l’Asie & de l’Afrique. Ils se piquoient d’une intelligence extraordinaire dans les choses divines, ou celles sur lesquelles on croit le plus parce qu’on y entend le moins, & où il ne faut pas raisonner, mais soumettre sa raison, faire des actes de foi & non des systèmes ou des syllogismes. Ils donnoient leur doctrine pour celle des plus anciens philosophes, qu’ils prétendoient leur avoir été transmise dans sa pureté ; & plusieurs d’entre eux ayant embrassé la religion chrétienne, & travaillé à concilier leurs idées avec ses préceptes, on vit tout-à-coup éclore cet essaim d’hérésies dont il est parlé dans l’histoire de l’Eglise sous le nom fastueux de Gnostiques. Ces Gnostiques corrompirent la simplicité de l’Evangile par les inepties les plus frivoles ; se répandirent parmi les juifs & les Gentils, & défigurerent de la maniere la plus ridicule leur philosophie, imaginerent les opinions les plus monstrueuses, fortifierent le fanatisme dominant, supposerent une foule de livres sous les noms les plus respectables, & remplirent une partie du monde de leur misérable & détestable science.

Il seroit à souhaiter qu’on approfondît l’origine & les progrès des sectes : les découvertes qu’on feroit sur ce point éclaireroient l’histoire sacrée & philosophique des deux premiers siecles de l’Eglise ; période qui ne sera sans obscurité, que quand quelque homme d’une érudition & d’une pénétration peu commune aura achevé ce travail.

Nous n’avons plus les livres de ces sectaires, il ne nous en reste qu’un petit nombre de fragmens peu considérables. En supprimant leurs ouvrages, les premiers peres de l’Eglise, par un zele plus ardent qu’éclairé, nous ont privé de la lumiere dont nous avons besoin, & presque coupé le fil de notre histoire.

On ne peut révoquer en doute l’existence de ces philosophes. Porphyre en fait mention, il dit dans la vie de Plotin : γεγόνασι δὲ κατ᾽ αὐτὸν τῶν χριστιανῶν πολλοὶ μὲν καὶ ἄλλοι αἱρετικοὶ δὲ ἐκ τῆς παλαῖας φιλοσοφίας ἀνηγμένοι, οἱ περὶ τὸν ἀδέλφιον καὶ ἀκυλῖνον, κ. τ. λ.. Il y avoit alors plusieurs chrétiens, hérétiques, & autres professant une doctrine émanée de l’ancienne philosophie, & marchant à la suite d’Adelphius & d’Aquilinus, &c. Ils méprisoient Platon ; ils ne parloient que de Zoroastre, de Zostrian, de Nicothée, & de Melus, & ils se regardoient comme les restaurateurs de la sagesse orientale : nous pourrions ajouter au témoignage de Porphyre, celui de Théodote & d’Eunape.

Ces philosophes prirent le nom de Gnostiques, parce qu’ils s’attribuoient une connoissance plus sublime & plus étendue de Dieu, & de ses puissances ou émanations, qui faisoient le fond de leur doctrine.

Ils avoient pris ce nom long-tems avant que d’entrer dans l’Eglise. Les Gnostiques furent d’abord certains philosophes spéculatifs ; on étendit ensuite cette dénomination à une foule d’hérétiques dont les sentimens avoient quelque affinité avec leur doctrine. Irenée dit que Ménandre disciple de Simon, fut un gnostique ; Basilide fut un gnostique selon Jerôme ; Epiphane met Saturnin au nombre des Gnostiques ; Philastrius appelle Nicolas chef des Gnostiques.

Ce titre de gnostique a donc passé des écoles de la philosophie des Gentils dans l’Eglise de J. C. & il est très-vraissemblable que c’est de cette doctrine trompeuse que Paul a parlé dans son épître à Timothée, & qu’il désigne par les mots de ψευδωνύμου γνώσεως ; d’où l’on peut conclure que le gnosisme n’a pas pris naissance parmi les Chrétiens.

Le terme de gnosis est grec ; il étoit en usage dans l’école de Pithagore & de Platon, & il se prenoit pour la contemplation des choses immatérielles & intellectuelles.

On peut donc conjecturer que les philosophes orientaux prirent le nom de Gnostiques, lorsque la philosophie pithagorico-platonicienne passa de la Grece dans leur contrée, ce qui arriva peu de tems avant la naissance de Jesus-Christ ; alors la Chaldée, la Perse, la Syrie, la Phénicie, & la Palestine étoient pleines de Gnostiques. Cette secte pénétra en Europe. L’Egypte en fut infectée ; mais elle s’enracina particulierement dans la Chaldée & dans la Perse. Ces contrées furent le centre du gnosisme ; c’est-là que les idées des Gnostiques se mêlerent avec les visions des peuples, & que leur doctrine s’amalgama avec celle de Zoroastre.

Les Perses qui étoient imbus du platonisme, trompés par l’affinité qu’ils remarquerent entre les dogmes de cette école dont ils sortoient & la doctrine des gnostiques orientaux, qui n’étoit qu’un pithagorico-platonisme défiguré par des chimeres chaldéennes & zoroastriques, se méprirent sur l’origine de cette secte. Bien-loin de se dire Platoniciens, les gnostiques orientaux reprochoient à Platon de n’avoir rien entendu à ce qu’il y a de secret & de profond sur la nature divine, Platonem in profonditatem intelligibilis essentiæ non penetrasse. Porphire Ennéad. II. l. IX. c. vj. Plotin indigné de ce jugement des Gnostiques, leur dit : quasi ipsi quidem intelligibilem naturam cognoscendo attingentes, Plato autem reliquique beati viri minimè ? « Comme si vous saviez de la nature intelligible ce que Platon & les autres hommes de sa trempe céleste ont ignoré », Plot. ibid. Il revient encore aux Gnostiques en d’autres endroits, & toujours avec la même véhémence. « Vous vous faites un mérite, ajoute-t-il, de ce qui doit vous être reproché sans cesse ; vous vous croyez plus instruits, parce qu’en ajoutant vos extravagances aux choses sensées que vous avez empruntées, vous avez tout corrompu ».

D’où il s’ensuit qu’à-travers le système de la philosophie orientale, quel qu’il fût, on reconnoissoit des vestiges de pithagorico-platonisme. Ils avoient changé les dénominations. Ils admettoient la transmigration des ames d’un corps dans un autre. Ils professoient la Trinité de Platon, l’être, l’entendement, & un troisieme architecte ; & ces conformités, quoique moins marquées peut être qu’elles ne le paroissoient à Plotin, n’étoient pas les seules qu’il y eût entre le gnosisme & le platonico-pithagorisme.

Le platonico-pithagorisme passa de la Grece à Alexandrie. Les Egyptiens avides de tout ce qui concernoit la divinité, accoururent dans cette ville fameuse par ses philosophes. Ils brouillerent leur doctrine avec celle qu’ils y puiserent. Ce mélange passa dans la Chaldée, où il s’accrut encore des chimeres de Zoroastre, & c’est ce cahos d’opinions qu’il faut regarder comme la philosophie orientale, ou le gnosisme, qui introduit avec ses sectateurs dans l’Eglise de Jesus-Christ, s’empara de ses dogmes, les corrompit, & y produisit une multitude incroyable d’hérésies qui retinrent le nom de gnosisme.

Leur système de théologie consistoit à supposer des émanations, & à appliquer ces émanations aux phénomenes du monde visible. C’étoit une espece d’échelle où des puissances moins parfaites placées les unes au-dessous des autres, formoient autant de degrés depuis Dieu jusqu’à l’homme, où commençoit le mal moral. Toute la portion de la chaîne comprise entre le grand abyme incompréhensible ou Dieu jusqu’au monde étoit bonne, d’une bonté qui alloit à la vérité en dégénérant ; le reste étoit mauvais, d’une dépravation qui alloit toujours en augmentant. De Dieu au monde visible, la bonté étoit en raison inverse de la distance ; du monde au dernier degré de la chaîne, la méchanceté étoit en raison directe de la distance.

Il y avoit aussi beaucoup de rapport entre cette théorie & celle de la cabale judaïque.

Les principes de Zoroastre ; les sephiroths des Juifs ; les éons des Gnostiques ne sont qu’une même doctrine d’émanations, sous des expressions différentes. Il y a dans ces systèmes des sexes différens de principes, de sephiroths, d’éons, parce qu’il y falloit expliquer la génération d’une émanation, & la propagation successive de toutes.

Les principes de Zoroastre, les sephirots de la cabale, les éons perdent de leur perfection à mesure qu’ils s’éloignent de Dieu dans tous ces systèmes, parce qu’il y falloit expliquer l’origine du bien & du mal physique & moral.

Quels moyens l’homme avoit-il de sortir de sa place, de changer sa condition misérable, & de s’approcher du principe premier des émanations ? C’étoit de prendre son corps en aversion ; d’affoiblir en lui les passions ; d’y fortifier la raison ; de méditer ; d’exercer des œuvres de pénitence ; de se purger ; de faire le bien ; d’éviter le mal, &c.

Mais il n’acquéroit qu’à la longue, & après de longues transmigrations de son ame dans une longue succession de corps, cette perfection qui l’élevoit au-dessus de la chaîne de ce monde visible. Parvenu à ce degré, il étoit encore loin de la source divine ; mais en s’attachant constamment à ses devoirs, enfin il y arrivoit ; c’étoit-là qu’il jouissoit de la félicité complette.

Plus une doctrine est imaginaire, plus il est facile de l’altérer ; aussi les Gnostiques se diviserent-ils en une infinité de sectes différentes.

L’éclat des miracles & la sainteté de la morale du christianisme les frapperent ; ils embrasserent notre religion, mais sans renoncer à leur philosophie, & bien-tôt Jesus-Christ ne fut pour eux qu’un bon très-parfait, & le Saint-Esprit un autre.

Comme ils avoient une langue toute particuliere, on les entendoit peu. On voyoit en gros qu’ils s’écartoient de la simplicité du dogme, & on les condamnoit sous une infinité de faces diverses.

On peut voir à l’article Cabale, ce qu’il y a de commun entre la philosophie orientale & la philosophie judaïque ; à l’article Pithagore, ce que ces sectaires avoient emprunté de ce philosophe ; à l’article Platonisme, ce qu’ils devoient à Platon ; à l’article Jesus-Christ & Gnostique, ce qu’ils avoient reçu du christianisme ; & l’extrait abrégé qui va suivre de la doctrine de Zoroastre, montrera la conformité de leurs idées avec celle de cet homme célebre dans l’antiquité.

Selon Zoroastre, il y a un principe premier, infini & éternel.

De ce premier principe éternel & infini, il en est émané deux autres.

Cette premiere émanation est pure, active & parfaite.

Son origine, ou son principe, est le feu intellectuel.

Ce feu est très-parfait & très-pur.

Il est la source de tous les êtres, immatériels & matériels.

Les êtres immateriels forment un monde. Les matériels en forment un autre.

Le premier a conservé la lumiere pure de son origine ; le second l’a perdue. Il est dans les ténèbres, & les ténebres s’accroissent à mesure que la distance du premier principe est plus grande.

Les dieux & les esprits voisins du principe lumineux, sont ignés & lumineux.

Le feu & la lumiere vont toujours en s’affoiblissant ; où cessent la chaleur & la lumiere, commencent la matiere, les ténèbres & le mal, qu’il faut attribuer à Arimane & non à Orosmade.

La lumiere est d’Orosmade ; les ténèbres sont d’Arimane : ces principes & leurs effets sont incompatibles.

La matiere dans une agitation perpétuelle tend sans cesse à se spiritualiser, à devenir lucide & active.

Spiritualisée, active & lucide, elle retourne à sa source, au feu pur, à mithras, où son imperfection finit, & où elle jouit de la suprème félicité.

On voit que dans ce système, l’homme confondu avec tous les êtres du monde visible, est compris sous le nom commun de matiere.

Ce que nous venons d’exposer de la philosophie orientale y laisse encore beaucoup d’obscurité. Nous connoîtrions mieux l’histoire des hérésies comprises sous le nom de gnosisme ; nous aurions les livres des Gnostiques ; ceux qu’on attribue à Zoroastre, Zostrian, Mesus, Allogene ne seroient pas supposés, que nous ne serions pas encore fort instruits. Comment se tirer de leur nomenclature ? comment apprécier la juste valeur de leurs métaphores ? comment interpreter leurs symboles ? comment suivre le fil de leurs abstractions ? comment exalter son imagination au point d’atteindre à la leur ? comment s’enivrer & se rendre fou assez pour les entendre ? comment débrouiller le cahos de leurs opinions ? Contentons-nous donc du peu que nous en savons, & jugeons assez sainement de ce que nous avons, pour ne pas regretter ce qui nous manque.

Oriental, (Commerce & Hist. nat.) nom donné par la plûpart des joailliers à des pierres précieuses. Cette épithete est fondée sur la dureté de ces pierres, qui est beaucoup plus grande, dit-on, que celle des mêmes pierres trouvées en occident ; mais cette regle n’est point sûre, & il se trouve en Europe quelques pierres qui ont tout autant de dureté & de pureté que celles d’orient. On prétend aussi que les pierres qui viennent d’orient, ont des couleurs plus vives & plus belles que celles qu’on trouve en occident. Voyez Pierres précieuses. (—)