L’Encyclopédie/1re édition/OUÏE
OUÏE, s. f. (Physiologie.) L’ouïe est une sensation excitée par les sons reçus dans l’oreille ; ou, si l’on aime mieux, c’est une perception du son qui se fait dans l’ame par le secours de tout l’organe nommé auditif.
La nature libérale a pris soin d’étendre notre commerce avec les autres êtres au-delà de ceux qui nous environnent, par l’ouïe, & même au-delà du monde où nous vivons, par la vûe. Ce commerce se fait toûjours par une matiere qui affecte un organe ; mais dans l’ouïe cette matiere est plus subtile, plus répandue loin de nous que dans le tact, le goût & l’odorat.
Ici nous commençons à sortir de notre atmosphere, car l’objet de l’ouïe est le bruit en général ; or le bruit consiste dans un vif trémoussement de l’air communiqué jusqu’à l’organe de cette sensation, & cette communication, comme on sait, se fait de fort loin. Le bruit dans lequel les vibrations de l’air sont plus amples, plus régulieres, & par-là plus agréables à l’oreille, s’appelle le son. Voyez Son.
C’est en-vain que l’air remué par les corps bruyans ou sonores nous frapperoit de toutes parts, si nous n’avions des organes particuliers pour recevoir son impression. Le vent se sent au toucher, mais la partie de l’air qui fait le son, est trop subtile pour affecter ce sens grossier, il n’y fait pas la moindre impression.
L’oreille est l’organe propre à cette sensation : son entonnoir ou son pavillon est capable de ramasser un grand nombre de rayons sonores & de les réunir : cet entonnoir est beaucoup plus grand dans certains animaux, comme dans l’âne & le lievre ; il y a des muscles qui le redressent & l’ouvrent quand l’animal écoute, c’est pourquoi ces animaux ont l’ouïe très-fine. Cet entonnoir extérieur est suivi d’un canal aboutissant à une membrane qui est comme la premiere porte des grottes de l’ouïe.
Cette membrane est tendue comme celle d’un tambour, & elle porte aussi ce nom : son centre s’enfonce un peu vers la premiere grotte qui est derriere & qu’on appelle la caisse. Dans cette grotte, il y a des ressorts qui font l’office des bascules qu’on met aux sonnettes, & qui aboutissent d’une part au centre de cette membrane, & de l’autre à l’entrée d’une seconde grotte. Ces bascules sont tirées par des muscles. Cette membrane & ses ressorts paroissent avoir dans l’ouïe le même usage que la prunelle semble avoir dans l’œil. La prunelle se resserre ou se dilate pour recevoir une image plus parfaite, & qui ne blesse point l’organe ; le tympan se tend, ou se relâche de même, pour transmettre à l’ouïe des vibrations plus parfaites & proportionnées à cet organe. Quand l’oreille est frappée d’un son trop violent, cette membrane, dont le centre est enfoncé vers sa grotte, est repoussée vers le dehors par la bascule qui aboutit à son centre ; par là, cette même membrane est relâchée, & ce relâchement diminue d’autant l’impétuosité du son qui pourroit blesser l’organe ; dans le même tems, & par le même mouvement, la bascule opposée à celle ci ferme l’entrée de la seconde grotte, & affoiblit encore par là l’impression de l’air dans cette seconde grotte.
Au contraire quand le son est trop foible, la premiere bascule ramene le tympan en-dedans, le rend plus tendu & plus susceptible d’ébranlement ; l’autre bascule ouvre la seconde grotte, & facilite l’action des ondulations de l’air intérieur.
Dans les sons moyens entre les deux extrèmes précédens, le tympan garde aussi une tension moyenne, par laquelle il est proportionné à ces sons, & comme à l’unisson des vibrations de l’air : par-là, le tremoussement de cette membrane communique le son au-dedans de cet organe d’une façon plus complette & plus juste, comme la prunelle, dans un juste degré de dilatation, transmet au fond de l’œil une image nette & précise.
La premiere bascule destinée à tendre & relâcher le tympan, est faite des petits os qu’on appelle marteau & enclume ; la seconde est composée de la même enclume & de l’étrier, joints ensemble par l’os orbiculaire ; c’est la base de l’étrier qui fait la porte de la seconde grotte. Peut-être que la justesse de l’oreille en Musique, dépend en partie de la justesse du mouvement des muscles de ces osselets, à mettre exactement & promptement la membrane du tambour à l’unisson des tons qu’elle reçoit. On trouve quelquefois à cette membrane une petite fente, découverte par Rivinus.
Cependant la membrane du tambour & les osselets ne sont pas absolument nécessaires pour entendre ; mais pour bien entendre, ou pour entendre juste, c’est autre chose.
La premiere caverne de l’oreille contient outre cela un air subtil, qu’elle reçoit du fond du gosier par un canal appellé la trompe d’Eustache, dont le pavillon s’ouvre vers l’endroit de la communication du nez avec la bouche : c’est par ce passage de l’air, & par le trou que Rivinus a observé au tympan, que certains fumeurs font sortir par leur oreille la fumée, en fermant exactement le nez & la bouche. Cet air intérieur, introduit par la trompe d’Eustache, soutient la membrane du tambour ; c’est lui qui étant remué par l’air extérieur, communique ses vibrations à l’organe immédiat de l’ouïe.
Cet organe immédiat est contenu dans deux autres appartemens, qui ont chacun une porte dans la caisse ou premiere caverne ; celle-ci est comme leur anti-chambre, & ils ont entr’eux une autre porte de communication : ces portes sont aussi garnies de membranes. Rien n’est si propre à remuer tout l’air contenu dans ces grottes, que les membranes tendues à leur entrée, le tambour & la timbale en sont des preuves.
L’un de ces appartemens est nommé le labyrinthe, & l’autre, le limaçon.
Le labyrinthe est fait d’un vestibule d’où partent trois canaux, appellés demi-circulaires, lesquels font un peu plus d’un demi-cercle, & reviennent se rendre dans le même vestibule. Ces trois canaux portent le nom particulier de labyrinthe. On conçoit que l’air étant poussé dans le vestibule & dans les embouchures de ces canaux, les vibrations d’air qui ont enfilé chaque embouchure doivent se rencontrer au milieu de chaque canal, & là il se doit faire une collision toute propre à exciter un frémissement, ou des vibrations dans ces canaux & dans la membrane nerveuse qui les tapisse ; c’est cette impression qui produit la sensation de l’ouïe.
Comme ce labyrinthe est simple & uniforme, on peut le regarder comme l’organe général de l’ouïe, c’est-à-dire, l’organe remué indifféremment par toutes sortes de sons ou de bruits, ou, si vous voulez, c’est l’organe général du bruit.
Mais le limaçon a, ce me semble, une construction & un usage plus recherché. Sa figure est vraiment celle d’une coquille de limaçon. L’intérieur est composé de deux rampes, ou de deux especes de canaux en spirale, & séparés l’un de l’autre par une membrane fine & nerveuse, soutenue par des avances de lames osseuses.
L’artifice de cette construction est de la plus parfaite méchanique. L’office essentiel d’un organe des sens, est d’être proportionné à son objet ; &, pour l’organe de l’ouïe, c’est de pouvoir être à l’unisson avec les différentes vibrations de l’air : ces vibrations ont des différences infinies ; leur progression est susceptible de degrés infiniment petits : il faut donc que l’organe fait pour être à l’unisson de toutes ces vibrations, & pour les recevoir distinctement, soit composé de parties dont l’élasticité suive cette même progression, cette même gradation insensible, ou infiniment petite. Or la spirale est dans les méchaniques la seule machine propre à donner cette gradation insensible.
On voit clairement que la lame spirale du limaçon est toute faite pour être trémoussée par l’impulsion de l’air intérieur qui l’environne. On voit de plus qu’à la base de la spirale, la lame faisant un plus grand contour, elle a des vibrations plus longues ; elle les a très-courtes au sommet par la raison contraire. Tournez un fil d’archal en limaçon, vous verrez combien les grands contours seront mous, & combien au contraire les petits contours du sommet ou du centre seront roides. Or, depuis le commencement de la base de la spirale, où la lame est plus souple, jusqu’à l’extrémité de son sommet, où est son dernier degré de roideur, il y a une gradation insensible ou infiniment petite d’élasticité, ensorte que quelque division que l’on conçoive dans les tons, il n’y en a point qui ne rencontre dans les points de cette spirale son unisson, ou sa vibration égale ; ainsi il n’y a point de ton qui ne puisse imprimer distinctement sa vibration à cette spirale, & voilà en quoi consiste le grand artifice du limaçon. C’est pourquoi nous regardons avec la plus grande partie des physiciens le limaçon comme le sanctuaire de l’ouïe, comme l’organe particulier de l’harmonie ou des sensations les plus distinctes & les plus délicates en ce genre.
Les oiseaux, direz-vous, n’ont point de limaçon, & cependant ce sont les plus musiciens de tous les animaux. Les oiseaux ont l’ouïe très-fine, quoique sans limaçon, parce qu’ils ont la tête presque toute sonore comme un timbre ; & la raison en est qu’elle n’est pas matelassée de muscles comme la tête des autres animaux. Par-là, ils doivent être très-ébranlés par les sons qu’on leur fait entendre ; leur labyrinthe très-sonore suffit pour cela ; la grotte la plus simple répete bien en écho un air musical.
Mais si à cette excellente disposition de l’ouïe des oiseaux, la nature y avoit ajouté le limaçon, ils auroient été beaucoup plus sensibles aux modulations harmonieuses, ils auroient eu la passion de l’harmonie, comme presque tous les animaux ont celle de la gourmandise ; ce qui n’est point, car il faut prendre garde que la qualité de musiciens qu’ont les oiseaux, vient moins de la finesse & du goût de leur oreille, que de la disposition de leur gosier ; ils ressemblent encore en ceci à bien des musiciens qui donnent du plaisir & qui n’en prennent pas.
On voit un chien crier, on le voit pleurer, pour ainsi dire, à un air joué sur une flûte ; on le voit s’animer à la chasse au son du cors ; on voit le cheval plein de feu par le son de la trompette, malgré les matelats musculeux qui environnent en lui l’organe de l’ouïe : sans le limaçon qu’ont ces animaux, on ne leur verroit pas cette sensibilité à l’harmonie, on les verroit stupides en ce genre, comme les poissons qui manquent de limaçon aussi-bien que les oiseaux, mais qui n’ont pas comme ceux-ci l’avantage d’avoir une tête assez dégagée, assez sonore, pour suppléer à ce défaut.
Dans tous les organes des sens, il arrive que leur objet les pénetre & y porte son impression pour y faire une sensation plus parfaite ; cette même méchanique se trouve encore dans l’organe de l’ouïe. Tout concourt à y faire entrer & à y retenir l’impression des vibrations sonores.
L’entonnoir extérieur ramasse ces vibrations ; le conduit suivant qui se charge de cet air trémoussé, se trouve coupé obliquement dans son fonds par la membrane du tambour ; cette obliquité fait que quand l’air extérieur rebondit de dessus le tympan, il va heurter contre la paroi opposée du conduit, d’où il est encore réfléchi sur le tympan auquel il communique toutes ses vibrations.
Si ce conduit eût été droit, perpendiculaire au tympan, l’air extérieur auroit été réfléchi de dessus ce tympan hors du conduit de l’oreille, & ainsi il auroit eu bien moins d’effet.
De même, l’air intérieur est renfermé dans les grottes par des membranes ; les vibrations qu’il reçoit du dehors enfilent d’une part les embouchures du labyrinthe, & de l’autre celles du limaçon ; les vibrations qui enfilent les embouchures du labyrinthe vont se briser l’une contre l’autre au milieu des canaux demi circulaires, & par-là tout leur effet est comme absorbé dans ces canaux.
Les embouchures du limaçon sont au nombre de deux : une qui communique avec le labyrinthe ou son vestibule, & qui est l’entrée de la rampe interne ; l’autre, qui s’ouvre droit dans la caisse, ou premiere grotte, & qui est l’entrée de la rampe externe. Les vibrations qui suivent ces ouvertures, se cotoyent tout le long de la spirale ; mais parvenues au sommet, au cul-de-sac du limaçon, elles se brisent aussi & contre ce cul-de sac, & l’une contre l’autre ; & par là elles donnent une secousse à tout cet organe, sur-tout à la lame spirale, & plus encore à la portion de cette lame, qui est à l’unisson avec la vibration. Ainsi de toutes parts, les vibrations sonores laissent toute leur impression dans l’intérieur de l’oreille ; portées par diverses collisions aux nerfs qui s’y répandent, elles les ébranlent diversement jusqu’au sensorium commune, & y excitent la sensation des divers sons, soit qu’ils viennent de près ou de loin ; car le sens de l’ouïe, semblable à celui de la vûe, nous donne aussi la sensation des corps sonores éloignés.
Mais ce sens est sujet à bien des erreurs ; & il doit nous tromper, toutes les fois que nous ne pouvons pas rectifier par le toucher les idées qu’il produit. De même que le sens de la vûe ne nous donne aucune idée de la distance des objets, le sens de l’ouïe ne nous donne aucune idée de la distance des corps qui produisent le son. Un grand bruit fort éloigné, & un petit bruit fort voisin, excitent la même sensation ; & à moins qu’on n’ait déterminé la distance par les autres sens, & à force d’habitude, on ne sait point si ce qu’on a entendu est en effet un grand ou un petit bruit.
Toutes les fois qu’on entend un son inconnu, on ne peut donc pas juger par ce son de la distance, non plus que de la quantité d’action du corps qui le produit ; mais dès que nous pouvons rapporter ce son à une unité connue, c’est-à-dire, dès que nous pouvons savoir que ce bruit est de telle ou telle espece, nous pouvons juger alors à-peu près non-seulement de la distance, mais encore de la quantité d’action. Par exemple, si l’on entend un coup de canon ou le son d’une cloche, comme ces effets sont des bruits qu’on peut comparer avec des bruits de même espece qu’on a autrefois entendus, on pourra juger grossierement de la distance à laquelle on se trouve du canon ou de la cloche, & aussi de leur grosseur, c’est-à-dire, de la quantité d’action. Tel est, autant qu’on peut l’imaginer, le méchanisme de l’ouïe, méchanisme aussi composé que caché à nos yeux. Les instrumens des sens extérieurs sont peu connus, & les moins connus de tous sont les instrumens de l’ouïe.
Les anciens, ignorant la structure de l’oreille, n’ont rien pû nous en apprendre. Vesale qui pénétra plus avant que ses prédécesseurs, a commencé à nous dévoiler cette machine admirable, mais il a laissé beaucoup de recherches à faire ; en général, il croyoit que l’oreille étoit comme un instrument de musique. On ignore quel étoit le sentiment de Columbus, lui-même ne le savoit guere, puisque dans le tems qui lui a fallu pour aller du premier au septieme livre de son anatomie, il a oublié ce qu’il avoit avancé, & s’est contredit formellement. Fallope n’a point rempli la promesse qu’il avoit donnée.
Eustachi a cru que l’air interne agité par les osselets, portant son agitation sur le nerf auditif, formoit l’ouie ; Piccolhomini a eu une opinion singuliere ; il disoit qu’il y avoit une vésicule remplie d’air & attachée à l’étrier ; les nerfs, selon lui, aboutissent à cette vésicule, qui, étant agitée par les osselets, transmet son agitation au nerf, de même que le crystallin transmet les rayons au fond de l’œil. Fabricius d’Aquapendente avoit à-peu-près le même sentiment que Eustachi ; il s’étoit imaginé que les osselets portoient leur agitation dans l’air interne, de même qu’une poutre frappée à un bout, porte le coup à l’autre extrémité : la fenêtre ronde, selon lui, servoit au son grave, & l’ovale au son aigu ; il ne donnoit d’autre usage à la coquille & au labyrinthe, que d’empêcher les réflexions du son. Casserius a nié qu’il y eût un air interne, & lui a substitué un nerf ; tous les autres auteurs anciens ont suivi ces sentimens, qui ne méritent pas d’être réfutés.
Les nouvelles découvertes des Anatomistes ont augmenté l’embarras, & nous ont confirmé dans le doute, en développant à nos yeux un organe si compliqué, qu’il faut employer un tems considérable, les recherches les plus délicates & les plus assidues, pour connoître les détours de cet organe. Après qu’on est venu à bout d’en déterminer l’usage général, sçavoir la perception du son, on trouve de grandes difficultés sur l’usage particulier de chaque partie, & finalement sur l’explication de ce phénomene embarrassant, je veux dire la susceptibilité de l’oreille à recevoir des impressions agréables qui se font en elle suivant une proportion particuliere. L’on peut donc assurer que ce sujet servira d’occupation infructueuse aux siecles à venir, jusqu’à ce qu’il plaise au créateur d’introduire nos neveux dans le labyrinthe de cet organe, & leur en découvrir le mystere.
Mais il faut convenir que, quoique l’industrie humaine ne suffise pas pour le dévoiler, ce que nous en savons suffit pour nous prouver la beauté de l’ouvrage d’un excellent artiste, & pour exciter notre admiration.
La perfection de l’oreille est supérieure à celle des yeux ; ce sens est plus parfait dans son genre, que le sens de la vue ne l’est dans le sien, & même comme M. Auzout l’a jadis remarqué, de tous les sens il n’y a que l’ouie qui juge non-seulement de la différence, mais encore de la quantité & de la raison de son objet. En effet, l’ouie distingue parfaitement toutes les gradations des tons ; elle les détermine, elle les soumet au calcul, elle en fait un art ; les yeux ne peuvent nous en dire autant de la lumiere ; ils apperçoivent en gros, & à-peu-près, qu’une lumiere, une couleur est plus ou moins claire ou foncée qu’une autre, & voilà tout ; ils ne pourront jamais déterminer la quantité de ce plus ou moins.
Il faut encore convenir que les travaux de nos physiciens ont porté beaucoup de clarté pour l’intelligence de plusieurs phénomenes de l’ouie. Voici les principaux dont on peut donner des explications certaines ou vraissemblables.
1°. Si l’on applique le creux de la main à l’oreille externe, de sorte qu’il regarde le corps sonore, on entend beaucoup mieux ; parce qu’alors on ramasse plus de rayons, ainsi il doit se faire dans l’oreille une impression plus forte.
2°. L’oreille externe étant coupée, on entend plus difficilement ; cela vient de ce que l’entonnoir qui ramassoit beaucoup de rayons est enlevé : on pourroit suppléer à ce défaut par un tuyau évasé qu’on appliqueroit au trou auditif.
3°. Si l’on présente obliquement le plan de l’oreille externe à un corps sonore, en tournant la tête vers le côté opposé, on entend beaucoup mieux ; la cause en est que le conduit auditif marche en devant ; ainsi quand on tourne la tête, on reçoit directement les rayons sonores.
4°. L’ouie est beaucoup plus fine quand on écoute la bouche étant ouverte ; cela vient non-seulement de ce que les vibrations de l’air se communiquent par la bouche, & par la trompe d’Eustache, à l’intérieur de l’oreille, mais encore de ce que la charniere de la mâchoire appliquée contre le conduit de l’oreille, s’en éloigne quand on ouvre la bouche, & par-là elle laisse ce conduit plus libre ; quand la bouche est fermée, la mâchoire inférieure comprime un peu le conduit auditif, & empêche par-là qu’il n’y entre une aussi grande quantité de rayons sonores que lorsqu’elle est ouverte.
5°. Pourquoi entend-t-on des bruits sourds, & pourquoi l’ouie est-elle émoussée quand on souffle, qu’on bâille, qu’on parle ou qu’on chante sur un ton fort aigu ? Parce que la trompe d’Eustache étant comprimée à diverses reprises, l’air est poussé dans la caisse du tambour, & cause des bruits sourds en tombant sur les corps qu’il rencontre.
6°. Il y a des sourds qui entendent quand on leur parle à la bouche ; l’air communique alors ses vibrations par la trompe d’Eustache.
7°. S’il arrive une obstruction à cette trompe d’Eustache, on devient sourd ; la raison en est évidente, parce que cette trompe étant bouchée, il se ramasse dans la caisse du tambour des matieres qui peuvent éteindre le son, & qui sortiroient si cette issue ne leur étoit pas interdite.
8°. Si la membrane du tambour vient à se rompre, la surdité succede quelque tems après. On en doit attribuer la cause aux matieres qui s’introduisent alors dans la caisse, & aux impressions de l’air externe ; outre que cette membrane sert à transmettre à l’ouie des vibrations plus parfaites, & proportionnées à cet organe.
9°. Par quelle ouverture la fumée d’une pipe de tabac qu’on fume dans la bouche, peut-elle sortir par les oreilles, comme on le voit dans quelques personnes. Cette fumée entre alors par les trompes, & sort par le trou de Rivinus, qui se trouve ouvert dans quelques sujets, au moyen duquel ils pourront encore éteindre une bougie en faisant sortir de l’air par le conduit de l’oreille. Ce trou se rencontre à l’interruption du cercle osseux où s’attache la membrane du tambour.
10°. Quoique le son frappe les deux oreilles, on n’entend cependant qu’un seul son, égal & sans confusion ; c’est parce que la fabrique de l’oreille par rapport à l’organe immédiat de l’ouie, est entierement la même, toujours, en tout tems, à tout âge,& que s’il y a quelque défaut naturel dans une oreille d’un côté, le même défaut se trouve dans la même partie à l’autre oreille, & au côté opposé ; ce sont les observations curieuses de Valsalva qui méritent bien d’être vérifiées ; car si l’anatomiste d’Imola ne se trompe point, sa découverte est très-singuliere.
11°. Mais comment entend-on comme simple, un son qui est évidemment infiniment multiplié dans l’oreille, puisque dans le canal de l’ouie, comme dans une trompette, le son est poussé & repoussé une infinité de fois, & que cependant l’ame se représente tous ces sons comme n’en formant qu’un seul.
La raison qu’en donne M. Boerhaave, c’est que l’oreille ne peut distinguer tous les échos ou résonnemens qu’on fait naître, soit en parlant, soit en jouant de quelque instrument que ce soit, parce qu’on ne distingue l’écho qu’à une certaine distance. Quoi que nous entendions distinctement une syllabe dans moins d’une seconde ; ce tems est fort long comparé à la vîtesse du tems qui se passe entre le son primitif & le son réflêchi, elle est telle sans doute, que la perception du premier dure encore, quand celle du second arrive, ce qui empêche l’ame de la distinguer. Donc tous les résonnemens du son primitif ne laisseront appercevoir qu’un son. Tous les corps qui sonnent harmoniquement au son primitif, se joignent en un dans notre oreille, parce qu’ils sont de même espece, & ne se distinguent pas facilement, sans quoi nous aurions le malheur d’entendre un grand nombre de sons discordans au-lieu d’un seul.
12°. D’où vient la grande communication qu’il y a entre l’ouie & la parole ? Par la correspondance de la portion dure du nerf auditif avec les branches de la cinquieme paire, qui se distribue aux parties qui servent à former & à modifier la voix.
13°. D’où viennent les tintemens, les sifflemens & bruits confus qui se font quelquefois dans l’oreille ? Ils viennent des maladies de cet organe ou des maladies du cerveau, qui produisent un mouvement irrégulier & déréglé des esprits, & qui ébranlent les nerfs auditifs.
14°. Le bourdonnement qu’on sent lorsqu’on se bouche les oreilles a-t-il la même cause ? Non, il vient du frottement de la main, de la compression qui froisse la peau & les cartilages, lesquels étant élastiques, causent un ébranlement dans l’oreille ; la vertu du ressort de l’air resserré, peut encore y contribuer, & former par ses réflexions un son qui devient sensible, à cause de la proximité & de la continuité des parties qu’il frappe.
15°. Quand la matiere cérumineuse vient à boucher le conduit auditif externe, on devient sourd, parce que l’air ne peut pas communiquer ses vibrations intérieurement. De même s’il se ramassoit des liqueurs épaisses dans la caisse du tambour, les vibrations de l’air ne pourroient pas se communiquer par les fenêtres ; alors si l’on faisoit quelqu’injection par la trompe, on pourroit enlever cette matiere, mais en tentant ce moyen, il faut que ce soit par le nez.
16°. D’où vient que certains sourds entendent beaucoup mieux quand on leur parle par-dessus la tête ? C’est qu’apparemment tout le crâne étant ébranlé, les os pierreux & tous les autres le sont aussi successivement.
17°. Pourquoi entend-on mieux la bouche ouverte & en retenant son haleine, secret que la nature a dévoilé à tout le monde ? Parce que d’un côté l’air communique ses vibrations à l’organe auditif par la trompe d’Eustache, & que de l’autre côté, en retenant notre haleine, nous empêchons qu’un torrent d’air n’entre avec bruit dans la trompe, & ne pousse en-dehors la membrane du tympan.
Mais la sensation de l’ouie peut être lésée de différentes manieres, dans son augmentation, sa diminution, sa dépravation, & sa destruction. Montrons en peu de mots comment ces accidens de l’organe de l’ouie peuvent arriver.
Dans certaines maladies très-aiguës du cerveau, des nerfs, des membranes, l’extreme tension de ces parties fait que le moindre son affecte si vivement le cerveau, qu’il en résulte quelquefois des mouvemens convulsifs. Ce genre de mal se nomme ouie aiguë.
Quand la perception du son est moindre qu’elle seroit dans l’état sain relativement à sa grandeur, c’est ce qu’on nomme ouie dure ; or ce mal procéde de plusieurs causes d’une nature fort différente, qu’il est facile d’exposer par l’énumération des divers lieux affectés, tels que l’oreille externe, trop plate ou emportée ; le conduit auditif trop droit, étroit, obstrué par une tumeur quelconque, par des insectes, par des ordures, par du pus, par la matiere cérumineuse épaissie ; la membrane du tympan lésée, lâche, devenue épaisse, dense, calleuse, par l’adhérence d’une croute fongueuse ; la couche interne remplie d’ichorosité, de pus, de pituite ; le canal d’Eustache empêché ou obstrué ; les osselets détachés, & qui sortent quelquefois par le conduit de l’ouie, quand la petite membrane qui les lie tombe en suppuration, comme il arrive après de cruelles douleurs inflammatoires de l’oreille externe, ou l’absence des osselets, par défaut de conformation ; par le desséchement, le relâchement, l’épaississement, l’inondation, la trop grande tension, la corruption, l’érosion, l’endurcissement de la petite membrane de la fenêtre ronde & ovale ; par différens vices du vestibule, du labyrinthe, du limaçon, des conduits de l’os pétreux, comme l’inflammation, l’obstruction, la paralysie, & les effets qui peuvent s’ensuivre ; enfin, par la mauvaise structure de ces parties, & tout ce qui gêne la portion molle du nerf auditif, depuis son entrée dans l’os pétreux, jusqu’à son origine dans la moëlle du cerveau, comme l’inflammation, les tumeurs, la fonction du cerveau lésée, & plusieurs autres maux : on conçoit de tout ce détail le peu d’espérance de guérir les maux dont il s’agit.
L’ouie s’altere encore par les vices de l’air externe, sur-tout par l’air humide & nébuleux, ou parce que l’air interne ne peut entrer ni sortir librement. Mais ce qui nuit principalement ici, ce sont les maladies de ces artérioles qui rampent sur les petites membranes dispersées dans tout l’organe de l’ouie : de-là on comprend facilement l’origine des tintemens, des sons graves, des échos, des murmures.
Enfin, si tous ces vices augmentent & persistent long tems, on devient tout-à-fait sourd, & en conséquence on ne sait point parler, ou on l’oublie. La cause de ce mal est souvent la concrétion de la trompe d’Eutache.
Voilà tout ce qui regarde la sensation de l’ouie & sa lésion dans l’homme ; le détail de cet organe dans les bêtes nous conduiroit trop loin ; c’est assez pour prouver la différence de remarquer que la seule couverture extérieure de l’organe de l’ouie est différente dans les diverses classes d’animaux, jugez ce que ce doit être des parties internes ! Les taupes qui sont enterrées toute leur vie, n’ont point le conduit de l’oreille ouvert à l’ordinaire ; car pour empêcher la terre d’y entrer, elles l’ont fermé par la peau qui leur couvre la tête, & qui se peut ouvrir & fermer en se dilatant ou en s’étrécissant. Plusieurs animaux ont ce trou absolument bouché, comme la tortue, le caméléon, & la plûpart des poissons. Il y a une espece de baleine qui ne l’a pas fermé ; mais elle a cette ouverture sur les épaules. Presque tous les animaux à quatre piés ont ce trou ouvert par des oreilles longues & mobiles, qu’ils levent & tournent du côté d’où vient le bruit. Quelques-uns ont les oreilles plus courtes, quoique mobiles, comme les lions, les tigres, les léopards. D’autres comme le singe, le porc-épic, les ont applaties contre la tête ; d’autres n’ont point du tout d’oreilles externes, comme le veau marin, & toutes les especes de lésards & de serpens. D’autres ont le trou couvert seulement ou de poils, comme l’homme, ou de plumes comme les oiseaux : enfin, il y en a peu comme l’outarde, le casuel, le poulet d’Inde, le méléagris ou pintade, qui l’aient découvert. (Le chevalier de Jaucourt.)
Ouies, organes des poissons, qui leur servent de poumons. Ce qui se présente à l’examen, c’est leur structure, la distribution de leurs vaisseaux, & les usages de ces parties.
Les recherches dont nous allons rendre compte sont du célebre M. du Verney, qui en fit part à l’académie au commencement de ce siecle. Il les a faites sur la carpe. La charpente des ouies est composée de quatre côtes de chaque côté, qui se meuvent tant sur elles-mêmes en s’ouvrant & se resserrant, qu’à l’égard de leurs deux appuis, supérieur & inférieur, en s’écartant l’un de l’autre, & en s’en rapprochant. Le côté convexe de chaque côté est chargé sur ses bords de deux especes de feuillets, chacun desquels est composé d’un rang de lames étroites rangées & serrées l’une contre l’autre, qui forment comme autant de barbes ou franges, semblables à celles d’une plume à écrire, &c. sous ces franges, qu’on peut appeller proprement le poumon des poissons. Voilà une situation de partie fort extraordinaire & fort singuliere. La poitrine est dans la bouche aussi bien que le poumon : les côtes portent le poumon, & l’animal respire l’eau : les extrémités de ces côtes qui regardent la gorge, sont jointes ensemble par plusieurs petits os, qui forment une espece de sternum ; ensorte néanmoins que les côtes ont un jeu beaucoup plus libre sur ce sternum, & peuvent s’écarter l’une de l’autre beaucoup plus facilement que celles de l’homme, & que ce sternum peut être soulevé & abaissé. Les autres extrémités qui regardent la base du crane, sont aussi jointes par quelques osselets qui s’articulent avec cette même base, & qui peuvent s’en éloigner ou s’en approcher. Chaque côté est composé de deux pieces jointes par un cartilage fort souple, qui est dans chacune de ces parties, ce que les charnieres sont dans les ouvrages des artisans ; chacune des lames, dont les feuillets sont composés, a la figure du fer d’une faux, & à sa naissance elle a comme un pié ou talon qui ne pose que par son extrémité sur le bord de la côte. Chacun de ses feuillets est composé de 135 lames ; ainsi les seize contiennent 8640 surfaces, & les deux surfaces de chaque lame sont revétues dans toute leur étendue d’une membrane très-fine, sur lesquelles se font les ramifications presque innombrables des vaisseaux capillaires de ces sortes de poumons : il y a 46 muscles employés au mouvement de ces côtes, 8 qui en dilatent l’intervalle, 16 qui les resserrent, 6 qui les élargissent, le centre de chaque côte, 12 qui les retrécissent, & qui en même tems abaissent le sternum, & 4 qui le soulevent.
Les ouies ont une large ouverture sur laquelle est posé un couvercle composé de plusieurs pieces d’assemblages, qui a le même usage que le panneau d’un soufflet, & chaque couvercle est formé avec un tel artifice qu’en s’écartant l’un de l’autre, ils se voutent en-dehors pour augmenter la capacité de la bouche, tandis qu’une de leurs pieces qui joue sur une espece de genou, tient fermées les ouvertures des ouies, & ne les ouvre que pour donner passage à l’eau que l’animal a respiré, ce qui se fait dans le tems que le couvercle s’abat & se resserre : il y a deux muscles qui servent à soulever le couvercle, & trois qui servent à l’abattre & à le resserrer. On vient de dire que l’assemblage qui compose la charpente des couvercles, les rend capables de se vouter en dehors ; il ne reste plus que deux circonstances à ajouter : la premiere est que la partie de ce couvercle, qui aide à former le dessous de la gorge, est plié en éventail sur de petites lames d’os, pour servir, en se déployant, à la dilatation de la gorge dans l’inspiration de l’eau : la seconde, que chaque couvercle est revétu par-dehors & par-dedans d’une peau qui lui est fort adhérente. Ces deux peaux s’unissant ensemble, se prolongent au-delà de la circonférence du couvercle d’environ deux à trois lignes, & vont toujours en diminuant d’épaisseur. Ce prolongement est beaucoup plus ample vers la gorge que vers le haut de la tête. Il est extremément souple pour s’appliquer plus exactement à l’ouverture sur laquelle il porte, & pour la tenir fermée au premier moment de la dilatation de la bouche pour la respiration.
L’artere qui sort du cœur se dilate de telle maniere, qu’elle en couvre toute la base. Ensuite se rétrécissant peu-à-peu, elle forme une espece de cone ; à l’endroit où elle est ainsi dilatée, elle est garnie en-dedans de plusieurs colomnes charnues qu’on peut considérer comme autant de muscles qui font de cet endroit de l’aorte un second cœur, ou du moins comme un second ventricule, lequel joignant sa compression à celle du cœur, double la force nécessaire à la distribution du sang pour la circulation. Cette artere montant par l’intervalle que les ouies laissent entr’elles, jettent vis-à-vis de chaque paire de côtes de chaque côté une grosse branche qui est couchée dans la gouttiere creusée sur la surface extérieure de chaque côte, & qui s’étend le long de cette gouttiere d’une extrémité à l’autre du feuillet : voilà tout le cours de l’aorte dans ce genre d’animaux ; l’aorte, qui dans les autres animaux porte le sang du centre à la circonférence de tout le corps, ne parcourt de chemin dans ceux-ci que depuis le cœur jusqu’à l’extrémité des ouies, où elle finit. Cette branche fournit autant de rameaux qu’il y a de lames sur l’un & sur l’autre bord de la côte ; la grosse branche se termine à l’extrémité de la côte, & les rameaux finissent à l’extrémité des lames, auxquelles chacun d’eux se distribue. Pour peu que l’on soit instruit de la circulation & des vaisseaux qui y servent, on sera en peine de savoir par quels autres vaisseaux on a trouvé un expédient pour animer & nourrir tout le corps, depuis le bout d’en bas des ouies jusqu’à l’extrémité de la queue : cet expédient paroîtra clairement, dès qu’on aura conduit le sang jusqu’à l’extrémité des ouies. Chaque rameau d’arteres monte le long du bord intérieur de chaque lames des deux feuillets posée sur chaque côte ; c’est-à-dire, le long des deux tranchans des lames qui se regardent. Ces deux rameaux s’abouchent au milieu de leur longueur ; & continuant leur route, parviennent à la pointe de chaque lame. Là chaque rameau de l’extrémité de l’artere trouve l’embouchure d’une veine ; & ces deux embouchures, appliquées l’une à l’autre immédiatement, ne faisant qu’un même canal, malgré la différente consistance des deux vaisseaux, la veine s’abat sur le tranchant extérieur de chaque lame, & parvenue au bas de la lame, elle verse son sang dans un gros vaisseau véneux, couché près de la branche d’artere dans toute l’étendue de la gouttiere de la côte ; mais ce n’est pas seulement par cet abouchement immédiat des deux extrémités de l’artere & de la veine, que l’artere se décharge dans la veine ; c’est encore par toute sa route : c’est ainsi donc que le rameau d’arteres dressé sur le tranchant de chaque lame, jette dans toute sa route sur le plat de chaque lame de part & d’autre une multitude infinie de vaisseaux, qui, partant deux à deux de ces rameaux, l’un d’un côté & l’autre de l’autre, chacun de son côté va droit à la veine, qui descend sur le tranchant opposé de la lame, & s’y abouche par un contact immédiat. Dans ce genre d’animaux le sang passe donc des arteres de leur poumon dans leurs veines d’un bout à l’autre. Les arteres y sont de vraies arteres, & par leur corps, & par leur fonction de porter le sang. Les veines y sont de vraies veines, & par leur fonction de recevoir le sang des arteres, & par la délicatesse extrème de leur consistance. Il n’y a jusque-là rien qui ne soit dans l’économie ordinaire. Mais ce qu’il y a de singulier, c’est l’abouchement immédiat des arteres avec les veines, qui se trouve à la vérité dans les poumons d’autres animaux, sur-tout dans ceux des grenouilles & des tortues ; mais qui n’est pas si manifeste que dans les ouies des poissons. Voyez la régularité de la distribution qui rend cet abouchement plus visible dans ce genre d’animaux ; car toutes les branches d’arteres montant le long des lames dressées sur les côtes, sont aussi droites & aussi également distantes l’une de l’autre que les lames, & en général la direction & les intervalles des vaisseaux tant montant que descendant, est aussi réguliere que s’ils avoient été dressés à la régle & espacés au compas ; on les suit à l’œil & au microscope. Cette distribution est fort singuliere, ce qui suit l’est encore davantage. On est en peine, avons-nous dit, de la distribution du sang, pour la nourriture & la vie des autres parties du corps de ces animaux. Nous avons conduit le sang du cœur par les arteres du poumon dans les veines du poumon ; le cœur ne jettant point d’autres arteres que celles du poumon, que deviendront les autres parties, le cerveau, les organes des sens, & tout le reste du corps ? Ce qui suit le fera voir. Ces troncs de veines pleins de sang artériel, sortant de chaque côté par leurs extrémités qui regardent la base du crâne, prennent la consistance & l’épaisseur d’artere, & viennent se réunir deux à deux de chaque. Celle de la premiere côte fournit avant sa réunion des branches qui distribuent le sang aux organes des sens, au cerveau & aux parties voisines, & fait par ce moyen les fonctions qui appartiennent à l’aorte ascendante dans les animaux à quatre piés ; ensuite elle se rejoint à celle de la seconde côte, & ces deux ensemble ne sont plus qu’un tronc, lequel coulant le long de la base du crâne, reçoit encore de chaque côté une autre branche formée par la réunion des veines de la troisieme & quatrieme paires de côte, & tout ensemble ne font plus qu’un tronc. Après cela ce tronc, dont toutes les racines étoient veines dans le poumon, devenant artere par sa tunique & par son office, continue son cours le long des vertébres en distribuant le sang artériel à toutes les autres parties, fait la fonction d’aorte descendante, & le sang artériel est distribué également par ce moyen à toutes les parties, pour les nourrir & les animer, & il rencontre par-tout des racines de veines, qui reprennent le résidu, & le portent par plusieurs troncs formés de l’union de toutes ces racines, au réservoir commun, qui doit le rendre au cœur. C’est ainsi que s’acheve la circulation dans ces animaux : voilà comment les veines du poumon deviennent arteres, pour animer & nourrir la tête & le reste du corps ; mais ce qui augmente la singularité, c’est que ses veines mêmes des poumons, sortant de la gouttiere des côtes par leur extrémité qui regarde la paroi, conservent la tunique & la fonction des veines, en rapportant dans le réservoir de tout le sang veinal une portion du sang artériel qu’elles ont reçue des arteres du poumon. Comme le mouvement des machoires contribue aussi à la respiration des poissons, il ne sera pas hors de propos de faire remarquer que la supérieure est mobile, qu’elle est composée de plusieurs pieces, qui sont naturellement engagées les unes dans les autres, de telle maniere qu’elles peuvent, en se déployant, dilater & alonger la machoire supérieure. Toutes les pieces qui servent à la respiration de la carpe, montent à un nombre si surprenant, qu’on ne sera pas faché d’en voir ici le dénombrement. Les parties osseuses sont au nombre de 4386 ; il y a 69 muscles : les arteres des ouies, outre leurs huit branches principales, jettent 4320 rameaux, & chaque rameau jette de chaque lame une infinité d’arteres capillaires transversales, dont le compte passe de beaucoup tous ces nombres ensemble. Il y a autant de nerfs que d’arteres ; les ramifications des premiers suivent exactement celles des autres ; les veines, ainsi que les arteres, outre leurs huit branches principales, en jettent 4320, qui sont des simples tuyaux, & qui, à la différence des rameaux des arteres, ne jettent point de vaisseaux capillaires transversaux. Quelque longue que soit la description que nous venons de transcrire, elle est si intéressante, que nous espérons n’avoir pas fatigué le lecteur.
Le sang qui est rapporté de toutes ces parties du corps des poissons, entre du réservoir où se dégorgent toutes les veines, dans l’oreillette, de-là dans le cœur, qui par sa contraction le pousse dans l’aorte, & dans toutes les ramifications qu’elles jettent sur les lames de l’ouie, & comme à sa naissance elle est garnie de plusieurs colonnes charnues fort épaisses, qui se resserrent immédiatement après ; elle seconde & fortifie par sa contraction l’action du cœur, qui est de pousser avec beaucoup de force le sang dans les rameaux capillaires transversaux situés de part & d’autre sur toutes les lames des ouies. On a déja observé que cette artere & ses branches ne parcouroient de chemin que depuis le cœur jusqu’à l’extrémité des ouies, où elles finissent ; ainsi, ce coup de piston redoublé doit suffire pour pousser le sang avec impétuosité dans un nombre infini d’artérioles, si droites & si régulieres, où le sang ne trouve point d’autre obstacle que le simple contact, & non le choc & les reflexions, comme dans les autres animaux, où les arteres se ramifient en mille manieres, sur-tout dans leur derniere subdivision : voilà pour ce qui concerne le sang dans le poumon. Voici comment s’en fait la préparation : les particules d’air qui sont dans l’eau, comme l’eau est dans une éponge, peuvent s’en dégager en plusieurs manieres. 1. Par la chaleur, ainsi qu’on le voit dans l’eau qui bout sur le feu. 2. Par l’affoiblissement du ressort de l’air qui presse l’eau où les particules d’air sont engagées, comme on le voit dans la machine du vuide. 3. Par le froissement & l’extrème division de l’eau, sur-tout quand elle a quelque degré de chaleur. On ne peut douter qu’il n’y ait beaucoup d’air dans tout le corps des poissons, & que cet air ne leur soit fort nécessaire. Diverses expériences faites dans la machine du vuide le prouvent, & montrent en même tems que l’air qui est mêlé dans l’eau a la principale part à la respiration des poissons ; on remarque aussi que lorsque la surface des étangs est gelée, les poissons qui sont dedans meurent plus ou moins vîte, suivant que l’étang a plus ou moins d’étendue ou de profondeur ; & quand on casse la glace dans quelque endroit, les poissons s’y présentent avec empressement pour respirer cette eau impregnée d’un nouvel air. Ces expériences prouvent manifestement la nécessité de l’air pour la respiration des poissons. Voyons maintenant ce qui se passe dans le tems de cette respiration. La bouche s’ouvre, les levres s’avancent ; par-là la concavité de la bouche est alongée, la gorge s’enfle ; les couvercles des ouies, qui ont le même mouvement que les pannaux d’un soufflet, s’écartant l’un de l’autre, se voutent en-dehors par leur milieu seulement, tandis qu’une de leurs pieces qui joue sur une espece de genou tient fermées les ouvertures des ouies, en se soulevant toutefois un peu, sans permettre cependant à l’eau d’entrer, parce que la petite peau qui borde chaque couvercle, fermant exactement l’ouverture des ouies, tout cela augmente & élargit en tous sens la capacité de la bouche, & détermine l’eau à entrer dans sa cavité, de même que l’air entre par la bouche & les narines, dans la trachée artere & les poumons ; par la dilatation de la poitrine dans ce même tems, les côtés des ouies s’ouvrent en s’écartant les uns des autres, leur ceintre est élargi, le sternum est écarté en s’éloignant du palais, ainsi tout conspire à faire entrer l’eau en plus grande quantité dans la bouche. C’est ainsi que se fait l’inspiration des poissons ; ensuite la bouche se ferme, les levres, auparavant alongées, s’accourcissent, sur-tout la supérieure, qui se plie en évantail, la levre inférieure se colle à la supérieure, par le moyen d’une petite peau en forme de croissant, qui s’abat comme un rideau de haut en bas qui empêche l’eau de sortir, le couvercle s’applatit sur la baie de l’ouverture des ouies. Dans le même tems les côtes se serrent les unes contre les autres, leur ceintre se retrécit, & le sternum s’abat sur le palais ; tout cela contribue à comprimer l’eau qui est entrée par la bouche, elle se présente alors pour sortir par tous les intervalles des côtés, & par ceux de leurs lames, & elle y passe comme par autant de filieres ; par ce mouvement la bordure membraneuse des couvercles est relevée, & l’eau pressée s’échape par cette ouverture. C’est ainsi que se fait l’expiration dans les poissons ; on voit donc par-là que l’eau entre par la bouche, & qu’elle sort par les ouies par une espece de circulation, entrant toujours par la bouche, & sortant toujours par les ouies, tout au contraire de ce qui arrive aux animaux à quatre piés, dans lesquels l’air en sort alternativement par la même ouverture de la trachée-artere. Il y a encore divers usages des ouies par rapport à la route du sang, & à la préparation qu’il y reçoit, sur lesquels nous renvoyons à la piece d’où cet article est tirée, & qui se trouve dans les mémoires de l’acad. roy. des Sciences, an. 1704. p. 294. édit d’Amst.
Ouïe, (Séméiotiq.) les dérangemens qui arrivent dans l’exercice de ce sens sont souvent l’effet d’une maladie plus grave, ou de quelque altération survenue dans toute l’économie animale ; cet effet peut servir dans certains cas de signe pour remonter à la connoissance des causes. L’ouïe peut cesser d’être dans l’état naturel, ou par une augmentation excessive, ou par une abolition totale, ou par une dépravation quelconque, la perte absolue ou la très grande diminution de l’ouïe est connue sous le nom particulier de surdité, nous renvoyons à cet article l’exposition des signes que cet état fournit dans le cours des maladies aiguës. Voyez Surdité. Nous allons indiquer en peu de mots les lumieres qu’on peut tirer des autres vices de ce sens sans entrer dans aucune discussion théorique sur l’enchaînement qu’il y a entre ces signes & les choses signifiées.
Suivant une observation généralement connue, l’extrème finesse de l’ouïe est un très-mauvais signe ; la dureté d’oreille est beaucoup moins défavorable, il y a même bien des cas où elle est d’un heureux présage, quoiqu’elle soit poussée au degré de surdité. Ce n’est que dans le cas de grande foiblesse & d’affaissement que la diminution ou la perte d’ouïe est un signe mortel, Hippocr. aph. 73. lib. VII. la dépravation de l’ouïe a lieu lorsque l’oreille entend des sons autrement qu’ils ne sont produits, & dans le tems même où il n’y en a point d’excité par les corps extérieurs : c’est ce qui arrive dans le tintemant d’oreille & le bourdonnement ; voyez ces mots, & dans quelques especes de délire où le malade croit entendre des personnes qui parlent, ou le son des instrumens, sans que pourtant ces objets soient réels ; ce vice de l’ouïe peut alors être regardé comme un signe de délire présent ou prochainement futur.
Le bourdonnement & le tintement d’oreille sont dans les maladies aiguës des signes avant-coureurs de la mort. Coac. prænot. cap. v. n°. 5. Waldscrichd a remarqué que ces mêmes signes étoient très-fâcheux dans les nouvelles accouchées. Les tintemens d’oreille joints à des douleurs de tête, vertige, engourdissement des mains, lenteur de la voix sans fievre, font craindre, suivant cet auteur & Hippocrate, la paralysie, ou l’épilepsie, ou la perte de mémoire ; les ébranlemens de la tête avec tintement d’oreille annoncent une hémorrhagie par le nez, ou l’éruption des regles, sur-tout s’il y a une chaleur extraordinaire répandue le long de l’épine du dos, ibid. cap. iv. n°. 8. on doit s’attendre au délire & à l’hémorrhagie du nez lorsque ce tintement se rencontre avec l’obscurcissement de la vûe & une pesanteur à la racine du nez, ibid. cap. v. n°. 6. En général, remarque Hippocrate, de insom. cap. xij. 11. la lésion de l’ouïe, de même que celle de la vûe, dénotent l’affection de la tête. (m)
Ouïes, s. f. (Musiq.) les ouvriers nomment ainsi les deux ouvertures qui sont sur la table des violes, & de quelques autres instrumens de Musique. Ces ouvertures, qu’on pourroit appeller écheia, ont différentes figures, & ce sont les endroits par où sort le son harmonieux ; mais quand il s’agit de poche de violon, de basse de violon, on appelle ordinairement leurs ouvertures des effes, parce qu’elles ont la figure d’une f. (D. J.)