L’Encyclopédie/1re édition/PARALLELISME
PARALLELISME, s. m. (Geom.) c’est la propriété ou l’état de deux lignes, deux surfaces, &c. également distants l’un de l’autre. Voyez Parallele, Parallelogramme), &c.
Parallelisme de l’axe de la terre, en Astronomie ; c’est cette situation constante de l’axe de la terre, en conséquence de laquelle, quand la terre fait sa révolution dans son orbite, si l’on tire une ligne parallele à son axe, dans une de ses positions quelconques, l’axe dans toutes ses autres positions sera toujours parallele à cette même ligne ; il ne changera jamais la premiere inclinaison au plan de l’écliptique ; mais il paroîtra constamment dirigé vers le même point du ciel. Ce parallelisme, & les effets qui en résultent, ont été très-bien développés dans les instit. astronomiques, & nous croyons ne pouvoir mieux faire que de transcrire ici tout cet endroit, quoiqu’un peu long, parce qu’il ne nous a pas paru possible de l’abréger, ni de nous expliquer plus clairement.
Le parallelisme de l’axe de la terre doit arriver naturellement, si la terre parcourant son orbite, n’a d’autre mouvement propre que celui de la rotation au-tour de son axe. Car soit une planete quelconque, dont le centre parcoure une petite portion de son orbite, qu’on peut regarder ici comme une ligne droite A B, fig. 53 astron. cet astre étant en A, si l’on tire un diametre CD incliné sous un certain angle à la ligne AB ; il est évident que si cette planete n’a d’autre mouvement que celui selon lequel elle s’avance de A vers B, son diametre CD ne doit jamais avoir d’autre direction que selon la ligne dc, parallele au premier diametre CD : mais si outre ce mouvement de translation on imagine que la planete en ait une autre de rotation au-tour de son axe CD, quoiqu’il soit vrai de dire en ce cas que tous les autres diametres de cette planete changent continuellement de direction, le vrai axe CD ou cd, est néanmoins exempt de ce mouvement de rotation : il ne sauroit changer sa direction, mais il doit toujours demeurer parallele à lui-même en quelqu’endroit qu’il se trouve.
Le parallelisme de l’axe terrestre & son inclinaison au plan de l’écliptique est la cause de l’inégalité des jours & de la différence des saisons : supposons en effet que l’œil regarde obliquement le plan de l’orbite de la terre, dont la projection, selon les regles de la perspective, doit paroître alors une ovale ou ellipse, au milieu de laquelle se trouve le soleil en S : si l’on mene par le centre de cet astre la droite ♈ S ♎, fig. 54, parallele à la section commune de l’écliptique & de l’équateur, & qui rencontre l’écliptique en deux points ♈ & ♎ ; il est clair que lorsque la terre paroîtra dans l’un de ces deux points, la ligne ♈ ♎ qui joint les centres de la terre & du soleil sera pour lors dans la section commune des deux plans ; cette ligne, dis-je, de même que la section commune des plans de l’écliptique & de l’équateur ne doivent former qu’une même ligne droite : elle-sera donc en ce cas perpendiculaire à l’axe de la terre, puisque c’est une de celles qui se trouvent dans le plan de l’équateur. Mais cette même ligne droite étant aussi perpendiculaire au plan du cercle, que nous avons dit être le terme de la lumiere & de l’ombre, il suit que l’axe de la terre se trouvera pour lors dans le plan de ce cercle, & passera par conséquent par les poles ; ensorte qu’il divisera tous les paralleles à l’équateur en deux parties égales. La terre étant donc au commencement de ♎, & le soleil paroissant pour lors au commencement du ♈ dans la commune section des plans de l’écliptique & de l’équateur, cet astre doit par conséquent nous paroître alors dans l’équateur céleste sans aucune déclinaison, soit au nord, soit au midi, étant à égale distance des poles. Il est encore évident qu’il paroîtra décrire par son mouvement diurne le cercle équinoxial dont nous avons parlé ci-dessus ; de maniere que dans cette situation, la lumiere répandue sur la terre doit se terminer également aux deux poles A & B, & que le grand cercle où se termine cette lumiere, divisera en deux parties égales tous les petits cercles paralleles à l’équateur : mais parce que tous les lieux de la terre sont emportés d’un mouvement uniforme par la rotation qui se fait au-tour de son axe en 24 heures ; il s’en suit qu’on y appercevra pour lors les jours égaux aux nuits, chaque point de la surface de la terre demeurant autant prolongé dans les ténebres, qu’exposé aux rayons qui émanent du disque apparent du soleil ; or puisque pendant tout ce tems le jour est précisement égal à la nuit ; on a pour cette raison nommé l’équinoxial, le cercle que le soleil parcourt dans ces tems-là.
Le mouvement annuel de la terre sur son orbite détruit bientôt cette uniformité ; car cette planete étant transportée depuis ♎, ♏, ♐, jusqu’en ♑, il arrive pour lors que la section des plans de l’équateur & de l’écliptique, qui reste, comme nous l’avons dit, parallele à elle-même, sans changer de direction, ne passe plus par le centre du soleil, mais s’en écarte peu-à-peu considérablement. Elle forme bien en ♑ un angle droit avec la ligne SP, tirée du centre du soleil au centre de la terre ; mais parce que cette ligne SP est dans le plan de l’écliptique, & non pas dans celui de l’équateur, l’angle BPS formé par l’axe de la terre avec la ligne BP n’est plus un angle droit, mais un angle aigu de 66° ; c’est-à-dire, égal à l’inclination de cet axe sur le plan de l’écliptique. Faisant donc au point P l’angle droit SPL, il est clair que le terme de la lumiere & de l’ombre passera par le point L, & que l’arc BL, ou l’angle BPL, sera de 23°, savoir égal au complément à 90° de l’angle BPS. Mais faisant aussi l’angle droit BPE, il suit que la ligne PE, sera dans le plan de l’équateur ; d’où l’on voit que puisque l’arc BE est égal à LT, l’un & l’autre étant de 90°, & que l’arc BT de 66° leur est commun, les deux autres arcs TE, LB, seront chacun de 23°, & par conséquent égaux. Il faut faire maintenant EM égal à ET, & décrire par les points T & M les deux paralleles à l’équateur TC, MN qui seront les deux tropiques, dont l’inférieur MN se nomme le tropique du capricorne ♑, & l’autre TC, le tropique du cancer ou de l’écrevisse ♋. Or dans cette situation de la terre, le soleil est à plomb ou perpendiculairement élevé sur le point T, & c’est le tems où il est le plus éloigné de l’équateur, c’est-à-dire dans sa plus grande déclinaison possible vers le pole boréal. Le cercle qu’il paroît pour lors décrire par son mouvement diurne, se trouve dans le ciel directement au-dessus du cercle TC de la terre, & se nomme par conséquent le tropique céleste du ♋ : mais la révolution diurne de la terre autour de son axe immobile, est cause que tous les points de la terre qui sont sous ce même parallele à l’équateur, doivent passer successivement par ce point T, où l’œil apperçoit le soleil perpendiculaire : ainsi le soleil paroîtra pour lors à l’instant du midi à plomb ou vertical à tous les habitans de ce parallele. Enfin, tant que la terre demeurera dans cette situation, il est nécessaire que le cercle qui représente le terme de la lumiere & de l’ombre, se trouve au-delà du pole boréal B, étant parvenu jusqu’en L ; & qu’au contraire il soit écarté jusqu’en F du pole austral A, & cela pendant plusieurs jours. Si l’on décrie donc enfin par les points L & F, les deux paralleles de l’équateur, on aura les deux cercles polaires, qu’on nomme arctique & antarctique, & c’est toute cette région de la terre comprise entre le pole boréal & le cercle polaire arctique KL, qui demeurera pour lors dans un jour perpétuel, malgré la rotation diurne de la terre autour de son axe. Car le soleil répand alors toujours sa lumiere jusqu’à ce cercle polaire qui est tout entier au-delà du terme de la lumiere & de l’ombre, les rayons ne pouvant plus indépendamment de la rotation de la terre, s’étendre au-delà du cercle polaire arctique. Au contraire l’autre région opposée de la terre, laquelle est comprise entre le pole austral & le cercle polaire antarctique, se trouvera pour lors plongée dans de profondes ténebres : on n’y verra plus le soleil, & le jour qu’on aura vu diminuer, ou qu’on a perdu peu-à-peu dans l’espace de trois mois, aura été changé en une nuit continuelle. On voit aussi par-là que dans les autres cercles paralleles compris entre l’équateur & le cercle polaire arctique ou antarctique, il se trouve une partie d’autant plus grande de ces cercles plongée dans la lumiere ou dans la nuit, qu’ils sont plus éloignés de l’équateur ou plus avancés vers les poles. C’est pourquoi dans cette situation de la terre où l’on suppose que le soleil paroît au ♋, il est nécessaire que tous les habitans de l’hémisphere septentrional, depuis l’équateur jusqu’au cercle polaire, jouissent des plus longs jours, & qu’ils n’ayent que des nuits très-courtes, ce qui est à leur égard la saison qu’on nomme l’été ; & qu’au contraire dans l’hémisphere qu’on nomme méridional, les nuits y soient alors fort longues, & que les habitans s’y trouvent dans cette saison qu’on nomme l’hiver, puisque leurs jours sont les plus courts, & que le froid les pénetre alors davantage que les autres saisons de l’année.
Après avoir expliqué pourquoi les lieux de la terre où l’on doit observer les plus longs jours & les nuits les plus courtes, sont ceux qui sont les plus éloignés de l’équateur, il est à propos de considérer que de tous les cercles paralleles, il n’y en a aucun qui soit véritablement un grand cercle, & partant qu’il ne sauroit y avoir que l’équateur qui puisse être coupé en deux également par ce grand cercle que nous avons nommé le terme de la lumiere & de l’ombre : or il suit de-là qu’il n’y a sur la terre que les habitans de l’équateur qui ayent l’avantage de conserver leurs jours égaux aux nuits dans toutes les saisons de l’année.
Supposons en troisieme lieu, que la terre s’avance sur son orbite depuis ♑, ♒, ♓, jusqu’au ♈, pendant lequel tems le soleil paroîtra parcourir les signes ♋, ♌ & ♍, alors on verra cet astre se rapprocher peu-à-peu de l’équateur, de maniere que la terre étant une fois en ♈, le soleil paroîtra pour lors en ♎, & se trouvera pour lors la seconde fois dans la commune section de l’écliptique & de l’équateur, puisqu’elle s’est toujours avancée dans une situation parallele. C’est pourquoi le soleil doit alors paroître dans le cercle équinoxial, ce qui doit donner encore les jours égaux aux nuits dans toute l’étendue de la surface de la terre, & cela précisément de la même maniere qu’il est arrivé lorsque la terre étoit en ♎, ou que le soleil paroissoit en ♈. Dans ce cas, le terme de la lumiere & de l’ombre passera encore par les deux poles, & l’on a pu remarquer, par ce que nous avons dit jusqu’ici, qu’il n’y a que le pole septentrional B, qui s’est trouvé continuellement éclairé du soleil pendant l’espace de six mois que la terre a employé à parcourir la moitié de son orbite depuis ♎ jusqu’en ♈ ; & qu’au contraire le pole méridional a été constamment plongé dans l’ombre ou dans la nuit pendant le même intervalle de tems.
Enfin, la terre venant à s’avancer selon la suite des signes ♈, ♉ & ♊, c’est-à-dire, le soleil paroissant parcourir les signes ♎, ♏, & ♐, il doit s’éloigner peu-à-peu de l’équateur, de maniere que la terre étant une fois parvenue en ♋, le soleil paroîtra pour lors au commencement du ♑ de la sphere des étoiles fixes. D’ailleurs, l’axe de la terre n’ayant point changé sa direction, puisqu’il a conservé son parallélisme, la terre se présentera pour lors au soleil avec la même inclinaison de son axe, qu’elle s’y présentoit six mois auparavant, lorsqu’elle étoit au commencement du ♑, mais avec cette différence qu’au lieu que la région renfermée dans le cercle KL, étoit éclairée du soleil lorsque la terre passoit au point ♑ de son orbite ; au contraire la terre étant en ♋, cette même région se trouvera entierement plongée dans l’ombre, & enfin celle qui lui est opposée, ou qui est terminée par le cercle FG, se trouvera éclairée du soleil dans toute son étendue, au lieu qu’elle étoit six mois auparavant dans une nuit profonde, parce qu’elle ne recevoit point les rayons du soleil.
De même tous les paralleles qui sont entre l’équateur & le pole septentrional B, seront alors pour la plus grande partie plongés dans l’ombre au contraire de ce qu’on remarquoit six mois auparavant ; au lieu que vers le pole méridional A, plus de la moitié de la circonférence de ces cercles paralleles sera éclairée du soleil, là où six mois auparavant on a pu remarquer que c’étoit la plus grande partie de la circonférence de ces mêmes cercles qui étoit plongée dans l’ombre. Enfin, le soleil paroîtra pour lors à plomb du vertical aux habitans du tropique MN, comme s’il avoit effectivement descendu à l’égard de la surface de la terre, depuis le parallele ou tropique qui répond à TC, jusqu’à l’autre tropique céleste qui répond à MN, c’est-à-dire selon l’arc CQN, de 47°. Il n’est pas moins évident que des deux diverses manieres dont la terre se présente au soleil tous les six mois, il en doit résulter cette regle générale ; savoir que dans les lieux de l’hémisphere septentrional ou méridional, compris entre les poles & les tropiques, le soleil doit paroître de 47°. plus près du zénith dans un tems de l’année, que dans l’autre, c’est-à-dire qu’il doit s’approcher du pole, ou monter tous les jours dans le méridien depuis le solstice d’hiver jusqu’à celui d’été, comme s’il ne parcouroit autre chose que l’arc de ce méridien, lequel est d’environ 47°. Il ne faut donc pas s’imaginer pour cela que c’est la terre qui tantôt s’éleve, & tantôt s’abaisse par un mouvement particulier ; au contraire ces changemens n’arrivent que parce qu’elle ne s’éleve, ni ne sauroit s’abaisser, mais qu’elle se présente toujours de la même maniere par rapport au reste de l’univers, ou plutôt à l’égard des étoiles. Il n’y a qu’à l’égard du soleil qu’elle est inclinée différemment, parce qu’elle parcourt chaque année (son axe étant dans une inclinaison constante) une orbite à l’entour de cet astre, & qu’elle doit par conséquent lui présenter ce même axe sous différentes obliquités à mesure qu’elle tourne.
On peut faire une expérience assez simple pour mieux comprendre ce que nous venons de dire : elle consiste à exposer dans une chambre obscure un globe à une bougie, qui dans ce cas représentera le soleil ; si l’on prend ce globe pour la terre, & que l’on y marque les poles, l’équateur, le méridien, & quelques-uns des paralleles ; qu’enfin on le suspende de maniere que son axe au lieu d’être perpendiculaire au plan de l’horison, qu’il faut regarder ici comme l’écliptique, il soit incliné de plusieurs degrés ; alors tournant ce globe de maniere qu’un de ses poles regarde le nord, & l’autre le midi, & que la lumiere de la bougie éclaire également l’un & l’autre pole, (il faut tâcher de conserver exactement dans cette opération le parallélisme ou la même position de l’axe) ; on le fera tourner ainsi autour de la circonférence d’un plan circulaire parallele à l’horison, au centre duquel la bougie est immobile ; & dès-lors on pourra observer à loisir la maniere dont le pole, les paralleles, & l’équateur de ce globe seront éclairés ; car il sera facile de remarquer les mêmes phénomenes que nous venons d’expliquer par rapport à la terre & au soleil. Cet article, comme nous l’avons déja annoncé, est entierement tiré de l’Astronomie de Keill, traduite par M. le Monnier.
Parallélisme des rangées d’arbres. L’œil placé au bout d’une allée bordée de deux rangées d’arbres, plantés en lignes paralleles, ne les voit jamais paralleles ; mais elles lui paroissent toujours inclinées l’une vers l’autre, & s’approcher à l’extrémité opposée.
De-là les Mathématiciens ont pris occasion de chercher sur quelle ligne il faudroit disposer les arbres, pour corriger cet effet de la perspective & faire que les rangs parussent toujours paralleles. Il est évident que pour qu’ils paroissent tels il ne faut pas qu’ils soient paralleles, mais divergens, c’est-à-dire, plantés sur des lignes qui aillent toujours en s’écartant. Mais suivant quelle loi réglera-t-on leur divergence ? Il est évident que la solution de ce problème dépend d’une question physique encore contestée sur la grandeur apparente des objets. Voyez Apparent & Vision. Si on savoit bien pour quelle raison deux allées d’arbres paralleles semblent divergentes, ou plutôt si on savoit quelle doit être la grandeur apparente des intervalles de deux suites d’arbres ou d’objets placés sur deux lignes droites ou courbes quelconques, il seroit facile alors de trouver la solution cherchée : car on n’auroit qu’à planter les arbres sur deux lignes, qui fussent telles que la grandeur apparente de l’intervalle entre les arbres fût toujours la même ; mais la question de la grandeur apparente des objets est une de celles sur lesquelles les auteurs d’Optique sont le moins d’accord. Tous ceux qui ont anciennement écrit de cette science, prétendent que la grandeur apparente est toujours proportionnelle à l’angle visuel ; mais cette proposition ainsi énoncée généralement, est évidemment fausse, comme le pere Malebranche l’a remarqué, puisqu’un homme de six piés, vû à six piés de distance, paroît beaucoup plus grand qu’un homme de deux piés, vû à deux piés de distance, quoique l’un & l’autre puissent être vûs sous des angles égaux. Cependant, malgré l’incertitude, ou plutôt la fausseté du principe des anciens sur la grandeur apparente, il y a eu des auteurs qui se sont servis de ce principe pour résoudre le problème dont il s’agit ici. Il est évident que dans cette hypothèse les deux rangs doivent être tels, que les intervalles des arbres opposés ou correspondans, soient apperçus sous des angles visuels égaux.
Sur ce principe, le P. Fabry a assuré sans le démontrer, & le P. Tacquet après lui, a démontré par une synthèse longue & embarrassée, que les deux rangs d’arbres doivent être deux demi-hyperboles opposées.
Depuis, M. Varignon, dans les Mémoires de l’académie des Sciences, en 1717, a trouvé la même solution par une analyse simple & facile. Mais M. Varignon, connoissant le peu de sûreté du principe, s’est contenté de dire que les intervalles des arbres paroîtroient alors sous des angles égaux, & il s’est abstenu de décider si ces intervalles seroient égaux en effet ; c’est-à-dire, que ne pouvant résoudre la question d’Optique, il en a fait une pure question de Géométrie, qui, au moyen de l’analyse, devient fort facile à résoudre. M. Varignon ne s’en tient pas là : il rend le problème beaucoup plus général, & exige non-seulement que les angles visuels soient égaux, mais encore qu’ils croissent ou décroissent en quelque raison donnée, pourvû que le plus grand n’excede point un angle droit. Il suppose que l’œil soit placé en un point quelconque, ou précisément au commencement des rangées, ou au-delà, ou en-deçà.
Cela posé, il imagine que la premiere rangée soit en ligne droite, & cherche quelle ligne doit être l’autre qu’il appelle la courbe de rangée ; il trouve que ce doit être l’hyperbole, pour que les angles visuels soient égaux. La rangée droite & l’hyperbolique seront vûes à l’infini sous des angles égaux ; & si on ajoute la demi-hyperbole opposée, on aura trois rangées d’arbres, la droite dans le milieu, & toutes trois vûes sous des angles égaux.
Il n’est pas nécessaire que la seconde hyperbole soit l’opposée de la premiere, c’est-à-dire, de la même espece, ou qu’elle ait le même axe transverse. Il suffit qu’elle ait le même centre, son sommet dans la même ligne droite, & le même axe conjugué. Ainsi les deux hyperboles peuvent être de toutes les différentes especes possibles, sans que l’effet soit différent. Voyez Hyperbole.
De plus, la rangée supposée droite comme ci-devant, si l’on demande que les arbres soient apperçus sous des angles décroissans, M. Varignon fait voir que si le décroissement est selon une certaine raison qu’il détermine, il faut que l’autre ligne soit une ligne droite parallele.
Mais il va encore plus loin ; & supposant que la premiere rangée est une courbe quelconque, il cherche pour l’autre une ligne qui puisse donner aux deux rangées l’effet que l’on desire, c’est-à-dire, de pouvoir être vûes sous des angles égaux, ou croissans, ou décroissans à volonté.
Nous avons vû dans l’article Allée, que M. Varignon, ayant supposé la grandeur apparente proportionnelle au produit de la distance apperçue par le sinus de l’angle visuel, hypothese en apparence beaucoup plus vraissemblable que la premiere, & qui est celle du P. Malebranche & des meilleurs opticiens modernes (voyez Apparent), trouve que dans cette hypothèse les deux lignes, pour être vûes paralleles, doivent être convergentes ; & comme cette conséquence est absurde, M. Varignon en conclut qu’il faut rejetter le principe du P. Malebranche. Mais cette conclusion est trop précipitée. En effet, 1°. dans le principe du P. Malebranche, il s’agit de la distance apperçue, & non de la distance réelle qui est beaucoup plus grande. Voyez Distance, Vision, &c. Or M. Varignon, dans ses calculs, fait entrer la distance réelle. 2°. Si au lieu de prendre pour la distance, comme le fait M. Varignon, la ligne menée de l’œil perpendiculairement à l’allée droite, on prenoit la ligne menée du même œil à l’allée courbe, alors on trouveroit pour la ligne cherchée une droite parallele à la premiere ; ce qu’il est aisé de prouver. Pour corriger donc l’hypothèse de M. Varignon, en prenant les distances telles qu’il les prend, il faut supposer que les grandeurs apparentes sont proportionnelles aux produits des tangentes des angles visuels par les distances apperçues, dont on ignore la loi.
Voilà tout ce qui a été fait jusqu’à présent sur la question proposée, & on voit que la solution n’en est pas encore fort avancée ; il paroît que l’expérience est le seul moyen sûr de la décider. Cependant s’il nous est permis de hasarder ici nos conjectures là-dessus, nous croyons que les deux rangées d’arbres dont il s’agit, doivent être deux lignes droites divergentes. Voici les raisons qui nous portent à le penser. Quand on regarde un allée d’arbres plantés sur deux lignes paralleles, ces deux allées paroissent se rapprocher & tendre à s’unir, mais chacune des deux rangées conserve toujours l’apparence de ligne droite. Les intervalles entre les arbres opposés paroissent décroissans, non pas précisément parce qu’ils sont vûs sous des angles décroissans, mais parce que les piés des arbres éloignés sont jugés plus proches qu’ils ne sont en effet. Ainsi (fig. 16. Perspect.) l’intervalle CD paroît plus petit que l’intervalle AB, parce que l’intervalle AB, étant fort proche de l’œil O, est vû à-peu-près à la place où il est, au lieu que l’intervalle CD étant fort éloigné, les points C & D sont jugés plus proches qu’ils ne sont réellement, par exemple, sont jugés en c & en d, de sorte que l’intervalle CD ne paroît plus que de la grandeur cd qui est plus petite ; d’où il s’ensuit que l’allée est vûe, non dans le plan véritable ABCD où elle est, mais dans une autre surface ABdc sur laquelle on rapporte les intervalles apparens : or les lignes Ac, Bd, qui terminent cette surface, sont des lignes convergentes que l’œil juge droites ; d’où il s’ensuit que la surface ABdc sur laquelle on rapporte les intervalles apparens, est une surface plane. Cette conséquence peut se confirmer par une autre expérience. Il n’y a personne qui n’ait remarqué que dans une galerie longue & étroite, les côtés, le plat-fond & le plancher, paroissent se rapprocher, mais qu’ils paroissent toujours être des surfaces planes, si en effet ils en sont. Ne peut-on pas conclure de-là que la surface sur laquelle on rapporte les intervalles des arbres plantés sur deux rangées quelconques, droites ou courbes, paralleles ou non, est une surface plane ? si cela est, la question n’est plus difficile à résoudre. Car la moindre connoissance des principes de la Géométrie fera voir aisément, que pour que les lignes AB, cd, soient égales, & pour que les lignes Ac, Bd, soient des lignes droites paralleles, il faut que les lignes AC, BD, soient deux lignes droites divergentes. A l’égard de la quantité de leur divergence, c’est-à-dire, de la quantité dont elles s’écartent l’une de l’autre, cette quantité dépend de la grandeur de l’angle dBD que le plan apparent CABd fait avec le plan réel ABCD, & c’est à l’expérience à faire connoître cet angle ; cependant, sans s’embarrasser de le chercher, on pourroit découvrir la position des lignes AC, BD, d’une autre maniere, qui consisteroit à attacher en A & en B les extrémités de deux cordes longues & d’une couleur fort remarquable, & à écarter ces cordes l’une de l’autre, en augmentant ou en diminuant successivement leur divergence, jusqu’à ce que l’œil placé en O les jugeât paralleles.
Ayant la divergence des lignes AC, BD, on auroit réciproquement l’angle dBD du plan apparent & du plan réel ; mais on peut avoir directement cet angle d’une autre maniere, par le moyen de deux rangées d’arbres paralleles : on mettra au pié d’un des arbres les plus éloignés, par exemple en D, une corde de couleur très-remarquable, & on tendra cette corde sur le terrein, en la rapprochant de l’œil O, jusqu’à ce qu’elle paroisse dans une situation parallele à la rangée AC ; ce qu’il sera facile de juger pour peu qu’on ait de justesse & d’habitude : or si cette corde coupe l’intervalle AB au point V par exemple, on aura AV pour la grandeur apparente de l’intervalle CD, car les lignes DV & CA paroissant paralleles par l’hypothese, les lignes AV, CD, paroîtront égales ; on aura donc AV égal à cd, par conséquent on aura le rapport de cd à AB. Or ce rapport donne l’élévation du plan ABdc, car le rapport de AB à cd est égal à celui de CD à cd, c’est-à-dire, à celui de OD à Od, on connoîtra donc le rapport de OD à Od ; ainsi puisque OD est connu, on connoîtra Od, & par conséquent la position de la ligne Bd.
Au reste, pour peu qu’on y fasse d’attention, on verra qu’en supposant même tout ce que nous avons dit ci-dessus exactement démontré, la quantité de la divergence des lignes AC, BD, dépend de la grandeur de l’intervalle AB, & de la hauteur de l’œil au-dessus du plan de l’allée. C’est pourquoi une allée d’arbres, qui seroit parallele à un certain point de vûe, ne le seroit plus à un autre. Quoi qu’il en soit, nous souhaitons que les nouvelles vûes que nous venons de donner pour la solution de cette question, excitent les Physiciens à faire des expériences pour vérifier notre principe, & pour donner à cet égard un nouveau degré d’accroissement à la théorie de la vision.
J’avois fini cet article depuis plusieurs années, comme il me seroit aisé de le prouver, lorsque M. Bouguer lut à l’académie des Sciences un écrit sur le même sujet, qui contient au fond les mêmes principes ; & je dis pour-lors de vive voix à l’académie, sans prétendre rien ôter à M. Bouguer, que j’avois trouvé comme lui, & par les mêmes raisons, que les lignes cherchées devoient être deux lignes droites divergentes. Le mémoire de M. Bouguer n’est point encore imprimé au moment où j’ajoute ces dernieres lignes au présent article, c’est-à-dire, en Décembre 1759. (O)