L’Encyclopédie/1re édition/PARMÉNIDÉENE, philosophie

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PARMÉNIDÉENE, philosophie, ou Philophie de Parménide, (Hist. de la Philosophie.) Parménide fut un des philosophes de la secte Eléatique. Voyez ce que nous en avons dit à l’article Eléatique, secte. Selon lui, la Philosophie se considéroit ou relativement à l’opinion & à la sensation, ou relativement à la vérité. Sous le premier point de vûe, la matiere étant en vicissitude perpétuelle, & les sens imbécilles & obtus, ce que l’on assûroit lui paroissoit incertain, & il n’admettoit de constant & d’assûré que ce qui étoit appuyé sur le témoignage de la raison : c’est-là toute sa logique. Sa métaphysique se réduisoit au petit nombre d’axiomes suivans. Il ne se fait rien de rien. Il n’y a qu’un seul principe des choses. Il est immobile & immuable : c’est l’Etre universel : il est éternel ; il est sans origine, sa forme est sphérique ; il est le seul Etre réel : le reste n’est rien ; rien ne s’engendre, rien ne périt. Si le contraire nous paroît, c’est que l’aspect des choses nous en impose. Sa physique n’est guere plus étendue, ni plus savante. Il regardoit le froid & le chaud comme les principes de tout. Le feu ou le chaud, c’est la même chose. La terre ou le froid, c’est la même chose. Le feu est la cause efficiente ; la terre est la cause matérielle. La lune emprunte du soleil sa lumiere, &, à proprement parler, elle brille du même éclat. La terre est ronde : elle occupe le centre : elle est suspendue en un équilibre, que sa distance égale de tout ce qu’on peut regarder comme une circonférence, entretient. Elle peut être ébranlée, mais non déplacée. Les hommes sont sortis du limon, par l’action du froid & du chaud. Le monde passera ; il sera consumé. La portion principale de l’ame réside dans le cœur.

Il s’occupa beaucoup de la dialectique, mais il ne nous reste rien de ses principes : on lui attribue l’invention du sophisme de Zénon, connu sous le nom d’Achille.

Platon nous a laissé un dialogue intitulé, le Parménide, parce que le philosophe Eléatique y fait le rôle principal. Voici les principes qu’on y établit.

Il y a en tout unité & multitude. L’unité est l’idée originelle & premiere. La multitude ou pluralité est des individus ou singuliers.

Il y a des idées ou certaines natures communes qui contiennent les individus qui en sont les causes, qui les constituent & qui les dénomment.

Il y a des especes, & c’est une unité commune dans chaque individu qui les constitue.

Les individus ou singuliers ne peuvent ni se concevoir, ni être conçus relativement à l’espece que par l’unité commune. Autre chose est l’espece, autre chose les individus. L’espece est l’unité qui les comprend.

Ces idées sont dans notre entendement comme des notions ; elles sont dans la nature comme des causes.

Les idées dans la nature donnent aux choses l’existence & la dénomination.

Il n’y a rien qu’on ne puisse réduire à l’unité de l’idée ; ces choses en elles-mêmes sont donc réellement invisibles.

Il y a l’idée du beau, c’est la même que celle du bon ; il y a les choses ou leurs idées.

La premiere est Dieu : les autres sont les especes des choses dans l’ordre de la nature.

Il y a dans ces idées secondaires une sorte d’unité, le fondement des singuliers.

L’espece distribuée en plusieurs individus séparés est une, toute en elle, non-distincte d’elle.

Son étendue a plusieurs individus, ne rend point son idée divisible. L’idée a son essence en soi, l’individu a son idée propre : l’idée, comme telle, n’est donc pas un simple rapport.

Les notions que nous avons sont conformes aux idées des choses ; elles rendent leurs formes éternelles ; mais ce ne sont que des images, & non des êtres réels, c’est le fondement du commerce de la nature & de l’entendement.

La premiere idée archetipe a ses propriétés, comme d’être simple ou une, sans parties, sans figure, sans mouvement, sans limites, infinie, éternelle, cause de l’existence des choses & de leurs facultés, supérieure à toute essence, diffuse en tout, & circonscrivant la multitude dans les limites de l’unité.

Les idées secondaires ont aussi leurs propriétés, comme d’être unes, mais finies, d’exister à la vérité dans l’entendement divin, mais de se voir dans les individus, comme l’humanité dans l’homme : elles sont unes & diverses, unes en elles-mêmes, diverses dans les singuliers : elles sont en mouvement & en repos ; elles agissent par des principes contraires, mais il est un lien commun de similitude qui lie ces contraires ; il y a donc quelque chose d’existant qui n’est pas elles : elles agissent dans le tems, mais quelle que soit leur action, elles demeurent les mêmes.

Toute cette métaphysique a bien du rapport avec le système de Leibnitz, & ce philosophe ne s’en défendoit guere.

On peut la réduire en peu de mots à ceci. L’existence differe de l’essence ; l’essence des choses existentes est hors des choses : il y a des semblables & des dissemblables. Tout se reporte à certaines classes & à certaines idées. Toutes les idées existent dans une unité ; cette unité, c’est Dieu. Toutes les choses sont donc unes. La science n’est pas des singuliers, mais des especes ; elle differe des choses existentes. Puisque les idées sont en Dieu, elles échapent donc à l’homme ; tout lui est incompréhensible & caché ; ses notions ne sont que des images, des ombres.

Nous craignons que Platon n’ait fort altéré la philosophie de Parménide. Quoi qu’il en soit, voilà ce que nous avons cru devoir en exposer ici, avant que de passer au tems les opinions de ce philosophe reparurent sur la scène, élevées sur les ruines de celles d’Aristote & de Platon, par un homme qui n’est pas aussi connu qu’il le méritoit, c’est Bernardinus Telesius.

Telesius naquit dans le royaume de Naples, en 1508, d’une famille illustre. On lui reconnut de la pénétration : on l’encouragea à l’étude des lettres & de la Philosophie ; & l’exemple & les leçons d’Antoine Telesius son oncle ne lui furent pas inutiles. Il passa ses premieres années dans les écoles de Milan. De-là il alla à Rome, où il cultiva tout ce qu’il y avoit d’hommes célebres. La nécessité de prendre possession d’un bénéfice qu’on lui avoit conféré, le rappella dans sa patrie. Il y vivoit ignoré & tranquille lorsqu’elle fut prise & saccagée par les François. Telesius fut jetté dans une prison où il auroit perdu la vie, sans quelques protecteurs qui se souvinrent de lui & qui obtinrent sa liberté. Il se réfugia à Padoue, où il se livra à la Poésie, à la Philosophie & à la Morale. Il fit des progrès surprenans dans les Mathématiques ; il s’attacha à perfectionner l’Optique, & ce ne fut pas sans succès. De Padoue il revint à Rome, où il connut Ubald Bandinelli & Jean della Casa ; il obtint même la faveur de Paul IV. de retour de Rome, où il épousa Diane Sersali qui lui donna trois enfans. La mort prematurée de sa femme le toucha vivement, & le ramena à la solitude & à l’étude des sciences aux quelles les affaires domestiques l’avoient arraché. Il relut les anciens ; il écrivit ses pensées, & il publia l’ouvrage intitule, de natura, juxta propria principia. Cet ouvrage fut applaudi ; les Napolitains l’appellerent dans leurs écoles. Il céda à leurs sollicitations, & il professa dans cette ville sa nouvelle doctrine : il ne s’en tint pas là ; il y fonda une espece d’académie. Ferdinand Carafe se l’attacha. Il étoit aimé, honoré, estimé, heureux ; lorsque des moines qui souffroient impatiemment le mépris qu’il faisoit d’Aristote dans ses leçons & ses écrits, s’éleverent contre lui, le tourmenterent, & lui ôterent le repos & la vie. Il mourut en 1588 ; il publia dans le cours de ses études d’autres ouvrage, que celui que nous avons cité.

Principes de la Physique de Telesius. Il y a trois principes des choses ; deux agens & incorporels, c’est le froid & le chaud ; un instrumental & passif, c’est la matiere.

Le chaud mobile de sa nature est antérieur au mouvement d’une priorité de tems, d’ordre & de nature ; il en est la cause.

Le froid est immobile.

La terre & toutes ses propriétés sont du froid.

Le ciel & les astres sont du chaud.

Les deux agens incorporels, le froid & le chaud, ont besoin d’une masse corporelle qui les soutienne ; c’est la matiere.

La quantité de la matiere n’augmente ni ne diminue dans l’univers. La matiere est sans action : elle est noire & invisible de sa nature ; du reste propre à se prêter à l’action des deux principes.

Ces deux principes actifs ont la propriété de se multiplier & de s’étendre.

Ils sont toujours opposés, & tendent sans cesse à se déplacer.

Ils ont l’un & l’autre la faculté de connoître & de sentir non-seulement leurs propres actions, leurs propres passions, mais les actions & les passions de leur antagoniste.

Ils ont d’abord engendré le ciel & la terre : le soleil a fait le reste.

La terre a produit les mers, & les produit tous les jours.

C’est à la chaleur & à la diversité de son action & de l’opposition du principe contraire qu’il faut attribuer tout ce qui différencie les êtres entr’eux.

Il nous est impossible d’avoir des notions fort distinctes de ces effets.

Le ciel est le propre séjour de la chaleur : c’est-là qu’elle s’est principalement retirée, & qu’elle est à l’abri des attaques du froid.

Des lieux placés au-dessous des abysmes de la mer servent d’asyle au froid : c’est-là qu’il réside, & que la chaleur du ciel ne peut pénétrer.

La terre a quatre propriétés principales, le froid, l’opacité, la densité & le repos.

De ces quatre principes deux résident tranquilles dans ses entrailles, deux autres se combattent perpétuellement à sa surface.

Ce combat est l’origine de tout ce qui se produit entre le ciel & la terre, sans en excepter les corps qui la couvrent & qu’elle nourrit.

Ces corps tiennent plus ou moins du principe qui après domine dans leur formation.

Le chaud a prédominé dans la production du ciel & des corps célestes.

Le ciel & les astres ont un mouvement qui leur est propre. Ce mouvement varie ; mais ces phénomenes ne supposent aucune intelligence qui y préside.

Le ciel est lucide de sa nature : les astres le sont aussi, quoiqu’il y ait entr’eux plusieurs différences.

Les plantes ne sont pas sans une sorte d’ame : cette ame est un peu moins subtile que celle des animaux.

Il y a différens degrés de perfection entre les animaux.

L’ame de l’homme est de Dieu. C’est lui qui la place dans leurs corps, à mesure qu’ils naissent : c’est la forme du corps ; elle est incorporelle & immortelle.

Tous les sens, excepté celui de l’ouïe, ne sont qu’un toucher.

La raison est particuliere à l’homme : les animaux ne l’ont pas.

Ceux qui desireront connoître plus au long le système de Telesius, & ce qu’il a de conforme avec les principes de Parménide, peuvent recourir à l’ouvrage du chancelier Bacon ; ils y verront comment des efforts que le froid & le chaud font pour se surmonter mutuellement & s’assembler, la terre pour convertir le soleil, & le soleil pour convertir la terre ; efforts qui durent sans cesse & qui n’obtiennent point leur fin, sans quoi le principe du repos ou celui du mouvement s’anéantissant, tout finiroit : comment, dis-je, le froid & le chaud ayant des vicissitudes continuelles, il en résulte une infinité de phénomenes différens.

Ces phénomenes naissent ou de la force de la chaleur, ou de la disposition de la matiere, ou de la résistence ou du concours des causes opposées.

La chaleur varie en intensité, en quantité, en durée, en moyen, en succession.

La succession varie, selon la proximité, l’éloignement, l’allée, le retour, la répétition, les intervalles.

En s’affoiblissant, la chaleur paroît avoir quelque chose de commun avec le froid, & en produire les effets.

C’est à la chaleur du soleil qu’il faut principalement attribuer les générations.

Cet astre atteint à toutes les parties de la terre, & n’en laisse aucune sans chaleur.

Il raisonne du froid, comme il a raisonné du chaud.

Il y distingue des degrés & des effets proportionnés à ces degrés : ces effets sont les contraires des effets du chaud.

Jettant ensuite les yeux sur la matiere subjuguée alternativement par les deux principes, il y apperçoit la propriété d’augmenter, de diminuer & de changer la chaleur.

Ou la chaleur y préexistoit, ou non ; si elle y préexistoit, elle s’accroît de celle qui survient.

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse : ce qui précede suffit pour montrer combien on peut déduire d’effets d’un si petit nombre de principes, & combien aussi il en reste d’inexplicables.

Mais ce qui jette particulierement du ridicule sur les idées de Telesius, c’est que la terre, ce point de l’espace, devient le theâtre d’une guerre qui décide de l’état de l’univers.

Ce philosophe est moins à louer de l’édifice qu’il a bâti, que du succès avec lequel il a attaqué celui qui subsistoit de son tems.