L’Encyclopédie/1re édition/PAVOT

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PAVOT, papaver, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée le plus souvent de quatre pétales disposés en rond ; le pistil sort du calice qui est de deux feuilles, & devient dans la suite un fruit ou une coque, tantôt ovoide, tantôt oblongue, & garnie d’un chapiteau. Dans quelques especes il y a sous ce chapiteau une sorte de soupirail qui s’ouvre & qui laisse voir la cavité du fruit, elle a dans sa longueur différentes feuilles ou petites lames qui servent comme de placenta, à une grande quantité de semences le plus souvent arrondies & très-menues qui y sont attachées. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

Voilà cette plante si singuliere, par sa propriété merveilleuse & incompréhensible, de calmer nos passions, d’adoucir nos maux, nos douleurs, & d’endormir nos déplaisirs dans une douce ivresse.

Tournefort compte quarante-quatre especes de pavot ; nous en décrirons seulement trois, le blanc, le noir, & le rouge ou le sauvage.

Le pavot blanc, en anglois the white poppy, est nommé par les Botanistes papaver hortense, semine albo, sativum, Dioscoridis, album Plinii C. B. p. 170. Ray, Hist. I. 853. Tournef. I. R. H. 237. Boerh. Ind. alt. 279.

Il porte un grand nombre de feuilles longues, larges, d’un verd blanchâtre, & fort découpées par les bords ; sa tige est ronde & unie ; elle s’éleve à la hauteur de cinq ou six piés ; elle est environnée de feuilles plus courtes & plus larges que celles des autres pavots : elle se divise vers son sommet en trois ou quatre branches, qui portent chacune à leur extrémité une tête ronde, inclinée d’abord, mais qui se redresse à mesure que la fleur s’ouvre.

La fleur est composée de quatre feuilles blanches, larges, renfermées dans une couple de cosses vertes & membraneuses, qui tombent aussi-tôt que la fleur est éclose. Après que cette fleur est tombée, ce qui se fait en peu de tems, les vaisseaux seminaux prennent une grosseur considérable ; ils ont souvent autant de diametre qu’une grosse orange ; ils sont ronds, & portent à leur partie supérieure une couronne dentelée. Ces vaisseaux seminaux sont divisés en plusieurs capsules membraneuses, aux côtés desquelles est attachée une petite semence.

Toute la plante est pleine d’un lait amer, dont l’odeur est fort désagréable & malfaisante. On seme ce pavot dans les champs & dans les jardins. Il fleurit en Juin, & on en recueille les têtes sur la fin de Juillet. C’est de ces têtes qu’on tire l’opium, dont le meilleur nous vient de Turquie, où il y a une grande quantité de ces pavots semés dans les champs de la Natolie.

On fait de ces têtes de pavot, seches, infusées & bouillies dans de l’eau, le sirop de meconium & le diacod. Ses graines sont rafraîchissantes & bienfaisantes dans la strangurie & les fievres aiguës.

Le pavot noir, cultivé des jardins, est le papaver hortense semine nigro, sylvestre Dioscoridis, nigium Plinii. C. B. p. 170. Ray, Hist. I. 853. Tourn. I. R. H. 237. Boerh. Ind. alt. 279.

Ce pavot n’est pas si haut que le blanc, mais il lui ressemble à tous les autres égards. La grande différence est dans la fleur qui est dans celui-ci purpurine avec le fond noir, & dans les têtes qu’il a plus petites que le blanc, & qui contiennent une semence noire.

Les racines de l’un & de l’autre sont empreintes d’un lait amer, branchues, & périssent lorsque la semence est mûre. On cultive le pavot noir dans les jardins, à cause de l’agréable variété de sa fleur qui est grande, tantôt simple, tantôt double, frangée ou non-frangée. On fait entrer ses feuilles dans les onguens pour la brûlure & dans le populeum. Il fleurit en Juin, & se seme de lui-même dans les jardins.

Le pavot rouge des champs, autrement dit pavot sauvage ou coquelicot, est le papaver erraticum, majus, ῥοιὰς Dioscoridis, Theophrasti, Plinii, C. B. p. 170. Tourn. I. R. H. 238. Boerh. Ind. alt. 279.

Sa racine est simple, grosse comme le petit doigt, blanche, garnie de quelques fibres, amere au goût. Les feuilles sont rudes, velues, vertes-brunes, découpées çà & là comme celles de la chicorée, velues & dentelées en leurs bords. Les tiges sont hautes d’une coudée, rameuses, hérissées de poils clairsemés, mais un peu roides.

Ses fleurs naissent aux sommets des tiges larges, d’un rouge foncé, à quatre pétales, avec des taches noires au fond de chaque pétale, & si foiblement attachées qu’elles tombent au moindre vent.

Elles sont suivies de petites têtes grosses comme des noisettes, oblongues & couvertes d’une couronne dentelée ; ces têtes sont divisées en plusieurs cellules qui renferment des semences menues, noirâtres ou d’un rouge obscur. Ses tiges & ses feuilles sont pleines d’un suc jaunâtre amer, d’une odeur forte, mais moindre que celle des deux premieres especes.

Cette plante croît par-tout dans les champs, le long des chemins, & principalement parmi les blés qu’elle releve par la vivacité de la couleur de ses fleurs. Elle fleurit en Juin & Juillet. Sa graine semée dans les jardins donne une infinité de variétés.

Pavot, (Mat. méd.) on se sert en Médecine de trois especes de pavots ; le pavot blanc ou à fleur & semences blanches, le pavot noir ou à semences noires, & le pavot rouge ou coquelicot.

Pavot blanc. La seule partie de cette plante qu’on emploie en Médecine est son fruit, ou cette espece de coque de la figure & à-peu-près de la grosseur d’un œuf, qui contient les semences de cette plante, & qui est connue dans l’art sous nom de tête de pavot.

C’est précisément des têtes de pavot blanc, cultivé dans la Natolie & dans quelques contrées voisines, en Perse, &c. qu’on retire l’opium. Voyez Opium.

Les têtes de pavot de notre pays fournissent par la décoction une substance qui ne differe de ce fameux extrait que par le degré d’activité, & qui n’a besoin pour produire les mêmes effets que d’être employée en une dose beaucoup plus considérable. La variété des climats produit cette différence très-considérable, mais sans détruire entierement la qualité spécifique ou absolue.

L’extrait du pavot que l’on cultive dans les régions tempérées de l’Europe est un narcotique léger, mais sûr : & l’on n’emploie la substance extractive des pavots que pour cette qualité.

C’est communément sous la forme de sirop simple que l’on donne cette matiere. On la donne aussi assez souvent sous celle de décoction.

Sirop de pavot. Prenez des têtes de pavot seches, coupées par morceaux, & dont on a ôté les semences, une livre ; eau commune, suffisante quantité pour pouvoir faire bouillir pendant un quart-d’heure, & avoir environ une livre de liqueur de reste. Après cette courte & légere coction, passez & exprimez fortement à la presse, ajoutez deux livres de sucre, clarifiez au blanc-d’œuf, & cuisez à consistence de sirop.

Cette maniere de préparer le sirop de pavot est fort éloignée de celle qui est décrite dans toutes les pharmacopées, où il est ordonné d’employer une quantité immense d’eau qu’il faut consumer, soit par une très-longue décoction des têtes, soit par une très longue cuite, après qu’on a ajouté le sucre. Dans la pharmacopée de Paris, par exemple, on demande pour une livre de têtes de pavots, seize livres d’eau & quatre livres de sucre : il faut par conséquent dissiper à-peu-près quatorze livres d’eau dans l’une & dans l’autre coction. Dans la méthode que nous venons de proposer, & qui est d’après les vûes de M. Rouelle, il faut à peine quatre livres d’eau, dont une partie se dissipe pendant la décoction des têtes, & une plus grande partie est imbibée dans leur substance, d’où on la retire ensuite par une forte expression chargée presque à saturation, ou du-moins très chargée de matiere extractive. M. Rouelle prétend que la longue décoction des têtes de pavot & la longue cuite de la liqueur qu’elle fournit requise pour réduire cette liqueur en consistence de sirop ; que ces opérations, dis-je, sont non-seulement inutiles, mais même nuisibles, en ce qu’elles dénaturent la composition propre de l’extrait. Il soutient que son sirop, préparé par une décoction d’un quart-d’heure des têtes de pavot, & par la cuite sirupeuse qui demande la moindre évaporation qu’il est possible, est beaucoup plus narcotique que celui qui est préparé, selon la pratique directement contraire qui est la plus suivie. Mais quand même cette prétention ne seroit pas confirmée par l’expérience, il est toujours incontestable qu’une petite quantité d’eau & une très-courte application de ce menstrue étant suffisante pour extraire du pavot sa partie médicamenteuse, il est plus commode, plus conforme aux regles de l’art, essentiellement mieux d’opérer cette extraction avec ces circonstances, que d’appliquer une quantité superflue de menstrue, & de l’appliquer trop long-tems. Pour ce qui regarde la quantité d’eau à dissiper par la cuite du sirop, il est clair que la proportion est d’autant plus parfaite, tout étant d’ailleurs égal, c’est-à-dire la quantité de matiere dissoute dans la liqueur étant la même, que cette quantité de l’eau à dissiper est moindre.

Le sirop de pavot est un des remedes le plus communément employé, toutes les fois que les narcotiques légers sont indiqués. Voyez Narcotique. Sa dose ordinaire est depuis deux gros jusqu’à six.

Le sirop de pavot blanc est aussi connu dans les boutiques sous le nom de sirop de meconium, & sous celui de sirop de diacode.

La décoction d’une grosse tête de pavot ou de deux petites se donne assez communément, au lieu d’une dose commune de sirop.

Les semences du pavot blanc sont émulsives, & contiennent par conséquent de l’huile par expression. Le suc émulsif & l’huile nue de ces semences ne participent en rien de la qualité assoupissante du pavot. Cette distinction de vertu est très-anciennement connue : elle est notée dans Dioscoride ; Matthiole en fait mention. M. Tournefort rapporte qu’on fait à Gènes des petites dragées avec des semences de pavot, dont les dames mangent une grande quantité, sans en éprouver aucune impression assoupissante. Geoffroi rapporte tous ces témoignages, auxquels il ajoute son propre sentiment. Il est fort singulier que toutes ces autorités & l’expérience n’ayent pas détruit le préjugé qui regne encore ; & que dans presque tous les livres de Médecine, même les plus modernes, on trouve les semences de pavot expressément demandées dans les émulsions qu’on prétend rendre plus tempérantes, plus calmantes. Il est plus singulier encore que Geoffroi lui-même conclud de son assertion contre la vertu calmante des semences de pavot, que ses semences sont propres aux émulsion destinées à appaiser le bouillonnement des humeurs, &c. Nous en concluons au contraire que ces semences n’y pourroient être propres que par les qualités très-communes de la matiere émulsive ; & que, comme d’ailleurs ces semences sont, par leur petitesse, d’un emploi moins commode que les grosses semences émulsives, telles que les amandes douces, &c. il ne faut jamais préparer des émulsions avec les premieres, que quand on manque absolument des dernieres. Les têtes de pavot entrent dans les trochisques, béchiques noirs, & dans l’huile de mandragore ; les semences dans le sirop de tortue, & la poudre diatragacanti frigidi ; les feuilles dans le baume tranquille ; le sirop dans les pillules de styrax, le looch blanc, les tablettes béchiques, &c.

Le pavot noir est fort peu employé en Médecine. Il y a pourtant des apothicaires qui prennent indifféremment les têtes de pavot noir, comme celles de pavot blanc, pour la préparation du sirop de diacode, & des médecins qui ont observé que la vertu narcotique de ces deux especes de pavot étoit à-peu-près la même.

L’huile par expression connue dans plusieurs provinces du royaume sous le nom d’huile d’œillet ou d’œillette, & employée par le peuple dans ces pays sans le moindre inconvénient aux mêmes usages auxquels on emploie plus généralement l’huile d’olive ; cette huile, dis-je, est retirée des semences de pavot noir. Cette observation prouve absolument pour l’huile de pavot noir, & concourt à prouver par analogie pour l’huile de pavot blanc que ces substances ne sont point narcotiques.

Les feuilles de pavot noir entrent dans l’onguent populeum & dans le baume tranquille : elle ne sont d’aucun usage, non plus que celles de pavot blanc dans les prescriptions magistrales.

Le pavot rouge ou coquelicot ne fournit à la Médecine que les pétales de ses fleurs.

Ces pétales sont de l’ordre des substances végétales qu’il faut dessecher le plus promptement, c’est-à-dire par le secours de la plus grande chaleur qu’il soit permis d’employer. Voyez Dessiccation. Si on laisse languir leur desséchement, elles se noircissent très-promptement, & prennent un goût & une odeur de moisi.

Les fleurs de coquelicot sont regardées comme très-adoucissantes, très-pectorales, comme légerement diaphorétiques & comme un peu calmantes. On emploie assez communément leur décoction legere, ou leur infusion théiforme à titre de tisane dans la toux opiniâtre & seche, dans les fluxions de poitrine, les pleurésies, & même dans la petite-vérole.

On retire une eau distillée des fleurs de coquelicot, qui doit être rangée dans la classe de celles qui sont parfaitement inutiles. Voyez Eau distillée.

On en prépare une conserve & un sirop dont la vertu est analogue à celle de la décoction, mais qui ne permettant pas par leurs formes d’être données en aussi grande quantité, lui sont absolument inférieurs.

Les fleurs de coquelicot entrent dans la décoction pectorale de la pharmacopée de Paris. (b)

Pavot cornu, glaucium, (Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de quatre pétales disposes en rond. Le pistil sort du calice, qui est de deux feuilles, & devient dans la suite une silique longue & ronde, qui n’a qu’une seule capsule traversée par des valvules adhérentes à une cloison qui occupe le milieu de la silique dans toute sa longueur. Cette silique renferme des semences le plus souvent arrondies : il y a quelques especes de ce genre dont le fruit qui n’a qu’une seule capsule, s’ouvre en quatre parties. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante.

Cette espece qu’on appelle en particulier pavot jaune cornu, est le glaucium flore luteo, I. R. H. 254. Boerhaave, jud. alt. 305. papaver corniculatum luteum, κερατίτης, Dioscoridis & Theophrasti sylvestre, keratitis Plinii, C. B. P. 171. en anglois, the yellow corned poppy. Galien dit que cette plante est détersive ; mais qu’il ne faut l’employer que pour manger les chairs baveuses des ulceres.

Sa racine est grosse comme le doigt, longue, jaunâtre en-dedans, & donnant un suc jaune. Elle pousse des feuilles amples, charnues, grasses, épaisses, velues, découpées profondément, dentelées en leurs bords, & comme crépées, de couleur de verd de mer, se couchant à terre, & attachées par de grosses queues.

Sa tige ne s’éleve que la seconde année ; elle est fort dure, nouée, glabre, divisée en plusieurs rameaux, poussant de ses nœuds de petites feuilles légerement découpées.

Ses fleurs naissent au sommet, larges, grandes comme celles du pavot cultivé, composées chacune de quatre pétales, disposées en rose, de couleur jaune doré.

Lorsque cette fleur est passée, il paroît un fruit en silique, long comme le petit doigt, grêle, rude au toucher, contenant des semences arrondies & noires.

Toute la plante est empreinte d’un suc jaune & teinte en jaune ; elle est en même tems de mauvaise odeur, d’un goût amer, & croit aux lieux maritimes sablonneux.

J’ai en mes raisons pour décrire cette plante, qui pourroit devenir fatale à ceux qui ne la connoîtroient pas, & qui du-moins l’a déja été en Angleterre. On en cite un exemple dans les Trans. phitos. n°. 242, & le récit en est assez singulier pour mériter d’être extrait.

Dans une maison de laboureurs de la province de Cornouailles, on mit par erreur de la racine de cette plante, au lieu de celle du panicaut de mer, dont les pauvres gens du pays sont communément des especes de fouasses, ou de gâteaux. Dès que le maître de la maison eut mangé de celui-ci tout chaud, il fut saisi d’un violent délire, dans lequel tous les objets lui paroissoient jaunes ; en sorte qu’il prenoit les ustensiles de la maison pour être autant d’ustensiles d’or. Son valet & la servante qui mangerent après lui du même gâteau, eprouverent aussi les mêmes symptomes ; saisis d’un délire d’ivresse qui leur ôta la raison, ils se deshabillerent, entrerent tout nuds dans une chambre ou beaucoup de monde se trouvoit, & se mirent à danser dans cet attirail de la simple nature.

Un enfant au berceau à qui l’on avoit donné un petit morceau du gâteau de pavot cornu, en éprouva de legeres convulsions avec assoupissement ; mais il se rétablit au bout de peu de jours. La nature guérit aussi les autres malades par un grand cours de ventre qui succéda promptement, & accompagne de violentes tranchées. Leur folie étoit telle dans le commencement de ce bénéfice naturel, qu’ils s’imaginoient que leur garderobe étoit de l’or le plus pur. Il semble que ce délire singulier provenoit sur-tout de l’idée qu’ils avoient dans le cerveau de cette plante, dont les racines les avoient empoisonnés. J’ai déja dit en la décrivant, que ses fleurs sont grandes, en rose, d’un beau jaune, que tout le suc de ce pavot est jaune, & qu’il teint en jaune. (D. J.)