L’Encyclopédie/1re édition/PERPÉTUEL
PERPÉTUEL, adj. (Métaph.) est proprement ce qui dure toujours, ou qui ne finit jamais. Voyez Éternité.
Perpétuel, se dit quelquefois de ce qui dure tout le long de la vie de quelqu’un. Ainsi les offices qui durent toute la vie, sont appellés perpétuels. Le secrétaire de l’académie des Sciences est perpétuel, &c. Chambers.
Mouvement perpétuel, est un mouvement qui se conserve & se renouvelle continuellement de lui-même, sans le secours d’aucune cause extérieure ; ou c’est une communication non interrompue du même degré de mouvement qui passe d’une partie de matiere à l’autre, soit dans un cercle, soit dans un autre courbe rentrante en elle-même ; de sorte que le même mouvement revienne au premier moteur, sans avoir été altéré. Voyez Mouvement.
Trouver le mouvement perpétuel, ou construire une machine qui ait un tel mouvement, est un problème fameux, qui exerce les Mathématiciens depuis 2000 ans.
Nous avons une infinité de desseins, de figures, de plans, de machines, de roues, &c. qui sont le fruit des efforts qu’on a faits pour résoudre ce problème. Il seroit inutile & déplacé d’en donner ici le détail ; il n’y a aucun de ces projets qui mérite qu’on en fasse mention, puisque tous ont avorté. C’est aussi plutôt une insulte qu’un éloge, de dire de quelqu’un qu’il cherche le mouvement perpétuel : l’inutilité des efforts que l’on a faits jusqu’ici pour le trouver, donnent une idée peu favorable de ceux qui s’y appliquent.
En effet, il paroît que nous ne devons guere espérer de le trouver. Parmi toutes les propriétés de la matiere & du mouvement, nous n’en connoissons aucune qui paroisse pouvoir être le principe d’un tel effet.
On convient que l’action & la réaction doivent être égales, & qu’un corps qui donne du mouvement à un autre, doit perdre autant de mouvement qu’il en communique. Or dans l’état présent des choses, la résistance de l’air, les frottemens, doivent nécessairement retarder sans cesse le mouvement. Voyez Résistance.
Ainsi pour qu’un mouvement quelconque pût subsister toujours, il faudroit, ou qu’il fût continuellement entretenu par une cause extérieure ; & ce ne seroit plus alors ce qu’on demande dans le mouvement perpétuel : ou que toute résistance fût entierement anéantie ; ce qui est physiquement impossible. Voyez Matiere & Frottement.
Par la seconde loi de la nature (Voyez Nature), les changemens qui arrivent dans le mouvement des corps sont toujours proportionnels à la force motrice qui leur est imprimée, & sont dans la même direction que cette force : ainsi une machine ne peut recevoir un plus grand mouvement que celui qui réside dans la force motrice qui lui a été imprimée.
Or sur la terre que nous habitons, tous les mouvemens se font dans un fluide résistant, & par conséquent ils doivent nécessairement être retardés : donc le milieu doit absorber une partie considérable du mouvement. Voyez Milieu.
De plus, il n’y a point de machine où on puisse éviter le frottement, parce qu’il n’y a point dans la nature de surfaces parfaitement unies, tant à cause de la maniere dont les parties des corps sont adhérentes entre elles, qu’à cause de la nature de ces parties, & du peu de proportion qu’il y a entre la matiere propre que les corps renferment, & le volume qu’ils occupent. Voyez Frottement.
Ce frottement doit par conséquent diminuer peu-à-peu la force imprimée ou communiquée à la machine : de sorte que le mouvement perpétuel ne sauroit avoir lieu, à-moins que la force communiquée ne soit beaucoup plus grande que la force génératrice, & qu’elle ne compense la diminution que toutes les autres causes y produisent : mais comme rien ne donne ce qu’il n’a pas, la force génératrice ne peut donner à la machine un degré de mouvement plus grand que celui qu’elle a elle-même.
Ainsi toute la question du mouvement perpétuel en ce cas, se réduit à trouver un poids plus pesant que lui-même, ou une force élastique plus grande qu’elle-même.
Ou enfin, en troisieme & dernier lieu, il faudroit trouver une méthode de regagner par la disposition & la combinaison des puissances méchaniques, une force équivalente à celle qui est perdue. C’est principalement à ce dernier point, que s’attachent tous ceux qui veulent résoudre ce problème. Mais comment, ou par quels moyens, peut-on regagner une telle force ?
Il est certain que la multiplication des forces ou des puissances ne sert de rien pour cela : car ce qu’on gagne en puissance, est perdu en tems ; de sorte que la quantité de mouvement demeure toujours la même.
Jamais la méchanique ne sauroit faire qu’une petite puissance soit réellement égale à une plus grande, par exemple que 25 livres soient équivalentes à 100. S’il nous paroît qu’une puissance moindre soit équivalente à une plus grande, c’est une erreur de nos sens. L’équilibre n’est pas véritablement entre 25 livres & 100 livres, mais entre 100 livres qui se meuvent ou tendent à se mouvoir avec une certaine vîtesse, & 25 livres qui tendent à se mouvoir avec quatre fois plus de vîtesse que les 100 livres.
Quand on considere les poids 25 & 100 comme fixes & immobiles, on peut croire d’abord que les 25 livres seules empêchent un poids beaucoup plus grand de s’élever ; mais on se détrompera bientôt si on considere l’un & l’autre poids en mouvement, car on verra que les 25 livres ne peuvent élever les 100 livres qu’en parcourant dans le même tems un espace quatre fois plus grand. Ainsi les quantités de mouvement virtuelles de ces deux poids seront les mêmes, & par conséquent il n’y aura plus rien de surprenant dans leur équilibre.
Une puissance de 10 livres étant donc mûe, ou tendant à se mouvoir avec dix fois plus de vîtesse qu’une puissance de 100 livres, peut faire équilibre à cette derniere puissance ; & on en peut dire autant de tous les produits égaux à 100. Enfin, le produit de part & d’autre doit toujours être de 100, de quelque maniere qu’on s’y prenne ; si on diminue la masse, il faut augmenter la vitesse en même raison.
Cette loi inviolable de la nature, ne laisse autre chose à faire à l’art que de choisir entre les différentes combinaisons qui peuvent produire le même effet. Voyez Lois de la nature, au mot Nature. Chambers. (O)
M. de Maupertuis, dans une de ses lettres sur différens sujets de Philosophie, fait les réflexions suivantes sur le mouvement perpétuel. Ceux qui cherchent ce mouvement excluent des forces qui doivent le produire non-seulement l’air & l’eau, mais encore quelques autres agens naturels qu’on y pourroit employer. Ainsi ils ne regardent pas comme mouvement perpétuel celui qui seroit produit par les vicissitudes de l’atmosphere, ou par celles du froid & du chaud.
Ils se bornent à deux agens, la force d’inertie, voyez Inertie, & la pesanteur, voyez Pesanteur ; & ils réduisent la question à savoir si on peut prolonger la vîtesse du mouvement, ou par le premier de ces moyens, c’est-à-dire en transmettant le mouvement par des chocs d’un corps à un autre ; ou par le second, en faisant remonter des corps par la descente d’autres corps, qui ensuite remonteront eux-mêmes pendant que les autres descendront. Dans ce second cas il est démontré que la somme des corps multipliés chacun par la hauteur d’où il peut descendre, est égal à la somme de ces mêmes corps, multipliés chacun par la hauteur où il pourra remonter. Il faudroit donc, pour parvenir au mouvement perpétuel par ce moyen, que les corps qui tombent & s’élevent conservassent absolument tout le mouvement que la pesanteur peut leur donner, & n’en perdissent rien par le frottement ou par la résistance de l’air, ce qui est impossible.
Si on veut employer la force d’inertie, on remarquera, 1°. que le mouvement se perd dans le choc des corps durs ; 2°. que si les corps sont élastiques, la force vive à la vérité se conserve. Voyez Conservation des forces vives. Mais outre qu’il n’y a point de corps parfaitement élastiques, il faut encore faire abstraction ici des frottemens & de la résistance de l’air. D’où M. de Maupertuis conclut qu’on ne peut espérer de trouver le mouvement perpétuel par la force d’inertie, non plus que par la pesanteur, & qu’ainsi ce mouvement est impossible. Lettre XXII.