L’Encyclopédie/1re édition/PILE

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PILE, s. f. (Géom. & Phys.) amas de corps placés les uns sur les autres.

Pile, se dit dans l’Artillerie, d’un amas de plusieurs choses mises les unes sur les autres. Ainsi, une pile de boulets, de bombes, &c. sont des boulets ou des bombes arrangées les unes sur les autres.

Les piles de boulets ont ordinairement pour base un triangle équilateral, un quarré, & un rectangle ou quarré long. Il y a des méthodes ou des tables particulieres pour trouver le nombre des boulets que contiennent chacune de ces piles ; on peut voir sur ce sujet les mémoires d’artillerie de S. Remy ; le cours de mathématique de M. Belidor ; la deuxieme édition de notre traité d’artillerie, &c. (Q)

Problème sur les corps sphériques rangés en piles. Trouver le nombre des corps sphériques rangés en piles.

Résolution. Ce problème se distingue en deux différens cas : car ou la pile est quadrangulaire, lorsque sa base ou son premier étage a quatre côtés ; ou triangulaire, lorsqu’elle n’en a que trois. Pour la

pile quadrangulaire

ayant supposé le plus petit nombre de spheres, ou le plus petit côté de la base=a, le plus grand=b ; l’expression ou la formule générale de toutes les spheres contenues dans la pile sera

Démonstration



Si l’on fait attention à la maniere dont cette pile est arrangée, on s’appercevra qu’elle est composée d’un certain nombre d’étages quadrangulaires mis les uns sur les autres ; chaque étage des rangs, chaque rang dans le même étage pris du même sens d’un égal nombre de spheres : que les rangs d’un étage supérieur ont une sphere de moins que ceux de l’étage immédiatement plus bas ; ce qui est visible par l’inspection des figures A, B, C, D, E, qui représentent ces étages. Si on les conçoit mis les uns sur les autres, & que chaque sphere supérieure posant sur quatre autres inférieures, chaque rang d’un étage supérieur se trouve entre les deux rangs de l’étage inférieur. Ainsi le premier étage

le second
le troisieme
le quatrieme
le cinquieme

Le nombre d’étages est toûjours égal au plus petit nombre  ; car si dans cet exemple , on aura  : ainsi les étages finissent dans le cinquieme . Puisque donc chaque étage contient le rectangle (ab), il y aura autant de ces rectangles que d’étages. Par conséquent pour avoir la somme de tous ces rectangles, il faut multiplier (ab) par le plus petit nombre (a) : ainsi dans tous les cas possibles, on aura la somme des premiers termes de tous les étages .

Les coëfficiens des seconds termes , , , &c. font une progression arithmétique des nombres naturels 1, 2, 3, 4, &c. Le plus petit terme de cette progression est = 1, le plus grand , puisque dans le premier étage il n’y en a point : ainsi la somme de cette progression ou des coëfficiens des seconds termes est  : changeant les signes, puisque ces coëfficiens sont négatifs, vient pour la somme des  ; laquelle multipliée par (), donne la somme des seconds termes

Les derniers termes 1, 4, 9, 16, &c. sont les quarrés de la progression des nombres naturels 1, 2, 3, 4, &c. dont le premier terme = 1, le dernier  ; puisque dans le premier étage il n’y en a point : ainsi la somme de ces quarrés (selon ce qu’on enseigne dans l’analyse), est aussi la somme des derniers termes .

On a donc trouvé dans tous les cas possibles la

somme des premiers termes
seconds,
troisiemes, .

Lesquelles sommes ajoûtées & réduites au même dénominateur, donnent pour la formule générale de la somme de toutes les spheres contenues dans la pile quadrangulaire . Ce qu’il falloit démontrer.

Corollaire. Si a=b, la formule devient  : alors la pile se présente sous la figure d’une

pyramide quadrangulaire
dont la base est un quarré de même que tous ses autres

étages, dont le dernier ou le plus haut n’a qu’une sphere : ce qui fait que j’ai renfermé dans un seul cas la résolution de ces deux piles, quoiqu’elles paroissent si différentes ; puisque la premiere est comme une espece de prisme, & que la derniere n’est qu’une pyramide.

Pour trouver le nombre des corps sphériques contenus dans une

pile triangulaire

Ayant supposé le côté de la base=a, la formule de toutes les spheres contenues dans cette pile sera .

Démonstration. Cette pile est composée d’un certain nombre d’étages équilatéraux mis les uns sur les autres ; chaque étage des rangs des spheres font une progression arithmétique des nombres naturels : ainsi chaque étage est la somme de cette progression, dont le plus petit terme=1 ; le plus grand est le nombre des spheres contenues dans le plus grand rang ou côté de cet étage. Le plus grand rang d’un étage supérieur a une sphere de moins que le plus grand rang de l’étage immédiatement plus bas. Tout cela s’apperçoit facilement par l’inspection des figures A, B, C, D, E, qui représentent ces étages, si on les conçoit mis les uns sur les autres.

Cela posé, puisque le plus grand rang du plus bas étage, ou le plus grand terme de la progression arithmétique contenue dans cet étage est=a, le plus petit=1, on a la somme de cette progression, ou la valeur du plus bas étage . Le plus grand rang du second étage étant , du troisieme , du quatrieme , &c. en substituant successivement pour chaque étage à la place de (a) ces quantités dans la valeur du plus bas étage, on aura ces étages ainsi qu’on les voit rangés ici, sçavoir le

premier
second
troisieme
quatrieme
cinquieme

Ce nombre d’étages est toûjours  ; car le plus grand rang du plus bas étage étant , du second , du troisieme , du quatrieme , &c. Si dans cet exemple , on aura . Ainsi la pile finit dans l’étage où il y a , qui est le cinquieme étage où il n’y a qu’une sphere. Puisque donc chaque étage contient le quarré (), il y aura autant de ces quarrés que d’étages. Par conséquent pour avoir la somme de tous ces quarrés, il faut multiplier () par le nombre d’étages (a) : ainsi dans tous les cas possibles on aura la somme des premiers .

Tous les coëfficiens des numérateurs des seconds termes négatifs , &c. faisant une progression des nombres impairs 1, 3, 5, 7, &c. dont le nombre des termes , puisque dans le premier étage il n’y a point de coëfficient négatif ; cette somme est  : ou changeant les signes, à cause que ces coëfficiens sont négatifs, multipliant par (a), & divisant par (2), la somme de tous les seconds termes négatifs est  : à laquelle ajoûtant aussi le terme , vient . On a donc la somme des seconds termes .

Les derniers termes , , , &c. ou 1, 3, 6, &c. font une progression des nombres triangulaires, dont le nombre de termes  : car dans les deux premiers étages il n’y en a point. Ainsi la somme des troisiemes ou derniers termes .

On a donc trouvé que dans tous les cas possibles

la somme des premiers termes
seconds
troisiemes

lesquelles ajoûtées & réduites au même dénominateur, donnent pour la formule de la somme de toutes les spheres contenues dans la pile triangulaire . Ce qu’il falloit démontrer.

Usage. Dans les places de guerre on a besoin de savoir le nombre des boulets de canon rangés en piles ; ce qu’on obtiendra avec une très-grande facilité au moyen des formules que je donne : puisque pour la pile quadrangulaire oblongue il ne faut savoir que les deux côtés contigus quelconques de la base ; Dans les pyramides quarrées & triangulaires, qu’un seul, & substituer leurs valeurs dans les formules respectives. Cet article nous a été adressé par M. Kurdwanswski, de l’académie royale des Sciences de Prusse, & correspondant de celle de Paris, qui nous assûre l’avoir donné il y a très-long-tems à la société des Arts, & qui se plaint de ce que M. l’abbé Deidier, dans un livre imprimé en 1745, a fait usage de ce problème sans en citer l’auteur.

Pile, (Archit. Hydraul) c’est un massif de forte maçonnerie, dont le plan est presque toujours un exagone alongé, qui sépare & porte les arches d’un pont de pierre, ou les travées d’un pont de bois. On construit ce massif avec beaucoup de précaution. D’abord son fondement est relevé en talus, par recoupement, retraites & degrés, jusqu’au niveau de la terre du fond de l’eau.

En second lieu, la premiere assise est toute de pierres de taille, composée de carreaux & de boutisses, ceux-ci ayant deux piés de lit, & les boutisses au moins trois piés de queue ; ces pierres sont coulées, fichées, jointoyées, mélées de chaux & de ciment.

On cramponne celles qu’on appelle pierres de parement, les unes avec les autres, avec des crampons de fer scellés en plomb ; outre cela, on met à chaque pierre de parement un crampon pour la lier avec des libages, dont on entoure la premiere assise. Ces libages, de même hauteur que les pierres de parement, sont posés à bain de mortier, de chaux & de ciment, & on en remplit bien les joints d’éclats de pierre dure. On bâtit de même les autres assises de pierres. On peut consulter là-dessus l’Architecture hydraulique de M. Belidor, tome IV. l. IV. c. ij.

La construction d’une pile, quoiqu’importante, n’est pas cependant la chose la plus essentielle : c’est sa proportion qui est difficile à déterminer. Selon M. Bergier, les anciens donnoient aux piles des ponts la troisieme partie de la grandeur des arches, & même la moitié : Histoire des grands chemins de l’empire romain, liv. IV. c. xxxv. Aujourd’hui on pense que les piles doivent avoir moins, comme un quart, & un cinquieme. Mais sur quoi cette regle est-elle fondée ? On n’en sait rien ; & M. Gauthier, qui a refléchi là-dessus, croit que l’expérience seule peut fixer les dimensions des piles. « Cette expérience consiste à savoir, dit-il, quelle est la force des matériaux qu’on trouve sur les lieux, qui supportent plus ou moins le fardeau dont on les charge, suivant le plus ou le moins qu’ils sont compactes & serrés ».

M. Gautier suppose ici que les piles supportent la moitié de la maçonnerie des arches qui sont à leurs côtés, à les prendre depuis le milieu des clés. Si cela est aussi certain qu’il le paroît, il est évident qu’avec l’expérience ci-devant rapportée, & connoissant la solidité d’une arche & celle des piles, on saura comment on doit régler les dimensions des piles, en égalant ces deux solidités. Mais n’y a-t-il pas quelqu’autre condition à examiner ? C’est à quoi les Ingénieurs des ponts & chaussées doivent prendre garde, ne pouvant nous-même en entreprendre l’examen dans un article où nos réflexions, comme dans tous les autres, doivent sagement être ménagées, afin que les connoissances que nous analysons, paroissent entierement à découvert.

Pile percée. C’est une pile qui, au lieu d’avant-becs d’amont & d’aval, est ouverte par une petite arcade au-dessus de la crêche, pour faciliter le courant rapide des grosses eaux d’une riviere, ou d’un torrent. Il y a de ces piles aux ponts du S. Esprit & d’Avignon, sur le Rhône. Davilers. (D. J.)

Pile, terme de Bucheron ; ce mot se dit du bois coupé ou scié ; aiusi ce sont plusieurs ais rangés les uns sur les autres, ou plusieurs ouches & plusieurs rondins entassés proprement les uns sur les autres dans un chantier ou dans un bucher.

Pile de bois, (Charp.) c’est un tas de bois de charpente ou de menuiserie empilés les uns sur les autres.

Pile de pont, (Charp.) ce sont des assemblages de charpente, qui forment un pont par travées & palées.

Pile, terme d’ancien monnoyage, la matrice ou le coin sur lequel étoient empreintes les armes ou autres allégories.

Cette façon de monnoyer a souvent changé par les inconvéniens, les mauvaises empreintes qu’elle produisoit ; quoi qu’il en soit, voyez le premier procedé, le plus ancien & le plus imparfait.

Cette pile ou coin étoit fortement attaché & enfoncé dans un gros billot de bois, appellé par les anciennes ordonnances cepeau.

L’on posoit sur la pile, le flanc, & le trousseau que l’on appliquoit sur le flanc & en opposition à la pile, frappoit, & le flanc étoit monnoyé. Voyez Trousseau.

Les Hollandois monnoyent avec la pile, mais avec des corrections, qui toutes sont bien imparfaites étant comparées à la marque du balancier.

Ce mot pile exprime encore le côté des armes d’une monnoie, & le revers sur lequel est l’effigie du prince est appellé croix, parce que dans les anciennes monnoies, au lieu d’effigie, on mettoit une croix ; c’est de-là qu’émane le jeu de croix ou pile. Sur l’étymologie de ce mot, Scaliger & quelqu’autres ont rapporté des choses assez peu intéressantes, peut-être même inutiles ; en cas qu’on en soit curieux, voyez prima. Scaligerana, in voc. nummus rutilus, pag. 115. flela au mot pila.

Pile, s. f. (Papeterie.) les piles sont des mortiers qui servent dans les papeteries, pour préparer la pâte, qui doit être employée à faire le papier. Il y a de trois sortes de piles ; les unes que l’on nomme piles à drapeaux, les autres piles à fleuret, & les autres piles de l’ouvrier. (D. J.)

Piles ou Avancons, terme de Pêche, ce sont les petites cordes frappées sur la ligne ou baufe auxquelles les hameçons sont attachés, les avançons sont ordinairement de fil vert, pour mieux tromper le poisson. voyez les fig. Pl. de Pêche. Les pêcheurs qui font la pêche avec ces lignes qui sont des especes de libouret, en mettent six à la mer, trois à bas-bord & trois à stribord ; les deux de l’avant sont garnies d’un plomb de huit livres, les deux du milieu ont un poids de six livres, & les deux de l’arriere & qui sont manœuvrées ordinairement par celui qui tient le gouvernail, seulement au poids de deux livres ; cette différence de poids empêche les lignes de se mêler pendant que le bateau poursuit son sillage qui doit être moderé ; c’est pourquoi on amene à demi les voiles ainsi qu’il convient, eu égard à la force du vent.

Pile, s. f. (Ustensile.) les piles sont de grands vaisseaux de pierre dure, dont les Italiens & les Provençaux se servent pour mettre les huiles qu’ils veulent garder, en attendant le tems favorable de les vendre ; on les met aussi dans des jarres, qui sont de grands vaisseaux de terre cuite. (D. J.)

Pile, (Jeux.) le jeu nommé croix ou pile, est un jeu où lorsqu’on a jetté une piece de monnoie en l’air, celui-là gagne le pari, qui a deviné la partie qui paroît quand la piece de monnoie est tombée. Plusieurs prétendent que pile est un vieux mot qui signifioit navire, & que les anciens Romains jouoient à ce jeu avec une monnoie faite en mémoire de Saturne, où l’on voyoit la tête de Janus d’un côté, & de l’autre le navire sur lequel il étoit arrivé en Italie. C’est ce que témoigne Macrobe ; de-là dérive, ajoute-t-on, le mot de pilote, pour dire un conducteur de navire. D’autres prétendent, que les Gaulois avoient une ancienne monnoie qui representoit d’un côté un navire, & de l’autre une tête humaine nommée chef ; & que c’est de-là que vient le jeu nommé croix ou pile, depuis que les Chrétiens opposerent la croix à la pile, au revers de leurs monnoies. (D. J.)

Pile de malheur, (Jeu de trictrac.) on appelle à ce jeu pile de malheur, lorsqu’une des parties conserve si long-tems son grand-jan sans le rompre, que la partie adverse ne peut passer dans le jan de retour, & qu’il est obligé d’entasser toutes ses dames sur celles de son coin. La pile de malheur complette est fort rare. (D. J.)

Pile, s. f. Terme de Blason ; ce mot se dit d’une pointe renversée ou d’un pal aiguisé qui s’étrécit depuis le chef, & va se terminer en pointe vers le bas de l’écu ; quelques-uns croient que ce mot est emprunté du latin pilum, javeline armée de fer.

Pilée, s. f. (Couverturier.) c’est en terme de Couverturier, la quantité de couvertures que le moulin à foulon peut fouler à la fois. Cette quantité s’estime ordinairement au poids ; ensorte que si un moulin peut fouler quatre-vingt livres, & que chaque couverture pese vingt livres, la pilée est de quatre couvertures, & ainsi à proportion des pilées de tous les autres moulins.

Pilée, s. f. (Lainage.) ce mot veut dire la quantité d’étoffe que l’on met dans l’auge ou vaisseau de bois, destiné pour la faire fouler. Quelques-uns particulierement du côté d’Amiens, disent vaisselée ; le mot de pilée vient de pile, parce qu’il y a bien des endroits où les vaisseaux à fouler s’appellent ainsi.