L’Encyclopédie/1re édition/PITUITE

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PITUITE, s. f. (Médec.) Toute humeur amassée dans quelque partie, qui y circule lentement, & qui est d’une couleur pâle, opaque, ou transparente sans force, devenue liquide par un excès de chaleur, & par les fonctions vitales dont le ralentissement lui a donné naissance, incapable d’acquérir de la concrescibilité à l’approche du feu, s’appelle pituite.

Elle est produite 1°. par les alimens muqueux, glutineux, farineux, qui n’ont point été assez divisés, par le défaut de saponacité dans les humeurs, & la foiblesse des fonctions vitales ; 2°. par la mucosité des humeurs des premieres voies ; 3°. par celles qui sont gélatineuses, mucilagineuses, albumineuses, & par la graisse elle-même dont le caractere a dégénéré par le défaut d’exercice du corps.

La pituite est encore produite par sa disposition naturelle à dégénérer, laquelle doit sa naissance & son accroissement au défaut d’humeurs savonneuses, dans les premieres voies, au ralentissement d’action de l’organe du chyle, à la diminution de la circulation du sang, & à la foiblesse des poumons, au relâchement des solides, à un sommeil trop long, au repos excessif du corps, à la tristesse de l’esprit, aux inquiétudes, à une trop grande application ; elle attaque les vieillards & les enfans dans l’hiver ; elle attaque aussi ceux qui habitent des lieux humides & froids, qui sont malades depuis long-tems, & sujets à de fréquentes hémorrhagies.

La pituite retenue long-tems dans le corps, ou 1°. elle devient d’abord liquide sans acrimonie, lorsqu’on l’appelle limphe ; ou, en second lieu, elle devient liquide avec acrimonie, on la nomme alors pituite salée ou humeur catharreuse ; ou troisiemement enfin, elle acquiert une concrescibilité vitreuse, gypseuse, & devient une matiere écrouelleuse, avec ou sans acrimonie.

Lorsque la pituite conserve sa qualité ordinaire, elle diminue la circulation, elle engendre des tumeurs molles, froides, le froid, la pâleur, la lassitude, le ralentissement du pouls, la laxité, la paralysie, la foiblesse, l’excrétion d’humeurs pituiteuses, la diminution d’urine quelquefois pâle, quelquefois visqueuse, la difficulté de respirer sur-tout après qu’on a mis en action les muscles du corps, des stagnations fréquentes suivies d’obstruction. Ces accidens varient suivant qu’une partie est plus ou moins attaquée ; il en arrive un grand nombre d’autres après leur métamorphose.

Il faut éviter les causes rapportées ci-dessus ; faire usage d’alimens fermentés & assaisonnés ; habiter des lieux secs, exposés au soleil, élevés & sablonneux ; exercer le corps par de fréquentes promenades à pié, à cheval, en voitures rudes, & se faire des frictions. Il convient de recourir à des remedes échauffans, aromatiques, stimulans, excitans, résineux, saponacés, alkalins, fixes & volatils ; après que la pituite a perdu sa qualité naturelle, il faut varier la cure suivant la différence des changemens qui arrivent. (D. J.)

Pituite des yeux, (Médec.) c’est une vieille fluxion qui rend les yeux tendres, chassieux & rouges, & qui a obligé les anciens à tenter toutes sortes de remedes pour se délivrer de cette maladie ; Hippocrate propose dans ses ouvrages divers moyens pour la guérir, & entr’autres les cauteres & les incisions à la tête. Celse traite aussi de la pituite des yeux avec beaucoup d’exactitude. Il la regarde comme la vraie cause de la chassie, & la nomme pituita oculorum, l. VII. c. vij. sect. 15.

Ce passage sert à expliquer un vers d’Horace, qui est à la fin d’une de ses épîtres à Mécenas :

Ad summum sapiens uno minor ex Jove, dives,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum,
Præcipuè sanus, nisi cum pituita molesta est.

La pituite dont il veut parler est celle qui tombe sur les yeux. Ainsi l’on doit traduire le dernier vers : « enfin le sage se porte toujours bien, pourvû qu’il ne soit pas attaqué d’une chassie fâcheuse ».

Horace, après avoir fait l’éloge des philosophes stoïciens du nombre desquels il se met, & après avoir dit qu’ils jouissent de tous les biens que l’on peut souhaiter, sur-tout de la santé qui est un des plus grands, ajoute qu’elle ne leur manque pas non plus ; à moins, dit-il, qu’ils ne soient chassieux, comme je le suis. Cette conclusion est autant pour faire rire Mécenas, que pour tourner en ridicule les Stoïciens qui soutenoient que rien ne devoit troubler leur bonheur. (D. J.)