L’Encyclopédie/1re édition/PRIERE

La bibliothèque libre.
◄  PRIER

PRIERE, s. f. (Théol.) c’est la forme par laquelle on demande à Dieu de nouvelles graces, ou on le remercie de celles qu’on a reçues de lui. Voyez Culte.

Les Théologiens distinguent ordinairement deux sortes de prieres, l’une vocale, & l’autre mentale. La priere vocale est celle qui consiste en mots & en sons que l’on forme avec les levres ; la priere ou l’oraison mentale est celle qu’on forme intérieurement dans son esprit, sans s’exprimer par des paroles. On peut rapporter à cette seconde espece l’oraison jaculatoire, qui est celle qui se fait en élevant son esprit vivement vers Dieu, sans étude, sans ordre, sans méthode.

Les théologiens mystiques distinguent encore la priere en oraison préméditée, & oraison faite sur-le-champ. La premiere est celle qui comprend toutes les formes, soit publiques, soit particulieres, par lesquelles l’esprit est dirigé dans la maniere, l’ordre, l’expression de ses demandes ou de ses actions de graces. La seconde est celle où l’esprit laissé à lui-même, dispose à son gré la matiere, la maniere & les mots propres à la priere.

Les Protestans n’adressent leurs prieres qu’à Dieu & à Jesus-Christ. Les Catholiques ne prient également que Dieu & Jesus-Christ, & Dieu le pere par Jesus-Christ ; & s’ils adressent des prieres à la sainte Vierge & aux Saints, c’est comme à des puissans intercesseurs auprès de Dieu, & non comme à des médiateurs, ni dans l’intention de déroger à la médiation de Jesus-Christ. Voyez Invocation & Saints.

Priere, (Critiq. sacr.) Ce mot se prend, 1°. dans l’Ecriture pour demande, oraison, supplication à Dieu, obsecratio, oratio, postulatio, I. Tim. ij. 1. car tous ces mots sont synonymes. 2°. Ce terme désigne le lieu ordinaire de la priere. On lit dans les Actes, xvj. 13, nous sortîmes hors de la ville, & nous allames proche de la riviere, où étoit le lieu de la priere, ubi videbatur oratio esse. C’étoit une espece de chapelle ou d’oratoire appellé proseughe, où les Juifs, au défaut de synagogue, s’assembloient pour prier.

On a fort bien censuré la longueur des prieres de ce peuple, leurs répétitions, & les gestes dont ils les accompagnoient, mais on n’a pas aussi-bien réussi à exposer judicieusement la vraie nature de cet acte. Il me semble, sans m’ériger en théologien, qu’à suivre l’idée que Jesus-Christ nous en a donnée, & qui est si parfaitement remplie dans le modele qu’il en a tracé à ses disciples, que la priere n’est autre chose qu’une effusion calme & seraine, accompagnée des sentimens & des desirs qu’un cœur sincere doit concevoir en adressant ses vœux au Créateur. Mais les hommes ont si curieusement rafiné sur ce sujet, en réduisant la priere en art, & en multipliant à l’infini leurs méthodes, que le mot de priere est enfin parvenu à signifier de la passion & du transport ; ensorte que des gens pieux se trouvent dans la meilleure disposition du monde, & ne se croient pas cependant assez enflammés de dévotion pour oser prier. Mille bonnes ames ont été jettées par cette erreur dans de grands scrupules, & ont douté d’avoir les dispositions nécessaires pour adresser au créateur leurs oraisons, parce qu’elles ne se sentoient pas un degré suffisant de ce divin enthousiasme, qui n’a pas plus de rapport au devoir de la priere, qu’une fievre en a avec la sincérité des protestations que fait un sujet à un prince de la terre. (D. J.)

Prieres des Juifs, (Critique sacrée.) Les prieres des Juifs forment avec la lecture de l’Ecriture & l’explication de la loi, le service de la synagogue. Ils ont dans leurs liturgies dix-huit prieres principales, qu’ils prétendent avoir été composées & établies par Esdras, & par la grande synagogue. Rabbi Gamaliel, d’autres disent Rabbi Samuel le Petit, un de ses éleves, en fit une dix-neuvieme contre les Chrétiens, un peu avant la ruine de Jérusalem ; mais pour les dix-huit autres prieres, il est certain qu’elles sont d’une grande antiquité ; car la misna en parle comme d’un formulaire fort ancien. On les trouvera recueillies dans l’excellente histoire des Juifs de M. Prideaux, I. part. liv. VI.

Il est vrai que quelques-unes de ces prieres paroissent n’avoir été composées que depuis la destruction de Jérusalem, à laquelle il semble qu’elles font une allusion visible, sur-tout la 10, la 11, la 14 & la 17. Mais il n’est pourtant point impossible que ces traits ne regardent quelque autre calamité, car la nation en a essuyé de très-grandes. Après tout, on ne sauroit douter que la plûpart de ces dix-huit prieres ne fussent en usage du tems de Notre-Seigneur, & qu’il ne les ait offertes à Dieu conjointement avec le reste de l’assemblée, quand il se trouvoit dans la synagogue, comme il ne manquoit pas de s’y rendre au-moins tous les jours du sabat. Il connoissoit mieux que personne la sécheresse & l’imperfection de ces prieres, cependant il n’en critiqua point la forme, & se contenta de donner lui-même à ses disciples un autre modele plus parfait.

Mais les Juifs entêtés de l’excellence de leur formulaire, l’ont toujours conservé, ordonnant à toutes les personnes parvenues à l’âge de discernement, sans distinction de sexe ni de condition, d’offrir un certain nombre de ces dix-neuf prieres à Dieu le matin, vers le midi, & sur le soir. Tous les jours d’assemblée on les lit solemnellement dans leurs synagogues ; elles sont dans leur office comme l’oraison dominicale est dans les liturgies chrétiennes, c’est-à-dire comme la base & le fondement de tout le reste ; car ils ont encore plusieurs autres prieres qui se lisent avant, entre, après celles-ci, ce qui rend leur service fort long. Notre-Seigneur les reprit autrefois de cette longueur déja excessive de son tems. Matthieu, xxiij. 14. Marc, xij. 14. Luc, xx. 27. Cependant loin de se corriger, les additions qu’ils ont faites depuis à leurs liturgies, ont encore augmenté ce défaut. (D. J.)

Priere pour les morts, (Hist. & Critiq. sacr.) Il est naturel de penser que quelques peuples payens prioient pour les morts ; du-moins les Romains avoient des cérémonies usitées pour appaiser les mânes, & des especes de formules à cet égard : telle étoit celle-ci, rapportée par divers auteurs. Ita peto vos manes sanctissimos commendatum habeatis meum conjugem, & velitis illi indulgentissimi esse. Porphyre nous a conservé un morceau de la liturgie des Egyptiens, qui paroît prouver que ces peuples prioient aussi pour les morts.

Les Hébreux emprunterent apparemment cette pratique, mais fort tard, des Egyptiens : car la loi ne commandoit point de prieres pour les morts, & n’ordonnoit des sacrifices que pour les vivans. Comme l’auteur du liv. II. des Macchab. xij. 46. dit que c’est une sainte pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, il résulte que dans ce tems-là la priere pour les morts étoit déja introduite chez les Juifs.

Le célebre théologien Jean Gerhard nous apprend que l’auteur du livre intitulé, Rosch ilaschana, y soutient que les ames de ceux qui meurent & qui ne sont ni parfaitement justes, ni tout-à-fait impies, expient leurs péchés dans l’enfer pendant douze mois, après quoi elles sont délivrées. Il prétend qu’on peut leur procurer du soulagement par les prieres qu’on fait pour elles tous les jours de sabbat ; en conséquence les Juifs avoient un formulaire en ce genre.

L’usage de la priere pour les morts passa insensiblement de l’église judaïque dans l’église chrétienne, par l’incertitude où les Peres étoient sur l’état des morts. Nous avons une dissertation savante qui démontre bien cette incertitude. Cet ouvrage est utile pour justifier deux choses : l’une, combien les hommes peuvent s’égarer quand ils s’abandonnent à leur imagination ; l’autre, combien la tradition la plus ancienne & en apparence la plus autorisée, est insuffisante pour l’explication de l’Ecriture-sainte. Tertullien, par exemple, plaçoit les ames des méchans dans un lieu brûlant, celles des bons dans un lieu de rafraîchissement, & il séparoit ces deux lieux par un grand abîme ; mais il faut excuser ces sortes d’opinions peu judicieuses. (D. J.)

Priere, heures de la, (Hist. ecclés.) Quoiqu’elles soient toutes égales, la police ecclésiastique en doit fixer de reglées dans le culte public, suivant les tems, les lieux & les saisons. Il paroît que les heures de tierce, de sexte & de none, c’est-à-dire de neuf heures, de midi, & de trois heures, ont été bien anciennement destinées à cet usage ; mais l’on voit aussi que cela n’étoit pas général, & qu’il n’y avoit pas de loi pour les observer. Il est bon d’en faire la remarque, parce qu’on a prétendu depuis, que ces heures ont été choisies à l’imitation des Apôtres. On assure que la priere à l’heure de tierce (neuf heures du matin) fut instituée à l’occasion de la descente du saint Esprit sur les Apôtres à cette heure-là. Saint Cyprien estime que la priere est nécessaire à la sixieme heure du jour (sexte ou midi), parce que ce fut alors que Pierre montant sur le toît pour prier, fut averti par un signe de Dieu de recevoir tous les hommes à la grace du salut. Selon S. Basile, la nécessité de prier à la neuvieme heure du jour (à trois heures après midi), vient de ce que Pierre & Jean alloient au temple à cette heure-là. Enfin on trouve dans S. Cyprien une raison bien plus mystique sur ce sujet : « Ces trois prieres, dit-il, & ces trois intervalles de trois heures chacun entre chaque priere, sont une admirable figure de la Trinité ». De orat. domin.

Il est vrai que la coutume de ces heures de prieres n’a rien que d’innocent ; cependant il faut avouer que toutes les raisons qu’en apportent les Peres sont peu solides. D’ailleurs il est certain que l’institution n’en est point apostolique, & qu’on ne peut l’établir par aucun précepte de l’Ecriture ; mais il paroît que les sacrifices ordinaires des Juifs ont donné lieu & cours aux prieres à ces heures-là. J’en excepte l’heure de sexte ou de midi, qui ne paroît point dériver d’eux, & qui s’établit ou sur la coutume de S. Pierre & de S. Jean, qui se rendoient souvent au temple de Jérusalem à cette heure-là, ou sur quelqu’autre raison semblable à celle qu’allegue S. Cyprien ; savoir, par exemple, que c’est à cette heure-là que se fit la crucifixion de notre Sauveur. (D. J.)

Prieres, (Mythol.) Hésiode prétend que les prieres étoient filles de Jupiter ; elles sont boiteuses, dit ingénieusement Homere, ridées, ayant toujours les yeux baissés, l’air rampant & humilié, marchant continuellement après l’injure, pour guérir les maux qu’elle a faits. (D. J.)