L’Encyclopédie/1re édition/QUIPOS

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QUIPOS, s. m. terme de relation ; nœuds de laine qui servoient, & servent encore, selon le rapport de M. Frezier, aux Indiens de l’Amérique pour tenir un compte de leurs affaires & de leurs denrées.

Pour comprendre cet usage, il faut savoir que tous les Indiens lors de la découverte de l’Amérique par les Espagnols, avoient des cordes de coton d’une certaine grosseur, auxquelles cordes ils attachoient dans l’occasion d’autres petits cordons, pour se rappeller par le nombre, par la variété des couleurs de ces cordons, & par des nœuds placés de distance en distance, les différentes choses dont ils vouloient se ressouvenir. Voilà ce qu’ils nommoient des quipos ; ils leur servoient d’écritures & d’annales mémoratives.

L’ingénieuse Zilia a bien sçu tirer parti de cette idée ; voici comme elle s’exprime dans ses lettres à son cher Aza : « Au milieu de mon bouleversement, lui dit-elle, je ne sais par quel hasard j’ai conservé mes quipos. Je les possede, mon cher Aza, c’est aujourd’hui le seul trésor de mon cœur, puisqu’il servira d’interprete à ton amour comme au mien. Les mêmes nœuds qui t’apprendront mon existence, en changeant de forme entre tes mains m’instruiront de ton sort. Hélas ! par quelle voie pourrai-je les faire passer jusqu’à toi ? par quelle adresse pourront-ils m’être rendus ? je l’ignore encore ! Mais le même sentiment qui nous fit inventer leur usage, nous suggérera les moyens de tromper nos tyrans. J’emploie toujours dans cette espérance à nouer mes quipos, autant de tems que ma foiblesse me le permet. Ces nœuds qui frappent mes sens, semblent donner plus d’existence à mes discours. La sorte de ressemblance que j’imagine qu’ils ont avec les paroles, me fait une illusion qui trompe ma douleur.

» Mon cher Aza, lui dit-elle dans une autre lettre, je me suis hâtée de remplir mes quipos, & de les bien nouer, pour rendre mes sentimens éternels. Que l’arbre de la vertu répande à jamais son ombre sur la famille du pieux citoyen qui a reçu sous ma fenêtre le mystérieux tissu de mes pensées, & qui l’a remis dans tes mains ! Que Pachamac, plus puissant que le soleil, prolonge ses années, en récompense de son adresse à faire passer jusqu’à moi les plaisirs divins avec ta réponse !

» Les trésors de l’amour me sont ouverts ; j’y puise une joie délicieuse dont mon ame s’enivre. En dénouant les secrets de ton cœur, le mien se baigne dans une mer parfumée. Tu vis, & les chaines qui devoient nous unir ne sont pas rompues ! Tant de bonheur étoit l’objet de mes desirs, & non celui de mes espérances » ! (D. J.)