L’Encyclopédie/1re édition/SÉPULTURE

La bibliothèque libre.

SÉPULTURE, (Droit naturel.) on entend en général par sépulture dans le droit naturel, les derniers devoirs rendus aux morts, soit qu’on enterre leurs corps, soit qu’on les brûle ; car tout dépend ici de la coutume qui détermine la maniere d’honorer la mémoire du défunt.

Le droit de sépulture est fondé sur la loi de l’humanité, & en quelque façon même sur la justice. Il est de l’humanité de ne pas laisser des cadavres humains pourrir, ou livrés en proie aux bêtes. C’est un spectacle affreux aux vivans ; & il leur en proviendroit un dommage réel par l’infection de l’air. Ainsi les personnes les plus indifférentes sont obligées par cette seule raison de donner elles-mêmes la sépulture aux morts, lorsqu’il n’y a point de gens, de parens ou d’amis à portée de leur rendre ce dernier devoir. Que si l’on empêche les parens ou les amis de s’en acquitter, on leur fait une injure. On augmente la douleur qu’ils ressentent de la perte d’une personne qui leur étoit chere, on leur ôte la consolation de lui rendre ce qu’ils regardent comme un devoir. C’est sur ce pié-là que la chose a été envisagée de tout tems parmi les nations qui n’ont pas été plongées dans la barbarie. C’est aussi en partie là-dessus que sont fondées les lois qui privent de la sépulture ceux qui ont commis de très grands crimes ; car elles se proposent autant de rendre chacun soigneux de détourner de tels crimes ses enfans, ses parens, ses amis, que d’intimider le criminel.

Mais en refusant la sépulture à quelqu’un, ne viole-t-on point en quelque maniere envers lui l’humanité & la justice ? M. Thomasius & quelques autres ne le croient pas, parce que le mort ne sent point l’outrage qu’on fait à son cadavre ; cependant ce n’est pas toujours assez pour être lésé, de sentir l’offense que l’on nous fait ; on fait du tort à un insensé, quoiqu’il ne comprenne par le préjudice qu’on lui cause. Après tout les raisons qui se tirent de l’injure faite aux vivans, suffisent pour en inférer, que la sépulture refusée malicieusement, fournit un juste sujet de vengeance aux parens ou amis du défunt, & que les lois même de la guerre ne s’étendent pas jusqu’à refuser la sépulture aux morts de l’armée ennemie ; c’étoit là du moins l’idée de Platon, & à son autorité on peut ajouter celles que Grotius cite en assez grand nombre, l. II. c. xix. (D. J.)

Sépulture, (Antiq. greque & rom.) le soin de la sépulture est du droit naturel & du droit des gens. Tous les peuples se sont accordés à penser ainsi, & l’antiquité a regardé la sépulture des morts comme un devoir inviolable, dont on ne pouvoit se dispenser sans encourir la vengeance des dieux.

Dans l’Iliade d’Homere, Priam obtient une suspension d’armes pour enterrer les morts de part & d’autre. Jupiter envoie Apollon pour procurer la sépulture à Sarpedon. Iris est dépêchée des dieux pour engager Achille à rendre ce devoir à Patrocle, & Thétis lui promet d’empêcher que ce corps ne se corrompe, au cas qu’on le laisse une année entiere sans sépulture. Homere se fonde ici sur la coutume des Egyptiens qui refusoient la sépulture au défunt, s’il avoit mal vécu. Ce refus faisoit qu’on ne permettoit pas de transporter le corps des impies au-delà du fleuve près duquel étoient les sépultures des justes. De-là venoit l’idée que la privation de la sépulture fermoit à une ame les champs élisiens, & la couvroit d’infamie.

Je me sers ici du mot de sépulture pour les tems même d’Homere, où l’on brûloit les corps, d’autant qu’il restoit toujours des os ou des cendres du cadavre qu’on mettoit en terre enfermés dans des urnes.

L’usage de brûler les corps eut de la peine à s’établir chez les Romains, parce que Numa Pompilius défendit qu’on brûlât le sien ; cette coutume devint cependant générale sur la fin de la république ; mais elle se perdit au commencement du regne des empereurs chrétiens, & s’abolit entierement sous Gratien.

Personne, & même les criminels ne pouvoient être privés de la sépulture parmi les juifs. Josephe, antiq. judaïq. l. IV. c. vj. dit que Moïse avoit commandé qu’on donnât la sépulture à tous ceux qu’on condamneroit à mort pour leurs crimes. Nous voyons que les Romains étoient assez dans le même usage, car Pilate permit qu’on détachât le corps de J. C. & qu’on le mît dans le sépulchre, quoiqu’il l’eût fait mourir comme criminel de lése-majesté. Les empereurs Dioclétien & Maximien marquerent par un de leurs rescripts, qu’ils n’empêcheroient pas qu’on donnât la sépulture à ceux qu’on avoit suppliciés.

Au commencement de la république, tous les Romains avoient leur sépulture dans la ville, mais la loi des douze tables le défendit pour éviter l’infection que les corps enterrés pouvoient causer dans un climat aussi chaud que l’Italie. La république n’accorda le droit de sépulture dans Rome qu’aux vestales, & à un petit nombre de particuliers qui avoient rendu des services considérables à l’état. Les Claudiens eurent le privilege de conserver leur sépulture sous le capitole. Le peuple romain accorda de même par une ordonnance expresse à Valérius Publicola & à ses descendans, l’honneur de la sépulture dans la ville. Plutarque écrit néanmoins que de son tems, ceux de cette race se contentoient, lorsque quelqu’un d’eux mouroit, de mettre une torche ardente sur le tombeau de famille, qu’ils retiroient aussitôt, pour montrer qu’ils avoient ce privilege, mais qu’ils s’en déportoient en faisant enterrer leurs parens dans la contrée de Vélie.

Adrien mit une amende de quatre pieces d’or contre les contrevenans, & étendit cette peine aux magistrats qui l’auroient permis. Il voulut encore, pour me servir des termes du jurisconsulte Ulpien, que le lieu de la sépulture fût confisqué & profané, & qu’on exhumât le corps ou les cendres de celui qu’on y auroit enseveli. Cette ordonnance fut renouvellée par Dioclétien & Maximien, l’an 290 de l’ere chrétienne.

Des lois si formelles obligerent les Romains d’établir leur tombeaux hors de l’enceinte de Rome, & les élever sur les grands chemins les plus fréquentés, comme sur la voie appienne, la voie flaminienne, la voie latine, où l’on voyoit les sépuchres des Collatins, des Scipions, des Serviliens ; des Marcellus, &c. objets propres à porter les passans à l’imitation. des grands hommes qui étoient couchés dans ces tombeaux, & dont les noms étoient gravés sur chacun. (D. J.)

Sépulture des Chinois, (Hist. de la Chine.) les sépultures de ce peuple sont hors des villes, & autant qu’on le peut sur des hauteurs ; souvent on y plante des pins & des cyprès. Jusqu’à environ deux lieues de chaque ville, on trouve des villages, des hameaux, des maisons dispersées çà & là, & diversifiées de bosquets & de petites collines couvertes d’arbres, & fermées de murailles. Ce sont autant de sépultures différentes, lesquelles forment un point de vue qui n’est point désagréable.

La plûpart des sépulchres chinois sont bien blanchis, & faits en forme de fer à cheval. On écrit le nom de la famille sur la principale pierre. Les pauvres se contentent de couvrir le cercueil de chaume, ou de terre élevée de cinq à six piés, en forme de pyramide ; plusieurs enferment le cercueil dans une petite loge de brique, représentant un tombeau.

Pour ce qui est des grands & des mandarins, leurs sépultures sont d’une assez belle structure. Ils construisent une voute dans laquelle ils renferment le cercueil : ils forment au-dessus une élevation de terre battue, haute d’environ douze piés & de huit ou de dix pouces de diametre, qui a à-peu-près la figure d’un chapeau ; ils couvrent cette terre de chaux & de sable, dont ils font un mastic, afin que l’eau ne puisse pas y pénétrer ; ils plantent tout autour avec symmétrie des arbres de différentes especes. Vis-à-vis est une longue & grande table de marbre blanc & poli, sur laquelle est une cassolette, deux vases & deux candelabres aussi de marbre. De part & d’autre, on range en plusieurs files des figures d’officiers, d’eunuques, de soldats, de lions, de chevaux sellés, de chameaux, de tortues, & d’autres animaux en différentes attitudes, qui marquent du respect & de la douleur, autant que leurs artistes sont capables d’exprimer les passions ; vous trouverez les détails de leurs funérailles au mot Funérailles des chinois. (D. J.)

Sépulture, (Critiq. sacrée.) les Juifs avoient grand soin d’ensevelir les morts, & tenoient à deshonneur d’être privés de la sépulture ; aussi étoit-ce chez eux un office de charité que ce dernier soin, comme on le voit par Tobie, qui s’en faisoit un devoir, malgré les défenses de Sennachérib, & quoiqu’il courût risque de la vie en osant enterrer les corps des israélites qu’on exposoit aux bêtes.

Jérémie, ch. viij. 1. menace les grands, les prêtres, & les faux prophetes qui ont adoré les idoles, de faire jetter leurs os hors de leurs sépultures, comme le fumier qu’on jette sur la terre. Le même prophete, ch. xxij. 19. prédit que Johakim, roi de Juda, qui se plongeoit dans toutes sortes de crimes, seroit jetté à la voirie.

Les Juifs cependant n’avoient point de lieu déterminé pour la sépulture des morts ; plusieurs de leurs tombeaux étoient faits dans le roc ; d’autres étoient dans les villes, à la campagne, sur les chemins, dans les jardins. Les tombeaux des rois de Juda étoient creusés sous la montagne du temple, comme l’insinue Ezéchiel, quand il dit, ch. xliij. 7. qu’à l’avenir la montagne sainte ne sera plus souillée par les cadavres des rois. Le tombeau que Joseph d’Arimathie avoit préparé pour lui-même, & qu’il destina pour le corps du Sauveur, étoit dans son jardin. Saül fut enterré sous un arbre, & Moïse, Aaron, Eléazar, Josué, le furent dans des montagnes.

Maimonides, il est vrai, fait mention du cercueil où les Juifs mettoient les morts, avant que de les déposer en terre ; mais il parle plutôt de la maniere dont les juifs dispersés ensevelissoient leurs morts, que de celle qui étoit en usage parmi eux, lorsqu’ils habitoient leur propre pays. On croit donc que du tems de J. C. après avoir préparé les corps, avant que de les mettre dans le sepulchre, ils les posoient liés de bandes & enveloppés d’un linceul, sur de petits lits, & les plaçoient ainsi dans les grottes qui étoient leurs sépulchres. Les raisons qu’on a d’en juger ainsi, sont 1°. que dans l’histoire de la sépulture & de la résurrection de J. C. il n’est fait aucune mention de cercueil. Il n’y est parlé que du linceul & des bandes de toile, dont le corps du Sauveur fut enveloppé. 2°. La même chose paroît dans l’histoire de la résurrection de Lazare. S’il avoit été enfermé dans un cercueil, J. C. ne pouvoit lui dire, Lazare, sors dehors. Il auroit fallu ouvrir le cercueil auparavant, comme il fallut ôter la pierre qui fermoit l’entrée du sépulchre, afin que Lazare en pût sortir ; ou il faudroit supposer un miracle que J. C. n’a point voulu faire, parce qu’il n’en fait point de superflu ; c’est pour cela qu’il fait ôter la pierre, avant de commander à Lazare de sortir. 3°. Dans l’histoire de la résurrection du-fils de la veuve de Naïn, Jésus s’approche du mort, & lui dit : jeune homme, levez-vous : comment auroit-il pu se lever, s’il eût été enfermé dans un cercueil ?

Quoi qu’il en soit, aussitôt que quelqu’un chez les Juifs étoit mort, ses parens & ses amis, pour marquer leur douleur de sa perte, déchiroient leurs habits, se frappoient la poitrine, & mettoient de la cendre sur leurs têtes. La pompe funebre étoit accompagnée de joueurs de flutes, d’hommes & de femmes gagées pour pleurer. Voyez Pleureurs & Pleureuses.

Sépulture, s. f. (Archit.) c’est le lieu où sont les tombeaux d’une famille, comme étoit la chapelle des Valois à S. Denis en France.

Les mahometans sont curieux de sépultures qu’ils bâtissent en forme de petites chapelles d’une architecture fort délicate. Ils appellent tarbes, celles des fondateurs des mosquées qui en sont proches. Daviler. (D. J.)