L’Encyclopédie/1re édition/SÉRAPÉON
SERAPÉON, s. m. (antiq. d’Egypte.) temple fameux d’Alexandrie, ainsi nommé parce qu’on y avoit déposé la statue du dieu Sérapis.
Rufin qui étoit à Alexandrie lorsqu’il subsistoit encore, nous en a fait la description. C’est un lieu élevé, dit-il, non par la nature, mais de main d’homme. Il est, pour ainsi dire, suspendu en l’air. Ce vaste bâtiment est quarré, & soutenu sur des voûtes depuis le rez-de-chaussée jusqu’à ce qu’on soit arrivé au plainpié du temple, auquel on monte par plus de cent degrés. Ces voûtes sont partagées en plusieurs appartemens séparés les uns des autres, qui servent à différens ministeres secrets. Sur ces voûtes en-dehors sont de grandes salles pour conférer, des refectoires, & la maison où demeurent ceux qui ont la garde du temple. En-dedans régnoient des portiques qui composoient une espece de cloître au-tour de ce bâtiment quarré. C’étoit au milieu de ce cloître que s’élevoit le temple de Sérapis orné de colonnes, & dont les murs étoient de marbre.
Ptolomée, fils de Lagus, l’avoit fait bâtir, selon Tacite, dans un lieu où il y avoit eu long-tems auparavant une chapelle consacrée à Sérapis & à Isis, sur une petite éminence dans le quartier nommé Rhacotis, dont il faisoit le plus bel ornement.
Théophile, patriarche d’Alexandrie, ayant pris la résolution de ruiner absolument le paganisme dans la capitale de l’Egypte, fit tout ce qu’il put pour obtenir des ordres afin de mettre en exécutoon son dessein. Il obtint en effet de l’empereur Théodose en 390, un édit qui lui permettoit de démolir tous les temples.
L’expédition de Théophile se fit avec tout le zele destructeur dont il étoit capable, & il n’étoit pas petit. Les choses ne se passerent pas sans tumulte ; les payens, au rapport des auteurs ecclésiastiques, outrés de ce qu’on vouloit abolir leur ancienne religion, se retirerent dans le Sérapéon, comme dans une citadelle ; de-là ils se défendirent, & soutinrent les attaques des chrétiens. Quelques philosophes s’étoient mélés dans cette émeute en faveur de leurs compatriotes ; mais Théophile appuyé du préfet d’Alexandrie & du commandant des troupes, ayant eu l’avantage, un grand nombre de savans du paganisme cruellement persécutés, furent obligés de prendre la fuite, & de se disperser dans plusieurs villes de l’empire. On nomme entre autres le philosophe Olympus & les grammairiens Ammonius & Helladius. Ce magnifique temple de Sérapis fut détruit de fond en comble, & quelque tems après on bâtit à sa place une église à laquelle on donna le nom de l’empereur Arcadius.
Ce temple avoit une bibliotheque qui devint très célebre, & qui n’étoit cependant qu’un supplément de la bibliotheque d’Alexandrie, aussi l’appelloit-on sa fille ; mais avec le tems cette fille devint belle & grande ; elle échappa aux flammes qui consumerent celle d’Alexandrie. On croit que ce fut dans le Sérapéon que Cléopatre mit les deux cens mille volumes de celle de Pergame, dont Marc-Antoine lui fit présent. Cette addition & d’autres que les conjonctures amenerent, rendirent la bibliotheque du Sérapéon plus nombreuse que celle dont elle tiroit sa naissance. Pillée plus d’une fois pendant les révolutions de l’empire romain, elle se rétablit toujours de ses pertes. En un mot, elle a subsisté ouvrant ses trésors aux curieux jusqu’au vij. siecle, qu’elle eut enfin le même sort que sa mere, & qu’elle fut brûlée par les Sarrasins quand ils prirent Alexandrie l’an de J. C. 642. (D. J.)