L’Encyclopédie/1re édition/SAXONNE langue

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SAXONNE langue, (Hist. des lang. de l’Eur.) la langue saxonne est très-peu connue, & les monumens qui en restent, sont en petit nombre. Lorsque les Saxons eurent soumis les Bretons, & les eurent rendus comme étrangers dans leur propre pays ; les conquérans mépriserent bientôt eux-mêmes la langue qu’ils y avoient apportée. Dès l’année 652, dit un de leurs historiens, bien des gens de notre île furent envoyés dans les monasteres de France, pour y être élevés, & pour apprendre la langue de ce pays là ; sous le regne d’Edouard le confesseur, il passa un grand nombre de Normands à sa cour, qui y introduisirent leur langue & leurs manieres ; enfin après la conquête de Guillaume I. toutes les lois furent rendues en françois, & tous les enfans apprirent le normand ; le caractere saxon dont on s’étoit servi dans tous les écrits, fut négligé, & dans le regne suivant, il devint si fort hors d’usage, qu’il n’y avoit plus que de vieilles gens qui fussent en état de le lire.

Il est vrai qu’Henri I. donna en caracteres saxons, à Guillaume, archevêque de Cantorbery, une charte, par laquelle il le confirmoit dans la jouissance de son siege ; mais on ne connoit guere que ce seul exemple de l’emploi de la langue saxonne, & peut-être est-il dû au dessein que le roi eut d’obliger la reine qui étoit d’origine saxonne, & de se concilier l’affection de ses sujets anglois, qui pouvoient se flatter que son mariage leur procureroit quelques droits de plus auprès de lui.

Le P. Mabillon & d’autres auteurs se sont donc trompés en assurant que l’écriture saxonne s’étoit totalement perdue dès le tems de la conquête ; il en fut des caracteres saxons comme des croix dans les actes publics, qui pour la plus grande partie furent supprimées, & auxquelles on substitua les sceaux, & les souscriptions à la normande ; cependant on ne laissa pas de conserver çà & là l’ancienne maniere des croix ; il n’y a pas de doute que la dialecte saxonne ne continuât à être en usage dans les villages & à la campagne, avec un mélange du françois & du langage de la cour.

Quand les barons commencerent à perdre de leur autorité, la langue du pays commença à être plus en vogue, jusqu’à ce que les communes obtinrent du roi Edouard III. que toutes les procédures juridiques se feroient en langue angloise. Cette loi ne rétablit pas néanmoins la langue saxonne dans son premier état, elle fit seulement honneur au langage qu’on parloit alors, & qui étoit une langue mêlée de quantité de mots étrangers.

Il ne restoit des traces du véritable saxon que dans les monasteres, & encore n’étoit-ce que dans ceux qui avoient été fondés avant la conquête normande, parce que leur intérêt les obligeoit d’entendre la langue dans laquelle leurs chartes originales étoient écrites ; c’étoit par cette raison que dans l’abbaye de Croyland il y avoit un maître pour enseigner le saxon à quelques-uns des plus jeunes freres, pour que dans un âge plus avancé, ils fussent mieux en état de faire valoir les anciens actes de leurs monasteres contre leurs adversaires ; c’étoit sans doute pour la même raison que dans l’abbaye de Tavistoke, qui avoit été fondée par les Saxons vers l’an 691, on faisoit des leçons publiques en langue saxonne, leçons qui ont été continuées jusqu’au tems de nos peres, dit Cambden, pour que la connoissance de cette langue ne se perdît point, comme elle a fait depuis.

Enfin Guillaume Summer, célebre antiquaire anglois du dernier siecle, a tâché de rétablir la langue saxonne, par son glossaire de cette langue, & par d’autres ouvrages qu’il a publiés à la tête des anciens historiens d’Angleterre, imprimés à Londres en 1652. in-fol. Son dictionnaire saxon a paru à Oxford en 1659. au moyen de ce dictionnaire, on peut entendre les évangiles en langue saxonne, mis au jour par le docteur Thomas Mareshall ; ce dictionnaire de Somner n’est pas néanmoins encore assez complet, pour qu’il ne fût susceptible d’additions & d’une plus grande perfection, si l’on vouloit recueillir les anciens manuscrits qui subsistent encore dans cette langue. (D. J.)