L’Encyclopédie/1re édition/SCÉNIQUES jeux

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Scéniques jeux, (Théat. des Grecs & des Rom.) ludi scenici ; les jeux scéniques comprennent toutes les représentations, & tous les jeux qui se sont faits sur la scene ; mais il ne doit être ici question que de généralité sur les jeux scéniques des Grecs & des Romains.

Les plaisirs des premiers hommes furent purement champêtres : ils s’assemblerent d’abord dans les carrefours, ou dans les places publiques pour célébrer leurs jeux ; mais étant souvent incommodés par l’ardeur du soleil, ou par la pluie, ils firent des enceintes de feuillages, que les Grecs appellerent σκηνὴ, & les Latins scena. Ainsi Virgile a dit dans son Enéide :

Tum sylvis scena coruscis
Desuper horrentique atrum nemus imminet umbrâ.


Servius ajoute sur ce vers, scena apud antiquos, parietem non habuit. Telle fut la scene de ce fameux théatre que Romulus fit préparer pour attirer les Sabins dans le piege qu’il leur tendoit. Ovide nous en a fait une peinture bien différente de celle des théatres qui suivirent.

Primus sollicitos fecisti, Romule, ludos
Cum juvit viduos rapta Sabina viros.
Tunc neque marmoreo pendebant vela theatro,
Nec fuerant liquido pulpita rubra croco.
Illic quas tulerant nemorosa palatia frondes
Simpliciter positæ scena sine arte fuit.

Il est impossible de découvrir quand on commença de transporter les spectacles de dessus le terrain sur un théatre ; & de qui pourrions-nous l’apprendre, puisque pendant long-tems, les hommes savoient à-peine former des caracteres pour exprimer leurs pensées ? Les premieres représentations qu’on vit sur le théatre d’Athenes, consistoient en quelques chœurs d’hommes, de femmes & d’enfans, divisés en différentes bandes, lesquels barbouillés de lie, chantoient des vers composés sur le champ & sans art. C’étoit particulierement après les vendanges, que les gens de la campagne s’unissoient pour faire des sacrifices, & marquer aux dieux leur reconnoissance. Pausanias nous assure que l’on immoloit une chevre, comme étant ennemie de la vigne ; que l’on chantoit des hymnes en l’honneur de Bacchus, & que l’on donnoit une simple couronne au vainqueur.

Les Romains imiterent les Grecs ; ils chantoient dans leurs fêtes de vendanges, ces vers naïfs & sans art, connus sous le nom de vers fessennins, de Fescennia ville d’Etrurie. Mais l’an 390 ou 391, sous le consulat de C. Sulpicius Paeticus & de C. Licinius Stolon, Rome étant ravagée par la peste, on eut recours aux dieux. Il n’y a rien que les hommes, dans le Paganisme, n’aient jugé digne d’irriter ou d’appaiser la divinité. On imagina de faire venir d’Etrurie des farceurs, dont les jeux furent regardés comme un moyen propre à détourner la colere des dieux. Ces joueurs, dit Tite-Live, sans réciter aucun vers, & sans aucune imitation faite par des discours, dansoient au son de la flûte, & faisoient des gestes & des mouvemens qui n’avoient rien d’indécent. La jeunesse romaine imita ces danses, & y joignit quelques plaisanteries en vers ; ces vers n’avoient ni mesure, ni cadences reglées. Cependant cette nouveauté parut agréable ; à force de s’y exercer, l’usage s’en introduisit. Ceux d’entre les esclaves qu’on employoit à ce métier, furent appellés histrions, parce qu’un joueur de flûte s’appelloit hister, en langue étrusque.

Dans la suite, à ces vers sans mesure, on substitua les satyres ; & ce poëme devint exact, par rapport à la mesure des vers, mais il y regnoit toujours une plaisanterie licentieuse. Le chant étoit accompagné de la flûte, & le chanteur joignoit à sa voix des gestes & des mouvemens convenables. Il n’y avoit dans ces jeux aucune idée de poëme dramatique ; les Romains en ignoroient alors jusqu’au nom. Ils n’avoient encore rien emprunté des Grecs à cet égard ; ils ne commencerent à les imiter que lorsqu’ils entreprirent de former un art de ce que la nature ou le hasard leur avoit présenté. Livius Andronicus, grec de naissance, esclave de Marcus Livius Salinator, & depuis affranchi par son maître dont il avoit élevé les enfans, porta à Rome la connoissance du poëme dramatique. Il osa le premier donner des pieces dans lesquelles il introduisit la fable, ou la composition des choses qui doivent former le poëme dramatique, c’est-à-dire une action. Ce fut l’an 514 de la fondation de Rome, 160 ans après la mort de Sophocle & d’Euripide, & 52 ans après celle de Ménandre.

L’exemple de Livius Andronicus fit naître plusieurs poëtes, qui s’attacherent à perfectionner ce nouveau genre. On imita les Grecs, on traduisit leurs pieces, & l’on en fit sur de bons modeles, & d’après les regles de l’art. Leurs jeux scéniques comprenoient la tragédie & la comédie. Ils avoient deux especes de tragédies ; l’une dont les mœurs, les personnages & les habits étoient grecs, se nommoit palliata ; l’autre dont les personnages étoient romains, s’appelloit prætextata, du nom de l’habit que portoient à Rome les personnes de condition. Voyez Tragédie.

La comédie romaine se divisoit en quatre especes ; la togata proprement dite, la tabernaria, les attellanes & les mimes. La togata étoit du genre sérieux ; les pieces du second caractere l’étoient beaucoup moins ; dans les attellanes le dialogue n’étoit point écrit ; les mimes n’étoient que des farces où les acteurs jouoient sans chaussure. Si la tragédie ne fit pas de grands progrès à Rome, la bonne comédie ne fut guere plus heureuse ; nous ne connoissons que les titres de quelques-unes de leurs pieces tragiques, qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous ; & nous n’avons de leurs comédies que celles de Plaute & de Térence, qui furent ensuite négligées par le goût de la multitude pour les attellanes, & les farces des mimes. Enfin ce qui s’opposa le plus chez les Romains aux progrès du vrai genre dramatique, fut l’art des pantomimes, qui sans rien prononcer se faisoient entendre par le seul moyen du geste & des mouvemens du corps. Mém. des inscrip. tom. XVII. in-4°. (D. J.)