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L’Encyclopédie/1re édition/SCORPION

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SCORPION, s. m. (Hist. nat. des Insect.) insecte terrestre des pays chauds, cruel, venimeux, & qui pique par un aiguillon dont il est armé au bout de la queue.

Qu’on ne nous propose plus l’exemple des bêtes pour modele de notre conduite, ainsi que l’ont fait imprudemment, je ne dis pas les poëtes, mais quelques-uns de nos moralistes. L’école des animaux ne seroit propre qu’à nous pervertir encore davantage. Les scorpions seuls instruiroient l’homme à distiller le venin dans les blessures ; ils lui enseigneroient l’antropophagie la plus dénaturée, car ces cruels insectes mis ensemble en quelque nombre que ce soit se massacrent, & s’entre-mangent jusqu’au dernier vivant, sans égard ni pour l’âge ni pour le sexe. Enfin ils nous montrent l’exemple d’une férocité même plus atroce, qui les porte à dévorer leurs petits, à mesure qu’ils viennent au monde.

A ces traits qui caractérisent les mœurs & le génie du scorpion, on ajoute d’autres faits qui ne sont pas aussi certains, mais qu’il est important de vérifier ; je veux dire ceux qu’on raconte de la force du venin de cet animal, de son effet sur l’homme, du remede en usage tiré de l’application du scorpion écrasé sur la piquure, ou de l’huile qui porte son nom. Nous discuterons toutes ces choses d’après les observations de M. de Maupertuis, imprimées dans les mémoires de l’académie des Sciences année 1731. Commençons par la description de l’insecte.

Description du scorpion. Le scorpion ordinaire de la campagne en Languedoc, est au moins de la grosseur d’une grosse chenille, & ressemble à une petite écrevisse : il y en a de diverses couleurs, de blancs, de noirs, de roux, de jaunâtres & de noirâtres. Son corps tout cuirassé est de figure ovale. Sa cuirasse du dos est pointillée de petits tubercules ; la longueur de cet insecte est environ de deux pouces, plus ou moins. On peut le diviser avec Swammerdam en trois parties, la tête, la poitrine & la queue.

La tête paroît jointe & continue avec la poitrine, sur le dessus de laquelle il a deux petits yeux au milieu, & deux vers l’extrémité de la tête. De chaque côté sortent comme deux bras semblables aux pinces d’une écrevisse, qui se divisent chacune en deux articulations, dont la derniere est armée d’un ongle au bout.

Il a huit jambes qui naissent de sa poitrine ; chaque jambe se divise en diverses articulations couvertes de poils, & les extrémités sont armées de petits ongles.

Le ventre se partage en six ou sept anneaux, du dernier desquels sort la queue ; elle est longue, nouée, faite en maniere de patenôtres, c’est-à-dire qu’elle est composée de six ou sept petits boutons, oblongs, attachés bout-à-bout, & armée en son extrémité d’un aiguillon.

Les scorpions paroissent n’avoir pas d’autres dents que les petites serres avec lesquelles ils mâchent leurs alimens ; leur bouche est garnie de petits poils, & quoique leur peau soit d’une véritable écaille, ils ne laissent pas d’être velus en plusieurs endroits, aux serres, aux jambes, & au dernier nœud de la queue.

Description particuliere de son aiguillon. Ce dernier nœud, comme nous venons de le dire, est armé d’un aiguillon qui est creux, long, crochu, fort pointu, avec lequel l’animal pique ; & comme il produit quelquefois par sa piquure des effets mortels, il faut nécessairement que cet insecte verse quelque liqueur dans la plaie que fait son aiguillon ; c’est pourquoi l’on a conjecturé que cet aiguillon devroit être percé d’un petit trou à son extrémité, pour donner issue à la liqueur empoisonnée, dont le réservoir est dans le dernier bouton de la queue. Cependant Rédi, après avoir cherché ce trou avec les meilleurs microscopes, avoue qu’il ne l’a jamais pû découvrir, il vit seulement un jour à l’extrémité de l’aiguillon de la queue d’un scorpion irrité, une petite goutte de liqueur, qui lui donna lieu d’assurer qu’il y avoit quelque ouverture.

Mais Leuwenhoek, plus heureux que Rédi, au lieu d’un trou unique que les autres auteurs supposoient, en a vu deux, dont M. de Maupertuis a confirmé l’existence, & en a donné la figure & la description qui ne different qu’en peu de choses de celle de Leuwenhoek ; cette différence même peut venir de la différente espece de scorpions que les deux observateurs ont examiné, savoir l’un en Hollande, & l’autre à Montpellier. Voici la description de l’académicien de Paris, qui avant sa mort étoit directeur de l’académie de Berlin.

Le dernier nœud de la queue du scorpion est une petite fiole d’une espece de corne, qui se termine par un col noir fort dur, fort pointu, & ce col est l’aiguillon ; il présente au microscope deux petits trous beaucoup plus longs que larges, qui au-lieu d’être placés à l’extrémité de l’aiguillon, le sont des deux côtés à quelque distance de la pointe. Dans plusieurs aiguillons, quelquefois la situation de ces trous varie un peu, quoiqu’ordinairement ils commencent à la même distance de la pointe.

Il n’est pas nécessaire que le microscope grossisse beaucoup les objets, pour appercevoir ces trous ; on les découvre fort bien avec une loupe de deux ou trois lignes de foyer : & lorsque Rédi n’a pu les voir, c’est apparemment qu’il s’est attaché à chercher à l’extrémité de l’aiguillon, un trou qui n’y est point, & que présentant toujours à son microscope l’aiguillon par la pointe, il ne pouvoit pas appercevoir ces trous placés comme ils sont ; on peut même s’assurer de leur situation sans microscope ; si l’on presse fortement la fiole qu’on vient de décrire, on voit la liqueur qu’elle contient, s’échapper à droite & à gauche par ces deux trous.

Le scorpion est fort commun dans les pays chauds, comme en Afrique, en Asie, en Italie, en Espagne, en Languedoc, en Provence ; il habite les trous de murailles & de la terre ; il se nourrit de vers, de cloportes, d’araignées, d’herbes, &c. Il chemine de biais, & il s’attache si bien avec ses piés & ses serres à ce qu’il veut empoigner, qu’on ne l’en arrache que difficilement.

Ses especes. Il y en a de plusieurs especes, dont nos naturalistes n’ont point encore fait d’exacte division ; mais on n’a guere que deux sortes de scorpions en Languedoc, dont l’une se trouve assez communément dans les maisons, & l’autre habite la campagne. Les premiers sont beaucoup plus petits que les derniers ; ils ressemblent pour la couleur au café brûlé, & passent pour être moins dangereux que les rustiques, lesquels sont en si grande quantité vers un village appellé Souvignargues, à cinq lieues de Montpellier, que les paysans en font une sorte de petit commerce ; ils les cherchent sous les pierres, & les vendent aux apothicaires des villes voisines, qui les emploient dans leur remede en usage contre la piquure du scorpion. Matthiole raconte qu’en Italie il n’y a ni maisons, ni caves, ni celliers, qui n’en soient infectés ; l’exagération est un peu forte ; ils passent pour être fort venimeux en Toscane & dans la Scythie.

Nos voyageurs disent qu’on trouve en Amérique des scorpions dix fois plus grands que les nôtres, & qui cependant ne sont pas venimeux ; ils assurent qu’on en voit d’aîlés, & que ces derniers tuent les lézards & les serpens ; mais de semblables récits n’ont point trouvé créance.

Effets attribués à sa piquure. Il n’en est pas de même des descriptions effrayantes que quelques médecins anciens & modernes nous ont faites, des symptomes produits par la piqure des scorpions.

Elle cause, disent ils, une douleur violente dans la partie, avec tension, engourdissement, & sueur froide par tout le corps ; ceux qui en sont piqués sont quelquefois affectés d’enflure aux aînes, ou d’une tumeur sous les aisselles ; si la piquure est considérable, la partie est d’abord affectée d’une chaleur pareille à celle que causent les brulures, suivie d’une fievre aiguë, de vomissemens, & de pissement de sang. Il paroît quelquefois des meurtrissures accompagnées de démangeaisons autour des levres de la plaie, de même que sur tout le corps, de maniere qu’il semble que le malade ait été frappé de la grêle ; il s’amasse des matieres gluantes autour des yeux, les larmes sont visqueuses, & les jointures perdent leur mouvement ; enfin le malade écume, vomit, est attaqué de hoquets, tombe dans des convulsions qui tiennent de l’opisthotonos, & meurt dans cet état. Tous ces symptomes, ajoute-t-on, varient suivant le tempérament du malade, la saison, le pays, l’espece, & l’irritation du scorpion.

Il seroit à souhaiter que nous tinssions ces détails de la main d’observateurs fideles, qui les eussent vûs de leurs propres yeux sur différens malades, & les eussent soigneusement transcrits ; mais c’est ce qui n’est point encore arrivé. Au défaut de pareilles observations qui nous manquent, on a tâché de juger par analogie, des effets de la piquure du scorpion sur les hommes, & en faisant des expériences sur les animaux. Nous pouvons sur-tout compter sur celles de M. de Maupertuis qui dans un voyage à Montpellier, crut ne devoir pas négliger ce genre de recherches, qui intéresse la vie des hommes, ou qui du moins peut servir à tranquilliser leur imagination.

Expériences de M. de Maupertuis à ce sujet. Le premier chien qu’il fit piquer à la partie du ventre qui est sans poil, & qui reçut trois ou quatre coups de l’aiguillon d’un scorpion irrité, devint au bout d’une heure très-enflé & chancelant ; il rendit tout ce qu’il avoit dans l’estomac & dans les intestins, & continua pendant trois heures de vomir de tems-en-tems une espece de bave visqueuse ; son ventre, qui étoit fort tendu, diminuoit après chaque vomissement ; cependant il recommençoit bientôt de s’enfler, & quand il l’étoit à un certain point, il revomissoit encore ; ces alternatives d’enflures & de vomissemens, durerent environ trois heures, ensuite les convulsions le prirent, il mordit la terre, se traîna sur les pattes de devant, enfin mourut cinq heures après avoir été piqué. Il n’avoit aucune enflure à la partie piquée, comme ont les animaux piqués par les abeilles ou les guêpes ; l’enflure étoit générale, & l’on voyoit seulement à l’endroit de chaque piquure, un petit point rouge, qui n’étoit que le trou qu’avoit fait l’aiguillon, rempli de sang extravasé.

Au bout de quelques jours M. de Maupertuis fit piquer un autre chien cinq à six fois au même endroit que le premier ; celui ci n’en fut point malade ; les piqures furent réiterées dix ou douze fois quelques heures après, par plusieurs scorpions irrités ; le chien jetta seulement quelques cris, mais il ne se ressentit en aucune maniere du venin.

Cette expérience fut renouvellée sur sept autres chiens, par de nouveaux scorpions, & malgré toute la fureur & tous les coups des scorpions, aucun chien ne souffrit le moindre accident.

La même expérience fut répétée sur trois poulets, qui furent piqués sous l’aîle & sur la poitrine, mais aucun ne donna le moindre signe de maladie.

De toutes ces expériences il est aisé de conclure que quoique la piquure du scorpion soit quelquefois mortelle, elle ne l’est cependant que rarement ; elle aura besoin pour cela du concours de certaines circonstances, qu’il seroit difficile de déterminer ; la qualité des vaisseaux que rencontre l’aiguillon, les alimens qu’aura mangé le scorpion, une trop grande diete qu’il aura souffert, peuvent contribuer, ou s’opposer aux effets de la piquure. Peut-être que la liqueur empoisonnée ne coule pas toutes les fois que le scorpion pique, &c.

Rédi remarque que les viperes n’ont qu’une certaine quantité de venin, laquelle étant une fois épuisée par l’emploi que ces animaux en ont fait, a besoin d’un certain tems pour être réparée ; qu’ainsi après avoir fait mordre & piquer plusieurs animaux par des viperes, dont la blessure est extrémement dangereuse, les derniers ne mouroient plus, & les viperes ne redevenoient venimeuses que quelques jours après ; mais ici l’on ne pourroit attribuer à cette cause, le peu d’effet du venin des scorpions ; les derniers étoient nouvellement pris, & n’avoient fait aucune dissipation de leurs forces ; on avoit employé des mâles & des femelles ; ainsi la difference de sexe ne serviroit encore de rien pour expliquer la variété des effets qui suivirent la piquure.

Remedes prétendus contre la piquure du scorpion. Entre tant de remedes imaginés contre la piquure du scorpion, il y en a deux qui ont fait fortune, & qui continuent d’être extrémement accrédités ; l’huile de scorpion, & l’application de cet animal écrasé dans le moment sur la plaie ; ces deux antidotes passent pour souverains, & l’on appuye la recommandation du dernier, par l’exemple d’animaux qui, dit-on, nous ont fait connoître eux-mêmes l’excellence de cette découverte.

On compte à ce sujet qu’une souris étant enfermée dans une bouteille avec un scorpion, le scorpion la pique, & la piquure est suivie de la mort ; mais si l’on remet une autre souris dans la bouteille, qui soit piquée comme la premiere, elle dévore son ennemi, & se guérit par ce moyen.

M. de Maupertuis impatient de constater ce prétendu fait, mit dans une bouteille une souris avec trois scorpions ; la souris reçut bientôt plusieurs piquures qui la firent crier, elle prit le parti de se défendre, & à coups de dents tua les trois scorpions, mais n’en mangea d’aucuns, ne les mordit que comme elle eût fait tout autre animal qui l’eût blessée, & du reste ne fut point incommodée de ses piquures.

Il suit de cette expérience, que dans l’histoire qu’on rapporte, si elle est vraie, la premiere souris avoit reçu une piquure mortelle ; que la seconde ne reçut plus que des piquures inefficaces, soit parce que le scorpion s’étoit épuisé sur la premiere, soit par quelqu’autre circonstance qui empêcha que la piquure fût dangereuse ; qu’enfin si cette souris mordit, ou mangea ce scorpion, c’étoit ou pour se défendre, ou pour se nourrir, sans qu’il soit besoin de supposer ici ni instinct, ni antidote.

Après tout, au cas que le premier fait soit véritable, il indiqueroit plutôt l’utilité du scorpion, pris intérieurement pour se guérir de sa blessure, que celle de son application extérieure sur la plaie : or ce n’est point le remede interne qu’on vante ici ; au reste on ne conçoit guere mieux l’efficace de son application externe sur la piquure, pour attirer le venin, que le seroit celle d’une chenille, d’un limaçon, d’une écrévisse, ou autre animal semblable, & dont on ne loue point dans ce cas les merveilles.

L’huile de scorpion est autorisée par un grand nombre de suffrages ; cette huile si célebre n’est autre chose que de l’huile commune, dans laquelle on a fait périr des scorpions, & qu’on garde précieusement comme un topique infaillible étant appliqué sur la partie.

On la prépare en noyant trente-cinq scorpions vivans dans deux livres d’huile d’amandes douces ou ameres, en les exposant au soleil pendant quarante jours, & coulant ensuite l’huile ; c’est-là l’huile simple de scorpion.

Toutefois comme si l’on avoit sujet de se défier de ses vertus, on lui préfere aujourd’hui l’huile de scorpion composée, inventée par Matthiole : il entre dans cette derniere, non-seulement des scorpions noyés dans de la vieille huile d’olive, mais encore plusieurs graines, feuilles & racines de plantes échauffantes & aromatiques, outre du storax en larmes, du benjoin, du santal blanc, de la rhubarbe, de la thériaque, du mithridate, & du vin. Si cette huile est aussi bonne que mal aisée à bien faire, on ne peut trop la louer ; car c’est une des plus difficiles compositions qu’il y ait dans la pharmacie, & elle contient un assortiment si bizarre, qu’on ne voit pas trop quels en peuvent être les effets.

D’ailleurs à raisonner sensément, toute huile grasse paroît un remede mal imaginé contre la piquure de toutes sortes d’animaux venimeux, puisqu’elle bouche les pores de la peau ; empêche la transpiration insensible, l’issue du venin, & par conséquent est plus nuisible qu’avantageuse.

Concluons que les deux grands antidotes dont nous venons de parler, l’huile de scorpion, & l’application de cet animal sur la blessure, ne doivent leur vertu qu’aux préjugés reçus de tems immémorial, & au peu d’effet ordinaire du poison de l’insecte. Quelqu’un aura été piqué d’un scorpion ; il aura peut-être même senti des maux de cœur, des défaillances, il aura eu recours à l’huile & au scorpion écrasé ; sa confiance aura guéri les maux qu’aura fait sa crainte, & il aura cru ne devoir sa conservation qu’aux prétendus contre-poisons.

Mais puisque de plusieurs animaux piqués sur lesquels on n’a fait aucun de ces remedes, il n’en est mort qu’un dans l’expérience de M. de Maupertuis, il y a grande apparence que les hommes qui, après avoir été piqués, se sont servis de ces antidotes, n’ont été guéris que parce que leurs blessures n’étoient pas empoisonnées. Disons mieux, ces deux antidotes si fameux sont plutôt contraires qu’ils ne sont utiles.

Indication de remedes plus utiles. En pareille occasion, les vrais remedes à indiquer seroient de sucer la partie blessée, la scarifier, la brûler légerement, la bassiner avec de l’esprit-de-vin camphré, & autres liqueurs spiritueuses de ce genre, ou employer des émolliens & des fomentations. Au cas que le virus se soit communiqué à la masse du sang, il faut en énerver la force par des délayans, des acides, des antiseptiques, ou par les sueurs, suivant les tempéramens & la nature des symptomes. Il faut en même tems & sur toutes choses tranquilliser l’imagination du malade pour tout ce qui est propre à calmer ses craintes.

Contes sur les scorpions. Entre mille histoires qu’on fait du scorpion, je ne parlerai que de celle qu’on croit la plus certaine. On prétend que si on le renferme dans un cercle de charbon, il se pique lui-même & se tue. Ce seroit chez les bêtes un exemple de suicide bien étrange. M. de Maupertuis fut encore curieux d’éprouver un fait si singulier, & qui à tout événement ne pouvoit être que funeste à un méchant insecte.

Il fit une enceinte de charbons allumés, & y mit un scorpion, lequel sentant une chaleur incommode, chercha passage de tous côtés ; n’en trouvant point, il prit le parti de traverser les charbons qui le brûlerent à-demi. On le remit dans l’enceinte, & n’ayant plus eu la force de tenter le passage, il mourut bientôt, mais sans avoir la moindre volonté d’attenter à sa vie. La même épreuve fut répétée sur plusieurs scorpions qui agirent tous de la même maniere.

Voici peut-être, ajoute M. de Maupertuis, ce qui a pu donner lieu à cette histoire. Dès que le scorpion se sent inquiété, son état de défense est de retrousser sa queue sur son dos prête à piquer. Il cherche même de tous côtés à enfoncer son aiguillon. Lorsqu’il sent la chaleur du charbon, il prend cette posture ; & ceux qui n’y regardent pas d’assez près, croient qu’il se pique ; mais quand même il le voudroit, il auroit beaucoup de peine à l’exécuter, & vraissemblablement n’en pourroit pas venir à bout, tout son corps étant cuirassé comme celui des écrevisses.

Je ne dois pas m’arrêter aux autres contes extravagans que quelques anciens naturalistes rapportent des scorpions. Ils disent, par exemple, qu’ils ne piquent que les parties couvertes de poil ; qu’ils font plutôt du mal aux femmes qu’aux hommes, & aux filles qu’aux femmes ; qu’étant morts ils reprennent vie, si on les frotte d’ellébore ; que la salive d’un homme à jeun les tue ; qu’on ne pourroit guérir de leur morsure, si on avoit mangé du basilic quelques heures auparavant, & que c’est cette plante qui les produit, &c. mais les gens les plus crédules n’ajoutent pas même de créance à de pareilles sornettes.

Il faut encore mettre au rang des contes de bonne femme, les vertus médicinales du scorpion séché & pulvérisé, pris intérieurement pour exciter l’urine, pour chasser le sable des reins & de la vessie, pour résister aux maladies contagieuses.

De la fécondité du scorpion, & de sa haine pour l’araignée. Cet insecte multiplie prodigieusement. Aristote, Pline, Elien assurent que la femelle du scorpion porte onze petits ; & ce n’est pas assez dire, car Redi en marque 26 & 40 pour les limites de leur fécondité : mais les scorpions de Redi le cédoient encore de beaucoup en fécondité à ceux de Souvignargues examinés par M. de Maupertuis, qui a trouvé dans plusieurs femelles qu’il a ouvertes, depuis 27 petits jusqu’à 65. Il faudroit en quelques pays n’être occupé qu’à détruire ces animaux, s’ils ne périssoient par divers accidens qui nous sont inconnus, ou s’ils ne s’entremangeoient pas eux-mêmes.

J’ai parlé de la férocité du scorpion, au commencement de cet article, je le termine par un autre trait, celui de sa haine pour l’araignée, insecte qui est au reste aussi barbare que lui. Quand les scorpions, même au milieu de leurs guerres civiles, rencontrent une araignée, ils suspendent leurs combats mutuels, & se jettent tous sur elle pour la dévorer. Il y a plus, aucun scorpion n’hésite à combattre une araignée plus grosse que lui ; il commence d’abord par la saisir par l’une ou l’autre de ses grandes serres, quelquefois avec les deux en même tems. Si l’araignée est trop forte, il la blesse de son aiguillon par-tout où il peut l’attraper, & la tue ; après quoi ses grandes serres la transmettent aux deux autres plus petites qu’il a au-devant de la tête, avec lesquelles il la mâche, & ne la quitte plus qu’il ne l’ait toute mangée. Fuyons cet insecte odieux & le spectacle de sa cruauté. La plume tombe assez des mains quand on voit comment les hommes en usent avec les hommes. (Le chevalier de Jaucourt.)

Scorpion aquatique, Punaise d’eau, Punaise a aviron, hepa, insecte aîlé, dont M. Linnæus, fann. suec. ne donne que deux especes ; la plus petite est la plus commune.

Le scorpion aquatique de la petite espece a les yeux placés au-dessus de la bouche ; ils sont hexagones & réticulaires ; la bouche a la figure d’un bec recourbé ; la tête est d’une substance dure & d’un noir rougeâtre. Cet insecte a dans la bouche un aiguillon creux & d’une couleur brune ; les aîles tiennent au corcelet dont la substance est la même que celle de la tête ; les pattes sont au nombre de six attachées aussi au corcelet ; elles ont chacune à l’extrémité deux crochets. On a donné aux premieres pattes le nom de bras. Les aîles supérieures ont la même couleur que le corcelet, & couvrent si exactement les aîles inférieures, que celles-ci ne sont jamais mouillées, quoique cet insecte nage presque continuellement. La partie supérieure de l’abdomen est d’un rouge foncé, & couverte d’un poil touffu ; la partie inférieure a une couleur grise-pâle, elle est terminée par une queue fourchue ; le corcelet & le ventre sont très-applatis.

La grande espece de scorpion aquatique differe principalement de la petite, en ce que le corps est plus long & plus pointu, & que la couleur est plus pâle, & d’un gris tirant sur le roux : les piés sont aussi beaucoup plus longs, & ressemblent à des soies roides. Collection académique, tome V. de la partie étrangere. Voyez Insecte.

Scorpion de mer, voyez Rascasse.

Scorpion, (Critique sacrée.) σκορπίον dans l’Ecriture ; cet insecte cruel & venimeux désigne au figuré les méchans, les choses pernicieuses. Vous habitez avec des scorpions, dit Ezech. ij. 6. c’est-à-dire avec des gens aussi méchans que des scorpions ; s’il demande un œuf, lui présentera-t-il un scorpion ? Luc. xj. 12. c’est-à-dire, lui donnera-t-il un mets pernicieux à la place d’un mets salutaire ? C’étoit une espece de proverbe ; un scorpion pour un poisson, dit Suidas, est un proverbe qui regarde ceux qui préferent les mauvaises choses aux bonnes.

Ce mot dans le vieux Testament signifie encore une sorte de fouet armé de fer, de la figure d’un scorpion, II. Paral. x. 14. c’est aussi le nom d’une machine de guerre pour jetter des traits, I. Macc. vj. 51. enfin la montée du scorpion étoit le nom d’une montagne qui servoit de borne à la terre de Chanaan du côté de l’Idumée, Nomb. vj. 34. (D. J.)

Scorpion, (Mythol.) ce huitieme signe du zodiaque, composé de 19 étoiles, selon Hygin, & de 20 selon Ptolomée, est dans la mythologie un scorpion admirable. Les poëtes ont feint que ce scorpion étoit celui que la terre fit sortir de son sein pour se battre avec Orion. Celui-ci s’étoit vanté à Diane & à Latone, de vaincre tout ce qui sortiroit de la terre. Il en sortit un scorpion, & Jupiter, après avoir admiré sa bravoure & son adresse dans le combat, le mit au ciel, pour apprendre aux mortels qu’ils ne doivent jamais présumer de leurs forces, car Orion ne croyoit pas trouver son vainqueur sur la terre. (D. J.)

Scorpion, s. m. en terme d’Astronomie, est le nom du huitieme signe du zodiaque. Voyez Signe.

Les étoiles de cette constellation sont au nombre de 20 dans le catalogue de Ptolomée ; au nombre de 10 dans celui de Tycho ; au nombre de 49 dans celui de Flamsteed. Chambers. (O)

Scorpion, (Fortification.) scorpio, c’est le nom d’une machine des anciens dont ils faisoient usage dans l’attaque & la défense des places.

Bien des auteurs prétendent que cette machine est la catapulte, mais M. de Folard soutient que c’est la baliste. Voyez Baliste.

Vegece dit qu’on nommoit autrefois scorpion ce que de son tems on appelloit manubaliste. C’est l’arbalête dont on commença à se servir du tems de nos peres, & que nous avons abandonnée depuis l’invention de nos fusils ou de nos mousquets. On voit dans plusieurs endroits des commentaires de César, qu’il emploie indifféremment les termes de scorpion & de baliste, pour signifier la même machine ; mais il distingue toujours la catapulte : Cæsar in castris, dit Hirtius, scorpionum catapultorum magnam vim habebat. Voyez Catapulte. (q)