L’Encyclopédie/1re édition/TOURAINE

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TOURAINE, (Géog. mod.) province de France, bornée au nord par une partie du Maine, & par le Vendômois ; au midi, par le Berri & le Poitou ; au levant, par le Blaisois ; & au couchant, par l’Anjou.

On donne à la Touraine 24 lieues de longueur du midi au nord, & 22 du levant au couchant. La Loire la divise en haute & basse ; mais outre cette riviere, elle est arrosée du Cher, de la Vienne, de l’Indre, de la Creuse, &c. qui toutes ensemble lui procurent beaucoup de variétés agréables, & beaucoup de commodités pour le commerce, & pour la communication avec les autres provinces.

Son climat est tempéré, & d’une grande bonté. Ici sont des terres sablonneuses faciles à cultiver, & toujours en labour. Elles rapportent du seigle, de l’orge, du mil, des légumes, & de la gaude pour la teinture. Là, c’est un terrein uni dont les terres sont grasses & fertiles en froment. Ailleurs, sont des terres marécageuses & pleines d’étangs poissonneux : les rivieres arrosent des prés & des pâturages pour la nourriture des bestiaux ; les forêts fournissent du bois.

On y trouve aussi quelques mines de fer & de cuivre. Il y a du salpêtre dans les côteaux de la Loire exposés au midi. Dans une plaine près de Liqueil, l’on trouve quantité de coquillages, qui réduits en poudre, servent à fertiliser les terres. Les côteaux de la Loire & du Cher sont chargés de vignes ; dans d’autres dont le terroir est plus gras, l’on y recueille d’excellens fruits, noix, noisettes, amandes, prunes & pruneaux délicieux. En un mot, c’est une province ;

Que du ciel la douce influence
Loin des hivers & des frimats,
A fait le jardin de la France.

Toute la Touraine est du ressort du parlement & de la cour des aides de Paris. Elle a un grand maître des eaux & forêts créé en 1689, parce que le roi possede trois forêts dans cette province ; savoir celle d’Amboise, qui contient seize mille arpens de bois, dont environ trois mille de haute futaie ; celle de Loches qui contient cinq mille arpens en futaie ; & celle de Chinon qui contient environ sept mille arpens, partie en futaie, partie en taillis.

Cette province s’enrichissoit autrefois par ses manufactures de draperie, de tannerie, de soierie & de rubanerie ; mais toutes ces manufactures sont tombées en décadence ; celles de draperie & de tannerie, sont anéanties ; la soierie occupoit dans le seizieme siecle plus de huit mille métiers, sept cens moulins à soierie, & plus de quarante mille personnes ; elle n’en occupe pas aujourd’hui deux mille. Des trois mille métiers de rubanerie, il en reste à peine cinquante.

Plusieurs causes ont concouru à la destruction de ces manufactures, qui attiroient dans la province plus de dix millions par an. Il faut mettre entre ces causes, la cessation du commerce avec les étrangers, la sortie des ouvriers hors du royaume, l’obligation qu’on a imposée aux marchands d’acheter à Lyon les soies dont ils ont besoin, &c.

La Touraine a été érigée en gouvernement général l’an 1545, & aujourd’hui elle a un gouverneur, un lieutenant-général, & un lieutenant de roi. Il y a deux duchés pairies dans ce gouvernement, Montbazon & Luynes. On compte dans la Touraine, huit villes royales dont le domaine est engagé, à l’exception de celui de Tours, capitale.

Les peuples de cette province, appellées Tourangeaux, ont pris leur nom des anciens Turones ou Turoni, marqués entre les Celtes dans les commentaires de César. Tacite les nomme Turoni imbelles. Le Tasse les a peints dans sa Jérusalem, chant I.

Non è gente robusta, ò faticosa,
Se ben tutta di ferro ella riluce ;
La terra molle, è lieta, è dilettosa
Simili à se gli habitator produce :
Impeto fa nelle battaglie prime ;
Mà di leggier poi langue, è si reprime.

Ce portrait a été élégamment rendu en vers latins par un poëte de Sicile :


Turba licet chalybis cataphracta horrore nitentis,
Ægra labore tamen, nec vivida robore : mollis
Blandaque terra, sibi similes educit alumnos,
Scilicet ; hi sub prima ruunt discrimina pugnæ
Præcipites, sed restincto mox fulgure torpent.

Comme les muses aiment les pays délicieux, la Touraine a produit des gens qui les ont cultivées avec honneur. Dans ce nombre, je ne dois pas oublier MM. de Racan & de Marolles.

Racan, (Honorat de Beuil, marquis de,) poëte françois, ne en 1589, & l’un des premiers de l’académie françoise, mourut à Paris en 1670, à quatre-vingt-un ans.

Il s’est acquis une grande réputation par ses bergeries ou églogues, & par ses odes sacrées, ou paraphrase des pseaumes. Il avoit un génie fecond, aisé, un caractere doux & simple ; par conséquent il ne lui manquoit rien pour être berger. Aussi trouve-t-on dans ses bergeries des morceaux pleins d’agrément & de délicatesse. Nous ne citerons de lui que sa chanson des bergers à la louange de la reine, mere de Louis XIII.

Paissez, cheres brebis, jouissez de la joie
Que le ciel vous envoie.
A la fin sa clémence a pitié de nos pleurs ;
Allez dans la campagne ; allez dans la prairie.
N’épargnez point les fleurs,
Il en revient assez sous les pas de Marie.

Par elle renaîtra la saison desirée
De Saturne & de Rhée,
Où le bonheur rendoit tous nos desirs contens ;
Et par elle on verra reluire en ce rivage
Un éternel printems,
Tel que nous le voyons paroître en son visage.

Nous ne reverrons plus nos campagnes désertes,
Au-lieu d’épis couvertes
De tant de bataillons l’un à l’autre opposés :
L’Innocence & la Paix regneront sur la terre ;
Et les dieux appaisés
Oublieront pour jamais l’usage du tonnerre.

La nymphe de la Seine incessamment révere
Cette grande bergere,
Qui chasse de ses bords tout sujet de souci,
Et pour jouir long-tems de l’heureuse fortune
Que l’on possede ici,
Porte plus lentement son tribut à Neptune.

Paissez donc, mes brebis, prenez part aux délices
Dont les destins propices,
Par un si beau remede ont guéri nos douleurs :
Allez dans la campagne ; allez dans la prairie ;

N’épargnez point les fleurs ;
Il en revient assez sous les pas de Marie.

Toute cette piece est d’une douceur admirable ; & comme elle est dans le ton lyrique, on sent bien qu’elle se préteroit aisément au chant.

En qualité de disciple de Malherbe, Racan a fait aussi quelques odes ; mais où les pensées ne sont point aussi serrées que dans celles de son maître. Ses paraphrases des pseaumes sont ordinairement médiocres ; cependant il s’y trouve des endroits d’une assez grande beauté. Tel est celui-ci : ps. 92.

L’empire du Seigneur est reconnu par-tout ;
Le monde est embelli de l’un à l’autre bout,
De sa magnificence.
Sa force l’a rendu le vainqueur des vainqueurs ;
Mais c’est par son amour plus que par sa puissance
Qu’il regne dans les cœurs.

Sa gloire étale aux yeux ses visibles appas :
Le soin qu’il prend pour nous, fait connoître ici-bas
Sa prudence profonde :
De la main dont il forme & la foudre & l’éclair,
L’imperceptible appui soutient la terre & l’onde
Dans le milieu des airs.

De la nuit du cahos, quand l’audace des yeux
Ne marquoit point encore dans le vague des lieux
De zénit ni de zône,
L’immensité de Dieu comprenoit tout en soi,
Et de tout ce grand tout, Dieu seul étoit le trône,
Le royaume & le roi.

On estime aussi son ode au comte de Bussy-Rabutin, dans laquelle il l’invite à mépriser la vaine gloire, & à jouir de la vie. Lafontaine, Despreaux, & d’après eux, plusieurs beaux esprits, ont tous jugé très-favorablement du mérite poétique de Racan. Il ne lui manquoit que de joindre l’opiniâtreté du travail à la facilité & à la supériorité du talent. Il est doux, coulant, aisé ; mais il n’a point assez de force, ni d’exactitude dans ses vers. Les morceaux que nous avons déjà cités de lui, sont remplis de beautés, au milieu desquels regne un peu de cette négligence qu’on lui reproche avec raison. C’est ce que je puis encore justifier par d’autres stances tirées de ses ouvrages, & qui en même-tems me paroissent propres à piquer la curiosité de ceux qui aiment les graces de cet aimable poëte. Voici les stances dont je veux parler ; elles sont toutes philosophiques :

Tircis, il faut penser à faire une retraite,
La course de nos jours est plus qu’à-demi-faite,
L’âge insensiblement nous conduit à la mort :
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
Il est tems de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable ;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable ;
Plus on est élevé, plus on court de dangers ;
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois, que des toits des bergers.

O bien heureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui loin, retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses desirs.

Il contemple du port les insolentes rages
Des vents de la faveur auteurs de nos orages,
Allumer des mutins les desseins factieux :
Et voit en un clin-d’œil par un contraire échange,

Touraine, & capitaine des cent-suisses, connu par son

combat singulier à la tête de l’armée d’Henri IV. contre Marivaux. Les services de ce pere, le mérite particulier du fils, & le crédit qu’il avoit dans la maison de Nevers, sembloient être des assurances qu’il parviendroit un jour aux premieres dignités de l’Eglise ; néanmoins, comme il étoit fort studieux, il eut le même sort qu’ont presque tous les gens de lettres sans intrigue, & uniquement dévoués aux muses ; c’est-à-dire, qu’on lui donna de belles espérances, & qu’il ne travailla point à en obtenir les effets.

L’abbé de Villeloin continua si bien au contraire de travailler pour les lettres seules, qu’il composa soixante-neuf ouvrages, dont la plupart étoient des traductions d’auteurs classiques : traductions très utiles dans leurs tems, & qui ont dû lui coûter beaucoup ; mais on les estime fort peu de nos jours, & même sans rendre assez de justice à un homme qui a frayé le chemin du mieux. Les mémoires de sa vie contiennent des choses intéressantes.

N’oublions pas de dire qu’il est un des premiers françois qui ait eu la curiosité des estampes. Il en fit un ample & excellent recueil, & en donna deux catalogues qui sont recherchés. Son beau recueil a passé dans le cabinet du roi, & c’est un avantage pour le public.

L’abbé de Marolles mourut à Paris en 1681, âgé de quatre-vingt-un ans. Il étoit alors le plus ancien abbé, & avoit été le plus laborieux du royaume. (Le Chevalier de Jaucourt.)