L’Encyclopédie/1re édition/USTION
USTION, s. f. (Méd. thérap.) en latin ustio, inustio, du verbe urere ou inurere, brûler. L’ustion se prend encore pour cautérisation, comme brûler se prend pour cautériser ; ce dernier terme est même plus de l’art : mais il semble qu’on pourroit établir cette différence entre ces deux premiers mots, que ustion désigne plus absolument l’action du feu actuel ; au lieu que cautérisation peut désigner quelquefois l’effet du cautere actuel, comme celle-ci du cautere potentiel.
L’ustion est un des plus puissans secours & des plus généraux, dont la Médecine ait jamais fait usage contre les maladies obstinées. On pourroit l’appeller le vésicatoire par excellence, ses effets réunissant tous ceux des vésicatoires dans la plus grande célérité & intensité d’action & de vertu. Voyez Vésicatoire. Les instrumens qui servent à l’ustion ont été appellés par les anciens καυτήριον, cauterium, cautere, c’est-à-dire instrument dont on se sert pour brûler quelque chose ; on les divise en actuels & en potentiels. (Voyez Cautere.
Les cauteres actuels dont il s’agit ici peuvent être d’or, d’argent, de cuivre, de fer, ou de quelqu’autre matiere. Leurs figures chez les anciens étoient très variées, il y en avoit en forme de coin, de trident, de forme olivaire, &c. (voyez dans Paul d’Ægine, ch. de alæ ustione, hepatis ustione, pag. 569.) Hippocrate employoit les fers chauds, les fuseaux de buis, trempées dans l’huile bouillante, &c. les autres anciens se servoient encore pour cautériser, d’un champignon de lin crud, ou d’une excroissance fongueuse qui se trouve sur les noyers ou sur les chênes, que Paul d’Ægine appelle isca, (voyez Paul d’Ægine, pag. 570.), & qu’on faisoit brûler sur la partie, ce qui revient à-peu-près aux ustions pratiquées chez les Chinois, les Egyptiens, & chez quelques autres peuples des Indes, avec le moxa ou coton d’armoise, voyez Moxa. Enfin, il y avoit les ventouses ignées qu’on pourroit regarder comme un autre moyen de cautériser. Cependant la méthode la plus pratiquée étant celle de brûler avec le fer chaud, c’est celle-là sur toutes les autres, qu’on doit entendre par le mot ustion.
Les anciens employoient les ustions dans toutes les maladies chroniques. L’axiome quæ ferrum non sanat ignis sanat, &c. & qui est par-tout, se rapporte principalement à celles-ci. On se servoit en conséquence des ustions dans les phthisies, les suppurations de poitrine, les hydropisies, les asthmes, les maladies de la rate, dans celles du foie, dans la goutte, dans la sciatique, dans les maux de tête, &c. On doit juger par ce que nous dit Hippocrate, de la facilité avec laquelle les Scythes nomades se faisoient cautériser, & par tout ce qu’il nous apprend de sa pratique, combien ce remede étoit familier parmi les anciens. Le reflux des arts en Europe y apporta le même goût pour les ustions. Forestus nous dit que de son tems, c’étoit la coutume en Italie de cautériser les enfans au derriere de la tête, pour les guérir ou les préserver de l’épilepsie ; il ajoute que les femmes de la campagne alloient dans les villes porter leurs enfans aux prêtres, qui, outre les personnes de l’art, se méloient de cette opération, & y employoient ou le fer chaud, ou les charbons ardens. Voyez Forestus, tom. l. pag. 494.
Les ustions se faisoient donc à l’occiput & à différens endroits de la tête, plus ou moins près des sutures. Elles se faisoient encore au dos, à la poitrine, au ventre, aux environs de l’ombilic, aux hypocondres, aux cuisses, aux jambes, à la plante des piés, aux doigts, &c. en observant néanmoins que ce ne fût que sur les parties charnues : car le cautere potentiel devoit être préféré pour les parties osseuses & les nerveuses. On n’y employoit ordinairement qu’un seul instrument ; mais il étoit des opérations chirurgicales, comme celle qu’on pratiquoit pour l’hydrocele, dont Paul d’Ægine nous a conservé le manuel, ou l’on employoit jusqu’à dix à douze cauteres ou fers brûlans. Voyez Paul d’Ægine, cap. de herniâ aquosâ. On entretenoit pendant quelques jours les ulceres produits par l’ustion, ainsi que le recommande Hippocrate, en y jettant du sel ou y appliquant quelqu’autre substance propre à faire fluer ces ulceres. Dans les ustions qui se pratiquoient contre les suppurations de poitrine, on introduisoit dans les escarres de la racine d’aristoloche, trempée dans de l’huile. Voyez Paul d’Ægine, lib. VI. de remed. p. 569.
Les ustions sont préférables à beaucoup d’égards aux cauteres potentiels, dans l’ouverture de quelques abscès & le traitement de beaucoup de plaies ; 1°. leur effet est beaucoup plus prompt & beaucoup plus puissant ; 2°. ils purifient les parties en absorbant l’humidité, leur redonnent du ton & les revivifient, pour ainsi dire ; au lieu que l’effet des autres cauteres est très-lent, qu’ils ajoutent à l’état d’atonie ou de cachexie de la partie, & que leur vertu est beaucoup moindre. On ne laissoit pourtant pas que de les employer dans plusieurs cas avant le cautere actuel, comme pour une préparation à celui ci, il est même quelques ouvertures de dépôts critiques qu’il seroit plus utile de faire avec le cautere potentiel, qu’avec le bistouri qui est la pratique ordinaire.
Les ustions sont capables de procurer dans beaucoup de cas des révolutions très-promptes & très salutaires. On les employoit très-efficacement pour arrêter les hémorragies ; l’irritation & la suppuration des ulceres produits par ce moyen, déchargeoient souvent un organe voisin, du pus ou des autres matieres qui étoient contenues, & procuroient des guérisons radicales ; les livres, tant anciens que modernes, sont pleins de curations merveilleuses opérées par cette méthode. Je ne sais par quelle fatalité il est arrivé qu’elle soit presque inusitée dans la pratique moderne : des personnes même très-célebres dans l’art ont fait jusqu’ici de vains efforts pour la rétablir en la proposant avec les modifications convenables ; on a fait valoir contre leurs raisons, toutes les horreurs de cette manœuvre qu’on a toujours trop exagerées. Article de M. H. Fouquet, docteur en Médecine de la faculté de Montpellier.