L’Enfant du bordel/tome 1/2
CHAPITRE II.
Théodore ne put rejoindre son ami que le soir à Versailles. Il convint franchement qu’il avoit perdu le pari ; mais il garda un profond silence sur les suites délicieuses de son aventure.
La nuit qui suivit cet heureux jour, fut employée toute entière à rêver aux charmes de Cécile. Et comme il tournoit tant bien que mal des couplets, voici ceux qu’il fit sur son aventure : j’en ignore l’air, mais ils peuvent se chanter sur l’air charmant que chante madame Saint-Aubin dans le Chapitre Second.
Si la déesse des amours
Vouloit obtenir notre hommage,
De ma Cécile pour toujours,
Elle emprunteroit le visage ;
Si parfaits que soient les appas,
Que lui donne un crayon habile,
Son cul si vanté ne vaut pas
Le joli cul de ma Cécile.
Interprète du sentiment,
Qui réside au fond de mon ame,
Ma bouche sur ce cul charmant,
Déposa cent baisers de flamme ;
Vous qui nous vantez la vertu,
Si votre ame reste tranquille,
Ah ! c’est que vous n’avez pas vu
Le joli cul de ma Cécile.
Objet charmant et précieux,
Cécile, garde-toi de croire,
Qu’un jour ce cul délicieux
S’effacera de ma mémoire ;
Mais s’il faut renoncer pourtant
À mon existence fragile,
Grands dieux ! que j’expire en baisant
Le joli cul de ma Cécile.
Cependant, ce n’étoit pas le tout de chanter Cécile, il falloit songer à la revoir. Théodore ne trouva rien de plus à son gré que de s’ouvrir à son ami. En payant le lendemain le déjeûner du pari, il lui raconta de point en point tout ce qui s’étoit passé la veille. Celui-ci ne manquoit pas de mauvaises connoissances, il adressa Théodore à une certaine dame Florimont, espèce de catin intrigante, qui savoit se faire un revenu passable en protégeant les amours d’autrui. Théodore, muni d’un billet de son ami, fit connoissance avec la Florimont. Cette femme se chargea d’y attirer Cécile. Elle remplit sa promesse ; et huit jours après celui de leur première entrevue, Théodore se trouva tête-à-tête avec sa jolie conquête, à qui un mensonge adroit laissoit à-peu-près trois ou quatre heures de liberté.
Représentez-vous quelle dût être l’ivresse de l’heureux Théodore en serrant entre ses bras, en pressant contre son cœur, la jeune et intéressante vierge qui venoit de se livrer à lui. Ses lèvres brûlantes se joignirent à celles de son amante. Sa langue amoureuse chercha celle de Cécile qui, les yeux chargés d’un nuage de volupté, se laissa mollement aller dans les bras de Théodore. Il la porta sur un lit élégant qui n’étoit pas la pièce la moins nécessaire de l’appartement. Il eut bientôt vaincu la foible résistance que lui opposoit la pudeur mourante de Cécile. Il la débarrassa de ses vêtemens ; et jusqu’à sa chemise, tout lui fut enlevé.
Théodore, bouillant d’ardeur, travaille, de son côté, à se mettre dans le costume de notre premier père. Je vais profiter du tems qu’il emploie à se déshabiller pour tracer rapidement les beautés de Cécile.
Dieu ! quel spectacle enchanteur ! Quelle richesse et quelle pureté de formes ! Les yeux à demi fermés, et recouverts par son bras gauche, elle étoit étendue sur le dos ; ses jolies petits tettons haletans de desirs, sembloient avoir acquis plus de perfection que la première fois. Le délicieux bouton de rose qui en faisoit ressortir l’extrême blancheur paroissoit s’efforcer de sortir de son enveloppe de neige, et inviter les lèvres amoureuses de Théodore à y pomper l’ivresse de la volupté. Un ventre, des hanches telles qu’on peut les supposer à la jeune Hébé : mais ce qui, surtout, fixoit les regards, c’étoit cette toison charmante, dont le noir éclatant contrastoit d’une manière si piquante avec le blond cendré de ses beaux cheveux. Elle n’étoit pas encore aussi fournie qu’elle promettoit de l’être un jour ; mais son peu d’épaisseur offroit un spectacle encore plus attrayant, un spectacle fait pour porter le délire dans l’ame la plus indifférente aux plaisirs de l’amour.
À travers ce jeune taillis, on appercevoit une fente dont l’extrême petitesse prouvoit la fraîcheur et la virginité. Cécile qui, par son attitude, avoit les cuisses à demi écartées, laissoit appercevoir l’intérieur du sanctuaire où brilloit l’incarnat le plus vif. Un léger mouvement convulsif qui agitoit le ventre et les cuisses de la jolie victime, démontroit assez qu’elle jouissoit par anticipation des plaisirs qu’elle va connoître avec un peu plus d’étendue.
Le spectacle enivrant de tant de charmes avoit mis Théodore dans un état voisin de la fureur. Mais, me diront mes lecteurs, comment Théodore, qui ne connoît point encore de femmes, va-t-il s’y prendre pour dépuceler Cécile. Vous auriez raison, lecteur, s’il arrivoit de sa province : mais songez, de grace, qu’il y a six semaines qu’il est dans les pages du roi ; et qu’à cette chaste école un néophite est bientôt passé maître ; d’ailleurs, Théodore a déjà eu sous les yeux, plusieurs actes de priapisme, de la part de ses vertueux camarades ; et sans avoir jamais, lui-même, participé à l’acte de virilité, il sait parfaitement comment il doit s’y prendre. Avant de venir au rendez-vous, Théodore qui prévoyoit ce qui alloit arriver, a eu soin de se faire donner de nouvelles instructions ; et s’il n’est pas encore passé maître, il a toutes les connoissances nécessaires pour le devenir. Pardon de la digression, mais je l’ai crue nécessaire.
Théodore, ivre de desirs, s’élance sur sa jolie proie, la prend dans ses bras, la place sur le pied du lit, et veut faire pénétrer la flèche de l’amour dans l’étui que lui a destiné la nature. Mais de vives douleurs font disparoître le nuage de bonheur qui environnoit Cécile. Des cris firent arrêter Théodore ; il parvint, à force de caresses, à engager Cécile à supporter encore un essai. Et se précipitant avec fureur dans le détroit du plaisir, il brisa tous les obstacles, malgré les gémissemens et les plaintes de sa complice. Bientôt, cependant, les cris devinrent moins violens : Cécile parut éprouver une étincelle du plaisir qui dévoroit son amant. Ses yeux se troublèrent, et une copieuse éjaculation de part et d’autre consomma le sacrifice.
Ah ! que vous êtes cruel, dit Cécile en reprenant ses sens : étoit-ce pour me plonger dans le précipice que vous me témoigniez tant d’attachement. Théodore la rassura par ces caresses brûlantes, si persuasives quand on aime. Bientôt, oubliant et les douleurs passées et les chagrins à venir, ils perdirent de nouveau dans les bras l’un de l’autre le sentiment et la vie.
Bref, après que Théodore eut donné à Cécile une demi-douzaine de preuves de sa vigueur, ils se séparèrent, non sans avoir concerté les moyens de se revoir.
Quatre mois se passèrent. La complaisante Florimont que Théodore payoit grassement, prêtoit toujours sa vertueuse entremise pour favoriser les entrevues des deux amans. Leurs ébats eurent les suites ordinaires ; et un jour la désolée Cécile vint annoncer à son bien-aimé qu’elle avoit la certitude d’être enceinte. Peignez-vous la joie insensée de Théodore à cette nouvelle. Il alloit être père, et par qui ? par le seul objet qui lui fût cher, par sa jolie et intéressante Cécile. Ah ! c’étoit plus que le bonheur.
Théodore qui, par un sentiment de jalousie, avoit jusqu’à ce moment caché sa conquête à tous les yeux ; persuadé que l’état respectable où elle se trouvoit devoit éteindre les desirs de tout ce qui n’étoit pas lui, ne fit plus de difficulté d’avouer tout à St.-Firmin, cet ami qu’il avoit dans les pages, et à qui il étoit redevable de la connoissance de Cécile. Il ne fit, dis-je, aucune difficulté de lui tout avouer.
St.-Firmin promit d’être le parrain de l’enfant futur et de donner pour commère à Cécile, la jolie fille d’un hocqueton de la garde avec qui il étoit en intrigue réglée. Il voulut voir la petite femme de son ami ; mais une chose à laquelle Théodore ne s’étoit pas attendu, c’est que St.-Firmin, qui avoit des principes comme un page, devint amoureux de Cécile.
Il ne trouva pas de moyen plus commode pour se satisfaire, que de mettre la Floricourt dans ses intérêts ; ce qu’il fit à l’aide de quelques louis ; car cette femme, de la famille des Bazile, ne savoit pas résister à des argumens de cette espèce. La Floricourt attira Cécile chez elle, sous prétexte d’une entrevue avec Théodore : à la place de son bien-aimé, elle trouva le sacripant St.-Firmin qui d’un air fort honnête, lui fit des propositions très-malhonnêtes ; elle les rejeta avec indignation. Après plusieurs tentatives inutiles, il se jeta sur Cécile ; et aidé de la Floricourt, il la viola.
Pendant ce tems, que faisoit le pauvre Théodore ? Occupé de son service, il étoit loin de penser que l’amitié le trahissoit d’une manière aussi infame. Il repassoit dans son imagination la perfection des appas de sa Cécile, le bonheur constant dont elle seroit désormais la source pour lui ; enfin les plaisirs toujours nouveaux qu’il avoit connus avec elle, et dont il espéroit encore le surlendemain moissonner une ample provision.
La veille du jour où il espéroit voir la jolie mère de sa progéniture à venir ; il fut demandé à sept heures du matin, et un commissionnaire lui remit le billet suivant :
« Ton amie n’existe plus pour toi ; elle a perdu pour jamais le bonheur, et elle espère bientôt perdre la vie. Ah ! qui m’eût dit que notre union eût été de si courte durée ! Les barbares !… Tâche de te trouver cette après-midi, à quatre heures, chez madame D......y, rue neuve des Petits-Champs. Cette dame est une des pratiques de ma mère, qui veut bien se prêter à une entrevue… hélas ! sans doute la dernière ! »
Théodore, étonné de cette missive, ne put imaginer autre chose, sinon que la mère de Cécile avoit découvert son intrigue avec sa fille. Il se proposa de rassurer sa jeune amie, et même de s’en emparer totalement pour la soustraire aux mauvais traitemens de sa famille. Il se faisoit déjà une idée délicieuse de la vie patriarchale qu’il alloit mener avec elle.
Il obtint facilement du gouverneur des pages la permission de s’absenter jusqu’au lendemain, et, montant à cheval, il galoppa vers Paris.
Arrivé près de Cécile, il apprit avec horreur ce qui s’étoit passé. Pressé par la soif de la vengeance, il embrasse tendrement Cécile et sort avec un calme apparent pour ne pas effrayer sa bien-aimée, à laquelle il promit d’être bientôt de retour.
Il vole chez la Florimont, l’oblige le pistolet sur la gorge, à écrire un billet à St.-Firmin qui étoit à Paris, ayant obtenu la permission d’y rester huit jours. St.-Firmin arrive deux heures après. Théodore lui reproche son attentat avec fureur, lui fait mettre l’épée à la main, le blesse mortellement, lâche un coup de pistolet à la Florimont, qui malheureusement ne lui brise que le poignet, et se retire en laissant les deux coupables nageant dans leur sang.
Pour finir en peu de mots cette série de scènes tragiques, St.-Firmin mourut de sa blessure. La Florimont fut quitte de la sienne pour un poignet estropié. Théodore fut obligé de passer dans les pays étrangers. Cécile ne voulut point retourner chez sa mère, et madame D......y qui n’étoit autre chose qu’une maquerelle déjà passablement fameuse, lui offrit un asile, espérant tirer parti de ses charmes lorsqu’elle seroit relevée de couche. Mais cette espérance fut trompée, car la malheureuse Cécile, après avoir langui pendant quatre mois ; mourut en mettant au monde un enfant extrêmement délicat… Cet enfant, c’est moi.