L’Enfant du bordel/tome 1/3

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(p. 39-64).

CHAPITRE III.


Voila donc le pauvre enfant du bordel, privé au moment de sa naissance, de celle qui lui donna le jour. Vous croyez peut-être que livré à l’indigence il va grossir la liste trop nombreuse de ces enfans infortunés qui, après avoir passé une jeunesse malheureuse dans d’obscurs hôpitaux, traînent une vie languissante et meurent souvent à la fleur de l’âge, sans avoir connu autre chose que l’infortune. Détrompez-vous, le ciel me destine à courir une carrière plus brillante ; et si elle est semée de beaucoup d’épines, j’y pourrai de tems en tems moissonner quelques roses.

Quoique la mort de ma mère eût détruit les spéculations que madame D…y avoit établies sur ses charmes, elle n’eut pas la pensée de m’abandonner. Au contraire, elle pourvut à tous les besoins de mon enfance ; mais comme les quatorze premières années de ma vie ne sont pas très-récréatives, je saute pardessus à pieds joints ; je dirai seulement que je reçus une éducation passable, et qu’affublé d’un équipage de jokei fort joli, je me rendis utile dans la maison de ma bienfaitrice. Bref ; j’ai quatorze ans, de jolis traits, une figure spirituelle, de grands yeux noirs, qui ne promettent rien moins que la chasteté. Je commence déjà à sentir que je suis bon à quelque chose ; les scènes dont j’ai été le témoin jusqu’à ce moment m’ont précocé le tempérament. Seul dans mon lit, je ne me rappelle pas impunément les charmes des prêtresses de Vénus, auxquelles j’ai l’habitude d’obéir, et ma main me procure des jouissances qui me font soupirer après de plus réelles.

De son côté, ma maîtresse paroît ne plus me voir avec la même indifférence. Elle a trente-six ans, c’est l’âge où l’on commence à aimer les fruits verds ; elle est encore très-fraîche ; elle voit le feu que la vue de ses charmes fait naître dans mes yeux : aussi, sous mille prétextes, elle offre à ma vue, tantôt un tetton encore passablement ferme et d’une extrême blancheur ; tantôt une jambe très-bien faite, et la majeure partie d’une cuisse moulée ; quelquefois elle change de chemise devant moi ; elle se met absolument nue, et ne reprend sa chemise blanche, qu’après avoir donné à mon œil le tems de la parcourir dans tous les sens.

Enfin, un matin, elle résolut d’en passer sa fantaisie ; elle me sonne à sept heures du matin. Quoique nous fussions dans les plus beaux jours d’été, toute la maison étoit encore ensévelie dans un profond sommeil.

J’entre donc chez Mad. D......y ; elle étoit au lit. Approche, Chérubin, me dit-elle, voici une chanson qu’on m’a donnée hier ; chante-la-moi. Comme j’avois une fort jolie voix, je ne me fis pas prier. Je vais rapporter cette chanson que l’on pourra chanter sur l’air : Il faut quitter ce que j’adore. (du Jokei).


Mainte femme ici-bas demande,
Ou la richesse ou la grandeur,
Moi, je sens que l’homme qui bande,
A seul quelques droits sur mon cœur ;
Au foutre les grands de la terre,
Tout homme est égal à mes yeux,
Et le héros que je préfère
C’est celui qui me fout le mieux.


Le foutre est mon bonheur suprême,
Jouir est ma première loi ;
Et le vit de l’homme que j’aime
Fut toujours un sceptre pour moi ;
Du ciel avec grand étalage,
On vante le bonheur constant ;
Ce bonheur ne vaut pas, je gage,
Celui que je goûte en foutant.

Du Dieu qui gouverne la terre,
Si j’avois un instant les droits,
Je m’en servirois pour me faire
Un vit de chacun de mes doigts ;
Et pour contenter mon envie,
Je voudrois avant de mourir,
Foutre mon sang, foutre ma vie,
Et foutre mon dernier soupir.

Qu’on juge de mon état pendant que je chantois cette chanson ; j’étais rouge, mes artères battoient avec violence. Madame D......y, qui du coin de l’œil calculoit les progrès de mon trouble, avoit déjà découvert, sous prétexte de la chaleur, cette paire de tettons, dont j’avois tant envié la jouissance ; le simple drap qui couvroit son lit, s’étoit aussi dérangé ; Sa jambe et sa cuisse étoient sous mes yeux. Lorsque j’eus fini la chanson, je la posai sur sa table de nuit. Tu chantes comme un ange, me dit-elle, en prenant ma tête dans ses deux mains et en appuyant sa bouche sur la mienne. Enhardi par cette marque d’amitié, je lui rendis les baisers qu’elle me prodiguoit. Bientôt sa langue s’ouvrit un passage, et fut s’unir à la mienne. Il est impossible de peindre ce que j’éprouvai dans ce moment.

Cependant mes mains tremblantes de desirs, erroient sur la gorge de ma belle maîtresse. Je sentis bientôt une des siennes qui se glissoit le long de ma cuisse, et sembloit chercher à découvrir si j’étois bon à quelque chose : elle dût être contente, car je bandois...... je bandois..... comme quand on bande pour la première fois. Je hasardai de porter à mon tour mes mains vers le centre des plaisirs. Après les avoir promenés sur un ventre ferme et poli, je les guidai entre les cuisses de ma déesse ; j’y rencontrai une épaisse toison, où mes doigts s’égarèrent : elle-même prit mon doigt et le plaça sur une petite éminence charnue. Ce doigt, guidé par la nature, se mit à remuer avec une agilité inconcevable ; bientôt mon institutrice tourne les yeux, balbutie quelques mots inintelligibles, roidit ses membres, et fait la plus copieuse décharge que de mémoire de femme on ait faite.


Sa main cependant qui avoit déboutonné ma culotte, n’avoit pas quitté le dard de l’amour dont la roideur extrême annonçoit les besoins. Oh ! mon Chérubin, me dit-elle, viens dans mes bras, viens sur mon cœur, que je te fasse connoître les plaisirs dont tu viens de m’enivrer.

En peu de secondes je fus dépouillé de tous mes vêtemens, et me voilà dans le lit de madame D......y. Peu de secondes après, elle prit la peine de m’initier elle-même dans les plus secrets mystères de l’amour. Elle se chargea de me placer et de m’introduire dans le temple du plaisir ; la nature fit le reste, et j’offris mon premier sacrifice à Vénus, à la grande satisfaction de la moderne messaline qui servit d’autel.

Quatre fois je renouvelai mon hommage, et madame D......y ne me fit retirer que lorsqu’elle vit que je n’avois plus que peu de chose à lui dire. Pouvant à peine me soutenir sur mes jambes, je remontai dans ma chambre, et me jetai sur mon lit, et un sommeil réparateur versa à pleines mains ses pavots sur ma tête.

Je dormois depuis à-peu-près une heure, lorsque je fus reveillé. C’étoit madame D......y qui m’apportoit elle-même des restaurans dont elle savoit que je devois avoir un grand besoin. Un consommé, une perdrix froide et d’excellent vin de Pomard. Voilà ce qui composoit mon modeste déjeûné ; je le mangeai en homme qui l’avoit bien gagné, c’est-à-dire, en affamé.

Pendant mon repas, madame D......y me prodigua les plus doux propos et les caresses les plus séduisantes : c’est en ce moment qu’elle m’apprit l’histoire de mon origine, la disparition de mon père et la fin de mon infortunée mère. Je donnai quelques larmes à leur souvenir, et un doux sourire à ma bienfaitrice. Je reçus d’elle un tendre baiser ; ce baiser fit renaître mes forces ; madame D......y fut sensible au pouvoir de ses charmes ; mais elle ne voulut pas profiter de ma bonne volonté, et se retira en m’invitant à prendre un repos qui m’étoit nécessaire.

Pendant quelques jours je fus fidèle à madame D......y mais enfin mon caractère volage l’emporta. Je fis attention à ce qui m’entouroit, je vis des figures enchanteresses qui paroissoient me sourire. Mon intrigue avec madame D......y que je croyois un secret impénétrable, étoit sue de toute la maison : cette intrigue sembloit me donner du prix aux yeux de celles qui, jusqu’à ce moment, avoient à peine daigné faire attention à moi. Je m’apperçus enfin que le premier bonheur pour une femme, est d’enlever un amant à sa compagne, et que la désolation d’une rivale est une de ses principales jouissances.

Au milieu de la foule des jolis minois qui m’environnoient, je distinguai particulièrement celui d’une jeune brune de dix-huit ans. Jamais œil plus noir et plus brillant ne para une jolie tête. Enfin je puis dire sans exagération, qu’il étoit difficile de soutenir l’éclat des yeux de Félicité ; grasse, potelée, mais de cet embonpoint qui ne fait que donner plus de volupté à l’ensemble de sa personne ; enfin de la tête aux pieds, Félicité étinceloit de desirs ; c’étoit la jeune Hébé parée de la ceinture de Vénus.

Félicité étoit une des plus ardentes à ma poursuite, depuis qu’on avoit pénétré ma liaison avec madame D......y, elle trouva plaisant de se donner à moi devant sa rivale, et sans que celle-ci se doutât de rien. Voici comme elle s’y prit pour y parvenir.

Un matin que j’étois dans la chambre de madame D......y, à ranger différentes choses, et que cette dame, encore couchée, causoit de choses indifférentes, Félicité entra, ferma la porte avec soin, et me fit, sans que madame D......y s’en apperçût, un signe de discrétion, en mettant son doigt sur sa bouche. Elle fut au lit de madame D......y, l’embrassa en lui disant qu’elle avoit quelque chose à lui confier. Mad. D......y me dit de sortir. Non, reprit Félicité, Chérubin peut rester : je vous parlerai bas. Alors tirant les rideaux, elle se plaça de manière que son buste étoit dans l’alcove, mais que sa croupe étoit de mon côté. Par ses soins, les rideaux se croisoient exactement sur ses reins ; ensuite, par un mécanisme sans doute préparé d’avance, son unique jupon tomba à ses pieds ; elle n’avoit point de chemise. Ah ! quel cul !… quel délicieux cul !… Le marbre n’est pas plus ferme… L’albâtre n’est pas plus blanc.

Devenu frénétique par cette vue, j’allai doucement m’agenouiller devant ce cul divin, j’y appliquai sans bruit de tendres baisers, j’écartai la superbe toison qui couvroit la grotte de l’amour ; j’en écartai les lèvres mignonnes et vermeilles, ma langue libertine y pénétra et fut y pomper le nectar brûlant de la volupté.

Je passai bientôt à des plaisirs plus solides : je dirigeai mon dard dans cet antre charmant ; il y pénétra sans peine, grace à la salive qu’y avoit déposé ma langue. De ma vie, je crois n’avoir foutu avec tant de délices ; l’espèce de contrainte que j’étois obligé de m’imposer, sembloit y ajouter un degré de plus. Je fus cependant assez maître de moi, pour ne pas me trahir ; mais il n’en fut pas ainsi de Félicité ; elle avoit continué à s’entretenir avec madame D......y : à l’instant suprême, elle déraisonna si visiblement, que madame D......y lui demanda en riant, si elle étoit folle. Pour toute réponse, Félicité colla sa bouche sur celle de sa rivale, et se mit à la branler pour détourner son attention. Cette dernière qui n’étoit jamais rebelle à une telle attaque, s’y livra entièrement, et nous arrivâmes tous les trois presqu’en même tems, à la fin de la carrière.

À peine fus-je revenu à moi, que je ramassai le jupon de Félicité, et que je le lui rattachai le moins mal-adroitement possible. Elle reprit sa conversation avec madame D......y, que j’entendis la terminer par ces mots : « Ah ! ma chère, que tu as de tempérament ! » Félicité rouvrit les rideaux, et sortit en riant comme une folle de la réussite de son extravagante entreprise. Quant à moi, marmottant quelques mots de chanson, j’avois pris un air calme et froid, qui en eût imposé aux yeux les plus exercés.

Je partageai donc mes faveurs entre Félicité et madame D......y, jusqu’à l’évènement qui nous sépara, et ce fut cette folle de Félicité qui occasionna notre rupture.

Madame D......y projetoit de me donner une nuit toute entière, afin vraisemblablement de se livrer sans contrainte à son caprice amoureux. Mais par une fatalité inconcevable, la chaste Félicité avoit aussi résolu de passer la nuit avec moi. Félicité avoit une tête, et ce que cette tête avoit résolu, étoit toujours un décret irrévocable qui devoit avoir sa pleine et entière exécution. J’eus beau lui remontrer qu’il m’étoit impossible de me dérober à madame D......y, de qui mon existence dépendoit absolument ; rien ne put lui faire changer de résolution.

Il y avoit vis-à-vis la maison de madame D......y, un payeur de rentes, dont le portier, savetier de profession, étoit à-peu-près de ma taille, quoiqu’âgé d’environ quarante-cinq ans. Ce laid monsieur, car il étoit hideux, étoit un véritable satyre, poursuivant toutes les nymphes potagères du quartier.

Ce fut à cet Adonis de nouvelle fabrique, que l’extravagante Félicité destina les faveurs de madame D......y. Mes remontrances les plus vives ne servirent de rien. Jacquet le savetier, endoctriné par Félicité, promit avec joie de traiter madame D......y en nouvelle mariée. En effet, depuis son premier acte de virilité, le restaurateur des chaussures humaines n’avoit pas encore goûté d’une jouissance aussi relevée.

À deux heures du matin, Jacquet bien décrassé, en chemise blanche, fut introduit dans le lit de madame D......y ; par qui ? par Félicité elle-même. Elle voulut même être témoin auriculaire ; car tout cela s’étoit fait sans chandelle : elle voulut, dis-je, être témoin des tendres ébats de ce couple mal assorti.

Ce ne fut qu’au bout d’une heure et demie, et lorsque l’illustre Jacquet en fut à son septième assaut, que ma folle compagne revint prendre place à mes côtés ; elle me parodia les tendres discours du couple qu’elle venoit de quitter, avec tant d’esprit, tant de gaîté, que je fus obligé d’en rire avec elle ; nous nous livrâmes ensuite à notre delire amoureux, non sans remords de ma part, d’avoir contribué par ma foiblesse à jouer un tour aussi sanglant à une femme qui, non-seulement m’avoit donné les premières leçons amoureuses ; mais encore à qui je devois les douceurs dont mon existence avoit été environnée depuis le premier de mes jours.

Le fatal lendemain arriva ; M. Jacquet, à force de donner des preuves de ses prolifiques talens à sa compagne, étoit tombé avec elle dans un sommeil léthargique ; ils furent surpris par le grand jour. Mad. D......y se réveilla la première : « Chérubin, Chérubin », s’écria-t-elle. En disant ces mots, ses yeux se portent sur le malencontreux savetier.... Dieux.... quelle métamorphose..... ce n’est plus le frais, le leste, le joli Chérubin ; c’est une vilaine figure noire et grêlée, que décorent deux yeux ronds et bordés de rouge ainsi qu’une bouche meublée de cinq ou six chicots.

La foudre tombée en éclats sur le lit de Mad. D......y l’auroit moins terrifiée que cette étrange apparition. Maître Jacquet de son côté, réveillé par les mouvemens de Mad. D......y s’étoit mis sur son séant, et la regardoit de toute la grandeur de ses petits yeux, pour chercher à lire dans les siens, l’effet que produisoit sa présence.

Interrogé par Mad. D......y sur ce que signifioit tout cela ; le suppôt de St.-Crépin ne crut pas devoir ménager son introductrice ; il déclara donc que Mlle. Félicité lui avoit proposé de coucher avec Mad. D......y ; que cette proposition étoit trop honorable pour lui, pour qu’il osât s’y refuser ; qu’il avoit accepté ; que Mlle. Félicité l’avoit amené elle-même jusque dans le lit de madame, et qu’il avoit fait tous ses efforts pour reconnoître une faveur dont il s’avouoit indigne.

On juge de la fureur de Mad. D......y, à cette étrange découverte ; elle parvint cependant à la maîtriser, ordonna froidement à maître Jacquet de s’habiller, lui mit un louis dans la main, et lui recommanda le silence, sous peine de la vie ; ce que Jacquet promit autant par crainte que par nécessité.

Mad. D......y monta ensuite dans ma chambre ; ne m’y trouvant pas, elle vint à celle de Félicité, et nous surprit dans les bras l’un de l’autre ; c’est alors que sa fureur éclata, elle nous accabla des reproches les plus outrageans, que nous écoutâmes, moi très-déconcerté, Félicité en lui riant au nez. Elle nous signifia que nous ayions à sortir sur-le-champ de chez elle ; ce que nous exécutâmes, après avoir fait un paquet exigu de nos effets communs.

Félicité se retira dans une chambre garnie, rue d’Argenteuil ; je m’y établis avec elle. Me voilà donc à quatorze ans et demi, le tenant en chef d’une des jolies filles de Paris.