L’Enfer des femmes/Avertissement du docteur

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H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 165-168).


AVERTISSEMENT DU DOCTEUR


« Votre femme n’est pas malade, avait dit le médecin à Adolphe, mais elle est délicate. Je vous ai conseillé de quitter Cotterets parce que l’excessive sensibilité de madame Dunel rend ce séjour dangereux pour elle. Ne lui témoignez jamais d’inquiétude sur sa santé ; mais entourez-la de soins, ménagez-la, surtout évitez pour elle les émotions. Ce ne sont que des mesures de prudence qui ne doivent nullement vous tourmenter, cher monsieur. »

La première recommandation du docteur de village n’avait pas produit un grand effet sur Dunel ; mais le second avertissement, venant d’un homme qui passait pour fort habile, lui parut plus sérieux ; il se demanda si vraiment il avait épousé une femme faible de santé, et cette pensée lui déplut ; enfin l’inquiétude qu’il en ressentit, sans être très vive ni de très longue durée, agit cependant sur ses actions : il fut plus prévenant, plus attentif, il soigna davantage sa femme pendant quelque temps. Les deux jeunes mariés partirent pour l’Espagne, passèrent quelques jours à Madrid, et se dirigèrent vers l’Afrique. Après un court séjour au Maroc, ils se rendirent à Alger où ils firent un séjour assez long et se dirigèrent ensuite vers l’Italie. Dunel avait reçu du comte des lettres de recommandation ; et partout où ils s’arrêtaient, le nom de Mlle  de Cournon les introduisait dans la haute société ; on les fêtait, on enviait leur bonheur, ce qui flattait beaucoup Adolphe. Tout le monde était ravi de sa femme. Elle étonnait et charmait, en même temps que son air doux et rêveur excitait la curiosité, l’intérêt, comme sa beauté pure portait à l’admiration. En tous lieux, des paroles bienveillantes ou des regards louangeurs semblaient s’attacher à ses pas. Ces hommages, qui d’abord avaient éveillé la jalousie du mari, ne tardèrent pas à chatouiller agréablement son amour-propre. Il lui fut impossible d’oublier un seul instant que sa femme était charmante. Tout contribuait à prolonger leur amour. Lydie était de plus en plus émerveillée de l’existence. La mer et ses accidents, la nature chaude et dorée du Midi, puis les chefs-d’œuvre en ruine que l’Italie porte encore dans son sein, tout lui parlait un langage grandiose, divin ; mais elle ne disait plus rien, son extase était muette, sa pensée s’engourdissait dans une admiration profonde et passive. Elle se laissait envahir par ses sensations, faute de pouvoir les faire partager, et rejeter au dehors l’effervescence de son esprit ; elle finit par prendre pour un bonheur parfait une sorte d’abrutissement contemplatif.