L’Ennemi de la mort/25

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Calmann-Lévy (p. 292-304).


XXV


Pendant son séjour à la geôle de Ribérac, le docteur Charbonnière avait beaucoup réfléchi et médité sur l’arrangement et la marche des choses humaines, et il en était venu à cette opinion que la perversité des individus provenait moins de leur nature propre que du milieu dans lequel ils avaient vécu. Parmi tous ceux qu’il avait vu passer à la prison et qu’il avait observés, il n’y en avait guère au point d’absolument dépourvus d’un bon sentiment, ou au moins de quelques germes de bons sentiments qu’une saine éducation n’eût fait éclore. À peu près tous rejetaient sur la négligence de leurs parents, la misère, le malheur ou les mauvais exemples, l’abjection où ils étaient déchus. Ainsi le défaut de justice et d’équité dans les relations humaines et dans la répartition des avantages sociaux apparaissait à Daniel comme la cause génératrice du vice et du crime, bien plus que les dispositions perverses, innées, des individus.

Et, pareillement, il se persuadait que, dans les malheurs individuels qui atteignent des innocents, les lois de la société ont une plus grande part que celles de la nature.

Dans le même temps que mourait doña Maria, Sylvia était accouchée d’une petite fille qui fut nommée Noémi, en mémoire de sa grand’tante. Ce fut une fête pour tous au Désert, et cependant Daniel, encore attristé par la mort de la jeune Espagnole, ratiocinait sur le voisinage des deux événements.

Cette infortunée, elle aussi, sans doute, avait été accueillie avec joie dans la maison de son père. Le jour de sa naissance avait été fêté comme un jour heureux, et voilà que, dix-huit ans après, elle mourait victime de la férocité de celui que ses parents lui avaient, contre son gré, donné comme époux !

« Au lieu de se réjouir, à la venue d’un enfant, que de larmes souvent devraient couler si l’on pouvait pénétrer l’avenir ! »

En songeant à cette barbare stupidité des parents qui imposent à leurs enfants des mariages absurdes et des époux abhorrés, pour des considérations de fortune, de vanité, d’ambition ou même de pur caprice, le docteur se louait de n’avoir obéi en prenant sa compagne qu’à un amour partagé, de n’être liés tous deux que par leur seule volonté.

« La nature, se disait-il, ne s’occupe point de fonder des familles puissantes et de créer des enfants riches ; elle veut seulement des amants bien assortis et des enfants robustes : l’amour seul ne peut satisfaire à ce vœu. Les lois conjugales attachent les époux plutôt qu’elles ne les unissent ; le devoir procrée trop souvent des enfants mal doués ou débiles. D’ailleurs n’est-il pas plus hautement vertueux de remplir volontairement les devoirs réciproques, dictés au couple humain par la loi de la nature ? L’union libre de l’homme et de la femme, sans contrat, sans acte civil, sans sacrement, en dehors de toute question d’argent, d’intérêts mondains, de convenances sociales, c’est peut-être là, dans une humanité meilleure, le mariage de l’avenir… »

Et, en conséquence de tout cela, Daniel continua comme ci-devant à vivre honnêtement avec Sylvia, « dans le désordre », comme disait le procureur du roi.

Maintenant, depuis qu’elle était majeure, ce sévère magistrat ne parlait plus de la faire rendre à sa mère, et le docteur se félicitait d’être débarrassé de cet ennuyeux personnage lorsque celui-ci se rappela désagréablement à son souvenir.

Peu de temps après la mort de doña Maria, un bruit s’était répandu dans le pays : on disait vaguement qu’elle avait été empoisonnée. Par qui ? comment ? C’était des chuchotements douteux, sans origine connue, qui flottaient dans l’air, légers comme le bruit d’une eau qui coule. Puis, insensiblement, ces murmures devinrent plus nets, on s’enhardit aux commentaires et aux suppositions. Qui avait approché la malade ? Son mari ? Mais don Esteban, qui fréquentait au château de Légé, don Esteban, que l’abbé de Bretout citait en exemple à la paroisse pour sa ferveur, ne pouvait pas être sérieusement soupçonné. À l’égard du docteur, c’était une autre affaire ! Un homme d’opinions subversives, un concubin scandaleux, un repris de justice et, par surcroît, un méchant parpaillot devait être fort capable de la chose… Cela se disait à l’oreille, entre bourgeois et personnes pieuses, et, à force de se répéter, avait fini par déborder parmi les paysans. Qui le premier avait formulé cette grave accusation ? Il semblait que ce fût une collectivité, tant elle avait été simultanément distribuée dans toute la Double. Peu à peu, comme il arrive, à force de passer de bouche en bouche, tous ces bruits se précisèrent et s’aggravèrent : ce qui n’avait été hasardé d’abord qu’en forme d’hypothèse s’affirma comme une vérité indubitable.

Cependant, au bout de quelques mois, ces rumeurs calomnieuses, ces propos dénonciateurs avaient pris assez de consistance pour constituer ce qu’en style de réquisitoire on appelle « l’opinion publique ». En cet état, l’affaire fut signalée au parquet par un anonyme zélé, qui d’ailleurs envoyait comme une preuve décisive un petit paquet de poudre blanche présumée être le poison.

Appelé incontinent devant le procureur du roi le docteur reconnut aisément avoir donné à la jeune femme de don Esteban des paquets semblables, d’aspect, contenant de la quinine…

— Qu’est-ce que cette drogue ? interrompit le procureur.

— Tout simplement le principe fébrifuge du quinquina, récemment extrait de cette écorce par les savants Pelletier et Caventou.

— Alors, vous reconnaissez avoir administré à l’épouse de don Esteban le même médicament que celui contenu dans ce paquet ?

— Pardon ! il me faut d’abord voir ce médicament.

Le procureur ayant ouvert le paquet, Daniel examina la poudre, en mit un peu sur sa langue, puis dit tranquillement :

— C’est de l’arsenic, et non de la quinine.

Au bout de deux longues heures, après avoir répondu à force questions insidieuses qui tendaient à l’incriminer, le docteur conclut :

— Avant de m’accuser d’empoisonnement sur une délation anonyme, il serait peut-être bon de savoir si réellement doña Maria a été empoisonnée.

— C’est ce que l’expertise dira sous peu. Mais, dans l’affirmative, qui aurait commis le crime ?… Accuseriez-vous le mari de la morte ?

— Nullement. Il n’avait pas besoin de se compromettre par un aussi dangereux moyen.

— Voulez-vous dire qu’il en a employé d’autres ?

— Monsieur le procureur, tout ce que le médecin apprend au chevet du malade est un secret inviolable.

— C’est bien ! fit le procureur sèchement. En attendant le résultat de la nécropsie, vous vous tiendrez à la disposition de la justice.

— J’y serai toujours.

Peu après, les gens du roi, accompagnés d’un médecin réquisitionné, regardaient dans le cimetière de la Jemaye la fosse de doña Maria qu’un homme déblayait péniblement. Il pleuvait. La terre grasse collait aux outils, et, de temps en temps, le fossoyeur essuyait de sa manche son front moite. Enfin, la pelle racla le cercueil, lequel, au moyen de cordes, fut hissé hors du trou et porté dans l’écurie du presbytère, où il fut déposé sur une table improvisée, faite de planches et de troncs d’arbres. Puis, avec un ciseau à froid, l’homme fit sauter le couvercle et la morte apparut.

Une horrible odeur cadavérique monta comme une bouffée au nez des assistants et les fit reculer. La figure suave de la belle Espagnole était méconnaissable : les yeux enfoncés n’étaient plus que deux trous hideux ; les lèvres rongées laissaient voir deux rangées de petites dents blanches qui ressortaient au milieu des chairs noirâtres, décomposées.

Le médecin coupa les vêtements et le corps se découvrit dans son horrible nudité, marbré comme de moisissure, en pleine putréfaction. En deux coups de bistouri le médecin, les manches relevées, un tablier au col, ouvrit ce corps, puis en retira successivement l’estomac, le cœur, le foie, les intestins à demi-liquéfiés, et mit le tout dans de grands bocaux qui furent soigneusement scellés.

La mule de l’abbé de Bretout, tournant la tête, contemplait avec étonnement ces messieurs bien vêtus et semblait demander ce qu’ils faisaient là. Puis la mauvaise odeur la fit s’ébrouer et elle finit par braire à sa façon, comme d’ennui d’être ainsi troublée. Don Esteban n’était pas là. Depuis l’enterrement de sa femme il avait disparu, — désespéré, affirmaient les bonnes âmes, — et l’on ne l’avait pas revu. Une légende naissante assurait qu’il s’était enfermé dans un couvent.

Daniel était présent, lui, et se prenait de pitié pour cette pauvre victime que la cruelle absurdité des hommes harcelait jusque dans sa tombe.

— Mon ami, lui avait dit M. Cherrier, il te faut être là et voir les choses de près. Avec des gens ingénieux comme ceux qui ont mis de la « mort aux rats » dans ton papier, il est bon de se méfier toujours…

Quelques mois s’écoulèrent, pendant lesquels il attendit paisiblement le résultat de l’examen des experts jurés. Puis, le procureur restant muet, il s’informa et sut par un de ses amis, médecin à Bordeaux, que ce résultat avait été parfaitement négatif. La ridicule accusation n’avait pas trouvé de base ; mais, de cette affaire, il resta contre Daniel une suspicion soigneusement entretenue par ses ennemis. « Ce n’est pas sans raison qu’il avait été appelé devant le procureur du roi, n’est-ce pas ?… »

Le vicomte de Bretout était à son ordinaire plus catégorique, surtout après déjeuner :

— Méfions-nous des drogues de ce médicastre Charbonnière !…

Maintenant il s’en tenait à ces boutades méchantes. La piteuse fin de ses deux affaires avec Daniel et avec Sylvia l’avait un peu refroidi à l’endroit des violences. Il enrageait encore de n’avoir pas pris la belle fille ; mais il passait son dépit avec d’autres. Et puis sa femme lui avait fait sa leçon :

— Vous n’êtes pas heureux avec ceux du Désert, lui avait-elle dit ironiquement, laissez faire d’autres plus adroits !…

La mauvaise humeur que la magistrature avait témoignée contre Daniel existait aussi à l’état latent dans l’administration politique : elle eut l’occasion de se manifester lorsqu’il réclama son mémoire sur la Double, dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis l’envoi. Après plusieurs lettres demeurées sans réponse, il fut pendant quelques mois trimbalé de Caïphe à Pilate et de Pilate à Caïphe. Enfin, ayant atermoyé le plus longuement possible, épuisé les moyens dilatoires, l’administration finit par répondre de mauvaise grâce que le mémoire, confié à feu M. de Légé pour un rapport, n’avait pas été retrouvé dans ses papiers.

Voyant qu’il n’avait rien à espérer des fonctionnaires, tous indifférents au sort des paysans et hostiles à celui qui s’était fait leur avocat bénévole, Daniel abandonna la gent officielle et continua sans se décourager sa propagande personnelle. Dans son mémoire, il avait signalé la misère comme une des causes du triste état sanitaire de la Double, sans en rechercher l’origine. Mais, depuis, il avait poussé plus avant. Durant ses longues heures de prison, il avait médité sur la genèse de cette misère, et considéré en esprit cette malheureuse contrée répartie entre un petit nombre de riches propriétaires qui possédaient la terre et un grand nombre de paysans qui n’en avaient point ou très peu : il avait conclu finalement que l’indigence calamiteuse du pays était causée par l’extrême inégalité des fortunes territoriales, les uns regorgeant de superflu, les autres n’ayant pas même le nécessaire.

Et alors, il lui venait des idées que le procureur du roi eût déclaré tout de go subversives de l’ordre social. Le pire était que le docteur, à l’occasion, ne craignait pas de faire connaître ses opinions publiquement. Aussi, dans les foires, les marchés, les frairies de village, il lui arrivait parfois d’avoir des discussions avec tel ou tel gros bourgeois propriétaire, qui goûtait peu ses théories.

Un jour, à la « vote », ou fête patronale d’Échourgnac, Daniel, en se promenant parmi les groupes, remarqua, un peu à l’écart, deux amoureux qui se fiançaient à la mode angoumoisine… S’étant approché, à l’abri d’un arbre, il les épia curieusement. Le garçon disait à la fille.

— Crache-moi dans la goule et dis-moi que tu m’aimes !

Et il badait du bec largement.

Après avoir consciencieusement craché dans la bouche de son promis, la drôle disait :

— Je t’aime !

Et, ayant répété ensuite la même adjuration que son galant, elle ouvrait sa bouche où il crachait à son tour :

— Je t’aime !

« Les anciens usages et emplois superstitieux de la salive sont nombreux, notamment en matière de serments ! » songeait le docteur.

Pendant qu’il était là, réfléchissant à l’origine et à la symbolique de cet échange qui, dans l’esprit des accordés, créait entre eux un lien indissoluble, Daniel fut accosté par M. Carol (de la Berterie), qui avait assisté à la scène et, sans autre précaution oratoire, l’interpella de la sorte :

— Eh bien ! Ils sont propres vos paysans !

— C’est qu’ils n’ont pas reçu, les pauvres, une bonne éducation comme vous ! répondit le docteur en souriant.

M. Carol, qui chez lui vivait dans le plus grand dérèglement, avec deux ou trois chambrières, et se colletait fréquemment avec ses domestiques à leur sujet, ne soupçonna pas l’ironie ; néanmoins il repartit, agressif par tempérament :

— Mais vous les éduquerez, vous !

— Je le ferais si je le pouvais. Malheureusement, les gens qui ahannent toute la vie pour un morceau de pain n’ont pas un instant de ce loisir qui permet de relever la tête et de se cultiver moralement.

M. Carol éclata de rire :

— Vous me la baillez belle, avec votre culture morale !

— Cependant, voyez-en l’effet : mon grand-père et le vôtre aussi étaient des paysans.

— Où voulez-vous en venir ? interrompit M. Carol, rouge de dépit et de colère.

— À rien autre que ceci, c’est que ces paysans que vous méprisez si fort sont pourtant susceptibles de se civiliser…

— Que ne le font-ils !

— C’est qu’ils n’ont pas le temps de s’instruire et de penser…

— Qu’ils le prennent !

— Il faudrait pour cela que la propriété territoriale fût équitablement répartie, de manière que les uns n’aient pas tout, et les autres rien. Alors les riches bourgeois ne seraient pas toujours oisifs, et les paysans toujours écrasés de travail : les uns et les autres auraient des heures de relâche.

— Vous êtes un disciple de Babeuf !… et de ce coquin de Brissot qui a dit : « La Propriété, c’est le vol !… »

Là-dessus, la discussion se haussa d’un ton, faisant s’assembler autour des deux interlocuteurs les badauds qui trôlaient sur le terrain vague où se tenait la fête. Puis, comme il arrive en ces conjonctures, bientôt une foule se serra autour du docteur qui parlait, fréquemment coupé par les interjections de M. Carol.

— Que vous le vouliez ou non, disait-il, ce sont des lois humaines, ou plutôt inhumaines, qui ont permis l’accaparement du sol entre les mains d’un petit nombre. Ces lois consacrent le droit du plus fort. C’est le droit de Clovis sur les Gaules, de Pépin sur l’Aquitaine, d’Adalbert sur le Périgord…

— Arrivez au déluge !

— Nul, voyez-vous, ne devrait posséder plus de terre qu’il n’en peut mettre en rapport directement, et tout homme a droit à la portion qui lui est nécessaire pour vivre, lui et les siens. C’est là des lois naturelles, imprescriptibles, en dépit des codes qui légalisent le droit du lion…

— Ha ! ha ! ricana M. Carol.

— L’homme, individuellement, n’a qu’un droit de jouissance sur la terre. La propriété du globe terrestre appartient à l’humanité ; le territoire français à la nation. L’accaparement du sol est donc un crime contre les faibles. La terre n’est pas une machine, ni un objet de pur agrément, de gloriole, ni un moyen d’influence pour les riches, c’est une demeure, un chantier de travail, un moyen de subsistance pour tous… Il y a un apôtre qui a dit assez de bêtises ; mais je les lui pardonne parce qu’il a dit une belle vérité : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger ! »

— C’était un sans-culotte.

— Possible, monsieur Carol !… Eh bien, parmi tous ces messieurs si dévots, qui se soucie de cette parole de l’apôtre ? Personne. Les pauvres sont contraints par la faim de travailler pour les riches qui possèdent la terre. Et ceux qui devraient les défendre s’efforcent de les maintenir dans la sujétion, en leur promettant une bonne place dans le royaume des cieux qui est on ne sait où !

— Parpaillot, va !

— Parpaillot, soit, mais homme juste, qui voudrait voir commencer dès cette vie le règne de la justice sociale !… Je dis donc que nul ne devrait pouvoir se soustraire à la grande loi du travail. Ainsi, vous, monsieur Carol, si les choses étaient équitablement arrangées, vous devriez travailler votre réserve, et vos six métayers devraient garder tout le revenu provenant de leur travail : cela ferait sept familles dans l’aisance, au lieu que présentement il y en a une dans l’aisance et six dans la misère !

Ici M. Carol saisit Daniel au collet en criant :

— Méchant communiste ! je t’apprendrai à te mêler de mes affaires !

Daniel repoussa l’irascible personnage : il y eut entre eux un saboulement assez violent et quelques bourrades tandis que de cette foule paysanne, qui ne comprenait même pas le français, montait une rumeur menaçante, Badil, l’avocat du village, Pirot et autres compères s’acharnant à répéter :

— C’est une canaille, cet homme, ce higounaou[1] Il veut détruire les étangs, ruiner le peuple et empoisonner les gens, comme il a fait de la dame de Mortefont !

À ce moment, il y eut une poussée, un coup de bâton asséné par Moural, l’associé de la Cadette, atteignit Daniel au crâne et fut aussitôt suivi de plusieurs autres, chacun tenant à donner son coup, en sorte que le docteur tomba plus qu’à demi assommé. Une fois qu’il fut par terre, les coups de pied accompagnèrent les coups de bâton. Trigant l’ancien berger du Désert, tapait comme un sourd en hurlant :

— Étripons-le ! étripons-le !

Voyant la tournure que prenait l’affaire, M. Carol s’était reculé : avec trois ou quatre amis attirés par le vacarme, il regardait faire tranquillement.

Daniel courait le risque d’être « étripé », oui, vraiment, par les lourds sabots qui le piétinaient et les bâtons qui le frappaient lorsque tout à coup un homme survint, qui fonça sur ce ramassis de brutes, à coups de cravache en criant :

— Arrière, canaille !

Surpris, cinglés rudement, tous ces misérables en train de commettre un crime s’écartèrent devant M. de Fersac, qui, une flamme dans les yeux, joignait à chacun de ses coups une apostrophe sanglante :

— Bandits !… assassins !

Alors arriva, traînant sa bedaine, M. Jamet de Garipuy, maire de la commune, chez lequel M. de Fersac avait dîné, au château de Biscaye.

Daniel, qu’on releva saignant, meurtri, évanoui, fut porté chez l’adjoint sourcier par quelques hommes que le maire commanda et qui s’empressèrent d’obéir afin d’écarter le soupçon de leur participation à cette échauffourée.

En partant, M. de Fersac se tourna vers le petit groupe où se trouvait M. Carol.

— Quant à vous autres, leur dit-il, j’ai à vous signifier que vous êtes des lâches, tous tant que vous êtes !… Et si quelqu’un de vous s’en veut ressentir, il n’a qu’à parler.

À cette injure méritée, nul ne répondit, pas même le colérique antagoniste du docteur. C’est que M. de Fersac passait pour avoir la main malheureuse.


  1. Huguenot.