L’Ennemi de la mort/28

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Calmann-Lévy (p. 330-342).


XXVIII


Au jour fixé par l’assignation, le tribunal accorda en rechignant à l’avoué de Daniel la remise de l’affaire à un mois. Puis, vinrent les vacances, et, après un jugement condamnant le débiteur, une nouvelle remise, réclamée, cette fois, par l’avoué de Zélie, qui mariait sa fille. Entre temps une saisie immobilière avait été pratiquée au Désert, à la diligence de l’avoué de madame de Bretout. Ensuite, les procédures ayant été jointes, le cahier des charges fut dressé et publié. Parmi tout cela, naturellement, significations d’actes inutiles, d’avoué à avoué, incidents provoqués par ces honorables chicanous, — jugements préparatoires, interlocutoires, oppositions, etc.

Ainsi traînait le double procès et peu à peu se retardait le dernier acte de ce petit drame judiciaire. Ce n’est pas que Zélie et madame de Bretout ne pressassent leurs avoués. Mais les affaires rapidement menées ne sont pas de bonnes affaires pour les gens de loi : il faut, pour être bonnes, qu’elles aient été assaisonnées avec toutes les herbes de la Saint-Jean que tient en provision la chicane.

Enfin, le jour de l’adjudication venu, après deux enchères, les biens du docteur Charbonnière furent adjugés à l’avoué de madame de Bretout, au prix de vingt-deux-mille quatre cents francs.

Ce résultat était déplorable pour Daniel. Heureusement, un gentillâtre libournais, désireux d’acquérir une propriété en Double pour y venir chasser, fit dans le délai légal une surenchère du quart, laquelle donna lieu à une nouvelle adjudication, fixée au 15 juin, sur la mise à prix de vingt-huit mille francs.

Le 15 juin, après trois enchères successives, le surenchérisseur se retira par courtoisie devant madame de Bretout, à la sollicitation d’un ami commun des deux familles, déniché fort à propos par l’oncle curé de la Jemaye. La cousine de Daniel resta donc adjudicataire pour la somme de vingt-neuf mille cent cinquante francs.

Malgré le soin consciencieux avec lequel les hommes de loi en cause avaient fait foisonner les frais, il devait revenir à Daniel un reliquat de quatre ou cinq mille francs. Mais il fallait attendre l’ouverture — et la clôture — de l’ordre judiciaire, car les dispositions de madame de Bretout ne permettaient pas d’espérer un ordre amiable.

Une autre circonstance favorisa le docteur. L’huissier saisissant, au lieu de se transporter sur les lieux, s’était borné à rédiger son procès-verbal au vu de la matrice cadastrale de la commune où était situé le Désert, en sorte qu’il n’avait pas saisi un fonds situé dans une commune voisine.

L’immeuble échappé à la saisie n’avait qu’une faible valeur : c’était une lande sur laquelle était construite une bicoque, avec de mauvais taillis et un bois de châtaigniers, — le tout d’une contenance de dix journaux environ, soit quatre hectares. — Néanmoins, c’était pour l’exproprié une ressource appréciable. Par là il demeurait en contact avec la terre, et pourrait se réfugier et s’abriter tant bien que mal dans cette baraque abandonnée depuis longtemps par l’essarteur.

Dès le surlendemain de l’adjudication, Daniel se rendit « aux Essarts ». L’habitation n’était qu’une méchante maisonnette en bois, en torchis et en pisé, comme la plupart de celles de la Double. Elle était divisée en deux compartiments que séparait une mince cloison, l’un pour les personnes, l’autre pour les bêtes, — exactement comme celle des Huguettou défunts, où il avait débarqué lors de son retour au pays. — La toiture était à demi effondrée, les murs crevassés par endroits.

« Nous ne coucherons pas dehors, se dit-il, après que la tuilée sera réparée… »

Ayant tout bien considéré, le docteur prit le chemin de Saint-Michel afin de voir un ouvrier pour les réparations à faire et aussi pour visiter M. de Fersac, qui l’avait mandé.

Le pauvre gentilhomme était en fâcheuse posture pour le moment, retenu au logis par la goutte, et, de plus, travaillé par cette autre maladie que maître François baptise : « faulte de monnoie ». Dans cette passe désagréable, sa philosophie ne lui faisait pas défaut ; c’est en plaisantant qu’il accueillit le docteur :

— Un dieu nous a fait ces loisirs !

— Et peut-être aussi une déesse ! répondit Daniel.

— Cela se pourrait… Et vous, comment vont vos affaires ?

Quand le docteur eut tout raconté, M. de Fersac répliqua :

Homo homini lupus… Moi, mon cher docteur, j’ai été obligé de vendre mon meilleur domaine, celui qui nourrissait la maison, pour rembourser à votre gente cousine une ancienne dette contractée envers le digne auteur de ses jours, dette doublée par des intérêts follement usuraires…

Disant cela, M. de Fersac se souleva un peu sur le vieux fauteuil Louis XV où il était assis, sa jambe droite reposant sur un oreiller que supportait un tabouret.

— Encore si je n’étais pas podagre !… ajouta-t-il.

Après avoir examiné le pied malade, le docteur appela Madalit et lui expliqua la manière de faire des cataplasmes et la façon de les appliquer. Puis il dit au comte :

— Ce ne sera rien, l’accès n’est pas grave. Dans une quinzaine, vous remonterez à cheval : donc ayez un peu de patience. Mais, surtout, point de vin vieux, de café, de liqueurs ! Buvez de bonne eau claire… et privez-vous du reste !… Ce n’est pas le temps de faire des libations à Bacchus et à Vénus !

En sortant du château, Daniel alla chercher un maçon nommé Coli, surnommé par un jeu de mots facile « Colimaçon », et l’emmena aux Essarts. Ainsi qu’il arrive au fond des campagnes, où le travail est rare, Coli devenait à l’occasion, couvreur, plâtrier et même un peu charpentier. Ayant bien étudié les choses, il promit de faire la besogne pour la somme de quarante écus, à la condition que les matériaux lui fussent amenés à pied d’œuvre, et qu’on lui fournît un goujat manœuvre pour l’aider. Et, sur ce point, il proposa l’aîné de ses garçons, qui serait payé vingt sous par jour, et cela fut accepté…

Tout étant bien convenu, le lendemain, de grand matin, Daniel lia ses vaches, et, avec la Grande, s’en fut à la Tuilière, où il prit un chargement de tuiles et de briques qu’il mena aux Essarts. Coli se mit à l’œuvre incontinent avec son fils, et, comme il lui tardait de toucher son argent, contre l’ordinaire des ouvriers de campagne il fit diligence, et finit en quinze jours de réparer la maison. Après quoi, il se mit à construire une petite grange ou écurie destinée à remplacer l’ancienne, qu’il avait transformée en une vaste chambre.

Cependant le docteur avait vendu son troupeau de moutons, ses vaches d’élevage, fors une qui était bonne laitière, les cochons, et la plus grande partie de la volaille, portée au marché de Mussidan par la Sicarie. Il lui tardait fort de quitter le Désert depuis que ce domaine appartenait à madame de Bretout. Au reste, Pirot, dépêché par ses maîtres, était venu lui signifier d’avoir à déguerpir sans retard. Aussitôt qu’il le put, Daniel commença son déménagement, aidé d’un métayer de M. de Fersac qui fournissait sa charrette.

Après deux jours, ce déménagement fut interrompu par un orage épouvantable qui passa sur la Double et ravagea une douzaine de communes. Les blés, les seigles, les maïs, le millet, les haricots, tout fut haché par la grêle. Les noyers et les châtaigniers à fruit furent dévastés, fracassés ou déracinés par l’ouragan. Rien ne resta des espérances de la récolte : c’était la misère, la famine pour la contrée. Cette grêle venant après le gel des vignes, échu en avril, accablait les populations et les stupéfiait. De mémoire d’homme, on n’avait vu dans le pays un désastre aussi général. Que faire après cela ? Crever de faim tous, hommes, femmes et petits enfants, ou prendre le bissac sur l’échine et s’en aller de porte en porte quêter son pain dans le haut Périgord ! Une sourde indignation, un soulèvement des consciences, exprimés par les blasphèmes de quelques-uns, protestaient contre ce malheur immérité. Quoi ! c’était moins d’un an après la Mission réparatrice, après l’expiation publique et solennelle des péchés commis par eux, peuple de la Double, que Dieu les frappait si rudement !… Ainsi raisonnaient vaguement les cerveaux faibles et obtus de ces gens-là. Aussi, après les premières heures d’affaiblissement, de prostration, vinrent les pensées de révolte et les cris de colère : le bon Dieu n’est pas juste !… « Au diable la Vierge et les Saints ! » disaient, deux jours plus tard, le dimanche devant l’église d’Échourgnac, les paysans assemblés. La fermentation des esprits, qui s’excitaient mutuellement, éveillait dans cette foule irritée le besoin de se venger, de faire retomber sur quelqu’un, sur quelque chose, le poids de la colère universelle :

— N’entrons pas dans l’église !

— F…-nous de la messe !

Mais alors Badil, venu là comme par hasard avec son ami Moural et la Cadette, fit observer que la messe n’en pouvait pas davantage. La véritable cause des malheurs qui abondaient sur la Double, le curé de Saint-Christophe l’avait dite là-haut, en son prêche : c’était la présence dans la contrée des méchants huguenots.

— Oui ! oui ! c’est ça ! firent quelques-uns, prompts à prendre la voie.

— On devrait les chasser du pays, ces scélérats ! disaient d’autres.

— Si nous n’étions pas des couards, nous le ferions sur-le-champ ! déclara l’avocat de village.

La fureur de la foule trouvait là pour se traduire en actes un objet tangible. Toutefois, si exaspérée qu’elle fût collectivement, chacun pensait, en son for intérieur, qu’à Sainte-Aulaye, à Laroche-Chalais, où était ce temple dénoncé par le curé comme étant « la maison du Diable », les parpaillots étaient nombreux et ne se laisseraient pas faire tout bellement : il faudrait en découdre. Cette réflexion faisait hésiter même les plus violents, qui s’agitaient beaucoup et braillaient, mais ne partaient pas, lorsque, ce misérable Badil ayant crié : « Au Désert ! » toute cette multitude, courageuse maintenant contre un seul homme, répéta forcenée : « Au Désert !… au Désert !… »

Et alors, armés de leurs lourds bâtons, de gros piquets arrachés aux clôtures, de fourches en fer ravies dans les étables, quelques-uns de serpes, tous de couteaux, hommes et femmes, vieux et jeunes, roulèrent en une foule désordonnée dans le chemin qui menait à la vieille demeure huguenote.

À quelque distance, ceux qui marchaient en tête rattrapèrent un vieux mendiant à cheveux blancs, pieds nus, qui les interrogea :

— Et où allez-vous si pressés, braves gens ?

— Nous allons jeter hors de la Double des chiens de parpaillots qui nous ont fait écraser par la grêle ! répondit Badil.

— Voire !… Comment auraient-ils pu le faire ?

— Ils sont tous sorciers ! répondirent quelques voix.

— Mais, braves gens, j’étais à Laroche-Chalais lorsqu’il grêla, je viens présentement de Sainte-Aulaye, et je vous puis affirmer que les blés des huguenots ont été grêlés comme ceux des bons christians…

— Ôte-toi de là vieille bête ! tu ne vaux pas mieux qu’eux ! dirent plusieurs en le bousculant avec rudesse.

En chemin, toutefois, d’aucuns, y voyant un peu plus clair que les autres, se dérobèrent isolément, çà et là, dans un taillis, derrière une haie, traînèrent en arrière et prudemment revinrent chez eux. Ils étaient sept ou huit peut-être. Tout le reste continua, en braillant de basses injures à l’adresse du parpaillot. Bruyamment ces attroupés se remembraient entre eux leurs prétendus griefs contre lui. Le projet de suppression des étangs, chose étrange, irritait ces paysans dont la plupart ne possédaient pas un pouce de terre. Il y avait pourtant là quelques rares propriétaires, comme ce mauvais Fréjou qui véhémentement se plaignait d’avoir été exploité par ce sorcier de médecin higounaou. Dans cette cohue, il y avait aussi nombre de gens soignés gratuitement par le docteur, et, auxquels il avait fourni des remèdes : nul ne s’en souvenait. Ceux-là comme les autres s’animaient contre lui par des vociférations haineuses. C’était un brigand, un assassin, un empoisonneur, un de ces maudits parpaillots dont avait parlé le curé de Saint-Christophe, auxquels il fallait courir sus comme à des chiens enragés !

Et les meneurs de cette bande renchérissaient sur les injures, les calomnies, les accusations perfides, et attisaient encore la colère des paysans ameutés contre la maison du Désert.

Pendant que cette troupe fanatisée par des gredins allait vers sa maison, Daniel et Sylvia, avec les deux petits, étaient aux Essarts depuis le matin, occupés à placer et mettre en ordre les meubles et les objets déjà déménagés. La Grande, restée seule, fut surprise par cette horde qui se rua dans la basse-cour en proférant des cris de mort et des hurlements sauvages.

Elle était à ce moment, décoiffée pour rattacher ses cheveux, et n’eut que le temps de saisir derrière la porte le « billon » de son défunt Mériol. En voyant cette géante qui fonçait sur eux, les yeux flambants, les cheveux au vent comme une crinière grise, les premiers assaillants s’arrêtèrent, puis s’écartèrent sous le choc du pesant gourdin qui cognait dur et faisait jaillir le sang de ces fronts de brutes frénétiques. Tant qu’elle n’eut devant elle qu’une trentaine d’hommes, la vaillante femme les tint en respect, non sans recevoir elle-même quelques horions. Mais la poussée des suivants envahit bientôt la cour et finit par l’envelopper. Parfois elle se retournait et chargeait, pour se dégager, ceux qui l’attaquaient de dos ; puis, furieuse, la figure sanglante, elle revenait aux autres, crachant des insultes à tous :

— Tas de bandits ! lâches canailles !… Deux cents contre une femme !…

Quoique meurtrie, haletante, seule contre les assassins qui l’entouraient, son seul bâton contre tous ceux levés sur elle, la géante se défendait encore lorsque l’odieux Badil, venant traîtreusement par derrière avec une troupe qui avait fouillé en vain la maison pour y trouver Daniel, lui planta une fourche de fer dans les reins, en même temps que les coups de trique pleuvaient sur sa tête. Alors elle chut à la renverse et les coups redoublèrent, et la foule, en rut de crime, hommes et femmes sautèrent sur elle, la piétinèrent, lui écrasèrent la face de leurs gros sabots ferrés. De cette masse grouillante qui recouvrait la malheureuse, chacun se pressant, se heurtant aux voisins pour la frapper, s’élevaient des clameurs de cannibales, des rugissements de bêtes féroces, parmi lesquels jaillit, en une seconde d’accalmie, un glapissement de femme :

— Il faut la faire brûler !

Cette idée atroce, née de la manie dévote qui porte parfois les foules en délire à anticiper sur le supplice de l’enfer, fut tumultueusement acclamée par tous, et aussitôt des fagots pris sous le hangar furent amoncelés au milieu de la cour. Puis, tirant ce pauvre corps, lequel avait encore des soubresauts de douleur, les uns par les cheveux, les autres par les bras, quatre ou cinq hommes le traînèrent jusqu’au bûcher improvisé.

Pendant ce temps-là l’infortunée, la bouche pleine de ses dents cassées, répétait inintelligiblement :

— Lâches ! lâches !…

Mais bientôt, soulevée par vingt poignes, elle fut lancée sur les fagots où le feu fut bouté avec un brandon de paille.

Les cheveux grésillèrent d’abord, puis la flamme mordit la chair, et, tandis qu’hommes et femmes, dans l’ivresse du meurtre, dansaient autour du brasier en hurlant de joie, la martyre parmi le feu et la fumée, s’agitait convulsivement et râlait :

— Tuez moi, lâches ! tuez moi !

Cela dura un moment ; puis les mouvements cessèrent, le râle se tut, et une horrible odeur de chair grillée se répandit dans la cour.

Alors une masse de fagots fut jetée sur le cadavre, qui acheva de se consumer.

Après le meurtre, ce fut le pillage, la destruction. Cette tourbe démente s’engouffra dans la maison déserte. En quelques minutes, tout ce qui était encore là fut saccagé, foulé aux pieds, volé. Les livres, les papiers, les menus objets jonchèrent la chambre de Daniel. Rien ne fut respecté que « Baltazar » : debout au milieu de son socle, les bras croisés sur sa poitrine de squelette, il avait tout l’air de contempler ces misérables avec un ricanement sinistre qui les arrêtait.

Le feu mis aux livres épars sur le plancher se communiqua rapidement aux habits, aux quelques meubles qui n’avaient pas été déménagés, aux paillasses éventrées dans les autres chambres, et un tourbillon de fumée jaillit des fenêtres ouvertes.

Là-dessus, arriva Mornac tout courant ;

— Que faites-vous ! s’écria-t-il ; la maison est à la dame de Bretout !

Trop tard !… Les gens s’évadaient maintenant de ces murs qui flambaient en marchant sur la vaisselle et les bouteilles brisées, la plupart avec du linge caché sous la veste ou la blouse, les poches bourrées de menus objets, ou bien emportant effrontément des ustensiles à la main. Badil s’était emparé d’un fusil ancien monté en argent ; Moural avait choisi une romaine à peser ; la Cadette, une soupière en étain de glace qu’elle tenait dans son tablier. Queyrol avait raflé les bijoux et les petits objets antiques, y compris la bague au serpent que jadis avait rendue Minna. Tous s’étaient pourvus qui d’une marmite, qui d’une pelle de cuisine, d’un bassin de laiton, d’un plat, d’une paire de souliers. Jusqu’à ce mauvais Fréjou qui s’était adjugé une curieuse fontaine en cuivre où était naïvement représentée la chute de nos premiers parents. On eût dit que chacun voulait garder de cette triste journée un souvenir compromettant. Un enfant mêlé à cette invasion avait trouvé dans la maie un chanteau d’une demi-tourte et mordait à même avec voracité. De vin, il n’y en avait plus au logis, sauf dans la cuisine quelques pintes, vitement bues par les premiers entrés.

Il commençait à pleuvoir, de manière que les gens chassés de là par le feu, et ne pouvant s’abriter dans la grange et sous le hangar incendiés comme l’habitation, prirent le parti de se retirer, pressés d’ailleurs de mettre en sûreté leur butin. Peu à peu la foule s’écroula, sauf quelques obstinés qui, tout comme sur un champ de bataille abandonné, cherchaient quelque épave dans les débris.

Puis ceux-là mêmes s’en allèrent enfin, et la maison du Désert finit de brûler, solitaire, sous la pluie qui ruisselait…

Vers le soir, Daniel qui venait avec la bourrique pour querir encore certains objets, trouva dans la cour trois ou quatre poules échappées aux pillards, qui s’inquiétaient de leur enjuchoir disparu. La vieille Jasse, revenue des prés, tête basse, attendait patiemment sous l’eau.

Surpris par ce désastre, le docteur demeura immobile un instant, puis, ne voyant pas la Grande, il eut un pressentiment sinistre. Ce tas de braise, d’où s’exhalait avec un mince filet de fumée une nauséabonde odeur de chair brûlée, lui fit deviner bientôt la vérité abominable.

— Ô pauvre chère créature !

Et, fouillant avec une perche les charbons qui s’éteignaient, il découvrit les restes carbonisés de la géante au cœur d’or qui lui avait servi de mère.

Accroupi sur une pierre, la tête dans ses mains, il pleura longuement, tandis que le crépuscule déjà l’enveloppait d’ombre.

Enfin il se releva et s’éloigna de l’habitation incendiée, emmenant la jument aux Essarts.