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L’Envers de la guerre/II/18

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Texte établi par Ernest Flamarion,  (Tome II : 1916-1918p. 181-192).


JANVIER 1918


— Un soldat me fait parvenir le Journal des Ardennes, organe des pays occupés, inspiré par les Allemands. J’apprends ainsi que l’Allemagne fit des ouvertures de paix à l’Angleterre en septembre 1917, à l’incitation d’un pays neutre qui lui donnait à espérer un accueil favorable. Cette tentative n’eut pas de suite.

— Dans mon compartiment de chemin de fer, l’inscription « Défense de cracher » figurait en trois langues. On a masqué d’un papier le texte allemand. Une femme dit gravement, sans ironie : « Ah ! Dame, il ne faut pas les renseigner. »

— Le 5. On prête à Clemenceau l’intention, renouvelée des procédés de l’État-Major dans l’affaire Dreyfus, d’utiliser une dépêche de Sonnino destinée à écraser Caillaux.

— Les jeunes femmes semblent s’être classées en deux groupes, quant à l’amour, dans cette guerre. Dans la bourgeoisie, il n’apparaît pas de recrudescence d’aventures. On avait peut-être atteint la saturation. La facilité des mœurs se serait aggravée dans les couches populaires, en particulier sous le joug de la nécessité, qui aurait fait de beaucoup de femmes des prostituées temporaires.

— Le 5. Interview de Clemenceau par le Petit Parisien. Son but : « Vaincre ! » Il répète le mot comme un tout petit enfant fier de prononcer ses premières syllabes. Vaincre, vaincre. Que signifie ce mot, quand on ne définit pas le but ? Voilà l’irritant. Les gens de cette sorte ne veulent pas dire leurs buts parce qu’ils espèrent toujours les agrandir à la faveur de la chance. Et la chance, dans leur mentalité attardée, c’est la victoire par les armes, le massacre toujours accru, mais triomphant.

— Les lettres de Bouttieaux. Il est désemparé : « Puisse 1918 amener la fin et l’heureuse issue de l’orage où nous nous débattons… L’heure est dure. On annonce bruyamment une grande offensive boche… Il paraît que l’industrialisation des travaux du front va tout transformer, grâce à la main-d’œuvre des Russes, des vieillards, des auxiliaires et autres gallipoteux… Il faut, à l’Occident, rester sur une prudente défensive en attendant les Américains. Mais quand ils seront légion, qu’en fera-t-on, et quelle méthode de stratégie novatrice révolutionnera l’art militaire ? Mystère, auquel j’avoue ne rien comprendre. Au total, je vois de moins en moins comment cela finira. Mais je le dis avec vous, ce sera la question économique qui réglera tout, bien plus qu’une grande action militaire, impossible avec les armées modernes. »

— Le 8. Un courant se dessine. On prévoit, dans les milieux officiels, la fin des hostilités pour l’été prochain. L’un dit : il n’y a plus qu’à régler la question des colonies allemandes. L’autre : la question d’Alsace-Lorraine. Ce sont là de gros morceaux…

— Le fils d’un administrateur de Grands Magasins revient de Russie et proclame hautement son admiration pour les Maximalistes, leur idéal, leur énergie. Eux seuls étaient capables de gouverner. Cela est loin de nos journaux, de leur effarante campagne de haine contre la révolution russe ; de cette « manchette », lue hier : « Pourquoi bolchewick ? Bochewick, simplement. »

— On a supprimé l’absinthe, mais on verse au peuple une mixture autrement toxique, le breuvage de l’optimisme fanfaron, de la bonne nouvelle imperturbable, de la victoire riche et pleine, l’ignorance et l’inexistence des échecs et des pertes, l’ignoble injure à l’ennemi, l’espionnite. Et maintenant il lui faut cette absinthe frelatée, brutale, il en a besoin pour se soutenir, pour vivre. L’absinthe ? Mais c’était un lait de poule, à côté de ce curare !

— Le 9. À midi, paraît un message Wilson, qui pose quatorze conditions de paix. C’est le document le plus important de la guerre. Après 43 mois, un homme s’avise de dire ce qu’on eût du dire le premier jour : il dit les buts. Il est vrai que ces buts ont tellement changé ! Enfin, l’Amérique nous souffle notre rôle. Oh ! la France de 89, qui reste muette ! Cela prouve bien qu’elle est aux mains des gens de poudre, des annexionnistes sournois, des rétrogrades sanguinolents. Nul n’ose plus tenir un langage républicain. Du haut de la tribune française, on ne peut plus parler que dans une trompette, les joues bouffies, les yeux exorbités, lançant des notes de cuivre, des musiques de caserne.

J’écrivais à Anatole France que ces quatorze conditions étaient des personnes séduisantes, qui feraient parler d’elles, que la française était un peu voilée (en effet, la réparation du tort de 1871 ne signifie pas le retour intégral), la polonaise un peu exigeante, et que la russe paraissait la sultane favorite. (Il y a en effet vis-à-vis de la Révolution russe un ton de bienveillance dont le contraste avec le dépit haineux de Clemenceau apparaît tragique, un avertissement à méditer.)

— Le 10. Le bruit galope de l’arrestation prochaine de Caillaux. La chose était décidée avant son discours de défense à la Chambre. On y renonça dès après ce succès. Mais voici des conciliabules de Clemenceau, d’Ignace. Et certains de ses ennemis murmurent : le juge instructeur se plaint du mutisme des témoins ; ils parleront peut-être, une fois Caillaux arrêté.

— Depuis quarante-trois mois, il y a moratorium de la Raison.

— On répand toujours le bruit d’une formidable offensive allemande. Elle sera désespérée, paraît-il. On écrit aussi qu’elle sera aérienne. Je m’étonne que la presse, si appliquée à exalter le « moral », se fasse l’écho continu de cette crainte. Réponse : c’est que, précisément, le Français ne cède jamais sous la menace.

— Notre ministre de la Guerre interdit le port du cache-nez, « sauf pour les soldats délicats, qui doivent le dissimuler sous la capote ». Il a gelé à 18°.

— La lutte, qui deviendra générale, entre impérialistes et socialistes, est aiguë en Allemagne. Le vrai caractère du conflit se dessine : les avaleurs contre les avalés.

— Forain se promenait au Bois, au temps où il n’était pas encore nationaliste. Passe un vieux général à cheval, tassé, podagre, croulant. Et Forain : « Il ne pourrait même pas fuir ! »

— On me dit : « La France s’est mise aux côtés de la Russie engagée dans la querelle serbe. L’ayant suivie dans la guerre, pourquoi ne la suit-elle pas dans la paix ? »

— Encore une séance de la Chambre à marquer d’une croix noire. Celle du 11. Les socialistes, forts de la sollicitation si pressante et si tendre de Wilson d’aider la Russie, ont vainement tenté d’obtenir du Gouvernement des passeports pour Petrograd. Refus absolu. Ils n’obtiennent que 113 voix contre 377. Pichon reproche aux Maximalistes d’être les ennemis de la France. Il veut éviter d’être entraîné dans la paix générale. Il sert à nouveau l’argument stupéfiant : « Il serait indécent que des Français fussent en face d’Allemands tandis que l’ennemi nous envahit encore. » Et, du Centre à la Droite, éclate la haine de la Révolution russe, l’admiration de la Force. « Vaincre ! Écraser… Les armes ! Le canon… » Un socialiste crie : « Ils n’ont rien compris à cette guerre. » C’est vrai.

— Le 14. Les pourparlers de Brest-Litovsk se poursuivent, houleux, obscurs. Ruptures, reprises se succèdent. On dirait de deux amants.

— J’oubliais qu’à cette néfaste séance du vendredi 11 janvier 18, le désaccord entre les Alliés apparut. L’Alsace-Lorraine semble toujours le point d’accrochage. « Retour préalable » dit la France. « Discussion au cours des pourparlers » disent les Alliés.

— Le 14. On apprend l’arrestation de Caillaux dans l’après-midi. Stupeur chez les gens qui ont gardé un peu de raison. Allégresse des autres. Les journaux annoncent la nouvelle en titres énormes. Cela paraît l’événement capital de la guerre. C’est l’unique sujet des conversations. Le reste n’existe plus.

— 15. On sort de nouvelles raisons de l’arrestation de Caillaux. Un coffre-fort à Florence, des dépêches de Luxbourg, ministre d’Allemagne en Argentine. Les assertions les plus fantaisistes sont accueillies par les journaux, donc avec l’agrément de la Censure. On donne aussi des détails sur l’arrestation, les formalités rituelles, fouille, anthropométrie, dont aucune n’aurait été évitée, bien qu’elles soient une plus dure épreuve pour un privilégié que pour un malheureux.

— On parlait de l’offensive du 16 avril 17. Painlevé affirmait toujours qu’il ne l’avait pas arrêtée. On rappela que Nivelle s’en défendait également. Quelqu’un dit : « Enfin, qui est-ce qui a arrêté l’offensive ? » Alors, le ministre S… doucement : « Mais, ce sont les Boches. »

— Le mardi 15, les socialistes dénoncèrent à la Chambre l’irrégularité de l’ouverture du coffre de Florence. Nul représentant de l’inculpé, ni de la France à cette opération. Le sous-secrétaire d’État Ignace élude, biaise, dit qu’on ne pouvait pas soupçonner notre alliée l’Italie, dont la loi n’était pas la nôtre et qui opéra. Clemenceau l’approuva en deux mots. Et le même bloc, 370 voix contre 105, suivit le Cabinet.

— Le 17. On sort les dépêches Luxbourg contre Caillaux. Une agence glisse même une perfide erreur de traduction. Elle transmet : capture indésirable au lieu de capture désirable, à propos du paquebot qui ramenait Caillaux en France.

Le sinistre comique de cette histoire, c’est que les mêmes gens, qui depuis 43 mois accusent de mensonge et de félonie tout ce qui vient d’Allemagne, ajoutent soudain une foi absolue au témoignage de l’Allemand Luxbourg ! Il est vrai qu’il s’agit de perdre un Français !

— Le 17. Toujours les pourparlers russes. Maintenant, notre presse ridiculise les maximalistes. On nous les montre grisés de vanité, à traiter avec des généraux gantés, bottes, casques. On nous cache des documents, comme celui où Trotsky approuve Wilson. Au lieu de soutenir des gens qui, voulant ramener la paix, pensent encore aux intérêts généraux des Alliés, c’est un déchaînement d’injures, d’ignominies, de faux, de truquages, toute la haine que devaient nourrir les Impériaux contre la France de 1792.

— Briand dit : « Ce bon M. Loustalot ! L’accuser d’intelligence avec l’ennemi… On ne peut même pas l’accuser d’intelligence. »

— À cet affreux mot de défaitiste — qui donc souhaita la défaite ? — on opposa dans l’autre camp le vocable exterministe. Gageons qu’il n’aura pas la même fortune.

— Un journal expose le plan pangermaniste et prétend qu’il fut rigoureusement suivi au cours de la guerre. Cela me rappelle cette réflexion d’Anatole France pendant notre voyage au Maroc en 1912 : « La guerre est une suite d’événements imprévus auxquels on s’efforce ensuite de donner un sens raisonné. »

— Un soldat m’écrit, au risque d’être pris par le contrôle postal : « c’est malheureux que Clemenceau ait échappé quand on l’opéra. On dit qu’on lui a enlevé une pierre. En tous cas, il lui en reste une, à la place du cœur. »

— Le 23. Toujours l’attente de l’offensive. « On nous en donne le programme et la date comme un gala de l’Opéra », m’écrit d’Antibes Anatole France. Et l’attente aussi d’un raid aérien sur Paris. Les journaux réveillent cette appréhension par des rappels de précautions.

— Ceccaldi confirme que des documents manquent au contenu du coffre-fort florentin : le dossier Cornélius Herz sur Clemenceau et le dossier Poincaré sur le rétablissement de l’ambassade près du Pape. Les sommes contenues dans ce coffre représenteraient environ 200.000 francs au cours actuel. Les journaux avaient annoncé 2 millions. On voit l’effroyable partialité des informations. La haine contre Caillaux ne s’apaise pas. Le travail des journaux, le besoin d’un bouc émissaire, ont créé cet état d’esprit. Quel étrange aveuglement… Il apparaît, quand on réfléchit, que cet homme a défendu deux fois les intérêts des humbles, en demandant l’impôt sur le revenu, en sauvant la paix en 1911.

— Le 23. On annonce la restriction à 300 grammes de pain. Toutes les précédentes mesures sont annulées. On craint que le mécontentement n’éclate chez les travailleurs. Les ouvriers, les paysans, consomment un kilo de pain par jour. On a supprimé aussi les gâteaux. Mais les maisons de thé les remplacent par des crèmes, des croquettes, qui utilisent d’autres matières également raréfiées, beurre, lait, sucre.

— Toujours le raid de Gothas sur Paris. On l’annonce pour le samedi 27. Voici comment on l’explique. Le Kaiser y était opposé comme il le fut à la guerre. Mais, là aussi, il dut céder à la pression militaire, par crainte d’être débordé. Le parti guerrier fut servi, dans son désir de représailles, par de récents raids — les uns disent un raid anglais sur Stuttgart qui tua des femmes et des enfants en procession ; les autres, un raid français sur Carlsruhe qui anéantit la foule d’un cirque ou d’un cinéma.

— Il est juste de noter que Clemenceau est capable de faire la paix, et qu’il est seul capable de la faire accepter par les Never-Endistes. De même on prétend que seul il peut faire accepter la proclamation de l’innocence de Malvy et Caillaux. Aussi, dit-on, il importe de le maintenir en place jusqu’à cette liquidation.

— Au café, deux vieillards se félicitent de l’avènement du sauveur, Clemenceau : « Le moral est retrempé ! » Ils sont effrayants. Chez eux, on devine l’atonie de la sensibilité, l’obscure satisfaction de la mort des jeunes et surtout le désir de la revanche. Ils ont gardé vive l’humiliation de 1871. Nous avions déjà le terrible « homme des cavernes ». Il y a une espèce aussi farouche : « L’homme qui a vu 70. »

— Ce doit être un spectacle tragique, ces illuminés comme Lénine et Trotsky, qui n’ont derrière eux qu’un pays désarmé, chaotique, et qui, soutenus par leur idéal, résistent à ces gens casqués, gantés, bottés, les représentants de la force et de l’organisation allemandes. Quel crime, de n’avoir pas soutenu ces champions débiles et désespérés de l’idée révolutionnaire…

— Le 27. La Vérité publie un article de Merrheim qui reproduit et commente un article du Daily News du 18 janvier. Les ouvriers des constructions navales de la Clyde ont décidé la grève au 31 janvier si « les négociations de paix ne sont pas entamées avant cette date ».

C’est vraiment la lutte déclarée entre les peuples et leurs maîtres. Les peuples qui veulent savoir pourquoi leurs maîtres les font battre. Il fallut quatre ans pour que perçât ce légitime désir. En Russie, il s’est imposé. Il s’affirme en Angleterre. Il éclate en Autriche. Nous ignorons sa force en Allemagne… et en France. Mais une nouvelle phase de la guerre s’ouvre, le choc des troupeaux et de leurs bergers.

— Le 27. On parle de l’arrestation de belles espionnes du monde des théâtres. Par malice, on cite toutes les vedettes.

— Le 28. Pasquet, adjoint à Clémentel pour les Postes, dit que les négociations en Suisse sont ouvertes depuis 48 heures ; l’Alsace-Lorraine serait échangée contre une part de la production du bassin de Briey, dont les Allemands auront besoin. Un souffle d’espoir se lève. La comparution de Malvy devant la Haute-Cour en passe inaperçue.

— En Allemagne, les conquérants sont en casque. En France, ils sont en casquette. C’est Poincaré, c’est Clemenceau, qui vont au front en casquette de chauffeur ou de cycliste.

— Le 29. Aujourd’hui commence le régime des 300 grammes de pain. Des queues s’allongeaient devant les boulangeries depuis plusieurs jours. On faisait des provisions ! Il y eut des rixes à Versailles. Cette restriction soudaine serait provoquée par la disette italienne. L’Italie menaçait de la paix faute de farine. On lui en envoya.

— Longuet revient de Nottingham, où s’est réuni le Labour Party. Au retour, il a fait route avec Lloyd George et Orlando, premier ministre italien. Ce dernier lui dit qu’en juin dernier, le discours imprévu de Ribot bouleversa les dispositions des cabinets anglais et italien, favorables à la réunion internationale de Stockholm. Poincaré n’est-il pas derrière cette longue et néfaste obstination ?

Il se prépare, dit Longuet, des choses formidables en Angleterre. Le foyer de Glascow bouillonne. Les mécaniciens de Londres ont demandé, comme les ouvriers de la Clyde, des pourparlers immédiats.

À Paris, Longuet tombe sur Clemenceau, qui attendait ses collègues anglais et italien. « Ces gens vous ont corrompu ? » lui dit Clemenceau. « C’est moi qui les ai corrompus ». réplique Longuet.

Il déjeune chez moi, avenue de La Motte-Picquet, avec Séverine, qui a tenu à apporter son sucre et son pain.

— Caillaux, la veille de son arrestation, dit à Longuet qui alléguait le manque de preuves : « Bah ! C’est comme dans l’Ile des Pingouins d’Anatole France. Les preuves qui manquent, on les fait fabriquer sur la côte de Coromandel. »

— On continue à chercher de nouvelles preuves, dans de nouveaux coffres, contre Caillaux. On a cherché à faire état d’un projet de révision de la Constitution, qu’on a appelé le Rubicon, dont on a donné des extraits, et dont la lucide vigueur a précisément gagné des partisans à Caillaux.

— Clemenceau devient le sauveur. Des légendes l’auréolent. Veut-on lui éviter un obus dans une visite au front : « Bah ! Ce serait la plus belle mort. »

— Et les circulaires pleuvent sur la tenue, le sabre, la coupe des cheveux. Un capitaine accoste à Paris Jean L… qui a deux galons : « Vous ne lisez donc pas les circulaires ? » Et il exige un double salut, au garde à vous.

— On dit : Clemenceau poursuit Caillaux. Il veut poursuivre Humbert, Sarrail. Il veut poursuivre même la guerre.

— Nuit du 30 au 31. Alerte vers minuit. Brouillard au sol. Ciel pur, clair de lune. Les premières détonations, de canonnade ou de bombardement, éclatent en même temps que les sirènes. Un horizon de fusées, de signaux, de phares aériens. On se téléphone les renseignements sur les points de chute successifs.

Les journaux du 31 matin sont muets, d’ordre de la Censure. Ils déclarent cependant que ce raid tendra les énergies, la vaillance, etc.

— Lisant l’interpellation Voilin du 28 sur le rationnement, je vois que des régions ont manqué de pain 4, 6 et même 16 jours. On lit à la tribune, dans l’indifférence, des lettres déchirantes. Et nulle révolte ouverte, ni à la Chambre, ni dans la rue. Je ne peux pas donner à cette résignation de hauts mobiles patriotiques. J’y vois une faculté de souffrir plus étendue qu’on ne croyait, le manque d’organisation et de cohésion des masses, la dure oppression des gens au pouvoir, servis par une presse menteuse et fanfaronne. Et, encore un coup, ce serait un spectacle comique s’il n’était pas lamentable de sottises, tous ces peuples qui se guettent et s’épient en se serrant la ceinture : « Encore un cran. Je tiens, tu tiens, il tient. Encore un… » Et cela sans bien savoir pourquoi — régimes douaniers, possessions minières, poteaux frontières ? — puisque de clairs buts de paix communs ne sont même pas encore énoncés !