L’Espion libertin ou le Calendrier du plaisir/04

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Au palais égalité (Gay et Doucé) (p. 28-41).
Liste des jolies femmes :
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 Foyer Montansier


L’Espion libertin, Bandeau de début de chapitre
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FOYER MONTANSIER


L’espion libertin séparateur de paragraphe
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Autrefois, en parlant de choses qui n’étaient point sûres, on disait :

« Je compte là-dessus comme sur le con d’une putain. »

Mais, aujourd’hui, on peut employer les mêmes termes dans le sens contraire : car des entrepreneurs ont compté sur les charmes de quelques nymphes pour achalander leur spectacle, et ils ont parfaitement réussi.

La spéculation est heureuse.

Bravo ! messieurs les directeurs, vous savez varier les plaisirs du public. Vous leur offrez deux spectacles d’un genre bien différent ; et, au moment même, où l’on baisse la toile d’un côté, chacun va la lever d’un autre.

Je laisse aux Frérons modernes la critique des pièces que vous jouez sur votre théâtre. Je ne veux m’occuper que de celles qui sont offertes à votre foyer.

Qu’il est brillant ce foyer ! Qu’elles sont belles les actrices qui y jouent ! Qu’elles sont jolies les pièces que ces mêmes actrices offrent au spectateur !… Quelle profondeur dans les sujets !… Quelle fraîcheur dans les décors !…

Ces entr’actes sont d’un plus grand prix, — car toujours on les paie plus cher que les actes joués par Jocrisse et Cadet Roussel.

Non, rien n’est plus beau que les intermèdes du Foyer Montansier : on n’y siffle jamais ; on y méconnaît la cabale ; chacun admire les actrices ; chacun veut jouer avec elles le rôle d’amant, et chacun y joue celui de niais.

C’est là, c’est dans ce foyer délicieux que se trouve le vis comica de la volupté ; c’est là que s’assemble un public connaisseur et éclairé… — Oh ! oui, éclairé par des quinquets placés symétriquement.

C’est là qu’un observateur, rempli des lumières de ces quinquets éblouissants, peut remarquer, admirer et juger ; c’est là, enfin, que l’on contemple les gorges blanches, brunes ou noires ; les seins agités, tranquilles, durs ou mous ; les yeux agaçants, vifs ou langoureux, mais toujours bordés de rouge ; les bras bien ou mal faits ; les formes des cuisses les plus voluptueuses ; celles des fesses les plus rondes ; et les jambes divines, et les pieds mignons, et les genoux faits au tour ; et…

Ah ! que tout cela est bien digne d’attirer l’attention de l’étranger.

C’est surtout dans la seconde galerie du foyer que le coup d’œil est charmant. On arrive gai et tranquille tenant innocemment sa contremarque à la main, fredonnant le vaudeville de Fagotin ou du Savetier de Chartres, on se place à cette espèce de balcon qui donne sur la divine galerie…

On voit des femmes… Ah ! des femmes… charmantes au foyer, délicieuses au tête-à-tête et friponnes partout : des femmes coquettes par usage ; jolies et agaçantes par état ; libertines par passion, et passionnées par tempérament ; des femmes, enfin, qui vous ravissent la paix et le repos intérieur. Et lorsque, par elles, tous les spectateurs sont enflammés, comment est-il possible que le foyer Montansier ne soit pas tout en feu ? Comment peut-on en approcher sans se trouver tout à coup embrasé ? Et en voyant un foyer aussi chaud, qui ne serait tenté de comparer le théâtre à une grande cheminée ?…

Mais ces nymphes ont-elles le même attrait au jour ?…

Doucement, lecteur ; votre curiosité est indiscrète. Faut-il vous dire que les maux de tête, les migraines, les indigestions changent totalement ces belles, et qu’elles n’offrent plus que des figures pâles et blêmes, des traits livides ou effacés, et que leur corps n’est plus que le squelette hideux du libertinage ?

Faut-il vous dire encore… que… Oh ! non ; je me garderai bien d’en dire davantage sur ces courtisanes qui, d’ailleurs, se sont toutes conformées aux ordres de la police, et peuvent servir leur monde dans les règles.

Cependant, je dirai quelque chose de chacune en particulier.

Commençons par

MADAME SAINT-HUBERTIE

Sa figure grêlée n’est point agréable, mais elle a le plus beau corps qui se puisse voir. Beaucoup d’amabilité, très recherchée dans sa parure. Son port est noble ; son maintien adorable ; un peu bégueule… Mais… quelle est la femme sans défaut ?

Pour jouir des charmes de la Saint-Hubertie et la voir toute nue : vingt-quatre francs.

Et quelquefois moins, surtout avec les jolis garçons ; mais pas souvent… — Mais avec les femmes !… Ah ! Saint-Hubertie !


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VICTOIRE

Dite la Blanche ; Palais-Égalité, n° 121,
chez Babet, de la place Maubert.

Victoire est un peu grêlée ; une blancheur éblouissante fait admirer sa figure : il est fâcheux que sa nature n’en fasse pas seule les frais, et que les petits pots y soient pour quelque chose. Son extrême blancheur n’est pas égale partout : le dos, la chute des reins, les bras, les cuisses tirent un peu sur le jaune.

Quel charme pour ceux qui aiment la variété dans ce qui flatte la vue et le sixième sens…

Cependant, cette difformité de couleur est bien rachetée par les touffes ombrageuses plantées à l’entrée du sanctuaire de l’amour, ce lieu charmant que le vulgaire nomme con.

Mais c’en est assez sur les charmes antérieurs de Victoire ; laissons un peu de surprise aux amateurs pour six francs.


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ÉLÉONORE

Dite la Romaine, Palais-Égalité, n° 121,
chez Babet.

Taille de cinq pieds ; élancée, visage allongé, nez à la Romaine, bouche ordinaire, la gorge un peu élevée ; — mais les bretelles élastiques ne sont-elles pas toujours démodé pour les femmes ?

Loin d’être une des trois Grâces, Éléonore est très maigre : on remarque que sa passion est un peu forte ; mais…

Enfin, allez voir Éléonore pour trois francs.


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LES DEUX COUSINES

Prétendues sœurs de la Blonde, au Perron, n° 93,
au second.

Voilà de véritables bacchantes. On assure que ces deux femmes étaient servantes de ferme. Devaient-elles quitter le service de la basse-cour pour celui de la cour de Vénus ; et, d’innocentes paysannes, devenir les servantes des prêtresses du libertinage ?

Il faut dire qu’elles ne méritent guère d’autre emploi que celui-là : elles portent le flambeau, la cuvette, l’éponge, et tout ce qui est utile aux cérémonies du culte auquel elles sont vouées.

Ces deux cousines sont très engageantes ; elles éclairent les michés avec beaucoup de complaisance.

On voudra bien les indemniser de la somme de un franc cinquante centimes.


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HÔTEL DE LA PAIX

Actuellement de Reims ; le premier, deuxième,
troisième et galerie vitrée
.

Ce lieu est destiné aux marchandes de bouquets, aux petites barboteuses, et autres.

Depuis que madame Dufaillie a émigré de cet hôtel, le bon goût s’est aussi rendu coupable d’émigration envers cette maison de plaisance, où ladite madame Dufaillie s’est ruinée.

Maintenant elle demeure rue Saint-Honoré, en face l’Oratoire, chez le charcutier, au second. Elle a encore quelques jolies femmes ; mais su maison n’a plus cette réputation putassière qui lui fit jadis tant d’honneur.

Mais, vu qu’elle donne trop dans le commun, on peut se présenter chez elle depuis la somme de trois francs jusqu’à six francs.


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AIMÉE

Au foyer Montansier.

Cette lourde provinciale est arrivée à Paris en 1796. Elle entra en qualité de servante chez Saint-Foie. Mais l’air de la capitale et surtout celui de certains quartiers, produit beaucoup de changement sur une jeune villageoise. Aussi Aimée quitta bientôt le maintien gauche du village, pour prendre le bon ton de la ville.

Elle est très fière, passablement bégueule : du reste, c’est une assez jolie femme, mais qui s’en fait trop accroire.

En quatre-vingt-seize, elle arriva en sabots, couverte de guenilles. Actuellement, nos Parisiens ne dédaignent pas de lui offrir la pomme. En un mot, Aimée n’est plus cette paysanne grotesque.

C’est une coquette policée que l’on voit pour la somme de six francs.


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MARCHAND

Palais-Égalité, galerie de Pierre, côté de
la rue Richelieu, n°
3.

C’est une brune, très mince, assez jolie, d’un bon caractère ; elle se met très bien.

J’invite les connaisseurs à visiter les charmes intérieurs de l’adorable Marchand pour six francs.


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CLEOFAS

Palais-Égalité, chez Marchand, n° 3.

C’est une grande, assez corpulente ; sa peau a justement ce qu’il faut pour ne pas être ridicule ; son port est noble ; mais quel dommage qu’un si beau corps soit porté sur de si détestables jambes !

Elle a, pour amant et entreteneur, un homme qui, pour le moment, est exilé de Paris, et pour cause.

cinq francs.


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JUJULE

Palais-Égalité, chez Marchand, n° 3.

C’est une brune assez jolie, de moyenne taille, polissonne au dernier degré. Elle jouit beaucoup avec les michés, et, par ce moyen, leur procure du véritable plaisir.

Allez, jeunes libertins qui cherchez la jouissance, allez voir Jujule, et vous donnerez trois francs.


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SAINTE-MARIE

Palais-Égalité, chez Marchand, n° 3,
au troisième.

C’est une grande femme ; elle est très bien faite, un peu grêlée, mais cela ne lui messied pas. Sa gorge est ferme ; sa peau est d’une blancheur éblouissante ; ne jugez pas sur la figure : elle a le pied fait au tour, les cuisses rebondies.

Quel charme offre le contraste d’un touffus aussi noir que le jais, servant de ciment à deux colonnes d’albâtre ! quels délices de séjourner dans un aussi joli bosquet !

Je réserve Sainte-Marie au libertin solitaire qui cherche un buisson pour ombrager ses plaisirs, et ressentir, au sein du mystère, des jouissances que les dieux mêmes envieraient.

Pour connaître tous les détours de son charmant réduit : six francs.


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GEORGETTE

Passage du Perron, n° 92, au troisième,
chez Vigan
.

C’est une bégueule insupportable : trois grands quarts d’heure ne suffisent pas pour qu’elle articule deux mots de suite. Elle a la peau très brune ; son caractère est assez sociable : bonne enfant, elle aime beaucoup les garçons limonadiers, et,

Elle fait ce qu’elle peut pour trois francs.


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MARIE-FRANÇOISE SENDRON.

Surnommée Fanfan ; Palais-Égalité, n° 121.

C’est une châtaine clair, assez jolie ; sa peau est fraîche, sa gorge bien placée, mais un peu molle. Par malheur, elle succède à l’adorable Colombe, décédée il y a un mois, dans la même maison, et qui fit, en mourant, Fanfan son héritière, tant pour son fonds bien achalandé que pour son mobilier, effets, argenterie, bijoux, etc. : mais elle ne lui céda pas son esprit.

Colombe est une véritable perte pour les connaisseurs : elle était vive, enjouée, d’une amabilité charmante, d’une éducation recherchée. C’est cette même Colombe qu’on surnomma Tête de Cheval. Elle aimait beaucoup les femmes, et Fanfan était sa bonne.

Elle vivait avec elle depuis dix ans ; aussi, par reconnaissance, celle-ci lui fit faire un convoi qui lui coûta cent quarante-quatre francs ; et, le même jour, sa gaieté ne l’abandonna point : elle se consola de la perte de Colombe entre les bras d’une autre femme de chez elle ; sans égard pour les mânes de sa bienfaitrice, elle viola les lois de l’amitié et de la constance qu’elle lui avait jurée. Oh ! Fanfan, quelle inhumanité !

On voit cette ingrate petite personne pour six francs.


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EUPHROSINE

Porte et carré Saint-Martin, à côté du bal
du citoyen Leduc
.

C’est une grande mince, assez bien tournée ; sa peau est très brune, ses cheveux sont d’un noir de jais : elle a passé trois fois dans les chaudrons de Saint-Côme. Elle aime beaucoup les chirurgiens ; elle en attend même de grands services.

Euphrosine se dit noble, mais quelle noblesse ! Dans l’an VIII, elle dénonça plusieurs conscrits dont elle fut fort bien payée sans compter le tour du bâton qui l’envoya à l’Hôtel-Dieu, où elle resta cinq mois. Elle a pourri quantité de jeunes gens.

Avis au lecteur !…

Un cornet de pilules et la somme de un franc.



L’espion libertin séparateur de fin de chapitre
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