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L’Esprit souterrain/2/05

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V


Peut-il avoir la moindre considération pour soi-même, celui qui commet le sacrilège de prendre plaisir à sa propre humiliation ? Et je ne dis point cela par quelque hypocrite repentir. Je n’ai jamais pu prendre sur moi-même de prononcer les mots : « Pardon, papa, je ne le ferai plus. » Non que j’eusse été incapable de le dire : mais au contraire parce que je n’y avais que trop de penchant.

…Observez-vous mieux vous-mêmes, et vous me comprendrez, messieurs. Que de fois j’ai imaginé des aventures et composé ma vie comme un livre ! Que de fois il m’est arrivé, par exemple, de m’offenser d’un rien, exprès, sans motif ! Mais on se monte si facilement et si bien qu’à la fin on se croit véritablement offensé. J’ai bien souvent joué ce jeu, de telle sorte que j’ai fini par m’y prendre et que je n’étais plus maître de moi-même. D’autres fois, j’ai voulu me rendre amoureux de force. J’ai bien souffert, je vous jure…

Je n’ai connu de pires souffrances que celles ― pourtant mêlées de douceurs ― que j’endurai quand Katia me laissa voir qu’elle pourrait m’aimer et presque aussitôt m’abandonna. Pourtant, si j’avais su vouloir, je l’aurais retenue ! J’aurais écarté le vieillard, l’horrible mechtchanine !… Mais à quoi bon réveiller des souvenirs qui me tuent ! D’ailleurs, c’est une histoire que vous ignorez…

Ô messieurs, ne serait-ce pas précisément parce que je n’ai jamais rien pu finir ni commencer que je me considère comme un homme intelligent ? Soit, je suis un bavard inoffensif, ― comme tout le monde ! ― Mais quoi ? ce bavardage, n’est-ce pas la destinée unique de tout homme intelligent, ― ce bavardage, c’est-à-dire l’action de verser le rien dans le vide ?