L’Estomac et le Corset/Chapitre 2
CHAPITRE II
ANATOMIE
Il serait impossible d’aborder la partie clinique de ce travail sans avoir des notions précises sur l’anatomie et la topographie normales du thorax et de l’estomac.
I.
THORAX
Du thorax nous rappellerons simplement les dimensions et la forme physiologiques.
On admet généralement qu’il est plus court et plus large chez la femme. Mais, comme le dit M. Charpy[1], « ce n’est pas chose facile de trouver des poitrines de femmes, à partir de 25 à 30 ans, qui ne soient pas déformées par le corset ou les vêtements ».
Cruveilhier et Sappey font remarquer la brièveté du sternum de la femme. Des recherches de M. Charpy, il résulte que la poitrine de la femme est aussi large, mais moins développée en épaisseur que celle de l’homme. Son indice est plus élevé, son angle xiphoïdien plus ouvert. « De toutes manières, ajoute-t-il, je suis porté à croire que les différences sexuelles sont bien moins grandes que ne l’ont dit plusieurs observateurs, quand ils affirment que la femme est naturellement conformée pour respirer par le type costo-supérieur. »
L. Merlin écrit que la courbe du cône thoracique s’élargit rapidement de la première à la troisième ou quatrième côte, puis lentement et progressivement de celle-ci à la huitième ou neuvième, et se rétrécit ensuite, mais d’une manière insensible, au niveau des dernières (fig. 1) ; il donne comme diamètres transverses :
Au niveau des | 8e et 9e côtes… | 0m 26cm |
— | de la 12e côte… | 0m 22cm |
Chez la femme, ces deux dernières moyennes doivent être abaissées de plusieurs centimètres.
P. Sebileau donne les mensurations suivantes :
Circonférence inférieure 70cm chez la femme, 79cm chez l’homme, d’après Malgaigne. Le diamètre transverse serait de 28cm, avec 3cm en moins chez la femme. Il admet comme forme normale du thorax un cône à base inférieure.
Nous avons très exactement mesuré cent thorax de femmes de 17 à 60 ans ; nous avons trouvé les moyennes suivantes :
Circonférence | 4e côte… | 80cm 6621 | |
align=center | — | 8e côte… | 75cm 568 |
align=center | — | 12e côte… | 71cm 568 |
Ce qui ramène, sur le sujet revêtu des parties molles, les diamètres moyens à ceux-ci :
Diamètre transverse à la | 4e côte… | 26cm 89 | |
align=center | — | 8e côte… | 25cm 19 |
align=center | — | 12e côte… | 23cm 85 |
D’après ces données, le thorax se compose donc de deux cônes, juxtaposés par leurs bases, et non d’un cône unique à base inférieure. Ce n’est certes pas un type physiologique pur ; c’est simplement un type moyen que l’on peut prendre en considération, puisqu’il est établi d’après cent thorax de femmes, dont quelques-unes seulement se sont beaucoup serrées. Bien peu, sur ce nombre, avaient un thorax vraiment normal.
Quant à l’indice thoracique, il est de 140 à 150, d’après Charpy. Il nous reste à signaler l’angle xiphoïdien, si bien étudié par lui[2]. « Cet angle mesure, chez l’homme adulte, et la valeur de la poitrine et, par elle, celle de l’énergie physique qui est si étroitement liée à la puissance du souffle thoracique. » Il rappelle l’importance de la base de la poitrine où se trouvent, avec la plus grande largeur du poumon, sa plus grande activité de fonctionnement ; c’est là que se trouvent et le diaphragme et l’insertion des muscles abdominaux. Sur deux cents sujets M. Charpy a mesuré cet angle, délimité par les cartilages des fausses côtes et dont le sommet est à l’appendice xiphoïde. Il mesure chez l’homme 70o, chez la femme 75o. On comprend la valeur de la notion de cet angle pour apprécier le degré de déformation imposée au thorax par la constriction.
Nous ne pouvons quitter cette brève étude du thorax sans transcrire une page intéressante du nouveau livre de M. Charpy. L’auteur, après avoir récusé les types de thorax féminin édifiés par Bouvier, en admet trois :
« 1o — Le type large, carré, ayant la transversalité du thorax mâle, des épaules bien entablées, une taille pleine, les seins plutôt en disque étalé. À diamètre transverse égal, il a plus d’étendue de l’avant, un indice conséquemment plus faible, vers 140, un angle xiphoïdien largement ouvert à 80o, une capacité thoracique plus considérable. C’est le type des grandes déesses antiques, c’est celui des Toscanes, des Ligures, des Romaines du Transtevere ;
« 2o — Le type rond, avec des formes très tournantes et potelées, type plus fin, plus sexualisé, plus rare. À l’inverse de ce que l’on pourrait croire, son diamètre antéro-postérieur qui paraît si saillant est moindre que dans le type large, mais plus détaché et en valeur ; son indice est plus élevé, vers 150, son angle xiphoïdien plus faible, vers 70° ; c’est une poitrine plus petite, plus repliée. Je lui rapporterai plus volontiers les Vénitiennes, les blondes ;
« 3o — Enfin, un type long, qui a probablement autant d’ampleur totale que les autres. Je crois le retrouver dans les Anglaises, les Arlésiennes, les brunes aux épaules tombantes, au port élégant et gracieux. » Nous verrons plus tard ce que deviennent ces types sous l’action du corset.
II.
ESTOMAC
Nous bornons l’étude de l’estomac aux points suivants :
1o Direction. Axe de l’estomac.
2o Situation de ses divers segments. Leurs rapports.
3o Moyens de fixation. Déplacements physiologiques.
On décrivait autrefois l’estomac comme horizontal. Aujourd’hui on le croit presque vertical. Quelques auteurs admettent sa verticalité complète. C’est ainsi que pense Fromont[3]. Il s’est basé sur quarante autopsies comprenant trois femmes, douze à quinze enfants et environ vingt-cinq hommes. Sur ces quarante autopsies, il a vu l’estomac :
Vertical en entier | 20 | fois | |
Avec une portion horizontale | 4 | » | |
Oblique en bas et en | dedans | 6 | » |
— — | dehors | 7 | » |
Horizontal | 3 | » |
Il prétend que l’estomac est tout entier dans l’hypocondre gauche, « dont il ne dépasse jamais les limites du côté de la ligne médiane ». Le pylore serait à gauche de la colonne vertébrale.
Sans mettre en doute l’exactitude des observations de Fromont, nous ferons remarquer que sur quarante sujets il a eu près de vingt femmes ou enfants chez qui l’estomac est beaucoup plus vertical que chez l’homme adulte ; restent donc environ vingt à vingt-cinq hommes ; or, chez vingt de ses sujets l’estomac n’était pas vertical, mais oblique et même horizontal.
D’ailleurs, la majorité des anatomistes modernes s’accorde à le considérer comme très oblique (fig. 2), la verticalité complète étant une exagération de la situation normale. Pour les auteurs allemands, les 3/4 sont à gauche de la ligne médiane, 1/4 à droite (5 sixièmes à gauche, 1 sixième à droite pour Beaunis et Bouchard). (Fig. 1 et 3.)
Le grand axe se déduit de la situation respective de ses deux orifices.
Le cardia se trouve au niveau des sixième ou septième cartilages costaux gauches et du corps de la onzième vertèbre dorsale.
Le pylore est à la hauteur de la septième ou huitième côte droite (fig. 1 et 3).
Il est facile, menant une ligne entre ces deux points, de connaître l’axe de l’estomac, mais non son grand axe qui part du milieu de la grosse tubérosité et qui est oblique en bas, à droite, plutôt en avant qu’en arrière.
Obrastzow, par des lignes horizontales, divise en trois parties égales l’espace compris entre l’appendice xiphoïde et l’ombilic. Ce sont de premiers points de repère commodes. D’autre part, verticalement, on peut diviser l’espace compris entre les deux aisselles en six régions délimitées par les lignes verticales suivantes, pour chaque moitié du thorax : axillaire, mamillaire, parasternale, sternale, l’avant-dernière étant à égale distance entre la mamillaire et la sternale. Le champ d’exploration de l’estomac est ainsi réparti en une série de repères qui en facilitent la description et l’examen.
Les divers points de l’estomac à délimiter sont (fig. 1 et 3) :
A. — | La limite | supérieure | Cardia. Petite courbure. |
B. — | » | gauche | Grosse tubérosité. |
C. — | » | droite | Pylore. |
D. — | » | inférieure | Grande courbure. |
A. — De la limite supérieure nous éliminons le cardia, qui nous est connu. Quant à la petite courbure, elle est entièrement cachée sous le lobe gauche du foie et inaccessible à la palpation. Elle se trouve sur une ligne allant du corps de la onzième vertèbre (cardia) à la septième ou huitième côte (pylore). Elle est très légèrement courbe.
B. — La limite gauche, grosse tubérosité, est souvent difficile à délimiter, quand la rate normale ne donne qu’une matité insignifiante ou même nulle. L’angle gauche du côlon vient souvent s’interposer dans l’hypocondre gauche et rend plus délicate encore l’investigation, sauf quand l’estomac est insufflé.
Cette partie (fundus des Allemands) est appliquée intimement au diaphragme ; elle va de droite à gauche, en partant du cardia, horizontalement d’abord et même un peu en haut, puis rejoint verticalement la grande courbure. Son point le plus élevé se trouve au niveau du quatrième espace intercostal. Jusqu’au septième espace elle est recouverte par le poumon, dont elle suit les oscillations. Elle est donc inaccessible, entièrement cachée sous les côtes.
C. — La limite droite, pylorique, dont nous connaissons la situation, à la hauteur de la septième ou huitième côte, est à cinq centimètres à droite de la ligne médiane, sur la ligne parasternale droite, à son entrecroisement avec la ligne sous-xiphoïdienne d’Obrastzow. Elle est recouverte par le foie et se trouve à peu près sous la vésicule biliaire. L’artère hépatique et le tronc de la veine porte sont derrière le pylore.
D. — La limite inférieure, grande courbure, est la plus importante à délimiter, avec la précédente.
Obrastzow place le bord inférieur de l’estomac dans le tiers supra-ombilical de ses divisions. Boas limite son point le plus bas sur une ligne horizontale passant par la neuvième ou la dixième côte, à trois ou quatre centimètres en amont de l’ombilic. Son point le plus élevé serait à la cinquième côte. Contrairement à l’opinion de Fromont, nous croyons qu’au lieu d’être verticale, la grande courbure décrit une courbe d’abord presque verticale et cachée sous les côtes gauches, puis oblique à droite et en bas et remontant enfin à droite pour rejoindre le pylore.
Elle n’est en rapport avec la paroi abdominale que dans cette dernière portion, à partir de la neuvième ou dixième côte, jusqu’au niveau du foie, comme le montre la figure 1, c’est-à-dire : verticalement, entre les lignes mamillaire gauche et parasternale droite ; horizontalement au niveau de la première ligne supra-ombilicale d’Obrastzow.
Cette courbure est en rapport avec le côlon transverse sur lequel en quelque sorte elle repose, lui imprimant sa forme (fig. 1). À gauche, elle confine à la rate.
Nous bornons ici l’étude des rapports de l’estomac, négligeant à dessein tous ceux qui n’ont aucun intérêt pour notre thèse.
Rappelons enfin l’étroite relation du foie avec la paroi thoracique, dont il suit exactement tous les mouvements, toutes les déformations. Il recouvre l’estomac par son lobe gauche.
M. F. Glénard[4] a décrit avec un grand luxe de détails les divers moyens de fixation de l’estomac et de l’intestin. Nous n’avons garde de répéter ce qu’il a si bien décrit. Nous rappellerons simplement, d’après lui et quelques autres anatomistes, ce qui a quelque utilité pour notre étude.
Le point le plus fixe de l’estomac est le cardia, bien que les Allemands le croient capable de quelques déplacements dans la dislocation en masse de l’organe.
La grosse tubérosité participe à cette fixité ; elle est solidement unie au diaphragme « par l’adhérence, dit Boas, de la séreuse de l’estomac avec le revêtement péritonéal du diaphragme ».
Un second point relativement fixe, c’est le pylore, ou plutôt, comme le dit M. Glénard, l’orifice gastro-duodénal situé un peu après lui. En effet, d’après les plus récentes recherches, le pylore est un peu mobile. S’il est attaché au côté des corps vertébraux, c’est par l’intermédiaire de la portion du duodénum auquel il est immédiatement suspendu. D’ailleurs, le plus sûr moyen de suspension du pylore, c’est le ligament gastro-hépatique, s’étendant du cardia au pylore en formant une large lame solidement unie au sillon transverse du foie. Ainsi donc le foie, adhérent au diaphragme et aux côtes, et l’estomac, forment en quelque sorte un tout ; les déplacements de l’un retentissent sur l’autre. « L’estomac est très fixe, dit Cruveilhier ; on peut dire que la plupart de ses changements de rapport sont consécutifs aux déplacements et aux changements de volume des organes avec lesquels il est en connexion. »
Le pylore est donc capable d’exécuter quelques excursions, surtout en bas. Elles sont, d’un avis unanime, très modifiées par l’état de son contenu, comme l’a bien observé Braune[5] sur des cadavres dont les organes étaient maintenus en place par la congélation.
Pour mémoire, signalons les ligaments, sans intérêt pour nous, gastro-splénique, pancréatico-gastrique, gastro-colique. Chacun d’eux pour sa part contribue à maintenir l’estomac plus ou moins fixe.
La grande courbure est la partie la plus mobile de l’estomac ; elle se déplace en s’insinuant entre les deux feuillets du grand épiploon ; l’axe de ses mouvements est sur la partie fixe de l’organe : cardia, petite courbure, pylore, autour de laquelle en quelque sorte elle pivote.
- ↑ Charpy. — Études d’anatomie appliquée, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1892.
- ↑ Charpy. — Loc. cit. et Revue d’Anthropologie, 1884.
- ↑ Fromont. — Contrib. à l’anat. topogr. de la région sus-ombilicale du tube digestif. Lille, 1890.
- ↑ F. Glénard. — Dyspepsie nerveuse. Détermination d’une espèce. De l’entéroptose, 1885.
- ↑ W. Braune. — Sur la mobilité du pylore et du duodénum. — Revue de Hayem, 1874.