L’Eucalyptus globulus

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L’EUCALYPTUS GLOBULUS

Une question d’un puissant intérêt, l’assainissement des terrains marécageux au moyen de plantations d’Eucalyptus globulus vient d’être traitée dans la séance de l’Académie des sciences du 13 octobre dernier ; le moment nous semble donc propice pour donner quelques détails sur un arbre dont les qualités multiples n’ont été appréciées en Europe que depuis une vingtaine d’années. Déjà grâce aux efforts infatigables de M. Ramel, on est parvenu à l’acclimater dans le sud de la France, en Algérie, en Corse, en Espagne, à Cuba et au Mexique ; et les immenses avantages que l’on a retirés de la propagation de ce végétal nous donnent lieu de penser que sa culture ne tardera pas à s’étendre dans tous les pays chauds.

Originaire de la Tasmanie, où il a été découvert en 1792, par La Billardière, pendant le voyage à la recherche de l’infortuné La Peyrousse, l’Eucalyptus globulus, par sa beauté, sa solidité et sa hauteur, qui n’a vraiment de rivale que celle du Wellingtonia de Californie, par les services de tout genre qu’il est appelé à nous rendre, méritait d’être plus rapidement connu de nous.

Nous empruntons aux Fragmenta phytographiæ australiæ, du savant directeur du jardin botanique de Melbourne, le docteur Muller, une description détaillée de cet arbre magnifique :

« L’Eucalyptus globulus, de la famille des Myrtacées, est un arbre très-élevé, à rameaux tétragones au sommet. Ses feuilles les plus jeunes sont subcordiformes, opposées ; les autres alternent, diversement pétiolées, coriaces, uni-colores, comme vernies, aiguës et souvent un peu contournées en faux depuis la base, ou étroitement lancéolées, allongées en mucrone et couvertes de nervures pennées, saillantes ; les nervures de la circonférence sont éloignées des bords. Les boutons floraux sont pruineux, verruqueux, ridés ou presque lisses, à double opercule. Le tube du calice est souvent hémisphérique ou pyramidal, turbiné, anguleux ou pourvu de côtes rares égalant presque la longueur de l’opercule intérieur, déprimé hémisphérique ou subitement en forme de bouclier depuis le centre. Les filets des étamines sont allongés, les anthères subovales. Leurs fruits grands sont souvent hémisphériques ou déprimés, turbinés. Ils ont 4, 5 à 3 loges ; le sommet de la capsule est élevé et un peu convexe. Le tronc dont les lames corticales extérieures (comme chez le platane) sont souvent détachées, est lisse et cendré. »

Cet arbre d’une rapidité de croissance extraordinaire est connu sous le nom de gommier bleu de Tasmanie (Tasmanian blue qum tree) à cause de ses feuilles d’un vert bleu opaque. Poussant dans les vallées et sur les versants humides des montagnes boisées, il atteint souvent 60 à 70 mètres de hauteur avec 10, 15 ou 20 mètres de circonférence à la base et plus rarement 100 mètres avec 28 mètres de circonférence. Son bois droit, régulier, n’a comme dureté de rivaux que les bois de taun et de teck, sur lesquels il l’emporte en ce sens qu’il est respecté par les animaux xylophages, grâce à la substance aromatique dont il est imprégné. Enfin, lorsqu’il est exposé quelque temps à l’air, il devient incorruptible, il est alors utilisé pour tous les travaux maritimes tels que digues, jetées, quais, etc. ; on en fait aussi des traverses de chemin de fer, des poteaux télégraphiques ; enfin, la plupart des baleiniers d’Hobart-town et des steamers entre la Tasmanie et l’Angleterre sont en Eucalyptus. L’exportation de ce bois, dit l’habile jardinier de la ville de Paris, M. André, s’est élevée il y a quelques années à Van Diemen à plus de 800 000 livres sterling, soit 20 millions de francs. Un des ces arbres qui avait 97 mètres de haut et dont les premières branches se montraient à 63 mètres, a été vendu, étant débité 6,140 francs. L’exposition de Londres en a vu deux troncs énormes, et des planches de plus de 23 mètres de longueur sur 3m,50 de large et de 0m,08 d’épaisseur envoyées par le capitaine Goldsmith sont arrivées en Angleterre. Il ne faut pas que nous songions pour notre part à obtenir des résultats aussi merveilleux, la différence de température est trop grande même en Provence pour que nous voyions l’eucalyptus atteindre les proportions que nous citions plus haut. Nous devons dire cependant que les semis faits à Antibes, à Hyères et dans les environs ont donné des résultats très-satisfaisants et que cinq ans ont suffi pour que certains sujets atteignissent 20 mètres de haut. À Paris quelques essais ont été tentés, un eucalyptus a même atteint 4m,50 en quatre mois d’été, mais il a fallu le rentrer l’hiver et nous ne pourrons jamais en faire sous notre latitude que des plantes de serre et d’agrément.

La première idée qui vienne à l’esprit lorsqu’on envisage cette rapidité de croissance, c’est la facilité du reboisement de nos forêts épuisées ; car bien que la consommation du bois ait baissé dans des proportions notables depuis l’application du fer à l’industrie, elle est encore telle qu’il est facile de prévoir le moment où nos forêts ne pourront plus suffire à nos besoins. Nous possédons en France d’immenses étendues de terres incultes ou malsaines telles que la Crau, les Landes, les étangs de Thau et d’Aigues-mortes, la Camargue, l’embouchure du Var qui pourraient être sans grands frais plantées d’Eucalyptus et qui, vingt ans après, grâce à la prodigieuse faculté d’absorption de ce végétal[1] seraient devenues des terres de première qualité. Il faut lire dans la brochure du docteur Guimbert les quelques pages qu’il consacre à cette importante question bien digne d’être prise en considération par nos économistes et nos agriculteurs.

Mais il nous faut signaler certains autres avantages non moins précieux que nous procurerait l’acclimatation de l’eucalyptus. Grâce aux puissantes émanations camphrées de ses feuilles, les influences paludéennes sont combattues, et l’on attribue à l’immense quantité d’eucalyptus qui poussent en Australie le peu de fièvres qu’on y constate. Les Anglais qui ont été les premiers à reconnaître cette propriété bienfaisante ont fait aussitôt dans leur colonie du cap l’essai de ces plantations ; deux ou trois ans ont suffi pour faire disparaître complètement les conditions insalubres de leur possession. Quelques années après, pareil essai fut fait en Algérie : en 1867, 13,000 eucalyptus furent plantés par M. Trottier dans une propriété qu’il possédait près de la rivière Hamize et où les fièvres sévissaient cruellement. Dès l’année suivante, bien que les arbres n’eussent pas plus de deux ou trois mètres de haut, les fermiers furent complètement préservés des fièvres qui n’ont plus reparu depuis cette époque. Il en a été de même à la ferme de Ben Machydlin qui était entourée de marécages, de même encore sur les rives du Var où le docteur Gimbert cite à l’entrée du pont du chemin de fer une maison de garde-barrière voisine de terrassements, de colmatages. Cette maison était meurtrière ; tous les ans, on était obligé de changer les gardiens dont la santé était attaquée par l’impaludisme. M. Villard, ingénieur, fit planter, il y a deux ans, quarante arbres dans le voisinage de la maison ; dès cette année les employés de la voie furent préservés de la fièvre. Planté en fourré autour des lieux malsains, il empêche par son ombre l’action du soleil sur la terre, empêche les miasmes de se porter au loin et les modifie par ses émanations antiseptiques, en même temps qu’il absorbe l’humidité du sol, condition essentielle de la production des miasmes ; enfin grâce à la persistance de son feuillage, la terre n’est plus couverte de ses détritus qui produisent en se décomposant les effluves pernicieuses.

Eucalyptus globulus.

Mais ce ne sont pas les seuls services que l’on ait déjà tirés de l’Eucalyptus et l’extension de cette culture en Espagne a permis de constater les propriétés fébrifuges de cette plante qui a reçu dans le pays le nom d’arbre à la fièvre. Les expériences répétées des docteurs Brunel, à Montevideo, Carlotti, en Corse, Tristany, en Espagne, Marès, en Algérie, Gimbert et Gubler, en France, ont permis de constater qu’il guérit le plus souvent les cas rebelles à la quinine et aux autres fébrifuges. On l’applique également comme désinfectant au pansement des plaies résultant d’accidents ou d’opérations chirurgicales, on l’emploie comme stimulant local par l’application de feuilles fraîches sur les plaies qui ont de la peine à se cicatriser. Le docteur Gubler en conseille également l’usage dans les affections catarrhales et les maladies des voies respiratoires.

On ne saurait donc trop encourager les efforts tentés pour l’acclimatation d’un arbre qui possède tant de qualités diverses, hier inconnues parmi nous, et dont la propagation intéresse l’hygiène encore plus peut-être que l’industrie.

Gabriel Marcel.


  1. Il peut absorber dix fois son poids en vingt-quatre heures.