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L’Exilé (Abrantès)/4

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Dumont (p. 243-324).


IV


Un moment pénible devait arriver ; c’était celui de la séparation de Sarah d’avec son oncle et sa cousine. Le bon vieillard, après avoir remis ses comptes parfaitement en règle à sa nièce, avec une fortune de quarante mille livres de rentes, engagea seulement Alfred à continuer son même mode de placement, ce que celui-ci observa religieusement. Les adieux étaient redoutés de tous ; M. d’Erneville, qui fuyait le chagrin sous quelque forme qu’il se présentât, ouvrit l’avis que M. Van Rosslyn confiât le soin de sa maison à son caissier pendant un mois seulement, et qu’il vint à Paris avec Wilhelmine pour quitter madame de Sorcy quelques jours plus tard. Cette pensée fut trouvée parfaite, et la famille réunie quitta Bruxelles et se dirigea tout entière vers Paris. L’absence de M. Van Rosslyn était d’ailleurs nécessaire pour faire son nouvel établissement ; il avait bien voulu loger chez sa nièce tandis qu’elle habitait Bellevue, mais, une fois partie, il ne voulait demeurer que chez lui.

En arrivant à Paris, le premier soin de M. de Sorcy fut de trouver pour sa femme un logement convenable, qui l’empêchât de regretter Bruxelles et Bellevue. Il trouva un petit hôtel rue du Helder, qu’il acheta et meubla avec un goût exquis. Sarah jouissait de tous ces soins ; c’était lui dire qu’elle était aimée, et elle aimait tant elle-même !… aussi était-elle bien heureuse !… et lorsque son oncle la quitta pour retourner en Belgique, s’éloigna-t-il persuadé que sa nièce était aussi heureuse qu’elle le méritait.

Sarah fut présentée à la cour, dans la haute société de Paris, et partout elle eut de grands succès. L’amour-propre d’Alfred fut flatté de cette vogue où l’on mettait celle qui portait son nom ; et puis il l’aimait sans doute beaucoup, mais pas assez cependant pour souhaiter la solitude avec elle. L’hiver, qu’on avait jugé devoir être brillant, le fut en effet beaucoup. Les bals masqués étaient courus de nouveau, et les hommes surtout, même ceux de la meilleure compagnie, allaient à l’Opéra, c’était comme une nouvelle mode. Alfred n’y portait aucun intérêt, et pourtant un jour, malgré l’humeur évidente de sa femme, ou plutôt à cause de cette humeur, il voulut y aller passer quelques momens…

Il commençait à s’y ennuyer, comme cela est toujours en usage depuis que les bals masqués sont connus. Il était assis silencieusement dans le foyer de l’Opéra, en attendant que l’heure à laquelle il avait demandé sa voiture fût arrivée, lorsqu’un grand masque vêtu d’un domino de satin noir fort élégant vint s’asseoir auprès de lui.

— Le comte de Sorcy est bien silencieux ce soir ! serait-ce le mariage qui produirait cet effet sur lui ?

Alfred leva les épaules. C’était la vingtième phrase sur son mariage qu’on lui disait depuis qu’il était entré dans le bal ; aussi ne répondit-il pas.

— Vous êtes dédaigneux ! c’est tout simple… savez-vous que vous êtes devenu ennuyeux ?

— Toujours même silence… Le masque parut contrarié… il se pencha à l’oreille du comte de Sorcy et murmura un nom au milieu de quelques paroles… À peine furent-elles prononcées, qu’Alfred s’élança de sa chaise, et, saisissant le domino noir par son capuchon, il le contraignit à se rasseoir. Le domino rit avec amertume sous son masque.

— Comment ! de la violente ! mais, en vérité, monsieur de Sorcy n’est plus reconnaissable ! et, s’il ne sait pas mieux aimer qu’il ne sait faire le méchant pour faire obéir ceux qu’il veut connaître, je plains les personnes aimées alors, et félicite celles qui ne le sont plus.

En ce moment deux yeux noirs très-brillans scintillèrent au travers des ouvertures du masque… Alfred tressaillit et crut reconnaitre une tournure, une voix, un regard !… Il saisit de nouveau la main de cette femme, elle la lui laissa ; mais, lorsqu’il voulut tenter de la déganter, elle résista fortement.

— Je ne veux pas vous montrer ma main, monsieur ; que voulez-vous de moi ?… nous ne devons jamais nous retrouver sur le même point, et, si le hasard nous poussait sur le même vaisseau, l’espace même du tillac ne nous contiendrait pas l’un et l’autre !

Le masque prononça ces dernières paroles avec une amertume sentie ; on voyait qu’il répétait une phrase dite par un autre. Alfred, intéressé au plus haut point, ne pouvait toutefois croire à l’existence de la personne qu’il soupçonnait… et là encore si près de lui !… Cependant tout devait le lui faire croire.

— Écoutez, dit-il au domino noir, je crois que je vous connais ! levez la barbe de votre masque, laissez-moi juger si je ne me trompe pas, et l’explication sera à la satisfaction de tous deux.

Le domino noir parut hésiter… un moment sa main se porta à la barbe de son masque, mais la réflexion l’arrêtait.

— Pourquoi se retrouver ? dit enfin une voix de femme tremblante et émue.

— Ah ! s’écria Alfred avec une expression de rage satisfaite, vous vous êtes donc révélée, madame !!… et sa main, qui avait repris celle du domino noir, la brisait presque sous ses doigts convulsifs.

— Alfred, dit toujours la même voix douce, Alfred, vous vous méprenez ! prenez garde ! je suis innocente, c’est vous qui êtes coupable…

— Moi ! Et M. de Sorcy frémissait devant cette parole.

— Oui, c’est vous qui êtes coupable !… vous qui fûtes félon et traître à notre amour. Cessez de m’accuser, cessez de médire sur une malheureuse femme qui voulut vous voir le jour même de votre départ, et que vous refusâtes inhumainement d’admettre auprès de vous, lorsqu’elle vous apportait des preuves de son innocence !…

Alfred se rappela en effet avec combien d’instance elle avait cherché à le voir le jour de son départ… il garda le silence ; c’était un avantage. La femme masquée le sentit et ne voulut pas le perdre.

— Qu’ai-je fait ? que pouvez-vous me reprocher ?… je suis innocente… je le répète…

Alfred entendit un sanglot et ne songea plus à s’éloigner. — Ah ! lui dit-il enfin, comment pouvez-vous vous justifier de cette terrible lettre ?…

— Elle n’était pas de moi… Je puis vous en donner la preuve.

— Vous ?…

— Oui. Je vous l’ai écrit à Bruxelles… vous n’avez pas lu ma lettre !… Vous me l’avez renvoyée sans l’ouvrir !… vous avez ajouté l’insulte à la douleur !…

M. De Sorcy croyait être sous la puissance d’un rêve terrible !… Il ne savait que résoudre.

Comment avez-vous pu me laisser soupçonner un ami ? dit-il enfin après un long silence au domino noir.

— Il n’était pas votre ami.

— Lui, d’Ermancourt !

— Il m’aimait… et vous a trahi pour arriver à moi… toute cette œuvre de ténèbres vous sera révélée mais, fussé-je coupable, aviez-vous le droit de briser ma vie, de m’abandonner… en me laissant des larmes et des jours de malheur pour le bonheur que je vous ai donné ?

Alfred s’assit à côté de la femme masquée il la questionna… bientôt il lui adressa des paroles de paix et de pardon, au lieu des reproches et des imprécations qui s’échappaient d’abord de son cœur ! Et enfin, lorsque le jour avertit chacun de se retirer, Alfred s’était engagé à se trouver à deux heures, rue Saint-Lazare, dans un hôtel dont il ne savait que trop le chemin !…

Lorsque le matin le thé fut servi chez Sarah, selon la coutume flamande, elle attendit M. de Sorcy pendant une heure au moins. Les rôties étaient en charbons, les muffings desséchées, la crême presque tournée et les œufs à la coque froids et durs.

— Vous faites un triste déjeuner, mon ami, mais par votre faute, dit Sarah à son mari d’une voix qui voulait être bienveillante, mais toutefois dans laquelle il y avait des larmes… Elle regarda son mari ; il lisait le journal des Débats tout en avalant sa tasse de thé et avalant ses muffings sans paraître comprendre la tristesse de sa femme ; seulement, lorsqu’il eut déjeuné, il vint à Sarah, et, la baisant au front, il lui dit :

— Ma chère, la vie de Paris n’est pas celle de Bruxelles ; vous avez voulu y venir, en voilà la conséquence ! Adieu ! au revoir !

Sarah, demeurée seule, crut rêver ! Était-ce bien Alfred qui venait de lui parler ? ce n’était pas possible… Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle après un long silence, et elle fondit en larmes… Le soir à dîner, M. de Sorcy fut distrait et préoccupé ; il demanda son cabriolet immédiatement après être sorti de table, et partit après avoir baisé la main de sa femme. Le matin, le baiser était sur le front, le soir sur la main ; il y avait progrès dans l’indifférence.

Sarah fut frappée au cœur… qu’était-il donc arrivé ?… que pouvait-il y avoir, pour que son mari fut changé comme il l’était depuis trois jours ? Mais il ne l’est pas, lui disait sa raison. Est-ce donc parce qu’il sort seul et qu’il est plus long-temps absent ?… Mais le cœur de Sarah n’admettait pas cette indulgence !… il se sentait froissé, et son instinct était le plus fort !…

Infortunée, son inexpérience lui sert au moins en cela qu’elle ne voit pas les torts du mari derrière l’humeur de l’homme offensé involontairement ; et la pauvre enfant pleurait sur sa faute.

Sarah venait de rentrer dans son appartement, lorsqu’elle entendit une voiture rouler sous la voûte ; elle voulut sonner pour défendre sa porte ; mais, jugeant qu’il était trop tard, elle s’arrêta. La porte s’ouvrit, et le valet de chambre annonça M. d’Erneville.

C’était presque une chose inutile, car il était commensal de la maison depuis sa venue de Bruxelles : Sarah ne fut donc pas fâchée de le voir ; pour elle ce n’était pas un étranger.

— Comment se fait-il que vous ne soyez pas aux Bouffons ce soir ? demanda madame de Sorcy à René.

— Mais je venais voir si vous vouliez mon bras pour vous y conduire ?… On donne Otello, et madame Malibran sera admirable, d’autant que c’est son père qui joue Othello… et comme vous n’avez pas M. de Sorcy…

Je ne sortirai pas ce soir ! murmura madame de Sorcy d’une voix tremblante. Et puis… Mais, monsieur d’Erneville, comment pouviez-vous savoir que je n’avais pas le bras de M. de Sorcy ?

— Parce que je viens de le voir à l’instant même.

— Ah !

Tous deux gardèrent le silence un moment. Sarah ne put résister à faire une question à René :

— Où avait-il vu M. de Sorcy ?

M. d’Erneville, à cette question, comprit tout ce qu’il ne savait qu’imparfaitement, il sourit de ce sourire indécis et méchant qui était à lui, et dit d’une voix mesurée :

— À la Comédie-Française, madame… Mais de loin et sans lui parler…

Sarah hésita pour faire une autre question ; enfin son agitation était trop violente, et elle dit :

— Etait-il seul ?

M. d’Erneville mit encore un grand intervalle de la réponse à la question ; puis il dit, comme s’il eût répondu une chose oiseuse à un enfant :

— Il était seul, madame.

Sarah laissa tomber sa tête sur sa main et pleura doucement sans songer seulement que M. d’Erneville était présent. Hélas ! pour elle commençaient les mauvais jours… son bonheur avait été de courte durée… Pendant une demi-heure, M. d’Erneville la considéra en silence, et, pour la première fois, put à son gré admirer tout le charme de cette femme ravissante.

— Et c’est à cette grande et folle créature qu’une telle femme est sacrifiée ! disait le méchant dans sa pensée… Qu’est-ce donc alors que la morale ?

Tout-à-coup madame de Sorcy tressaillit, elle venait d’apercevoir M. d’Erneville, et dans son trouble elle ne sut d’abord comment expliquer ses larmes. Il lui épargna tout ce qu’il y aurait eu de pénible même dans un mot sur une semblable matière. Il se leva, et, ne paraissant pas remarquer les yeux rouges et le front pâle de madame de Sorcy, il prit congé d’elle avec des formes respectueuses que jamais il n’avait eues avec elle jusqu’alors.

La nuit que passa Sarah fut bien pénible… Elle était sous le poids d’une inquiétude vague qu’elle ne savait comment s’expliquer… Alfred coupable !… mais de quoi, au fait ? Qu’avait-elle à lui reprocher ? un peu d’abandon, ces derniers jours ! mais il pouvait avoir le besoin de revoir d’anciens amis, et quelques heures employées en visites qu’elle pouvait ignorer n’étaient pas un crime. Vers le matin, ces réflexions calmèrent l’agitation fiévreuse de la nuit, et, lorsque Alfred entra dans le petit salon du déjeuner, ce fut avec un visage riant que Sarah alla au-devant de lui. M. de Sorcy lui en sut gré, et le déjeuner fut par là plus communicatif et plus gai.

— Avez-vous été aux Bouffons hier au soir ? demanda Alfred à sa femme :

— Quoi sans vous !…

— Mais je vous avais envoyé d’Erneville que j’ai rencontré hier au soir !… Vous pouviez aller avec lui sans inconvénient ; et puis vous pouviez prendre madame de Bellay avec vous… Eh, bien ! vous ne m’écoutez pas ?

Sarah songeait au mensonge de M. d’Erneville, qui disait avoir vu Alfred par hasard et de loin, à la Comédie-Française.

— Sarah, dit Alfred, Sarah ! ne voulez-vous pas me répondre, mon amour ?

Et, la baisant au front, il remarqua des larmes dans ses yeux… il fronça le sourcil.

— Qu’avez-vous donc ? avez-vous reçu de mauvaises nouvelles de Bruxelles ?

Sarah fit un signe négatif ; elle n’osait parler ; si elle eût dit un mot, elle aurait fondu en larmes.

— C’est qu’en vérité vous avez l’air de pleurer sur la mort de tout ce qui vous est cher… Adieu : Flore court ce matin au bois de Boulogne contre Jack King, et M. de Jermerloff et moi nous avons résolu de courir nous-mêmes, et de ne pas confier l’honneur de nos bêtes à des jokeis insoucieux sur d’aussi graves matières… Je n’ai donc pas plus de temps qu’il ne m’en faut pour me préparer. Venez nous voir, chère amie, cela vous fera du bien ! Venez… allons, un bon mouvement. Voulez-vous que je fasse prévenir madame de Bellay que vous l’irez prendre ?

Sarah réfléchit un moment.

— J’irai, dit-elle enfin à son mari : faites dire à Caroline que j’irai la prendre à une heure.

— Eh bien ! voilà qui est beaucoup mieux. Que diable ! vous vous enfermez dans votre chambre et fuyez le soleil même : comment ne pas être malade ? Savez-vous que vous n’êtes plus aussi jolie ? Adieu, je me sauve ! Je vous reverrai là-bas ! Vous savez où est le rendez-vous ? Au Ranelagh. À propos, si René vient ce matin, gardez-le pour vous donner le bras.

— Mais, mon ami…

— Eh bien !… qu’est-ce ?

— Est-il convenable qu’un aussi jeune homme que M. d’Erneville soit aux yeux du monde dans une sorte d’intimité avec moi ?

— Le monde n’a rien à voir dans ce que je trouve bien. Je connais René : ce n’est pas dans des choses de ce genre-là que je dois le redouter, car il est redoutable !… mais dans des matières bien autrement graves et importantes que des histoires de femmes… Allez avec lui, ma chère, et soyez sans crainte.

— Je ne sortirai pas, dit Sarah… je ne me sens pas bien… une autre fois, mon ami…

— Comme vous voudrez. J’eusse cependant désiré que vous vissiez cette course… Au surplus, ajouta-t-il comme frappé d’une nouvelle idée, vous avez peut-être raison… le temps est un peu froid ce matin…

Alfred s’approcha de Sarah, et, la prenant dans ses bras, il l’embrassa avec la même tendresse qu’autrefois. Ce mot autrefois, que Sarah ne put retenir lorsqu’elle rassembla les motifs qu’elle avait de se rassurer, lui serra le cœur…

— Autrefois ! se dit-elle ; autrefois ! j’en suis déjà à dire autrefois : Mais pourquoi n’irais-je pas à cette course ?… Alfred paraissait craindre de m’y voir… J’irai !…

Elle sonna et commanda ses chevaux.

Le soleil était clair et brillant, et tout Paris était au bois de Boulogne pour voir ces courses… Sarah, ayant dans sa calèche madame de Bellay, jeune femme de ses amies, suivait la foule et roulait comme les autres vers le bois de Boulogne… M. d’Erneville n’était pas venu, et les deux jeunes femmes étaient seules… Tout-à-coup une troupe de vingt-cinq ou trente jeunes gens passa au galop près de la calèche de Sarah… La poussière qu’ils firent l’empêcha d’en reconnaître aucun, malgré les nombreux saints adressés à la calèche élégante et à la jolie femme.

— Mon Dieu ! comme ils nous ont arrangées ! dit madame de Bellay… Et pas un homme de connaissance encore !!…

— Ah c’est ainsi que vous méconnaissez vos amis ! dit une voix connue ; et Sarah vit M. d’Erneville monté sur un magnifique cheval qu’il conduisait avec une grâce particulière.

— Je suis arrivé dix minutes après votre départ, madame la comtesse, dit-il à madame de Sorcy d’un ton respectueux qui contrastait avec ses manières habituelles, toujours insolentes. Mais, comme j’avais Rapide aujourd’hui, j’étais bien sûr de vous rejoindre… et… tenez… si vous étiez bonne, vous feriez un acte de miséricorde.

— Et lequel ? demanda Sarah.

— Vous me donneriez une place dans votre calèche, et vous feriez non seulement une bonne action, mais vous empêcheriez une foule de malheurs.

— Vous dites cela d’un ton si sérieux, qu’on serait tenté de vous prendre au mot.

— Aussi le devez-vous faire.

— Je le veux bien, mais à condition que je saurai quels sont ces malheurs que je vais empêcher.

— Lorsqu’on va voir Rapide dans la troupe des bêtes courantes, on voudra le faire courir aussi, c’est-à-dire trotter ; car il a le bon goût, Rapide, de ne savoir et ne vouloir que trotter ; et alors…

— Eh bien ! alors vos seriez vainqueur !… quel mal y aurait-il à celà ? dit en riant madame de Bellay…

— Je ne veux pas courir, dit René.

— Pourquoi ?…

— Ah ! pourquoi !…

René se baissa sur le cou de Rapide, comme pour le caresser, et dit tout bas à Sarah :

— Rapide court plus vite que Flore… Alfred voudra parier… et moi, je ne veux par parier contre lui.

En relevant la tête M. d’Erneville renontra le regard de Sarah : il était plein de cette expression douce et profonde qui anime toujours celui d’une femme lorsqu’elle exprime avec ses yeux ce qui est dans son âme ; et M. d’Erneville connaissait le moyen d’interroger celle de Sarah…

— Thomas, dit-elle au valet de pied, ouvrez la portière… Voulez-vous monter avec nous ? dit-elle en souriant à Réné…

Il sauta légèrement à terre, monta dans la calèche… et s’assit en face de madame de Sorcy, tout joyeux d’avoir établi une sorte de demi-mystère entre eux, car madame de Bellay n’avait pas entendu leur rapide entretien.

— Merci dit Sarah tandis que madame de Bellay tournait la tête de l’autre côté de la voiture… Merci !… Je vous en sais d’autant plus de gré que vous ne savez peut-être pas combien il est susceptible, et combien il souffre surtout d’être dépassé dans une course !…

— C’est, au contraire, parce que je le sais, répondit Réné sur le même ton mystérieux…

Madame de Sorcy le regarda avec une expression de reconnaissance plus marquée… Dans le même moment, madame de Bellay, qui avait été penchée hors de la calèche pour regarder le beau cheval de M. d’Erneville, dit en riant :

— Mais, si vous laissez Rapide suivre la calèche, monsieur d’Erneville, on viendra vous chercher là où vous êtes assis tout aussi bien que sur le dos de votre cheval.

— Caroline a raison, dit madame de Sorcy renvoyez Rapide avec votre domestique… quant à vous… voulez-vous dîner avec nous ?

Réné s’inclina, et, pénétré de contentement de tout cet arrangement de journée, il donna ses ordres à son domestique, et s’établit sur son coussin de voiture comme s’il eût été dans la bergère la plus moelleuse et qu’il dût y passer la journée ; il était évident qu’il était fort heureux.

Arrivés au lieu du rendez-vous, ils trouvèrent une très-grande foule ; M. d’Erneville donna l’ordre au cocher de tourner du côté du bois, de manière que les chevaux ne se trouvassent pas exposés à recevoir un coup de timon ou bien à en donner un.

— De cette manière, dit en riant madame de Sorcy, nous ferons une charmante promenade !

— Aimez-vous mieux descendre ? demanda René.

Sarah consulta madame de Bellay du regard… Celle-ci ne répondit pas de même et dit tout haut :

— Non vraiment ! que veux-tu faire au milieu de cette foule, de cette cohue ?… Nous sommes bien ici, restons-y, voilà mon avis.

— Il n’est pas mauvais, dit M. d’Erneville, et je l’appuie… Ah ! venez, vous en êtes récompensée. Je crois que la course commence…

— Pas du tout… C’est une femme qui arrive par cette allée, suivie d’un seul homme et de deux domestiques… Eh ! mon Dieu ! Sarah ! l’un des deux grooms n’a-t-il pas votre livrée ?…

Sarah se retourna vivement, mais la femme à cheval était déjà entrée dans une contre-allée voisine, et les deux domestiques avaient suivi… Elle se contenta de demander si le groom était grand, parce qu’alors il ne pouvait être celui de M. de Sorcy. Le sien était encore un enfant…

René dit quelques mots insignifians qui tendaient à changer la conversation. Madame de Bellay, qui avait cru reconnaître la livrée brune et or et la belle tenue des gens de M. de Sorcy, revenait toujours à l’homme qu’elle avait vu tout-à-l’heure. Dans le même moment une femme à cheval, sortant de l’intérieur du bois, vint au galop s’arrêter près de la calèche en riant aux éclats avec l’homme qui l’accompagnait. Sarah détourne la tête et reconnaît son mari, qui, en la voyant, fit une exclamation qui peut-être ne fut pas de plaisir.

— Vous ici, Sarah ! vous m’aviez dit que vous ne sortiriez pas !…

— Est-ce donc une obligation de ne jamais changer de projet, et surtout de prendre la résolution de venir se promener en calèche au bois de Boulogne, lorsque tout Paris a cette fantaisie ? répondit la comtesse avec un peu d’aigreur et d’émotion causées par l’impertinence de la femme qu’accompagnait M. de Sorcy : elle regardait Sarah avec une telle expression qu’il aurait fallu de l’insouciance et non de la patience pour demeurer silencieuse devant une telle personne. Lorsqu’elle eut contenté sa curiosité, elle fit un salut de la main à Alfred, et, donnant de l’autre un léger coup de cravache à son cheval, elle s’éloigna rapidement, suivie de son domestique.

— Voilà une femme qui monte bien à cheval, s’écria madame de Bellay avec admiration : j’ai habité quatre ans l’Angleterre, et je n’y ai vu aucune Anglaise qui montât aussi bien et surtout aussi gracieusement que cette dame. Peut-on savoir son nom, monsieur de Sorcy ? demanda-t-elle à Alfred, qui était demeuré tout soucieux auprès de la calèche, mais paraissant suivre par la pensée celle qui s’éloignait.

Cependant il répondit à madame de Bellay :

— C’est madame de Vauchamps.

— Oh ! s’écria étourdiment madame de Bellay, je ne m’étonne plus que vous lui serviez d’écuyer !… Puis, s’apercevant de sa faute, elle devint toute rouge et confuse ; elle ajouta : Elle monte si bien à cheval !

Mais le mot avait été compris : Sarah regarda madame de Bellay avec une curiosité inquiète, qui demandait avec instance. Celle-ci parla de la course, des femmes, des voitures, des Bouffons, qui finissaient au grand regret de tous les amateurs de musique, et, comme elle avait beaucoup d’esprit, elle trouva moyen de parler sans rien dire pendant dix minutes. C’est un talent fort commun en France, et pourtant assez difficile, que celui de soutenir la conversation ; et ce talent, c’est une chose toute nationale. J’ai vu quelquefois des femmes avoir dans un cercle la réputation de beaucoup d’esprit, et n’être pourtant ailleurs que des femmes plus qu’ordinaires ; mais c’est qu’elles avaient la clef de cet esprit habitant le cercle dont j’ai parlé, et elles le faisaient aller comme une mécanique. Madame de Bellay était un peu de ces personnes ayant cette maladie ou ce talent, comme on voudra l’appeler, de la parlotte, quoiqu’elle eût beaucoup plus d’esprit que ces femmes-là. Elle était bonne aussi, et elle aimait beaucoup Sarah, qu’elle avait vue naître, étant à Bruxelles pendant l’émigration. Elle aimait beaucoup à se trouver avec cette jeune femme dont elle avait connu la mère aussi jeune qu’elle l’était maintenant. Elle rentrait par elle dans un passé qui lui était doux par les souvenirs ; elle fut donc affligée d’avoir laissé échapper une parole indiscrète et légère : elle se promit bien de ne pas laisser à l’avenir tomber de ses lèvres un mot qui pourrait troubler la paix d’un ménage qui offrait le spectacle bien rare d’un intérieur bourgeois avec toute l’élégance d’une maison fashionable de Grovenor-Square.

Alfred reprit bientôt ses manières accoutumées ; seulement il parut avoir deux ou trois fois la volonté de quitter l’allée des promeneurs pour joindre une femme qui s’élançait au galop dans l’intérieur du bois pour traverser une allée, lui faisant ainsi un appel qu’elle répéta plusieurs fois. M. de Sorcy ne parut pas l’entendre, mais, au moment de quitter le bois de Boulogne, il s’approcha de la calèche, et dit à sa femme qu’il venait d’accepter un dîner de garçons au Rocher de Cancale, et qu’elle ne l’attendît pas.

— Ne soyez même pas inquiète si je rentre un peu tard : il est difficile de limiter les moyens avec M. de Saint-Remy et M. de Sauveterre… mais je reviendrai dès que je pourrai m’échapper…

Il s’approcha encore davantage, et, pressant la main de Sarah, qui était étendue sur le bord de la calèche, il fit un signe de tête à René, salua gracieusement madame de Bellay et s’éloigna rapidement pour rejoindre ses amis.

— Quel charmant garçon ! s’écria madame de Bellay ; en vérité Sarah, vous devez vous trouver bien heureuse d’avoir épousé ce jeune homme au lieu d’un gros, court et épais Flamand, qui vous aurait enfumée comme un bœuf de Hambourg, et, pour vous distraire, vous aurait donné des livres en partie double à régler.

Sarah ne répondit pas… Madame de Bellay la regarda et vit une larme suspendue à sa paupière…

Si je dis encore une parole sur son bonheur, pensa madame de Bellay, voilà un bonheur qui va la faire pleurer à chaudes larmes !…

Et madame de Bellay secoua doucement la tête en se disant que les félicités inconnues étaient bien moins désirables qu’un bonheur tout simple et ordinairement ressenti…

Arrivés à la place Louis XV, madame de Sorcy, ne doutant pas que madame de Bellay ne vînt dîner avec elle, renouvela son invitation à M. d’Erneville, qui accepta avec un empressement qui n’était pas dans ses manières habituellement froides et réservées…

— Quant à moi, mon enfant, dit madame de Bellay, ne me comptez pas dans le nombre de vos convives, il faut que je sois chez moi à sept heures, ce qui serait impossible…

Sarah voulut insister.

— Vous savez que je vous aime, mon enfant ; ainsi donc je ferais pour moi ce que vous me demandez, et j’irais dîner avec vous pour me faire plaisir plus encore que pour vous en faire, si cela était possible… N’en parlons donc plus, et dites à Tom de me mettre à ma porte, voulez-vous ?…

Sarah obéit, mais avec une vraie contrariété ; il lui semblait qu’elle allait apprendre une chose d’une haute importance !… depuis une heure, elle était vis-à-vis un mystère qui tenait à sa vie !… voilà du moins ce qu’une voix intérieure lui disait !

Pendant tout ce qui vient de se passer, Réné avait été silencieux et même sombre ; son visage, habituellement pâle, s’était un moment coloré du rouge le plus vif lorsque madame de Vauchamps s’était approchée de la calèche de madame de Sorcy… Sarah avait cru lire dans ses yeux un sentiment de pitié pour un malheur comme celui qu’elle redoutait, et l’expression du visage de M. d’Erneville avait été pour elle, dans cette fatale matinée, où le malheur se révélait en demi-preuves à sa jalousie inquiète, plus accusatrice peut-être que la conduite elle-même de M. de Sorcy.

Après avoir remis madame de Bellay chez elle, M. d’Erneville et madame de Sorcy demeurèrent seuls dans la calèche… Sarah était tellement préoccupée qu’elle ne fit pas la remarque qu’elle aurait faite le matin même, c’est qu’elle ne devait pas traverser les boulevards au moment où toute l’élégance parisienne allait au café de Paris et chez Tortoni, seule dans sa voiture avec M. d’Erneville, connu dans Paris pour en être l’homme le plus à la mode, mais le plus corrompu… Elle ne connaissait pas la force de l’engagement qu’elle venait de prendre avec le monde !…

Pendant le trajet de l’hôtel de madame de Bellay, situé rue Poissonnière, à celui de Sarah, rue du Helder, le silence ne fut interrompu ni par René ni par elle… Il semblait qu’ils fussent ainsi par un commun accord… et, lorsqu’ils furent arrivés dans le petit salon de Sarah, il ne leur vint pas à la pensée de s’en excuser l’un près de l’autre ; seulement, lorsqu’elle fut assise sur le divan où elle se tenait habituellement, elle lui dit :

— Qu’avez vous ? vous paraissez triste ?…

— Moi ?… et par quelle raison le serais-je ce soir, lorsque ce matin vous-même m’avez trouvé si gai… quoique habituellement je ne le sois guère ?

— Vous !…

— Sans doute.

— Mais du moins n’êtes-vous pas triste… Vous n’avez aucun souci… vous êtes insouciant de toutes choses en ce monde !… Oh ! que vous êtes heureux !…

— Ah !… c’est ainsi que vous me jugez !

— Mais n’est-ce pas ainsi que vous voulez l’être ?

— Par les autres… c’est possible… mais non pas pour vous… ou toute autre personne qui vous ressemble, ajouta-t-il…

— Pourquoi donc alors cette hostilité continuelle avec le monde ? Ne suis-je pas, comme la foule entière, proscrite aussi par vous, moi ?…

— Vous ne le croyez pas ?

M. d’Erneville mit dans cette seule parole une expression naturelle qui toucha Sarah… Elle tendit la main à M. d’Erneville avec l’abandon le plus touchant, parce qu’en ce moment le souvenir de tout ce qui s’était passé le matin lui donnait une idée confuse qu’elle avait un ami dans M. d’Erneville… Cependant, à peine sa main fut-elle dans la sienne, qu’elle la retira en rougissant, tant était grande la réserve dans laquelle elle avait été élevée… Réné s’aperçut de ce qu’elle éprouvait, et ne voulut pas effaroucher l’amitié qui naissait pour lui dans une ame candide et pure. Il se contenta de presser sa main dans la sienne, sans même la porter à ses lèvres ; et, regardant Sarah avec un intérêt qui n’avait rien que de fraternel, il lui dit :

— Vous croyez donc, comme la foule de ceux qui ne me connaissent que par une tradition presque aussi terrible que celle de Robert-le-Diable, que je suis un être… méchant… un homme dangereux, pour dire le mot ?…

Sarah sourit doucement.

— Non, non, ne souriez pas en me répondant. Ma question est plus sérieuse et plus importante pour vous-même que vous ne le pensez !…

Madame de Sorcy devint pâle !… Depuis le commencement de cette conversation elle avait un but, celui de conduire Réné à lui apprendre ce qu’était cette madame de Vauchamps dont la pensée ne la quittait plus… En entendant les dernières paroles de M. d’Erneville, elle s’applaudit de son adresse et se vit au moment qu’elle avait désiré.

Pauvre simple ! qui ne voyait pas qu’elle n’était elle-même qu’un instrument aveugle habilement dirigé par une main savante !

— Eh bien ! lui dit Réné, ne voulez-vous pas me répondre ?… Est-il vrai que vous me jugiez sur les propos du monde et de quelques femmes coquettes, qui ont cru se venger de moi parce que je n’ai pas pu les aimer, en me déchirant sans savoir elles-mêmes si les couleurs dont elles se sont servies peuvent convenir au portrait qu’elles font de moi ?… Si j’étais plus fat, ajouta-t-il en souriant, je dirais comme lord Byron de lady Caroline L.… lorsqu’on lui dit qu’elle avait voulu faire son portrait dans son roman de Glenarvon :

« Comment peut-elle faire mon portrait ? je n’ai pas posé assez long-temps… »

Mais je ne me sauve pas ainsi dans la fatuité. C’est un mauvais refuge… je suis, au fait, plus naturel que vous ne le croyez, et surtout… meilleur… croyez-le bien !…

Sarah fut touchée… cependant elle avait tant entendu parler de lui… Alfred lui-même tout en l’aimant, ne pouvait lui accorder cette bonté native dont il parlait avec une sorte de bonhomie bien opposée à ce qu’il paraissait être dans le monde !…

— Mais enfin, lui dit Sarah lorsque, après le dîner, ils furent rentrés dans le salon et causant de confiance, comment alors le monde vous juge-t-il ainsi ?

— Le monde !… mais ignorez-vous donc comment il juge et comment il rend ses arrêts ? singulier tribunal que le sien !… les parties y sont citées sans en être prévenues surtout. C’est là le grand art des juges : on accuse, on plaide toujours contre, jamais pour l’accusé, et séance tenante le jugement est rendu, et, quelque délicate qu’ait été la question, soit sur la réputation d’une femme, soit sur l’honneur d’un homme, le bonheur de toute une vie, il importe peu aux juges qui prononcent et disent : l’accusé est accusé, donc il est coupable… et s’il est malheureux !… oh ! alors… alors, on ne va pas même aux voix… Voilà cependant où nous mène cette belle civilisation si admirablement perfectionnée !…

Il laissa tomber sa tête sur sa main et parut réfléchir profondément.

— Mais, lui dit Sarah tout effrayée de ses paroles sinistres, c’est l’image d’une société de brigands et de sauvages que vous venez de me présenter là !…

— Non, certes !… j’ai été chez ces hommes que vous appelez sauvages, et j’y ai trouvé des vertus qui sont ignorées en Europe… Non, non ; je vous ai peint notre société élégante et riche… je vous ai parlé de ces hommes qui parient mille louis pour une course de chevaux qu’ils ne savent pas conduire ; de ces femmes qui brodent et font de mauvais tableaux qu’elles obligent à prendre pour en faire des loteries pour les pauvres, dont elles ignorent le nom et la demeure !… Je vous ai parlé de notre société enfin qui juge et qui tue avec la parole, comme l’assassin avec le poignard, l’empoisonneur avec le poison… et cela selon son bon plaisir, selon son caprice plutôt !… C’est ainsi que se font les réputations du monde… un homme est jugé par une coterie composée de quelques vieilles femmes dont il aura chansonné les prétentions, de quelques jeunes dont il aura dédaigné les amours ou deviné les intrigues, et de quelques hommes dont les prétentions dans la route du monde auront été froissées par celui cité à la barre de ce tribunal plus effrayant que celui des francs-juges ; car du moins dans la terre rouge[1] venait-on frapper trois coups à votre porte en vous portant une assignation et l’ordre de comparaître !… Mais ici la calomnie travaille dans l’ombre… comme cette araignée venimeuse dont le contact donne la mort, elle tisse sa toile dans un coin obscur sans être vue de celui qu’elle doit envelopper. C’est ainsi que souvent les plus belles natures sont méconnues, c’est ainsi que des hommes nés sensibles et bons deviennent méchants et injustes eux-mêmes, aigris qu’ils sont par la calomnie et l’injustice !… Ah ! croyez-moi !… j’ai le droit de parler ainsi !…

— Avez-vous donc souffert de ce même tribunal du monde, dont vous venez de me faire une peinture si terrible ?

René fit un mouvement inexplicable en ce moment, car il eût été impossible peut-être à lui-même de traduire sa pensée !… il sourit avec cette expression sardonique qui lui était ordinaire, et, se replaçant dans le grand fauteuil où il s’était d’abord assis et qu’il avait quitté pour se promener, il croisa ses bras sur sa poitrine, étendit ses jambes, et dit à Sarah, en lui parlant avec cet accent voilé, cet altavoce qui donnait un grand charme à parole :

— Je suis né bon et même profondément sensible… mes passions étaient profondes, mais sans violence. J’aimais avec force ce que je devais aimer avec abnégation… Il n’est pas un sacrifice qui alors me parût impossible… Ce fut ainsi que je rencontrai la femme qui devait m’apprendre que le mal seul est réalité, et le bien une illusion vainement cherchée… Pardonnez-moi des paroles aussi sévères, dit René en s’interrompant… vous êtes en droit de me demander compte de ce que j’ose ainsi avancer devant vous !… vous, qui feriez douter de l’existence du mal… mais les exceptions comme vous sont rares, madame… puissiez-vous ne pas arriver comme moi par la route de la trahison et des douleurs à douter de tout en ce monde !…

Sarah fut touchée… Cet homme avait eu le pouvoir de lui faire oublier un moment ce qu’elle même souffrait… Continuez, lui dit-elle !…

— Que vous dirai-je ? Je devins amoureux d’une femme que j’aimai à vingt ans comme on aime à cet âge, avec abandon, avec passion… Cette femme était belle, ravissante de grâce et de bonté, c’était un ange pour moi ! Je ne l’aimais pas comme on aime, c’était un culte !… cette femme était plus âgée que moi… et me domina bientôt complètement par le charme d’un amour que je croyais vrai… Eh bien ! elle me trompait ! Cette femme ne m’aimait pas, elle ne m’avait jamais aimé !… J’acquis un jour la preuve qu’elle avait eu besoin de moi et de ma famille pour faire réussir une affaire dans le monde par une route qui fùt voilée aux yeux de ce même monde, qu’elle était certaine de dominer à son tour, si elle conduisait la perfidie avec adresse… Le monde n’est sévère que pour ceux qui ne réussissent pas… Le jour où j’appris que j’avais été trahi par cette femme, qui m’avait enlevé dans le même temps le meilleur de mes amis, celui du moins sur qui je croyais pouvoir compter… ce jour-là, oh ! ce jour-là… je fus bien malheureux !… je pleurai sur une douleur que je croyais incurable… mais le temps m’a prouvé qu’il n’est rien qu’il ne calmât… Quant à l’oubli, jamais je n’oublierai cette offense !… jamais… Mon cœur a pour la reconnaissance et la vengeance une mémoire qui jamais ne s’altère !… Une circonstance, suite de cette aventure me fit plus de bien et avança plus ma guérison que tous les raisonnemens de la logique la plus claire… J’appris, à quelque temps de là, que j’avais un ennemi caché, qui cherchait à me nuire dans le monde par tous les moyens possibles, par la calomnie d’abord et des lettres anonymes… moyen le plus lâche de la plus infâme trahison, celle qui frappe dans l’ombre !… Je n’étais pas offençant alors, je le devins… Je fus long-temps à trouver qui pouvait vouloir me nuire avec autant d’obstination… J’en parlais un jour à mon oncle, le commandeur d’Erneville… il me dit : N’as-tu pas été l’amant de madame de *** ? — Oui, sans doute. — Informe-toi de ce qu’elle a fait, et je crois que tu arriveras à ton ennemi !… Je ne le voulus pas d’abord, mais ensuite je fis des démarches… C’était elle !… la reconnaissance lui était lourde !… Elle ne voulait pas me rencontrer dans le monde même sans me parler, et elle voulait me forcer à quitter la France ! — Quand j’eus acquis la preuve de cette iniquité, quand je connus la perservité humaine dans toute sa laideur, alors je voulus connaître entièrement cette nature pour comparer les bons et les mauvais cœurs… Le résultat de mon étude a été triste et m’a démontré qu’il n’est au monde que deux classes d’individus, les opprimés et les oppresseurs : j’ai d’abord été des premiers : mais la niaiserie du rôle me parut trop forte, et je pris celui qui devait au moins me donner la consolation de me venger du mal qui m’a été fait… Ce fut, c’est-à-dire, ce que je voulais faire… mais la vengeance ne m’est pas plus connue que l’intérêt… je fus tout aussi niais en cela que précédemment !… je réponds durement à une calomnie qui laisse tranquille le calomniateur. — On me croit tout pétri de fiel, et je ne demanderais pas la tête de mon ennemi le plus obstiné !… le secret de tout cela, c’est qu’avec des passions fortes je n’ai pas d’ailleurs la force de haïr. — Est-ce un mal ? est-ce un bien ? je l’ignore ! — Je n’aime pas les duels, et pourtant j’ai du courage. Cela a fait porter de moi des jugements singuliers. — Le monde ne voit, quand on lui parle de bravoure, que la mare d’Auteuil ou le bois de Vincennes ; — eh bien ! je n’aime pas cette façon de prouver qu’on a du cœur. — Je sais bien que je ne formerai pas le monde ; mais je suis ainsi : — je n’estime que le courage utile. — De tout cela il faut conclure, n’est-il pas vrai, que je devrais vivre seul ?

— Eh bien ! j’en ai le goût… quoique jeune encore, je suis fatigué du monde, las de sa méchanceté… je trouve si peu d’hommes à mon niveau pour juger les autres, que je me retire en moi-même et ne m’entends qu’avec mes livres et ma solitude… C’est surtout à Erneville que je suis heureux !… j’aime la belle nature avec passion… En face d’elle, je retrouve mon ame de jeune homme… Alors, avec quelques amis dont les sentimens, les opinions et la morale, sont à l’unisson de ce que je ressens sur tous les points, je suis presque heureux !… Et pourtant il n’y pas toujours un contact parfait entre nous !… il faut donc être seul !… Une fois en ma vie, j’ai pensé qu’un être pouvait réaliser mes rêves insensés !… J’ai cru… mais laissons cela…

— Croiriez-vous, continua René après un silence assez long, qu’avec cette nature toute composée d’amertume et de passions tristes, mon désir dominant est, comme Rousseau, d’être aimé de tout ce qui m’approche ?… Naturellement opiniâtre, je cède souvent, pour avoir la paix, à une conviction toute en moi… parce que mon intérieur est un sanctuaire où le bonheur devrait être toujours… et je dois l’y maintenir… Et ces sentimens-là, voyez-vous, je ne me les suis pas inculqués… ils sont innés en moi… c’est ma nature…

Tandis que Réné parlait, Sarah écoutait avec une attention qui devait produire un étrange effet sur l’orateur !… la naïve créature, toute parfaite de sa pureté native, qu’aucune passion n’avait encore souillée, écoutait avec une attention religieuse la disculpation de cet être qui, d’un cloaque d’impuretés amoncelées par lui-même, de cet habitacle de vices, s’élançait vers le ciel comme un chérubin radieux, et paraissait victime au lieu d’être bourreau… Sarah l’écoutait avec une attention dont il était fier et qui l’étonnait, tout accoutumé qu’il était au triomphe ; car ce n’était pas une victoire ordinaire qu’il fallait remporter ici !… le sujet était remarquablement important, et René le savait !…

— Voilà ma profession de foi, poursuivit-il après un long silence, pendant lequel il voyait des larmes couler sur les doigts effilés de la main qui soutenait la tête de madame de Sorcy… Jamais je ne fis de mal sciemment à un être humain… ma conscience est pure, ajouta-t-il en passant la main sur sa poitrine et avec une expression vraiment pénétrante… Dieu jugera entre moi et mes accusateurs et prononcera…

Il se tut, et madame de Sorcy ne put élever la voix pour lui répondre… Cet homme, dont la réputation était si universellement connue pour celle d’un homme méchant, eh bien ! cet homme venait d’avouer qu’il était malheureux ; car Sarah le voyait bien, il était malheureux ! et son instinct de femme la portait à le plaindre…

— Oui, lui dit-elle enfin, vous avez bien souffert !… car je ne crois pas qu’il existe une douleur au-delà de celle d’un amour trahi, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle avec timidité…

— Il en est une aussi vive, si elle ne l’est davantage… c’est d’aimer sans espérance répondit-il d’une voix sombre…

Cette réponse fit rougir Sarah ; il le vit et se dit :

— Pourquoi rougit-elle ? Elle me comprend donc ? Oh ! les femmes ! les femmes !…

— Monsieur d’Erneville, dit Sarah après avoir rassemblé ses forces et son courage… vous connaissez la femme qui était au bois de Boulogne avec mon mari ?…

— Oui, madame

— On la nomme ?

— Madame la marquise de Vauchamps ; c’est une bemme bien née, mais… non pas comme il faut, ajouta-t-il en riant.

— Elle est belle ?

— Fort belle… cependant… il en est de plus belles !…

— Quel âge peut-elle avoir ?

— Je ne sais pas… mais que vous importe l’âge de madame de Vauchamps ?…

— À moi !… rien… mais… Ah ! monsieur d’Erneville ! comment pouvez-vous me demander pourquoi je veux savoir l’âge de madame de Vauchamps ?…

René baissa les yeux sans répondre… Sarah éclata en sanglots !… Il s’approcha, prit sa main, s’assit auprès d’elle et lui adressa de ces paroles affectueuses qui calment les douleurs… Hélas ! ces consolantes paroles formèrent la chaîne magique qui lia Sarah à cet homme d’enfer !… une femme doit fuir des consolations offertes par une bouche qui vient de parler d’amour et de révéler son ame et ses passions ! Sarah devait en connaître toute l’horreur et le danger !…

— Pourquoi pleurez-vous ? lui dit-il enfin… Je ne vous ai rien dit, et pourtant vous avez l’air de croire à un malheur présent… avez-vous donc une certitude ?…

— Aucune, dit Sarah en levant sur lui des yeux d’un noir de velours, qui brillaient comme des étoiles au milieu des larmes brûlantes qu’elle versait sur une peine imaginaire, du moins René le lui démontra-t-il.

— Lorsque madame du Bellay dit à votre mari le malheureux mot qui devait vous éclairer sur une faute passée sans fruit pour votre bonheur à venir et troublant votre repos présent… j’ai souffert comme si ma sœur eût été atteinte par une souffrance aiguë comme celle qui vous a traversé le cœur… n’est-ce pas ?…

— Oh ! oui… j’ai bien souffert et comme on voit que vous avez souffert aussi, vous !… Vous devinez les peines du cœur !… Mais poursuivez… dites-moi quelle est cette femme ?

— Jamais ma bouche ne se serait ouverte pour vous révéler cette ancienne histoire, si madame du Bellay ne vous avait pas fait croire à ce qui n’est pas… enfin…

— Eh bien ! dit Sarah toute palpitante d’inquiétude.

— Eh bien ! que puis-je vous dire ?… madame de Vauchamps a connu Alfred il y a bien des années… il y a dix ans, je crois ! et alors…

— Alors, il l’a aimée, s’écria Sarah ; n’est-ce pas cela ?

— Oui.

— Oh ! mon Dieu, je vous remercie ! quel bien vous me faites !… vous m’ôtez un poids accablant de la poirine… je respire maintenant ! Oh ! merci… merci !…

Et la naïve créature lui tendait ses deux mains en lui répétant de sa douce voix : Merci… merci !…

— Ainsi donc, dit Sarah en souriant au travers de ses larmes, il l’a aimée il y a dix ans ?… que m’importe ? Puisqu’il a cessé de l’aimer une fois, il ne peut plus l’aimer une seconde fois : cela est impossible, n’est-il pas vrai ?…

René la regardait avec admiration et avec un sentiment de profond intêrét… Elle était belle comme un ange dans ce moment d’exaltation où sa bouche souriait à une heureuse nouvelle lorsque ses yeux étaient encore remplis des larmes de la souffrance !

— Répétez-moi donc qu’on ne peut aimer une femme qu’on a cessé d’aimer, monsieur d’Erneville.

— Oui, répondit René en parlant avec distraction… oui… et surtout quand on vous aime !… comment alors en voir une autre ?

Sarah rougit encore, mais sans répondre. Dans ce moment la pendule sonna onze heures.

— Déjà s’écria Sarah… onze heures !… comme la soirée s’est écoulée rapidement !

— L’avez-vous trouvé ainsi ? dit René tout charmé.

— Oui… je vous le jure ! Dans ce moment on entendit du bruit dans la pièce voisine ; c’était Alfred… il ouvrit aussitôt la porte et entra chez sa femme au moment où René lui baisait la main et prenait congé d’elle. Alfred parut surpris de voir M. d’Erneville à cette heure chez sa femme, et une ou deux paroles le firent comprendre… Sarah les entendit et son cœur se serra. Est-ce donc envers celui qui vient de prendre sa défense qu’il doit être injuste ?… René a bien raison ! voilà le monde ! injustice et prévention… Cette pensée fit venir un nuage sur son front… et, lorsque ensuite son mari s’approcha d’elle pour l’embrasser, un léger mouvement l’éloigna de lui. René vit et comprit ce mouvement, et il fit un signe à Sarah comme pour l’engager à dissimuler son humeur… Alfred vit les deux mouvemens ; il ne devait plus les oublier…

— Bon soir, madame, dit M. d’Erneville en prenant congé de madame de Sorcy… Mon général, vous n’avez pas d’ordre à me donner … pour demain.

— Non, monsieur, répondit sèchement M. de Sorcy. Réné sourit imperceptiblement, et sortit sans faire paraître que rien eût porté sur lui.

Bon soir, ma chère, dit Alfred à sa femme… il y avait là du vin de Champagne, et ces étourdis m’ont fait boire plus que je ne puis en porter, je crois aujourd’hui !…

— Bon soir ! bon soir dit Sarah d’une voix grosse de larmes ! bon soir !…

Demeurée seule, elle pleura avec sanglots et sans mesure…

Oh ! M. d’Erneville se trompe, s’écria-t-elle ; il aime encore cette femme !!…

Il était onze heures du soir… la pluie tombait à flots, et la rue du Faubourg-Saint-Honoré était inondée au point d’y marcher avec peine. Cependant un cabriolet fort léger franchissait les ruisseaux débordés, et parvint enfin à la porte d’une maison entre cour et jardin dont l’ordonnance était celle d’une maison de femme élégante et riche. — Le cabriolet s’arrêta devant un péristyle soutenu par deux colonnes de marbre blanc cannelées, entre lesquelles étaient des vases de marbre blanc également remplis des plus admirables fleurs… Le jeune homme, qui paraissait connaître trop bien ces lieux pour s’arrêter à les admirer, passa rapidement pour éviter la pluie, et parvint dans un vestibule en vitrage parfaitement chauffé, et dont le sol était couvert de nattes du Brésil. Là étaient plusieurs domestiques en livrées ; l’un d’eux ouvrit au jeune homme la porte d’un petit salon où se ternait un valet de chambre qui enleva le manteau du jeune homme et le remit au valet de pied.

— La marquise est-elle seule ? demanda le jeune homme au valet de chambre.

— Seule, monsieur le comte.

— Le général est-il venu ce matin ?

— Ce matin et ce soir.

— Diable ! — Annonce-moi !

M. le comte d’Erneville, dit le valet de chambre ; et il se retira après l’avoir introduit dans un salon de forme ronde où tout ce que le luxe a imaginé de plus recherché se trouvait entassé avec plus de magnificence peut-être que de goût. Sur un divan d’étoffe, pourpre et or, était à demi couchée une femme grande, belle, et que le lecteur peut reconnaître pour l’amazone du bois de Boulogne… Elle était vétue aussi simplement que tout ce qui l’entourait était somptueux… Elle n’avait qu’une robe blanche en mousseline, attachée à la ceinture et aux manches avec un ruban bleu de ciel clair, et ses cheveux d’un beau noir étaient relevés simplement par un peigne d’écaille… Lorsqu’elle entendit annoncer M. d’Erneville, la grande femme se leva à demi de son divan et voulut aller à lui.

— Vous êtes bien heureux, René, que je sois aussi fatiguée car vous porteriez la peine de votre retard… onze heures !… Et quelles nouvelles ?

— Aucune, répondit René froidement.

— Comment, aucune !…

— Aucune ! pourquoi me faire répéter ?

— Parce que la chose est trop forte… Comment vous ne pouvez vous faire aimer de cette petite Flamande !… Mais si j’étais homme, moi, je me ferais aimer d’une femme en vingt quatre heures…

— Ce que c’est que de juger d’après soi !… Vous ne résistez jamais plus long-temps, et vous croyez que toutes les femmes sont comme vous ! mais il n’en va pas ainsi à Bruxelles, ma chère !

Madame de Vauchamps leva les épaules.

— Quand vous avez dit une impertinence, vous croyez avoir dit un bon mot !… vous me faites pitié !… Si vous ne voulez pas mener cette aventure à fin, je mettrai quelque autre en avant : elle est assez jolie pour que le prix tente celui que je chargerai de ma vengeance.

— Écoutez, Louise, nous nous connaissons tous deux… c’est assez dire ce que nous pouvons mutuellement… je ne veux pas que vous mettiez personne auprès de la jeune femme… Deux Méphistophétés pour un ange, c’est trop aussi !… Quelquefois, je ne le cache pas, j’ai des remords… mais je suis amoureux d’elle… je n’ai pas de passion ; mais je la veux et je l’aurai… C’est ce qui me fait vous dire qu’il est inutile de mettre un nouvel acteur dans cette pièce infernale, où, du reste, je n’ai pris un rôle que parce qu’il me convenait.

Madame de Vauchamps se leva et parcourut la chambre à grands pas…

— Comment se peut-il que je l’aime encore, cet homme, après tout le mal qu’il m’a fait ?… Et vous !… Oh ! tenez, René ! jugez si vous ne m’avez pas fait plus de mal que lui !…

— Alfred est un de ces hommes pâles, à passions fortes, qui devraient toujours être attachés à des âmes comme les leurs. Sa femme ne le comprend pas tout en l’adorant… car elle l’adore ! c’est le mot… et voilà ce qui rend ma tâche difficile à exécuter…

Madame de Vauchamps leva encore les épaules…

— Moquez-vous de moi tant que vous voudrez… vous n’entendez rien à juger une femme vertueuse…

— Oh ! cette femme ! cette femme !… et sa vertu !… sa douceur, ses qualités !… Quand je pense qu’il m’a fallu subir une heure de ce supplice d’entendre louer une rivale par l’homme que j’aime !… moi !… moi, qui jamais n’ai éprouvé une humiliation ni une peine en amour… il me faut échouer dans cette malheureuse affaire où mon cœur est encore plus malheureux que mon amour-propre !… O Alfred ! Alfred !…

René la regarda avec pitié, mais cette pitié n’était plus celle qu’il témoignait aux larmes de Sarah. Il y avait dans ce respect un involontaire hommage que le vice rendait à la vertu !… Madame de Vauchamps se roulait sur son divan et n’avait aucune mesure dans sa douleur… c’était une Ménade en furie… René en eut du dégoût.

— Qu’avez-vous décidé pour le bal masqué de ce soir ?

— Eh bien ! nous irons…

— Vous savez votre rôle ?

— Sans doute… il n’est pas difficile… n’est-il pas question de faire entendre une conversation entre moi et Alfred à sa femme ?

— Oui, je crois que c’est ce qu’il y a maintenant de mieux ; elle est prévenue, mais elle ne peut croire à ma parole… je lui ai montré une lettre de vous… elle croit que je suis trompé et que c’est une ancienne lettre… la malheureuse se débat comme l’oiseau sous le couteau… Pauvre enfant !…

— N’allez-vous pas la plaindre ?

— Non… car je crois que je l’aime.

— Ce serait le cas cependant…

— À quelle heure vient Alfred ?

— À une heure.

— Il est minuit et demi ; adieu, je m’en vais ; nous nous retrouverons au bal… dans la salle du foyer, sous la pendule… le lieu est nouveau !

— Quel besoin y a-t-il qu’il le soit ?…

— Ce serait d’un meilleur augure… Quel est le numéro de la loge où je dois la conduire ?…

— L’ouvreuse est prévenue… no 27… la mienne sera no 26… Allons… allons, un peu de courage, René, et Sarah est à vous !

— Je vous jure que si cet espoir n’était pas devant moi… il a long-temps que je vous aurais dit adieu.

— Allons, bon soir, au revoir, dans une heure.

Demeurée seule, madame de Vauchamps fut entourée d’images lugubres qui la faisaient tressaillir… Son cœur n’était pas mauvais, mais la jalousie et la passion avaient bouleversé son ame… ce n’était plus une femme… son humeur elle-même était changée… ses gens ne la reconnaissaient plus… Elle aimait le comte de Sorcy avec cette passion abnégative de tout en ce monde qui fait trouver la vie dans un regard, dans une parole !… Alfred l’avait beaucoup aimée, mais il crut un moment à son infidélité, elle-même le lui laissa croire. Ce fut dans ce temps qu’il connut Sarah dans l’exil et qu’il lui voua son existence tout entière… L’adorant comme on adore un ange, il revint à Paris avec la ferme résolution de ne pas chercher à rencontrer madame de Vauchamps. Mais cette femme était trop absolue pour ne pas exécuter ce qu’elle voulait… Elle rencontra Alfred au bal masqué… l’attaqua, lui dit des choses qui piquèrent sa curiosité, et enfin elle l’attira dans un lieu où elle se fit reconnaître à lui avec toute la violence de la passion qui était réelle… Elle tomba aux pieds d’Alfred, lui rappela leurs amours, le temps de ce bonheur profond qui était encore si prêt d’eux… enfin un moment de faiblesse ramena Alfred dans ses bras… Alors elle reprit une partie de son empire. Quoique M. de Sorcy aimât sa femme avec une tendresse profonde et sans partage, il se reprochait chaque jour la conduite indigne qu’il tenait ; souvent il voulait tout dire à sa femme, lui demander à elle-même son secours contre lui, et partir tous deux pour l’Italie ou pour l’Orient, voyage qu’il voulait toujours faire… Mais il était faible, et les jours s’écoulaient sans amener un résultat… Telle était la position respective de chaque époux, lorsque l’infâme association se forma entré René et la marquise de Vauchamps. Sans cette ligue, l’impulsion naturelle à l’amour aurait porté Sarah à chercher une explication, à la provoquer, tandis que, par les conseils de René, elle la fuyait et perdait ainsi le dernier espoir de parvenir à ramener Alfred à elle !…

La salle de l’Opéra était remplie d’une foule immense qui venait chercher l’amusement et n’y trouvait que l’ennui, à moins qu’un motif ne fit venir dans ce lieu de folie et de corruption… Dans la salle du foyer, au-dessous de la pendule, était un petit masque vêtu d’un domino de satin noir garni de blondes… son camail bien arrondi, ses gants blancs bien tirés, son pied chaussé d’un petit soulier de satin noir, tout était si élégant dans le petit masque, que beaucoup d’hommes avaient déjà tenté de lui parler, mais le petit masque avait toujours repoussé les moindres attaques et paraissait attendre quelqu’un… il regardait souvent à la pendule et puis autour de lui… enfin vers une heure et demie une main pressa la sienne, une voix prononça le mot : Mystère !…

Aussitôt le petit masque passa son bras sous celui de l’arrivant, et tous deux se perdirent dans la foule.

— Pourquoi être venu si tard ?… je mourais de peur et d’inquiétude !… Ah ! monsieur d’Erneville… comme le cœur me bat !… Que de monde dans cette salle … et toutes ces lumières… pourquoi ne vous ai-je pas trouvé d’abord ?… j’ai failli m’en aller tant j’avais peur… et tout cela pourquoi faire ! connaître mon malheur peut-être ?…

— Vous savez que ce que vous faites ce soir est contre mon aveu… je ne suis pas d’avis de ces moyens de se convaincre, d’autant… pourquoi le savoir d’ailleurs ?… l’ignorance amène de droit le pardon.

— Pourquoi le savoir, monsieur ? parce que, si Alfred est coupable envers moi, je le quitte à l’instant ! Je me retire à Bruxelles dans un couvent, et je dis adieu au monde à vingt et un ans ! Oh ! que je suis malheureuse !… Elle pleurait avec une agitation si grande, que la barbe de son masque se soulevait par la force de ses pleurs.

— Ne pouvez-vous donc vaincre cette passion insensée ?… Revenez à vous-même. Contentez-vous d’un sentiment doux, d’une affection fraternelle, d’un amour dégagé de celui des sens… d’une passion sans doute, mais une passion de l’âme, où rien n’est violent, où le cœur raisonne avec lui-même et peut trouver le bonheur dans des béatitudes célestes… Oh ! Sarah, vous que j’aime avec cet amour pur, cette affection seule digne de vous, comprenez donc mon cœur ! comprenez ce qu’il sent pour vous ! C’est de l’amour, mais un amour éthéré, un amour des anges, comme vous en êtes un vous-même, Sarah !… Alfred ne comprend pas votre nature d’élite ! cette nature qui vous rend supérieure à toutes les femmes que j’ai connues jusqu’ici ! Moi ! moi qui croyais avoir épuisé la coupe des voluptés humaines, il en est une qui tout-à-coup s’offre à moi entourée de tout le prestige des fêtes du cœur et des joies de l’âme, et j’apprends, à mon âge, qu’on peut aimer et être heureux par des jouissances inconnues jusqu’à ce jour pour moi. Ô Sarah !… soyez ma sœur… mon amie… mon espoir dans l’avenir.

Sarah tremblait en écoutant ces paroles magiques ; il lui semblait entendre une musique enivrante, et pourtant elle savait qu’elle faisait mal de l’écouter. Elle souffrait et elle écoutait. Cette affection pure et sainte lui semblait le paradis sur cette terre ; l’amour sans la passion, sans le feu qui calcine et dévore, c’est le bonheur dégagé de tout malheur… c’est une félicité sans entrave, une joie sans mélanges…

Tandis qu’elle prêtait l’oreille à ces séduisantes paroles, ils étaient dans une loge ouverte à côté d’une des loges fermées des premières… Sarah écoutait en se laissant aller à la douceur d’un bercement de l’ame, pour ainsi dire, aux paroles d’amour d’un homme qu’elle n’aimait pas, mais qui lui donnait du repos à l’âme, en la guidant dans la route d’une douce affection et d’une pure amitié. Sa main était dans celle de René, qui la serrait doucement en lui laissant appeler Alfred. Croyez-vous qu’il vienne ? demandait-elle. Je le voudrais pour recevoir cette assurance que vous m’affirmez qu’il me donnera…

— Je vous le jure, disait René… Mais ce que je ne puis affirmer, c’est que madame de Vauchamps soit avec lui… Je sais qu’il vient ce soir au bal ; mais j’ignore si elle y vient aussi.

Dans ce moment, la loge à côté de la leur s’ouvrit, et deux masques y entrèrent… Sarah ne fit d’abord aucune attention et continuait à parler haut ; René lui fit signe de se taire ou de parler plus bas.

— Nous ignorons qui ce peut être, dit-il à madame de Sorcy. Il achevait de parler, une voix s’éleva dans la loge des deux masques, et porta un son dans celle de Sarah, qui la fit tressaillir… Elle poussa du bras celui de M. d’Erneville, et, à travers son masque, il la vit pâlir !…

— C’est la voix d’Alfred !… dit-elle tout bas.

— De la prudence, au nom du ciel !… de la prudence, au nom de vous-même !…

Sarah tremblait si fort, que Réné se repentit de l’avoir amenée. Sa conduite lui semblait infâme quelquefois !… Sarah était là, penchée sur le bord de la loge… Elle écoutait, regardait surtout ! Cette femme ; c’était bien madame de Vauchamps ; elle l’avait revue plusieurs fois depuis le jour du bois de Boulogne, et son souvenir était demeuré parfaitement intact dans le cœur de Sarah. Il y était incisé par une haine jalouse, qui devait faire sa destinée, à la malheureuse enfant !… Quelque bien déguisée que fût madame de Vauchamps, elle avait voulu l’être par un motif étranger à Alfred, avec qui elle causait comme avec l’homme qu’on préfère et qu’on aime plus que tout ce qui est préféré et aimé. Cela se voyait jusque dans la conversation, qui pour eux était oiseuse dans ce lieu où rien ne pouvait plaire à deux êtres parfaitement libres de leurs actions. — La marquise de Vauchamps était venue.

— Mais pourquoi cette volonté de bal masqué aujourd’hui ? demandait Alfred. Je ne vous comprends pas, Louise… Quand nous aurions été si bien chez vous, dans le petit salon vert, les pieds sur son bon tapis, et devant une tasse de thé bien chaud !…

— Eh bien ! avez-vous du regret ? dit une voix très-harmonieuse, quoique grave dans son accentuation.

— Non, certainement, puisque nous sommes ensemble. Mais je voudrais savoir pourquoi vous y êtes venue.

— Ah ! ceci est mon secret !… En tout cas ce n’est pas pour mal faire, puisque vous êtes avec moi !

— Mais enfin !…

— Eh bien ! voulez-vous le savoir ?

— Je vous en prie.

— Alfred !… et la femme posa sa main sur celle d’Alfred, et dans ses yeux, qu’on pouvait voir au travers de deux immenses ouvertures du masque, on lisait une tendresse passionnée. Alfred, que s’est-il passé, il y a aujourd’hui un an, entre nous ?…

— Ah !… Et Alfred se baissa pour baiser la main de madame de Vauchamps, car c’était elle… Il enleva son gant, et dévora sa main de baisers. — Louise ! Louise !

— Oui, reprit madame de Vauchamps, il y a aujourd’hui un an que, vous retrouvant à ce même bal de l’Opéra où jadis je vous ai connu, car c’est dans un bal de l’Opéra que je vous rencontrai pour la première fois, après votre malheureux mariage…

Madame de Vauchamps s’arrêta à ce mot. — Sarah se hasarda à regarder Alfred !… Il avait la tête baissée et paraissait confus.

— De quoi ? pensa Sarah ; est-ce d’écouter cette femme ou de l’avoir abandonnée !… Et le cœur de la jeune femme battit violemment…

— Et c’est dans un bal de l’Opéra, continua madame de Vauchamps, que je vous ai connu, il y a huit ans… Alfred… ce souvenir n’est-il donc rien pour vous ?…

Le comte de Sorcy se précipita sur les mains de madame de Vauchamps et les couvrit de baisers…

— Louise ! Louise !… ne soyez pas injuste…

— Je ne me plains pas… je sais que vous m’aimez !… Je sais bien que votre malheureux mariage fut un de ces coups de désespoir qui portent aux partis les plus extrêmes… Je n’y vois pas d’obstacles… À cette époque je ne pouvais vous offrir que mon amour… M. de Vauchamps vivait… et la fortune de cette petite était un avenir que mon amour lui-même devait vous assurer.

— Ah ! dit vivement Alfred, ce ne fut pas la raison de la fortune qui me détermina… vous me connaissez assez pour ne pas le croire.

— Sans doute, sans doute… mais moi, qui n’avais pas comme vous la raison d’une petite fille rose et blanche, qui faisait la plus gentille maîtresse que l’exil pût vous offrir, je devais y donner mon attention et lui sacrifier même mon amour. Oh ! que je fus malheureuse ! Alfred… je crois que je me tuerais si un pareil malheur me frappait aujourd’hui…

Elle pleurait… elle détacha son masque et se releva dans le fond de sa loge. Alfred ôta également son masque et se plaça à côté d’elle en lui prenant la main. Sarah avanca doucement la tête, et put voir la figure de sa rivale. Elle était charmante en ce moment où une émotion forte, mais venant du cœur et vraie, était répandue sur elle ; elle avait une beauté positive, vraiment entraînante. Sarah se sentit défailir. … René prit sa main et la serra sans qu’elle le comprît, sans qu’elle le sentît…

— Venez, lui dit-il en se levant et parlant à voix basse, venez !… Que voulez-vous faire ici ?… Votre cœur se brise, que voulez-vous de plus ?… Ah ! que je me repens de vous avoir amenée ici !… mais qui s’en serait douté ?… Venez.

Sarah lui fit signe de la main… Dans ce moment elle entendit Alfred parler avec chaleur.

— Quelle pensée vous est venue, Louise !… moi, rompre nos liens ! moi, briser un cœur comme le tien !… Non, non, tu as des droits aussi sur moi… et ces droits sont anciens et sacrés !… Pauvre Louise ! n’as-tu pas bien souffert lorsque je t’accusais et que tu n’étais pas coupable !… Je te dois cela au moins de le reconnaître aujourd’hui.

— Ah ! que vous me faites de bien, Alfred, mon ami !… Un moment de silence suivit… Sarah souleva la tête et eut le courage de lever les yeux sur madame de Vauchamps. Elle avait rejeté son capuchon en arrière, et l’expression de son visage, celle de ses yeux était celle du bonheur le plus doux !… En la voyant ainsi entourée de cette auréole de félicité, d’amour heureux, un gémissement profond, exhalé par un cœur brisé, s’échappa de celui de Sarah…

— On souffre ici près de nous, dit madame de Vauchamps… tandis que nous sommes si heureux !…

— N’écoute pas, dit Alfred ; les larmes ne sont que de bonheur maintenant, ma Louise ; ne t’approche pas du malheur, il est contagieux.

— Emmenez-moi d’ici, dit Sarah à René, ou je meure dans cette loge.

Elle tremblait et riait convulsivement… René craignit qu’en effet elle ne perdit connaissance, et se hâta de l’emmener. Arrivés à la porte, il trouva son valet de chambre de confiance, à qui il fit un signe, et aussitôt une voiture de remise qu’il tenait prête au premier ordre s’avança… René y porta Sarah, car elle ne pouvait marcher… Lorsqu’ils furent dans la voiture, la malheureuse femme fut saisie d’un spasme tellement violent que Réné craignit qu’elle n’y succombât… Des cris étouffés, des sanglots s’échappaient avec peine de sa poitrine… Elle était dans un délire complet !… Ce qu’elle venait d’entendre, ce qu’elle avait vu troublait sa raison… Elle avait bien soupçonné Alfred ; mais la preuve qu’elle venait d’acquérir de la trahison d’Alfred était un de ces malheurs qu’on peut appréhender, mais dont la certitude peut aussi donner la mort.

René lui tenait la main et lui parlait pour la calmer ; mais elle n’entendait rien. Le son qui vibrait à son oreille était le dernier qui l’avait frappée : il était sorti de la bouche d’Alfred… Elle pleurait en sanglotant et en appelant Dieu à son aide. Tout-à-coup René la sentit glisser entre ses bras et tomber sans connaissance dans le fond de la voiture.

En ce moment elle entrait dans une allée d’acacias dont alors les branches étaient dépouillées de feuilles… On arrêta devant un péristyle formé par quatre colonnes de marbre blanc, et, la portière ayant été ouverte par Louis, son maître prit Sarah dans ses bras, et puis, aidé par lui, la transporta dans la maison et la déposa sur un divan, dans une chambre élégante, parfaitement chauffée, et qui paraissait disposée pour les attendre. Une femme fut appelée, et Sarah fut soignée, quoique loin de Suzette, comme si elle y eût été. Quand elle fut mieux et que la pâleur de mort de ses joues disparut sous une légère coloration, Réné fit signe aux deux personnes qui lui avaient donné leurs soins de s’éloigner… Il redoutait le premier moment.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle ne vit pas d’abord où elle était, et ne comprit même sa souffrance qu’à mesure que ses idées renaissaient avec ses forces… Elle reconnut d’abord René, et son premier mouvement fut de se jeter dans ses bras comme dans ceux d’un frère, et de lui demander assistance et pitié…

— Vous aurez toutes deux, ma malheureuse amie… Ne savez-vous pas que mon cœur et mon bras sont à vous ?… Calmez votre désespoir…

Sarah sanglotait… Une seule pensée dominait dans cette ame si noble et si tendre…La fortune !… voilà donc pourquoi Alfred l’avait épousée !… La fortune !… Des cris de rage se mêlaient aux sanglots de désespoir qu’elle poussait en se roulant sur le divan où elle était couchée… Tout-à-coup elle regarde autour d’elle : — Où suis-je ?… dit-elle en se soulevant et de l’air de l’effroi.

— Chez ma mère !…

— Chez vous ! s’écria l’infortunée avec un cri déchirant.

— Non, pas chez moi. Sarah, écoutez donc votre ami, votre meilleur ami… Vouliez-vous que je vous reportasse chez vous dans l’état où vous étiez tout-à-l’heure ? vouliez-vous que vos gens entendissent vos cris de désespoir… vos malédictions ?… qu’ils vissent vos larmes ?… Ma mère est absente, pour deux jours, elle est chez la duchesse d’Arnay, et son appartement, vous a reçue dans un état voisin de la mort… Ne me blâmez pas !… ce sont ses femmes qui vous ont servie ; j’ai veillé sur vous comme sur une sœur.

Sarah retomba anéantie ! son désespoir revint en ce moment dans toute sa violence… ses cris redoublérent devant ce malheur qui lui apparaissait, maintenant que sa raison était claire et lucide, comme un fantôme prononçant une sentence de mort !… Alfred !… Alfred ! criait-elle en joignant les mains, Alfred, pitié ! pitié !… Cette femme n’est pas la tienne… je suis ta femme, moi… c’est moi qui t’aimai… c’est moi qui la première ai accueilli ton cœur… et maintenant… maintenant tu me renies !… Ô mon Dieu ! mon Dieu !

— Le caractère d’Alfred, que je croyais noble et grand, est méprisable, dit René avec l’accent d’une indignation profonde… Et vous !… vous êtes un ange !… un ange de lumière !…

Sarah se leva du divan où elle était couchée à demi nue, et, parcourant la chambre dans un état de délire qui aurait touché un autre cœur, elle appelait Alfred à son secours… et puis elle tombait à genoux… se relevait et se maudissait !… Ensuite elle voulait sortir de cette chambre et disait que René voulait sa ruine… Une autre fois elle l’appelait son frère, se laissait presser dans ses bras et lui rendait ses caresses avec l’abandon de la tendresse et de l’innocence… elle était belle alors de la beauté des anges… René eut un moment de remords… il contemplait cette créature adorable avec respect et avec un amour délirant… — Oh ! dit-il enfin, il faut que tu sois à moi !…

Et l’infortunée, égarée par son désespoir, dans un moment de la folie la plus entière, devint coupable sans connaître le crime !…


  1. On appelait ainsi la Westphalie, chef-lieu du tribunal secret, et là où le principal tribunal tenait ses séances.