L’Expédition de Chine en 1860/02

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L’Expédition de Chine en 1860
Revue des Deux Mondesvolume 58 (p. 697-731).
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L'EXPEDITION DE CHINE
EN 1865

II.
TRAITES DE PEKIN.

I. Correspondence respecting affairs in China, 1859-60. — II. Papers relating to the affairs of China, 1864. — III. Relation de l’expédition de Chine en 1860, rédigée au dépôt de la guerre, 1862. — IV. Relation de l’expédition de Chine par le lieutenant de vaisseau Pallu, 18133. — V. Négociations entre la France et la Chine en 1860, Livre jaune du baron Gros, 1884. — VI. Mémoires sur la Chine, par le comte d’Escayrac de Lauture, 1864. — VII. La Chine et les puissances chrétiennes, par D. Sinibuldo de Mas, 1861.


I

La prise des forts de Takou ouvrait aux alliés le chemin de Tien-tsin[1]. Le corps d’armée chargé de couvrir l’embouchure du Peï-ho était en pleine fuite ; la garnison de Tien-tsin avait abandonné les ouvrages établis à grands frais pour la défense de la ville. San-ko-lin-sin, accompagné seulement de quelques cavaliers, était parti dans la direction de Pékin. La route, par terre comme par eau, se trouvait donc complètement libre ; elle avait été d’ailleurs éclairée par le contre-amiral Hope, qui, dès le 23 août, ne prenant conseil que de son impatience, s’était vivement lancé, avec quelques canonnières, à l’intérieur du fleuve, qu’il avait remonté le même jour jusqu’à Tien-tsin. Le gouverneur-général Hang et les deux commissaires impériaux récemment nommés, Ouen et Heng-ki, lui avaient fait l’accueil le plus empressé ; la population, qui pouvait être surprise par l’apparition du drapeau européen (car des proclamations tout récemment apposées dans toutes les rues lui annonçaient en termes pompeux, la défaite des barbares), avait montré la plus parfaite résignation. Dès le premier moment, les négociant qui avaient traité de la fourniture des approvisionnemens pour l’armée de San-ko-lin-sin s’étaient mis à la disposition des agens anglais pour procurer des vivres à l’armée alliée. Au surplus, les habitans de tien-tsin se souvenaient de l’ordre qui avait régné dans leur ville lors du séjour des troupes européennes en 1858, et ils avaient lieu d’être tout à fait rassurés. Quelques Chinois, dans leur prudence extrême, avaient envoyé leurs femmes à la campagne ; mais les boutiques étaient restées ouvertes, et, sauf le départ brusque et peut-être médiocrement regretté de la garnison tartare, il n’y avait rien de changé dans la physionomie de la ville.

A leur arrivée à Tien-tsin, le baron Gros et lord Elgin furent officiellement informés que l’empereur, par un décret du 24 août, venait de désigner Kouei-liang et le gouverneur-général Hang comme plénipotentiaires pour traiter de la paix, et le même jour ils reçurent de Kouei-liang une dépêche ainsi conçue :


« Aux termes du décret impérial qui me donne l’ordre de me rendre à Tien-tsin pour y régler, de concert avec le gouverneur Hang, tout ce qui est relatif à l’échange des ratifications du traité, j’ai l’honneur de vous annoncer que, muni du sceau de commissaire impérial, j’arriverai à Tien-tsin le 31 août. Quant à l’ultimatum présenté dans le mois de mars dernier, il n’est pas une clause sur laquelle nous ne puissions tomber d’accord. Je vous prie donc d’attendre que je sois arrivé à Tien-tsin pour voir votre excellence et m’entendre avec elle. »


Cette première communication annonçait que le gouvernement chinois était disposé à céder sur tous les points. Ce qui devait encore inspirer confiance, c’était le choix qui avait été fait de Kouei-liang pour mettre fin aux difficultés pendantes. Kouei-liang avait négocié et signé en 1858 les traités de Tien-tsin ; il en comprenait donc toute la portée. Il connaissait personnellement les deux ambassadeurs. On savait qu’il comptait à Pékin parmi les chefs les plus décidés du parti de la paix. Le baron Gros et lord Elgin allaient donc avoir affaire à un personnage sérieux, éclairé, conciliant, dont l’intervention devait être décisive. Ils jugèrent néanmoins qu’il était indispensable d’obtenir du gouvernement chinois des déclarations et des garanties plus certaines ; ils se proposaient en outre d’ajouter aux clauses insérées dans les traités de Tien-tsin diverses dispositions relatives tant au paiement d’une indemnité supplémentaire à réclamer pour les frais de la nouvelle guerre qu’à l’occupation des points qui devaient demeurer en la possession des alliés jusqu’au paiement intégral des indemnités. Enfin ils désiraient que Tien-tsin, dont l’importance commerciale était très grande, fût compris parmi les ports ouverts aux négocians européens. Il répondirent donc à Kouei-liang (28 et 29 août) en précisant dans les termes les plus nets les conditions auxquelles ils consentiraient à traiter avec le nouveau plénipotentiaire. Quant au chiffre des indemnités, le baron Gros exigea que la Chine payât à la France 60 millions de francs, au lieu des 30 millions stipulés dans la convention de Tien-tsin, et lord Elgin demanda de même 60 millions, soit 15 millions de plus que le chiffre obtenu par l’Angleterre en 1858. Les ambassadeurs déclarèrent, en terminant leurs dépêches, que l’état de guerre n’était point encore suspendu, et que les généraux alliés poursuivraient leurs opérations jusqu’à ce que l’on fût complètement d’accord. Pour être sûr que le gouvernement chinois serait exactement tenu au courant des demandes présentées en dernier lieu, le baron Gros eut le soin d’adresser directement aux membres du grand-conseil, à Pékin, une copie de la dépêche qu’il venait d’écrire à Kouei-liang. L’expérience avait montré qu’avec la diplomatie chinoise on ne saurait pécher par excès de précaution. Combien de fois déjà n’était-il pas arrivé que les communications les plus importantes des représentans étrangers s’étaient perdues sur la route de Pékin, ou n’y étaient parvenues que dénaturées par le mensonge d’une traduction trop libre ! Il importait que dans cette circonstance l’empereur fût bien et dûment informé, par-dessus la tête de Kouei-liang, des conditions imposées par les alliés.

Le plénipotentiaire chinois avait annoncé son arrivée à Tien-tsin pour le 31 août. Les derniers jours du mois purent donc être employés à diriger sur cette ville, qui allait devenir le quartier-général, les troupes anglo-françaises. Cette opération, par suite de laquelle le gros du corps d’armée se trouva bientôt établi à Tien-tsin, pouvait être considérée comme un acte de guerre, et les ambassadeurs entendaient bien qu’aux yeux des Chinois il en fût ainsi, car, malgré les déclarations contenues dans la première dépêche de Kouei-liang, ils sentaient qu’il fallait peser jusqu’au dernier moment sur les déterminations du cabinet de Pékin. D’un autre côté, ils voulaient que, tout en conservant l’attitude militante, l’armée ne poussât point trop loin les démonstrations agressives, afin de ne point inspirer à l’empereur de Chine une frayeur telle qu’il prît tout à coup la résolution de se retirer en Tartarie, laissant là ses mandarins et son empire, ce qui eût singulièrement compliqué les affaires. Dans cette double pensée, amener l’armée à Tien-tsin, c’était tout à la fois se tenir dans la mesure d’un acte purement comminatoire et faciliter, si cela devenait nécessaire, une marche en avant vers la capitale : dépasser cette limite et faire immédiatement un pas de plus sur Pékin, c’eût été trop. On se trouvait donc établi à Tien-tsin dans la meilleure situation pour négocier ou pou combattre. Du reste, l’incertitude ne devait pas être de longue durée. Kouei-liang arriva le 31 août, ainsi qu’il l’avait annoncé ; il sollicita une entrevue avec les ambassadeurs, qui exigèrent au préalable une réponse écrite à leurs demandes. Voici la dépêche qu’il adressa, le 3 septembre, au baron Gros ainsi qu’à lord Elgin :


« Kouei et Hang, etc., ont reçu la dépêche que votre excellence leur a fait l’honneur de leur écrire, et, après en avoir pris connaissance, ils ont acquis la certitude que votre excellence désirait voir la paix se rétablir et non la guerre continuer. Nous venons donc ici par ordre de l’empereur, et nous déclarons en premier lieu que l’on doit en revenir à l’exécution du traité signé en 1858, et que toutes les clauses de l’ultimatum notifié par votre empire au mois de mars dernier et rappelé dans votre dépêche du 30 août sont acceptées sans restriction.

« Nous prions donc votre excellence de vouloir bien faire suspendre les hostilités pour assurer le rétablissement de la paix. Quant à l’indemnité, il restera à nous entendre sur le mode d’en répartir le prélèvement dans les douanes des ports ouverts au commerce étranger.

« Nous vous envoyons la présente dépêche en attendant que nous convenions d’une entrevue dans laquelle nous nous concerterons sur le voyage à Pékin et sur l’échange des ratifications du traité. »


Les termes explicites de cette dépêche ne laissaient rien à désirer. Le même jour, 3 septembre, les deux ambassadeurs répondirent qu’il ne s’agissait plus que de fixer une entrevue entre les secrétaires et les interprètes pour libeller la convention d’après les bases acceptées. Cette convention serait ensuite signée. Les commandans alliés suspendraient alors les opérations militaires, et les ambassadeurs se rendraient à Pékin avec des escortes convenables, pour y procéder à l’échange des ratifications des traités de 1858, et pour remettre à l’empereur de Chine les lettres autographes de l’empereur des Français et de la reine d’Angleterre. Tel était le programme tracé par le baron Gros et lord Elgin, programme qui fut accepté par la fixation au 7 septembre des conférences préparatoires, auxquelles devaient prendre part les secrétaires et les interprètes. Les commissaires impériaux avaient bien, dans une dépêche spéciale, soumis au baron Gros quelques objections au sujet de l’indemnité supplémentaire de 30 millions qu’il réclamait, tandis que lord Elgin se bornait à demander un supplément de 15 millions ; mais, bien que l’ambassadeur français se fût dispensé de répondre à cette communication et maintînt par là son chiffre, cette petite difficulté n’était point de nature à inspirer la moindre inquiétude sur l’ensemble des négociations.

La confiance était donc entière. Certes les ambassadeurs pouvaient et devaient croire qu’ils tenaient enfin la paix, et qu’ils n’avaient plus à s’occuper que des préparatifs de leur voyage à Pékin. Quel fardeau de moins pour leur responsabilité ! Quant aux troupes, qui perdaient ainsi l’espoir d’entrer, enseignes déployées, dans la cité impériale prise d’assaut, elles regrettaient amèrement leur rêve ; elles maudissaient la diplomatie qui les arrêtait court au plus beau moment de la campagne, elles s’indignaient contre ces Tartares qui lâchaient pied au premier feu. Au lieu de combattre, elles allaient donc en être réduites à fournir des escortes d’apparat et à faire la haie ! C’était un véritable désenchantement. Dans l’opinion des soldats, les rebelles chinois étaient d’autres gens que les Tartares de San-ko-lin-sin : ceux-là du moins se battaient. On venait d’apprendre qu’ils avaient tenté, dans le milieu d’août, une nouvelle attaque contre Shang-haï, qu’ils n’avaient pas craint d’affronter les canons du détachement chargé de la défense du quartier européen, et que, malgré leur échec, ils continuaient à menacer la ville. À cette nouvelle, les commandans en chef n’avaient pas hésité à envoyer à Shang-haï un renfort de quelques centaines d’hommes tirés du corps expéditionnaire. Ainsi, pour la seconde fois depuis la déclaration de guerre, les troupes européennes protégeaient l’autorité de l’empereur de Chine et combattaient à son service. Il était permis aux soldats de ne rien comprendre à cette politique singulière qui les faisait, tour à tour ennemis et alliés des mandarins, et qui déroutait leurs idées en même temps qu’elle contrariait leurs vœux les plus légitimes. Venir si près de Pékin et n’y pas entrer, quelle déception ! Avoir subi cinq mois de mer pour tirer quelques coups de fusil à l’embouchure du Peï-ho contre les Tartares, à Shang-haï contre des insurgés, c’était une campagne manquée !


Les diplomates chinois épargnèrent à l’armée ce brusque dénoûment. On se disait tout bas, dans les régions politiques de Tien-tsin, que Kouei-liang n’avait point reçu les pleins pouvoirs pour traiter définitivement, et que ses actes demeuraient soumis à la ratification de l’empereur. En présence des assertions si formelles contenues dans les dépêches du commissaire impérial, comment admettre un pareil bruit ? A supposer même que, lors de sa première lettre (25 août), Kouei-liang n’eût pas été muni des pleins pouvoirs, il devait au moins, lorsqu’il acceptait sans réserve, le 3 septembre, les conditions posées par les deux ambassadeurs, être assuré de l’adhésion de la cour de Pékin, à laquelle le baron Gros avait notifié directement copie de son ultimatum, et qui, avait eu le temps nécessaire pour se prononcer. La nouvelle qui circulait à Tien-tsin semblait donc plus qu’improbable ; elle était exacte cependant. Dans les conférences du 7 septembre, les secrétaires des ambassades française et anglaise reçurent des interprètes chinois l’aveu tardif et naïf que Kouei-liang possédait bien le sceau impérial, comme il l’avait écrit, mais qu’il n’avait pas les pleins pouvoirs. On alla sans retard trouver Kouei-liang que l’on eut beaucoup de peine à faire sortir de ses appartemens, où il se disait retenu par un grand malaise. Interpellé sur l’incident, il répondit d’une voix dolente qu’en effet ses actes ne devaient être définitifs qu’après la ratification de son gouvernement. Il ajouta qu’il ne doutait point de cette ratification, mais que, pour lever toute incertitude à cet égard, il écrirait le jour même à Pékin, d’où on lui expédierait les pleins pouvoirs nécessaires.

Les conférences furent immédiatement rompues. Le baron Gros et lord Elgin signifièrent à Kouei-liang que, devant un tel procédé, ils se considéraient comme dégagés, qu’ils se réservaient de modifier leurs conditions en les aggravant, que les troupes alliées se remettraient en marche vers Pékin, et que les négociations ne seraient reprises, s’il y avait lieu, qu’à Tong-chaou (ville située à 18 kilomètres de la capitale) avec des commissaires impériaux munis des pouvoirs les plus étendus. Vainement, par deux lettres suppliantes, écrites coup sur coup dans cette même journée du 7 septembre, Kouei-liang et ses collègues conjurèrent-ils les ambassadeurs de ne point abuser d’une semblable méprise, de patienter un peu, d’attendre encore, — trois jours seulement, — de ne point partir avec une armée qui allait effrayer la population inoffensive, de leur accorder au moins quelques momens d’audience, — tout cela exprimé dans le style patelin, innocent, obséquieux, dont les diplomates chinois ont le secret et le génie. Lord Elgin et le baron Gros demeurèrent inflexibles. Tout était prêt pour le mouvement des troupes. Du 9 au 11 septembre, cinq mille hommes se dirigèrent vers le nord sous la conduite des généraux en chef ; le reste de l’armée fut laissé à Tien-tsin comme garnison et comme réserve.


II

L’ambassade française quitta Tien-tsin le 11 septembre ; elle partait en guerre, et elle avait la place d’honneur. Immédiatement après les deux spahis qui, la carabine au poing, ouvraient la marche, venait le palanquin du baron Gros, porté sur les épaules de trente robustes coulies ; puis s’avançait le général Montauban avec son état-major. Les troupes suivaient, joyeuses de fouler le sol chinois et fières de dépasser la limite où leurs devanciers s’étaient arrêtés, en 1858. C’était là, comme le remarque le baron Gros dans sa correspondance, une singulière campagne diplomatique, une campagne sans précédens. Si le doge de Gênes, en se voyant à la cour de Louis XIV, a pu exprimer un étonnement qui est devenu historique, le baron Gros avait bien autrement lieu d’être, surpris de se voir en pareil équipage, à la tête d’une troupe armée, et en route pour Pékin. Quelle aventure dans la carrière d’un diplomate ! Mais il n’y avait pas à hésiter. La saison était avancée : il fallait agir au plus vite ; chaque journée, chaque heure était précieuse ; la situation exigeait que l’instrument de paix demeurât à portée de l’instrument de guerre, et que le traité fût toujours au bout du fusil. L’ambassadeur devait donc marcher du même pas que le général, en tenant dans ses mains patientes la branche d’olivier, à laquelle la mauvaise foi, l’indécision ou l’ignorance du cabinet de Pékin avaient arraché déjà tant de feuilles, mais qui n’était pas encore complètement brisée. Voilà pourquoi, au lieu d’attendre dans sa résidence officielle de Tien-tsin l’exécution des promesses de Kouei-liang, il avait dû accompagner le corps expéditionnaire, dont on ne pouvait plus retarder les opérations sous peine de compromettre absolument le succès de la campagne. De son côté, et par les mêmes motifs, lord Elgin suivait la colonne anglaise, commandée par le général sir Hope Grant.

Les alliés campèrent, pour leur première étape, au village de Pou-kao, à 10 kilomètres de Tien-tsin[2]. Le lendemain, 12 septembre, le baron Gros reçut la dépêche suivante :


« Tsaï, prince de la famille impériale, aide-de-camp de l’empereur, et Mouh, membre du grand conseil et président du bureau de la guerre, tous les deux commissaires impériaux, ont l’honneur de faire connaître à votre excellence qu’ils ont appris par une dépêche urgente de Kouei-liang et de ses collègues, en date du 8 de ce mois, que votre excellence avait l’intention de se rendre à Tong-chaou pour y négocier la paix, et que votre excellence ne voulait plus avoir de rapports officiels avec eux, alors cependant qu’ils vous disaient que, par ordre de l’empereur, toutes les demandes présentées par votre gouvernement pouvaient être satisfaites à l’amiable. Ils avaient, en vérité, reçu l’ordre de traiter sérieusement avec votre excellence, et de céder sur tous les points, afin qu’après avoir signé une convention, on l’exécutât fidèlement ; mais Kouei et ses collègues, n’ayant pas su se conformer aux ordres de l’empereur, ont fait naître mille susceptibilités, au point d’amener votre excellence à vouloir négocier à Tong-chaou. Or, comme les deux empires désirent conclure la paix, si vous avancez jusqu’à Tong-chaou, non-seulement votre excellence se fatiguera inutilement en y allant et en revenant, mais l’armée et le peuple pourront en concevoir de l’ombrage et de l’inquiétude. Puisque toutes les clauses exigées par votre empire sont déjà accordées, rien ne s’oppose à ce que nous le constations dans une entrevue personnelle. Nous venons de recevoir un décret impérial qui nous ordonne de nous rendre à Tien-tsin pour nous entendre avec votre excellence. Aujourd’hui même nous nous mettons en route, pour cette ville, et, après une conférence, tous les articles et toutes les conventions seront arrêtés pour consolider la paix ; c’est ce dont nous voulons vous prévenir par cette importante dépêche, écrite le 10 septembre 1860. »


Ainsi deux nouveaux acteurs entrent en scène. D’après leur début, on peut voir que les diplomates chinois ne brillent point par la fertilité ni par la variété des argumens. Depuis l’ouverture des négociations, c’est toujours, sauf quelques variantes de style, la même dépêche qu’écrivent successivement le gouverneur-général Hang, puis Ouen et Heng-ki, ensuite Kouei-liang et enfin le prince Tsaï. Chacun d’eux commence par accepter les conditions des alliés en rejetant sur ses prédécesseurs la responsabilité et la faute des malentendus. Ouen et Heng-ki n’avaient pas hésité à déclarer que Hang s’était conduit comme un maladroit. À peine avaient-ils paru sur l’horizon que Kouei-liang venait à son tour, en prenant leur place, leur délivrer un brevet d’incapacité, et Kouei-liang lui-même se voyait dénoncé par son successeur le prince Tsaï comme ayant tout gâté. Ils se trahissaient les uns les autres avec une facilité vraiment trop étrange pour que les désaveux parussent bien sincères, et les ambassadeurs ne devaient plus éprouver la moindre émotion devant cette hécatombe de mandarins que l’on venait ainsi presque chaque jour sacrifier à leurs pieds. Du reste, la conclusion de toutes les dépêches était invariablement la même : il s’agissait uniquement de décider les alliés à ne point s’approcher de Pékin.

Le baron Gros et lord Elgin répondirent au prince Tsaï qu’ils ne demandaient pas mieux que d’échanger des paroles de paix, mais que la conversation ne pouvait s’engager qu’à Tong-chaou, et ils continuèrent à s’avancer vers le nord. A Yang-tsin, qui était la seconde étape, nouvelle dépêche, plus pressante encore. — Vous nous ayez bien compris, disait le prince : tout ce que vous désirez est accordé et accepté, et cependant vous marchez toujours ! Rentrez donc à Tien-tsin ; sinon, comment pourrions-nous croire à vos intentions pacifiques ? Et alors, s’il surgissait quelque conflit entre nos troupes et l’armée tartare qui est campée dans les environs, il en résulterait des malheurs irréparables. Si vous voulez traiter sur les bases déjà convenues, sans exiger d’autres conditions, nous, qui n’agissons pas à la façon de Kouei-liang, nous ne manquerons pas à notre parole. — Les deux ambassadeurs ne crurent point devoir modifier leur plan, qui se traduisait par une alternative fort claire et très désagréable pour les Chinois : — ou la paix à Tong-chaou, ou la guerre avec ses conséquences, c’est-à-dire, avec une attaque immédiate contre Pékin. — Le 14 septembre, ils étaient à leur troisième étape, Hou-si-hou, à 74 kilomètres de Tien-tsin.

Le prince Tsaï et son collègue Mouh virent bien qu’il ne fallait plus songer à faire rétrograder les alliés. Les voici qui imaginent un nouveau plan. — N’allez pas plus loin, écrivent-ils dans une dépêche suppliante du 13 septembre. Que votre armée s’arrête, car elle va se heurter contre l’armée tartare, qui n’obéit qu’à ses généraux et sur laquelle nous n’avons pas d’action ; un conflit serait inévitable. Venez à Tong-chaou ; nous donnons notre assentiment plein et entier à la convention que vous avez préparée. Nous pourrons la signer et la revêtir du sceau impérial ; puis vous vous rendrez à Pékin, avec une escorte peu nombreuse et sans armes, pour y procéder à l’échange des ratifications du traité de Tien-tsin. Nous vous fournirons les chariots et tout ce qui sera nécessaire pour ce voyage. Hâtons-nous ; ne sommes-nous pas entièrement d’accord ? — Peut-être les ambassadeurs seraient-ils encore demeurés insensibles à ces supplications et à ces offres de service, et se seraient-ils abstenus d’entrer en pourparlers avant que l’armée ne fût établie à Tong-chaou ; mais à ce moment le général sir Hope Grant venait de déclarer à lord Elgin qu’il attendait de Tien-tsin des renforts, des approvisionnemens et de l’artillerie, et qu’il jugeait nécessaire de faire halte pendant sept ou huit jours. Dès lors, rien n’empêchait de prêter l’oreille aux ouvertures du prince Tsaï. Il convenait même d’employer le délai réclamé par les nécessités militaires pour la reprise des négociations, tout en se tenant en garde contre les manœuvres de la diplomatie chinoise.

Lord Elgin envoya donc à Tong-chaou M. Parkes, consul d’Angleterre à Canton, et M. Wade, secrétaire-interprète, tous deux comptant de longues années de service en Chine et habitués à manier les mandarins, pour qu’ils s’entendissent directement avec les commissaires impériaux sur tous les détails de la convention projetée. On espérait ainsi échapper aux surprises et aux méprises des précédentes négociations. MM. Parkes et Wade eurent, le 14 septembre, un entretien de près de huit heures avec le prince Tsaï et son collègue Mouh. Ce dernier annonça qu’il était un peu sourd (cette infirmité est décidément à la mode chez les diplomates du Céleste Empire) ; puis il fit semblant de ne pas bien comprendre le chinois de ses interlocuteurs, qui étaient des lettrés éprouvés et de premier ordre. On n’en remarqua pas moins, dès le début de la discussion, qu’il était parfaitement maître de son sujet et qu’il connaissait toutes les correspondances échangées entre les ambassadeurs et les délégués du cabinet de Pékin. Quant au prince Tsaï, il affecta de n’être point au courant des conventions qui avaient été préparées à Tien-tsin, et pourtant, dans deux lettres successives, il avait déclaré qu’il acquiesçait sans aucune réserve aux conditions des alliés. Il se mit donc à reprendre une à une les principales questions que l’on croyait définitivement résolues, notamment la résidence d’un ministre anglais à Pékin, l’ouverture de Tien-tsin au commerce étranger, les délais pour le paiement de l’indemnité de guerre, le campement de l’armée, qui s’était avancée trop près de Tong-chaou, la composition de l’escorte qui devait accompagner les ambassadeurs à Pékin. A la fin cependant il parut céder, et il remit à MM. Parkes et Wade une lettre qui contenait une adhésion pleine et entière aux demandes de lord Elgin, et qui fixait d’un commun accord le point précis où les troupes alliées pourraient camper, à six kilomètres environ de Tong-chaou, tandis que l’on procéderait dans cette ville à la signature du traité.

Le résultat de cette entrevue paraissait satisfaisant ; mais il était difficile de ne point conserver encore une certaine inquiétude en songeant que l’on avait dû discuter de nouveau et à fond pendant huit longues heures. En outre l’on avait observé durant les deux derniers jours un changement sensible dans l’attitude des populations que traversaient les troupes anglo-françaises. Les habitans fuyaient de leurs villages ; les marchés n’étaient plus approvisionnés ; les mandarins, que l’on avait vus jusque-là si empressés et si soumis, ne se montraient plus. Ces symptômes n’avaient point échappé à l’attention des alliés ; mais après tout on ne recevait aucun avis qui annonçât le voisinage de l’armée tartare. MM. Parkes et Wade, lors de leur voyage à Tong-chaou. n’avaient point remarqué de préparatifs hostiles, et puisque l’on avait recommencé à négocier, il fallait bien continuer l’œuvre de paix tant qu’elle ne serait pas encore une fois détruite par un acte direct et positif de mauvaise foi. En conséquence, le 17 septembre, les ambassadeurs envoyèrent à Tong-chaou leurs secrétaires, MM. Loch et de Bastard, chargés de rédiger en forme, de concert avec les commissaires impériaux, les articles du traité. En même temps plusieurs officiers furent détachés des deux armées afin d’étudier les ressources que la ville pourrait offrir en approvisionnemens et en vivres. M. Parkes, M. le comte d’Escayrac de Lauture, chargé d’une mission scientifique par le gouvernement français, M. Bowlby, correspondant du Times, profitèrent de l’occasion pour aller visiter Tong-chaou. Une escorte d’une vingtaine de cavaliers fut jugée suffisante.

Dès son arrivée dans la ville, le secrétaire de l’ambassade anglaise, M. Loch, accompagné de M. Parkes, se rendit auprès du prince Tsaï et de son collègue, et leur remit le projet de convention avec une dépêche dans laquelle lord Elgin, en rappelant les diverses conditions du programme qui avait été arrêté pour la signature à Tong-chaou, pour le campement des troupes et pour le voyage à Pékin, énonçait qu’après l’échange des ratifications il remettrait à l’empereur de Chine la lettre autographe de la reine d’Angleterre. La lecture de cette dépêche raviva les précédentes discussions ; mais il n’y eut de débat sérieux que sur la question d’audience qu’impliquait la remise de la lettre. C’était là, disait le prince Tsaï, une question nouvelle. Il se trompait, car le 3 septembre, à Tien-tsin, dans leur correspondance avec Kouei-liang, lord Elgin et le baron Gros avaient indiqué leur intention de présenter à l’empereur les lettres autographes de leurs souverains. Au milieu de ce débat, M. de Bastard entra dans le salon des conférences. Il fit accepter assez facilement le projet dont il était porteur, et put se retirer avec une note par laquelle le prince Tsaï informait le baron Gros qu’il était d’accord avec lui sur tous les points. Disons immédiatement que la dépêche écrite à cette occasion par l’ambassadeur français ne faisait aucune mention de l’audience. Après le départ de M. de Bastard, dont la mission était remplie, la discussion reprit entre les commissaires impériaux et les envoyés anglais. Le prince Tsaï voulait absolument que lord Elgin renonçât à sa demande d’être reçu en audience par l’empereur. M. Loch répondait qu’il n’avait point d’instructions pour retirer cette demande, mais que la difficulté si inopinément soulevée n’était point de nature à empêcher la signature immédiate de la convention, car cette affaire de l’audience ne figurait point parmi les articles ; elle n’avait été engagée que dans la correspondance, et elle pouvait être examinée de nouveau sous la même forme. Le prince Tsaï parut enfin se laisser convaincre par ce dernier argument, et l’on se sépara d’accord sur la rédaction du traité. Diplomatiquement, la paix était faite : il ne restait plus qu’à la signer.

M. de Bastard quitta Tong-chaou dans la nuit du 17 au 18 septembre pour revenir au camp français. Sur la route, qui la veille était complètement libre, il trouva l’armée chinoise couvrant toute la plaine et s’étendant jusqu’au campement de Tchang-kia-wan, où il était convenu que stationneraient les troupes alliées. Les généraux, avertis déjà par les éclaireurs, n’en continuèrent pas moins leur marche en avant, et bientôt ils rencontrèrent l’armée chinoise, qui commença le feu. Cette armée, forte de vingt-cinq à trente mille hommes et de quatre-vingts pièces d’artillerie, était commandée par San-ko-lin-sin. Le général Montauban et sir Hope Grant l’abordèrent avec leurs quatre mille hommes, et en quelques heures ils la mirent en pleine déroute ; mais en même temps on avait appris que plusieurs des officiers qui étaient allés à Tong-chaou avaient été tués ou faits prisonniers en traversant, à leur retour, les lignes chinoises. On n’avait aucune nouvelle de M. Loch, de M. Parkes, de M. d’Escayrac de Lauture, de l’escorte. — Quel parti prendre ? L’attaque du 18, commencée par les Chinois, avait-elle été concertée entre le prince Tsaï et San-ko-lin-sin ? Était-ce un guet-apens prémédité, ou seulement un acte personnel du général tartare, qui, sans se préoccuper des négociations ouvertes et contrairement aux intentions des commissaires impériaux, aurait tenté de venger l’échec qu’il avait subi à Takou ? Dans cette dernière hypothèse, le combat de Tchang-kia-wan pouvait n’être considéré que comme un incident honteux pour le général tartare, glorieux pour les alliés, et indépendant de l’œuvre diplomatique. Tout espoir de paix n’était pas perdu. Ce fut à cette pensée que s’arrêtèrent d’abord les ambassadeurs ; ils comptaient que MM. Parkes, d’Escayrac de Lauture et leurs compagnons allaient revenir au camp, et alors ils se proposaient de faire entrer l’armée alliée dans Tong-chaou et d’y signer les conventions en acceptant les excuses que le prince Tsaï aurait à leur adresser pour la conduite de San-ko-lin-sin. Les heures s’écoulaient cependant sans que l’on vît reparaître ceux que l’on attendait avec une fiévreuse impatience. Un parlementaire envoyé à Tong-chaou n’y avait point trouvé le prince tsaï. Le gouverneur, devant qui il fut conduit, parut très étonné que l’on n’eût point de nouvelles de M. Parkes, qui, disait-il, avait quitté la ville bien avant le combat. On était donc sous le coup des plus tristes pressentimens, et il fallait absolument agir : situation pleine d’incertitudes, d’angoisses, de périls même, que nous trouvons résumée clairement dans une dépêche que le baron Gros écrivit le 19 septembre au général Montauban.


« L’occupation de Tong-chaou et la marche des alliés sur Pékin seraient probablement le seul moyen en ce moment de peser sur le gouvernement chinois ; mais c’est aux commandans en chef des forces alliées d’agir en raison des chances de succès que peut offrir une expédition de ce genre avec les forces dont ils disposent, et dans cette saison de l’année, comme aussi avec la prudence qu’exige la position de plusieurs officiers, civils ou militaires alliés qui se trouvent malheureusement retenus par les troupes tartares ou les autorités chinoises, et sur le sort desquels nous avons, lord Elgin et moi, les plus vives inquiétudes. Si Takou, Tien-tsin, Tong-chaou et Pékin étaient occupés par les troupes alliées, il n’y aurait, ce me semble, d’autre alternative pour le gouvernement chinois que de céder ou de se perdre par une fuite en Tartarie. Cette dernière éventualité, que nous avons tout fait pour prévenir, ne peut plus être que d’un faible poids dans la balance du moment où nous devons punir les Chinois de l’abominable conduite dont nous avons à nous plaindre, et qui explique tant de choses. Il faut leur prouver enfin qu’on ne se joue pas impunément de deux nations comme la France et l’Angleterre. »


Le général Montauban n’hésita pas. Il savait que San-ko-lin-sin avait rallié les débris de son armée entre Tong-chaou et Pékin, qu’il les avait réunis à une seconde armée de réserve, et qu’il occupait avec 40,000 hommes une position désignée sous le nom de Pa-li-kiao. Il venait de recevoir un léger renfort qui portait à 2,800 hommes l’effectif de sa colonne. Avec les 3,000 Anglais de sir Hope Grant, l’armée alliée ne comptait pas 6,000 combattans. Malgré cette énorme disproportion de forces, le général Montauban proposa d’attaquer immédiatement l’armée tartare. La bataille, à laquelle San-ko-lin-sin s’était préparé par des dispositions assez habiles, fut engagée dans la matinée du 21 septembre : à midi, elle était terminée. Cette fois les Tartares s’étaient comportés plus bravement qu’à Tchang-kia-wan ; à diverses reprises, leur cavalerie chargea droit sur les bataillons européens, réussit à les envelopper et à les placer dans une situation qui eût pu devenir très critique, si, à défaut du nombre, les alliés n’avaient eu pour eux la supériorité du commandement, l’excellence des armes, la discipline et le sang-froid héroïque qu’ils opposaient à ces hordes se ruant à toute bride sur eux. Nous ne saurions décrire ici cette bataille, dont la relation, publiée par le ministère de la guerre, permet de suivre les intéressantes péripéties ; qu’il nous suffise de constater et d’admirer l’audace vraiment extraordinaire avec laquelle fut conçue et exécutée l’attaque du 21 septembre. L’armée victorieuse s’établit sous les tentes que les Tartares venaient d’abandonner. Elle était campée à 18 kilomètres de Pékin.


III

Arrivés à ce point de notre récit, nous devons, nous aussi, faire une courte halte pour étudier et découvrir, si cela est possible, la pensée qui inspirait les actes du gouvernement chinois. Que signifiaient, donc ces protestations réitérées d’amitié et de bon accord depuis Tien-tsin ? Pourquoi ce défilé de mandarins, tous plus humbles, plus soumis les uns que les autres ? À quoi bon ces dépêches suppliantes dont nous avons indiqué à dessein l’énumération peut-être monotone ? Et comment concilier cette attitude avec les préparatifs de résistance armée qui se révélèrent le 18 septembre ? L’explication serait simple, si l’on admettait que dès le premier jour le cabinet de Pékin avait l’idée de leurrer les alliés par de vaines promesses, de les attirer pas à pas au moyen de fausses négociations, et de les faire tomber traîtreusement dans le piège au moment où ils espéraient saisir la paix ; mais, sans avoir plus de respect qu’il ne convient pour le caractère chinois, nous croyons que cette explication ne donne pas le mot de l’énigme. Il y avait là autre chose qu’une trahison préméditée. Divers documens, trouvés dans les archives de l’empereur de Chine, fournirent plus tard des indications assez précises sur les pensées et sur les projets qui s’agitaient à Pékin pendant que les alliés étaient en marche. Nous pouvons y jeter un coup d’œil. Après avoir entendu le langage que les commissaires impériaux tenaient aux ambassadeurs dans leurs communications diplomatiques, nous allons lire, en un dossier qui était évidemment destiné à demeurer confidentiel, l’opinion intime de l’empereur et de ses principaux mandarins. Cette enquête, entreprise à l’aide de documens dont la sincérité est incontestable, peut jeter quelque lumière sur les faits qui viennent d’être racontés et sur les manœuvres contradictoires de la politique chinoise, manœuvres dont le sens devait, sur le moment même, échapper à lord Elgin et au baron Gros.

La première pièce de ce curieux dossier est un rapport secret adressé à l’empereur par San-ko-lin-sin le 26 août, peu de jours après la prise des forts de Takou. Le général reconnaît qu’il a été vaincu, il craint qu’il ne soit très difficile d’obtenir la soumission des barbares, et il annonce qu’il a pris les dispositions nécessaires pour garder la route de Tien-tsin à Tong-chaou. Cependant il se montre moins confiant qu’il ne l’était naguère dans le destin des combats ; il supplie donc l’empereur de ne point demeurer dans le voisinage de l’ennemi, de quitter momentanément sa capitale et de se rendre à Jehol (en Tartarie) pour les chasses d’automne. Les princes et les grands dignitaires de l’état, resteraient à Pékin pour y organiser la défense ; ils feraient venir les troupes de toutes les parties de l’empire, et, grâce à ce renfort, ils pourraient attaquer avec succès les barbares.

L’empereur ajourna l’examen des propositions du général, qu’il avait dégradé après l’affaire de Takou, mais qu’il laissait à la tête de l’armés pour qu’il eût l’occasion de se réhabiliter : c’est avec ce mélange de sévérité et de démence que sont traités en Chine les généraux vaincus. Persuadé par les nombreux partisans de la paix que les barbares ne pensaient qu’à obtenir une satisfaction d’amour-propre et des avantages pour leur commerce, il leur envoya Kouei-liang ; mais, dès qu’il apprit qu’il était question d’une indemnité de guerre et d’une escorte de deux mille hommes pour accompagner les ambassadeurs à Pékin, sa colère fut extrême. « Kouei-liang et ses collègues, écrit-il dans une note adressée le 7 septembre au grand-conseil, ont désobéi à mes ordres formels ; ils ont montré qu’ils ont peur des barbares : ils ont remis l’empire entre leurs mains. Nous allons sur-le-champ venger la loi en faisant exécuter ces ministres, et après nous combattrons les barbares jusqu’à extinction. » Et le même jour, à Tien-tsin, le commissaire Kouei-liang, après avoir concédé aux ambassadeurs alliés tout ce qu’ils demandaient, se retranchait derrière l’insuffisance de ses pouvoirs pour ne pas signer définitivement le traité, d’où il est permis de conclure : 1° que dans la pensée de l’empereur il s’agissait, non pas de céder purement et simplement aux exigences des alliés, mais de négocier avec eux ; 2° que l’empereur avait nettement indiqué à ses commissaires les points qu’ils ne devaient accepter à aucun prix ; 3° que les commissaires impériaux, en présence des ambassadeurs et des troupes alliées, reconnaissaient la nécessité d’accorder tout, en se réservant néanmoins de solliciter l’approbation de Pékin pour des clauses qui étaient contraires à leurs instructions ; 4° qu’au dernier moment, prévoyant la résistance obstinée de l’empereur et redoutant la disgrâce, ils manquaient à la parole donnée aux ambassadeurs, se retiraient tristement de la scène, et laissaient à d’autres négociateurs plus habiles ou plus heureux le soin de sauver l’empire sans désobéir à l’empereur.

Lorsque les négociations furent rompues à Tien-tsin, l’empereur jugea que l’affaire était décidément sérieuse. D’une part, toujours clément et désireux d’épargner à ses peuples les fléaux de la guerre, il voulut bien dépêcher auprès des barbares le prince Tsaï « pour leur mettre encore une fois devant les yeux le véritable chemin, pour discuter avec eux et arranger d’une manière satisfaisante les différentes concessions qu’ils demandaient. » D’un autre côté, il fallait bien prévoir le cas où ces barbares s’obstineraient dans leurs insolentes prétentions et oseraient s’avancer vers la capitale. L’empereur ordonna donc que les grands dignitaires de service se réunissent en conseil ; il leur communiqua le rapport secret de San-ko-lin-sin ; il annonça que son opinion et son désir personnel le porteraient à se mettre à la tête de l’armée pour la conduire vers Tong-chaou à la rencontre de l’ennemi. Les dignitaires étaient appelés à en délibérer et à se prononcer entre la proposition de San-ko-lin-sin, qui, nous l’avons vu, concluait au départ de la cour pour Jehol, et l’intention exprimée par l’empereur.

Il serait permis de s’étonner que, dans de telles conjonctures, un général ait pu conseiller à un empereur de quitter sa capitale et de partir pour la chasse, et que l’empereur de Chine ait cru devoir soumettre un pareil avis à une délibération solennelle. Aussi convient-il de rappeler que, selon les idées chinoises, l’empereur est placé dans une sphère trop élevée pour qu’aucun soupçon de lâcheté puisse jamais l’atteindre. Il doit recevoir l’hommage universel en répandant partout ses bienfaits ; il est père et mère du genre humain, presque dieu. Le glaive meurtrier ne sied pas à ses mains augustes. Ce n’est donc pas lui manquer de respect que de l’éloigner du champ de bataille. Quant aux chasses de Jehol, où San-ko-lin-sin voulait envoyer son souverain, il ne faut point les considérer seulement comme une distraction royale. S’il en était ainsi, le conseil du général eût été plus que ridicule. Les chasses de l’empereur en Tartarie remontent à la plus haute antiquité ; elles représentent une tradition, presque une institution. Aux temps anciens, les bêtes féroces pullulaient dans les forêts du centre de l’Asie au point de détruire les récoltes des plaines environnantes et de compromettre la vie des populations : c’était donc un devoir pour les souverains de leur faire la guerre. De là ces grandes chasses entreprises périodiquement et avec un immense appareil. La tradition, consacrée par les lois, chantée par les poètes, s’est perpétuée sous les différentes dynasties.

Les dignitaires examinèrent les propositions qui leur étaient soumises et firent connaître leur avis dans des mémoires adressés directement à l’empereur du 9 au 12 septembre. Rien de plus curieux ni de plus instructif que la lecture de ces pièces vraiment chinoises. Voici le mandarin Kia-tchin qui dissuade l’empereur de se mettre à la tête de ses troupes. « Bien qu’il soit infiniment probable, dit-il, que les barbares se prosterneront et feront leur soumission dès que l’empereur apparaîtra, nous ne croyons pas cependant que ce soit la meilleure marche à suivre : nous pensons au contraire qu’il est impossible d’en faire l’expérience à la légère. » Kia-tchin n’approuve pas davantage le projet de voyage à Jehol ; le pays n’est pas bien sûr ; l’empereur sera mieux gardé à Pékin ; son départ de la capitale répandrait partout l’épouvante et la consternation. D’autres dignitaires se prononcent plus vivement encore contre le voyage de Jehol, dont, à ce qu’il paraît, les préparatifs sont déjà commencés. « La résidence impériale de Pékin est solidement gardée, et, dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, c’est la place la plus honorable pour votre majesté, et la seule convenable, ajouterons-nous, pour le souverain… » Ces mêmes mandarins concluent ainsi : « Nous ne pouvons comprendre en aucune façon un départ aussi précipité. Étant assurés que les forces des barbares ne s’élèvent pas à plus de 10,000 hommes, alors que San-ko-lin-sin en a plus de 30,000 sous ses ordres, nous ne mettons pas un seul instant en doute que le grand nombre écrasera le petit ; mais nous désirons seulement représenter que ces barbares viennent de traverser les mers avec l’unique pensée de faire le commerce. Il leur est nécessaire de s’établir à Canton, à Ning-po, à Shanghaï et dans les autres ports, et ils n’ont pas eu un moment l’intention de conquérir le pays. Aujourd’hui même cette idée n’est pas entrée dans leur esprit : leur désir d’entrer à Pékin est une satisfaction d’amour-propre plus que toute autre chose ; il n’y a donc aucune catastrophe à redouter… » Dans un troisième mémoire, émané d’un ministre, on lit qu’il faut combattre, vaincre et négocier, et le ministre, ajoute : « La ruse étant permise à la guerre, nous pourrions, dans le cas où la paix aurait été consentie précédemment, lancer notre armée sur leurs troupes sans défiance, les battre aisément et leur fermer l’accès de la capitale. » En citant cet avis d’une conscience peu délicate, nous devons dire que c’est le seul passage qui, au milieu de ces nombreux mémoires, révèle une pensée de trahison. — Terminons par une supplique de Tsao-yang, qui prend le titre de censeur de la province de Hou-kouang, et qui, fidèle aux devoirs de sa charge, ose s’exprimer en ces termes : « Si l’empereur s’éloigne, l’effet produit par ce départ ressemblera à une convulsion de la nature, et les malheurs qui en résulteront seront irréparables. De quel œil votre majesté considère-t-elle donc son peuple ? Quel prix attache-t-elle donc aux cendres de ses ancêtres et aux autels de ses dieux tutélaires ? Abandonnerez-vous l’héritage de vos aïeux comme une paire de souliers usés ? Que dirait l’histoire dans les siècles à venir ? Jamais encore on n’a vu un souverain choisir le moment du danger et de la détresse pour se rendre à la chasse, sous prétexte que son départ préviendra toute complication… » En résumé, tous les avis furent contraires à la proposition de San-ko-lin-sin, non moins qu’au projet qu’avait formé l’empereur de se mettre à la tête de l’année chargée de couvrir la route de Tong-chaou.

Il est vraiment impossible de ne point remarquer le style de ces mémoires et de ces suppliques, d’où nous n’avons dû extraire qu’un petit nombre de fragmens. Est-ce bien à un souverain absolu, à l’empereur de Chine, que l’on s’adresse ainsi ? Sont-ce bien ces mandarins si obséquieux d’ordinaire, et quelquefois si humbles et si plats, sont-ce bien eux qui se permettent de telles remontrances ? Il n’y a pas à en douter. Ces pièces ont été trouvées parmi les papiers de l’empereur : l’empereur les a lues et annotées ; mieux encore, il a tenu compte des avis qu’elles contenaient. Encore un usage, une tradition de la vieille Chine ! Chacun a le droit d’adresser, à genoux, des conseils et des reproches au trône impérial, et nous voyons que ce droit, signalé par les missionnaires jésuites du XVIIe siècle, n’est pas tombé en désuétude. C’est qu’en effet, dans la théorie du gouvernement chinois, il n’existe point de maître ni de sujets : il n’y a qu’une grande famille, au sein de laquelle les enfans peuvent faire entendre leur voix respectueuse devant le père et contredire en obéissant[3]. En présence des avis qu’il venait de recevoir, l’empereur rendit le 13 septembre un décret par lequel il notifia sa volonté. Renonçant à se rendre à Jehol, il donnait des ordres pour renforcer la garnison de Pékin, et il annonçait que, si les ennemis livraient bataille près de Tong-chaou, il irait prendre le commandement d’une armée considérable qui serait réunie dans le nord de Pékin ; il exprimait d’ailleurs la pensée que les barbares, au nombre de dix mille hommes seulement, seraient complètement écrasés.

Ainsi le 13 septembre, au moment où le prince Tsaï, succédant à Kouei-liang, entrait en négociation avec les ambassadeurs alliés, la plus grande agitation régnait dans la capitale. L’empereur se préparait à la guerre ; mais, trop clément pour la désirer, il était trop orgueilleux et trop aveuglé pour la craindre. San-ko-lin-sin avait l’ordre de couvrir Tong-chaou, mais l’ennemi était encore assez loin, et l’on ne supposait pas qu’il eût l’intention de s’avancer jusque-là. Nous croyons sincèrement qu’à cette date le gouvernement chinois ne préméditait ni trahison ni guet-apens. Il était encore disposé à négocier, et même à faire des concessions importantes ; seulement il ne voulait pas payer l’indemnité, ni admettre à Pékin l’escorte de deux mille hommes, ni enfin consentir à ce que les ambassadeurs fussent reçus en audience par l’empereur. L’indemnité, il n’avait pas le moyen de la payer. L’escorte de deux mille soldats armés l’effrayait pour la tranquillité de la ville ; quant à l’audience et à l’échange de lettres entre l’empereur de Chine et les souverains européens, c’étaient, au point de vue des idées chinoises, des exigences monstrueuses. L’empereur de Chine traité d’égal à égal par des souverains étrangers, l’empereur de Chine obligé à recevoir des lettres et sans doute à y répondre, c’était là ce qu’on aurait pu appeler, dans le langage du mandarin Tsao-yang, une convulsion de la nature ! — Le jour où le prince Tsaï fit connaître à Pékin que les ambassadeurs insistaient sur ces trois conditions et où il demanda des instructions définitives, ce jour-là seulement la guerre parut inévitable. Le parti de San-ko-lin-sin triompha dans les conseils de l’empereur ; le général tartare vint mettre son armée en travers de Tong-chaou, et soit trahison, soit effet d’un malentendu et du hasard, les hostilités recommencèrent, Tels étaient l’état des choses et la situation des esprits à Pékin pendant que les troupes alliées franchissaient les étapes qui les avaient conduites jusqu’à Pa-li-kiao. Désir sincère de céder sur toutes les questions qui intéressaient les rapports commerciaux, résistance acharnée à tout ce qui pouvait entamer la dignité de l’empire en imposant à l’empereur des rapports directs avec les étrangers et en autorisant la présence de ces étrangers dans la capitale ou même dans le voisinage, dédain complet ou plutôt ignorance profonde des moyens d’action que possédaient les troupes alliées, obstination, orgueil, aveuglement, — voilà, en trois mots, quelle était la politique chinoise. Il fallait qu’elle fût humiliée, courbée jusqu’à terre, pour reconnaître et ses erreurs et sa défaite. Elle n’avait plus longtemps à attendre pour recevoir cette dernière et cruelle leçon.


IV

Le 22 septembre, au lendemain de la bataille de Pa-li-kiao, un nouveau personnage, le prince Kong, frère de l’empereur, paraissait en scène. Il fit son entrée par une courte lettre, datée du 21, dans laquelle il notifiait le décret qui le nommait commissaire impérial en remplacement du prince Tsaï et de Mouh, destitués « pour avoir mal géré les affaires. » Il annonçait en même temps qu’il avait les pleins pouvoirs pour traiter de la paix, et il demandait la suspension des hostilités.

Ce début épistolaire ne différait en rien de la formule adoptée par les prédécesseurs du prince Kong, et les pleins pouvoirs dont celui-ci se disait investi pouvaient paraître trop vagues, puisqu’ils n’énonçaient pas expressément les clauses dont le cabinet de Pékin autorisait l’acceptation ; mais à ce moment trois questions des plus graves préoccupaient les ambassadeurs et les généraux alliés, En premier lieu, il fallait absolument retirer des mains des Chinois les prisonniers français et anglais qui avaient été retenus à Tongchaou, et dont le sort excitait de si vives inquiétudes ; ensuite l’armée avait épuisé ses munitions dans la dernière bataille, et les convois de Tien-tsin ne pouvaient arriver que dans quelques jours. Enfin, l’hiver approchant à grands pas, il était indispensable de hâter le dénoûment d’une campagne que le moindre retard risquait de rendre inutile et même désastreuse. Il fut donc décidé que le baron Gros et lord Elgin consentiraient à se mettre en rapport avec le prince Kong. Ils lui écrivirent le 22 septembre, du camp de Pa-li-kiao, qu’ils avaient reçu l’avis de sa nomination en qualité de plénipotentiaire, mais qu’ils exigeaient tout d’abord la reddition immédiate des prisonniers ; autrement les hostilités suivraient leur cours. Le prince Kong répondit le 23 :


« Pour répondre à la dépêche que je viens de recevoir de votre excellence, et dans laquelle elle demande que les officiers de son empire qui ne sont pas encore revenu, dans leur camp y retournent sans délai, j’ai à dire à votre excellence, après avoir examiné cette affaire, que, ces officiers s’étant rendus à Tong-chaou pour y discuter, avec les anciens commissaires impériaux, le prince Tsaï et son collègue, les huit articles qui avaient été présentés et qui avaient été acceptés, ce qui, nous le supposons, a dû satisfaire votre excellence, il ne restait plus à traiter que la question de la remise entre les mains de l’empereur de la lettre de votre empire, et que, cette question n’étant pas encore résolue d’une manière satisfaisante, les fonctionnaires dont il s’agit se sont formalisés et ont quitté la ville ; mais sur la route ils ont rencontré les deux armées qui en étaient venues aux mains, et ils ont été dispersés et pris dans la mêlée[4] : ce qui ne prouve pas que la Chine veuille se refuser au rétablissement de la paix. Aujourd’hui ces individus sont dans la capitale, où ils n’ont pas été maltraités ; mais, comme la paix n’est pas rétablie, il n’est pas possible de les renvoyer en ce moment. Puisque la ville de Tien-tsin et les forts de Takou ont été pris par vos troupes et n’ont pas encore été évacués, quel tort peut vous faire l’absence de quelques officiers de votre empire ?

« Si les deux nations en viennent à conclure la paix, si les hostilités cessent et si vos navires de guerre sortent de la rivière de Takou, lorsque nous aurons ensuite discuté et arrêté chacun des articles proposés, nous consoliderons cette paix en vous renvoyant ces officiers, après avoir constaté leur identité. »


Cette dépêche, peu satisfaisante au sujet des prisonniers, indiquait, dans l’un de ses paragraphes, l’importance extrême que les commissaires chinois attachaient à la question de l’audience, si longuement débattue à Tong-chaou ; mais le prince Kong n’était point fondé à adresser sur ce point au baron Gros les mêmes observations qu’à lord Elgin, car on se souvient que la question, après avoir été mentionnée par l’ambassadeur français dans la correspondance précédemment échangée à Tien-tsin, n’avait point été rappelée par lui ni par son secrétaire à Tong-chaou, et il était facile de juger, d’après l’événement, ce qu’il y avait eu de prudence et de sagesse dans cette omission. M. de Bastard s’était aisément et en très peu de temps mis d’accord avec les commissaires chinois, tandis que cette malencontreuse affaire de l’audience avait prolongé et envenimé le débat entre le prince Tsaï et MM. Loch et Parkes. Lord Elgin comprit sans doute que sa responsabilité pouvait être jusqu’à un certain point engagée par cet incident. N’avait-il pas été autorisé et même invité par ses instructions à ne point insister pour être reçu en audience par l’empereur de Chine ? En outre les négociations nouvelles ne pouvaient que gagner à être débarrassées de cette complication. Il saisit donc l’occasion d’éclairer le prince Kong sur l’origine et sur la portée de la demande qui avait si vivement ému le prince Tsaï, et il inséra dans sa réponse à la dépêche chinoise du 22 septembre un paragraphe ainsi conçu :


« Le prince allègue qu’une discussion s’est élevée sur la remise de la lettre adressée par sa majesté la reine d’Angleterre à sa majesté l’empereur de la Chine, lettre dont le soussigné est porteur, et il paraît croire qu’il a été pour la première fois question de cette lettre dans la communication qui a été adressée au prince Tsaï et à son collègue, le 17 septembre, par l’intermédiaire de M. Parkes. C’est une erreur… Le 3 septembre, le soussigné avait entretenu Kouei-liang de cette lettre et de la remise du message dans des termes absolument identiques. Ni à Tien-sin ni à Tong-chaou, il n’avait l’intention de faire de l’audience impériale l’objet d’une clause à insérer dans le traité. La remise des lettres de souverain à souverain et la réception par les souverains des ambassadeurs que leur envoient d’autres souverains avec lesquels ils désirent entretenir des relations d’amitié sont des marques de courtoisie admises et pratiquées dans tous. les états civilisés. Un état qui, tout en se prétendant civilisé, repousse ces actes de courtoisie réciproque s’expose nécessairement à voir mettre en suspicion ses protestations d’amitié. »


Par la même dépêche, lord Elgin, d’accord avec le baron Gros, qui écrivit de son côté dans le même sens, signifia au prince Kong qu’il lui était accordé un délai de trois jours pour rendre les prisonniers, et pour se décider à la signature de la convention arrêtée à Tien-tsin. A ces conditions, l’armée alliée ne dépasserait pas le campement de Pa-li-kiao. Après la signature, les ambassadeurs se rendraient à Pékin avec une escorte convenable, et quand les ratifications auraient été échangées dans la capitale, les troupes commenceraient leur mouvement de retour vers Tien-tsin, où elles tiendraient garnison jusqu’au printemps. Dans le cas où ces dispositions ne seraient pas acceptées, la France et l’Angleterre tireraient la plus éclatante vengeance de la déloyauté du gouvernement chinois. — Ainsi les ambassadeurs ne modifiaient point les conditions qu’ils avaient notifiées d’abord à Kouei-liang, puis au prince Tsaï : ils ne se prévalaient pas de la double victoire de l’armée alliée pour aggraver leurs demandes. Désireux d’obtenir sans retard la reddition des prisonniers et très pressés de conclure enfin la paix, ils ne voulaient point s’écarter de la modération. Au surplus, ils étaient fort inquiets de la situation critique où le cabinet de Pékin s’était placé ; ils appelaient donc toute l’attention du prince Kong sur les conséquences d’une nouvelle rupture ; ils lui montraient en perspective la prise et la destruction de la capitale, les périls qui menaçaient l’empereur et sa dynastie ; ils l’engageaient sincèrement à conjurer ces éventualités, qui les effrayaient eux-mêmes presque autant qu’elles pouvaient effrayer le gouvernement chinois.

Ces conseils produisirent sur le prince Kong l’effet d’une menace et réveillèrent en lui tous les ressentimens de l’orgueil blessé. — « Si votre gouvernement, répondit-il le 27 au baron Gros, est décidé à attaquer la capitale de l’empire, nos soldats qui sont dans la ville avec leurs familles se défendront jusqu’à la mort, et vous verrez bien d’autres combats que ceux qui ont eu lieu… De plus, les troupes et les milices des provinces sont nombreuses et aguerries. Au moment où la capitale serait attaquée, non-seulement vos compatriotes captifs seraient les premiers sacrifiés, mais encore l’arrière-garde de votre principal corps d’armée se retirerait difficilement saine et sauve ! Bien que l’arrestation et la captivité de vos nationaux soient le fait de personnes qui ont mal conduit les affaires, je ne veux pas, puisque je suis commissaire impérial, investi de l’autorité suprême, que l’on maltraite les prisonniers ; mais en ce moment il ne serait pas convenable de vous les rendre. Ce ne sera que lorsque le traité sera signé qu’ils viendront vous rejoindre. » De même, dans sa réponse à lord Elgin, le prince Kong repoussait comme injurieuse la sollicitude que l’ambassadeur anglais avait paru exprimer pour l’empereur et sa dynastie ainsi que pour la ville de Pékin, et il déclarait que la reddition des prisonniers devait suivre et non précéder la signature du traité.

Le délai de trois jours fixé par l’ultimatum des ambassadeurs expirait le 30 septembre. Les prisonniers n’étaient pas revenus au camp. Le prince Kong, dans ses dépêches multipliées, répétait invariablement : « Éloignez vos troupes, signons le traité, et les prisonniers seront rendus. » Cherchait-il à gagner du temps ? voulait-il garder entre ses mains un gage qui arrêtât la marche des alliés ? ou bien, ne pouvant représenter tous les prisonniers, parce qu’une partie avait péri, désirait-il engager les ambassadeurs par la signature de la convention avant qu’ils ne connussent l’affreuse vérité ? Cette obstination, ces manœuvres dilatoires, ces protestations pacifiques accompagnées de menaces, la crainte de compromettre la vie des prisonniers, l’avis du départ de l’empereur, « qui venait de quitter sa capitale pour se rendre aux chasses d’automne conformément à la loi » (c’était ainsi que s’exprimait le prince Kong), tout cela créait à lord Elgin et au baron Gros une situation vraiment intolérable, et, pour surcroît de difficulté, les munitions attendues de Tien-tsin n’arrivaient pas ! Les jours se perdaient en correspondances vaines, et, dans cette lutte à coups de plume et de pinceau, la diplomatie chinoise se démenait, souple et insaisissable, dans le cercle étroit où la diplomatie européenne s’appliquait à l’enfermer. Le canon seul pouvait avoir raison de tout ce verbiage, qui décourageait les ambassadeurs et impatientait les généraux.

Enfin le 4 octobre au soir parurent les convois de Tien-tsin. Dès le 5, les troupes alliées, au nombre de huit mille hommes, commencèrent leur mouvement et vinrent camper à cinq kilomètres de la face est de Pékin. Le 6 octobre, elles se portaient rapidement vers le nord de la ville, où l’on disait que l’armée tartare, sous les ordres de San-ko-lin-sin, occupait une position fortifiée. L’armée tartare avait disparu. La colonne française s’élança à sa poursuite, et elle arriva le soir devant le palais d’été de l’empereur (Yuen-min-yuen), qui fut escaladé par deux compagnies d’infanterie de marine et occupé pendant les journées du 7 et du 8 octobre par les troupes du général Montauban. Nous laisserons aux amateurs d’antiquités et de chinoiseries le soin d’admirer les merveilles accumulées dans ce palais, ou plutôt dans cette cité aux mille palais, résidence favorite des empereurs de Chine, qui y avaient accumulé depuis des siècles toutes les splendeurs et toutes les délicatesses de leur luxe ; mais, au milieu de ces trésors étalés dans des salles dignes de les abriter, les regards des vainqueurs furent cruellement attristés par la découverte de vêtemens que l’on reconnut pour être ceux de quelques-uns des prisonniers retenus par les Chinois dans la journée du 18 septembre. Plus de doute ! ces vêtemens n’étaient plus que des dépouilles dont peut-être l’empereur de Chine comptait orner son palais comme d’un trophée ! Maintenant l’empereur était en fuite vers la Tartarie, où la vengeance ne pouvait l’atteindre. C’était dans sa capitale qu’il fallait frapper, non plus sa personne, qui s’était évanouie, mais son orgueil et son prestige. Le 9 octobre, les troupes alliées étaient campées au nord de Pékin, en vue des murailles, et disposaient leur artillerie.

Le premier effet du mouvement des troupes avait été la mise en liberté des prisonniers. Ce que la diplomatie, avec ses réclamations, avec ses menaces, avec ses appels au droit des gens, n’avait pu jusqu’alors obtenir, l’approche de quelques milliers de soldats l’obtint sans conditions et sans délai. Il en fut presque toujours ainsi dans cette campagne en partie double, où l’action passait alternativement des ambassadeurs aux généraux et des généraux aux ambassadeurs. Les Chinois, cédaient au moment où ils voyaient la lame sortir du fourreau. Le 8 octobre, MM. Partes et Loch, M. d’Escayrac et plusieurs soldats, furent retirés des prisons de Pékin et remis aux alliés. D’autres prisonniers furent rendus les jours suivans ; mais tous ceux, que l’on attendait ne revinrent pas. On compta dix-neuf absens, c’est-à-dire dix-neuf victimes. Qui ne se souvient des sentimens de sympathie et d’estime qu’ont inspirés en France et en Angleterre les quelques pages dans lesquelles M. d’Escayrac, M. Parkes et M. Loch ont raconté, jour par jour, les incidens de leur captivité ? Insultés, menacés de mort par les mandarins, jetés dans d’infectes prisons à côté des criminels de la pire espèce, livrés aux tourmens physiques et aux angoisses morales, ils avaient intrépidement supporté tant d’épreuves. Plût au ciel que ceux dont les Chinois n’avaient pu rendre que les cadavres n’eussent pas eu à subir les mêmes tortures ! Tous du moins, dans leur captivité ou par leur mort, avaient affirmé aux yeux des Chinois la supériorité de la race européenne, et ils leur avaient montré ce que valait par le courage la poignée d’hommes qui menaçait Pékin.

Le 10 octobre, les généraux adressaient une sommation au prince Kong pour qu’il eût à leur livrer le 13 avant midi l’une des portes de la ville ; ils s’engageaient à respecter la vie et la propriété des habitans. Le prince se retourna alors tout ému vers les ambassadeurs. « Comment, leur dit-il d’abord, vos troupes ont-elles pu, sans vos ordres, attaquer le palais d’été ? Il faut que vous vous expliquiez sur un pareil acte. Quant au traité, il sera signé tel qu’il a été convenu à Tien-tsin, sans addition ni changement. Vous viendrez à Pékin avec votre escorte pendant que votre armée campera hors de la ville. Vos généraux ont demandé qu’on leur livrât une des portes : j’y consens ; mais encore faut-il que nous réglions les conditions. Nous prendrons jour pour vous remettre les prisonniers qui sont encore entre nos mains : on fait rechercher ceux qui ont disparu. Les blessés sont entourés des plus grands soins. C’est à vous que j’écris, et non aux généraux, puisque nous sommes en paix. » Les généraux n’en persistèrent pas moins dans leur sommation. Le 13, à l’heure dite, un détachement de troupes alliées occupa la porte, qui fut livrée par les habitans. immédiatement le prince écrit à lord Elgin et au baron Gros :


« Je viens d’apprendre que les soldats de votre escorte sont entrés dans la ville. La sage discipline qu’ils observent a ramené la tranquillité parmi la population et dissipé son inquiétude et ses craintes. Il est démontré que les intentions pacifiques de votre excellence sont sincères ; je suis heureux de le savoir, et de mon côté je dois agir avec toute loyauté. J’ai donc donné l’ordre à Heng-ki, directeur de l’arsenal, de s’entendre avec le délégué que votre excellence désignera pour régler tout ce qui est relatif à la convention préparée à tien-tsin et pour fixer le jour de l’échange des ratifications du traité de 1858, afin que tout soit prêt d’avance. Si ces préparatifs étaient faits à la hâte, après l’entrée de votre excellence dans la ville, il y aurait à craindre que les dispositions ne fussent pas prises avec le soin convenable, ce qui serait contraire à mes intentions. »


Voilà comment le prince Kong s’avise de transformer en une simple garde d’honneur la troupe qui, à la suite d’une sommation en règle, est maîtresse de l’une des principales portés de Pékin et s’établit sur les remparts avec ses canons plongeant dans la ville ! C’est du Chinois tout pur. Et avec quel empressement le prince, applaudissant à ce qu’il ne peut empêcher, répète-t-il que l’affaire est terminée, que la paix est conclue, la paix de Tien-tsin ! Il craint évidemment que les alliés ne se contentent plus des conditions primitivement exigées ; il comprend que depuis Tien-tsin, et surtout depuis Tong-chaou, il s’est passé bien des événemens qui justifieraient des exigences nouvelles. C’est lui maintenant qui est impatient, qui demande le jour et l’heure, et qui veut absolument en finir. En réalité, Pékin vient de capituler ; Pékin est pris, et la capitale de l’empereur de Chiné est dès ce moment placée sous la protection des généraux alliés.


V.

Les appréhensions du prince Kong étaient fondées. A mesure que les prisonniers rentraient au camp, on apprenait par eux, et rien qu’à la vue de leurs plaies encore saignantes, les odieux traitemens qu’ils avaient eu à subir pendant leur captivité. Ces récits étaient navrans, non que les mandarins eussent inventé pour les prisonniers européens des tortures particulières ; mais la loi pénale des Chinois est impitoyable, et elle se distingue par l’horreur comme par la variété des supplices : ce peuple, dont les mœurs sont généralement douces, possède les plus cruels bourreaux. Évidemment les ambassadeurs ne pouvaient laisser impunis des actes qui soulevaient autour d’eux la plus véhémente indignation ; l’opinion publique, en France et en Angleterre, n’aurait pas compris qu’ils s’en fussent tenus purement et simplement aux stipulations primitives, alors que le gouvernement chinois s’était rendu coupable d’une nouvelle violation du droit des gens, d’un véritable attentat. Le baron Gros et lord Elgin furent d’accord sur le principe d’une indemnité pécuniaire à réclamer des Chinois pour les prisonniers et pour les familles des victimes. L’ambassadeur français jugea en outre qu’il pouvait s’autoriser des circonstances pour réclamer la restitution des anciennes églises et des cimetières de Pékin, qu’un édit de l’empereur Tao-kouang en 1845 avait promis de rendre aux chrétiens, et qui, malgré cet engagement, étaient demeurés frappés de confiscation. L’ambassadeur anglais approuva cette demande en annonçant que, de son côté, il exigerait la cession à l’Angleterre, en toute propriété, d’un petit territoire (Kou-long) qui forme l’extrémité de la province de Canton, et qui n’est séparé de l’île de Hong-kong que par un étroit canal. Déjà l’Angleterre avait la jouissance de ce coin de terre en vertu d’un bail indéfini, et elle y avait fait quelques travaux de fortifications. Par conséquent il ne s’agissait que de régulariser un état de choses existant : le territoire n’avait par lui-même aucune importance ; cette acquisition ne pouvait couvrir aucun projet de conquête ; elle ne devait point rencontrer de difficultés de la part des Chinois, et la France n’avait pas à s’en inquiéter.

Le baron Gros pensa que ces conditions, sans être suffisantes en regard de l’attentat qui les motivait, étaient les seules que l’on pût obtenir immédiatement. Lord Elgin exprima un avis contraire : il voulait une vengeance plus éclatante, constatée par des actes qui fussent de nature à laisser dans l’esprit du gouvernement et du peuple chinois une impression durable. Il proposa d’abord de faire hiverner l’armée à Pékin, afin de prolonger l’humiliation qu’infligeait à l’orgueil de l’empereur la présence de troupes étrangères dans la capitale ; mais le général Montauban et sir Hope Grant lui-même se montrèrent absolument contraires à ce projet en déclarant qu’ils n’acceptaient point la responsabilité d’un hivernage à Pékin, et qu’ils comptaient opérer vers le 1er novembre au plus tard leur retour vers Tien-tsin. Lord Elgin demanda ensuite que l’on détruisît dans Pékin le palais impérial, dont les ruines attesteraient le passage et la vengeance des alliés : les généraux s’y opposèrent encore. C’était à eux que la porte de Pékin avait été livrée, ils s’étaient engagés à maintenir l’ordre et le respect des propriétés ; ils estimaient donc qu’à moins d’incidens ultérieurs qui les délieraient de leurs engagemens, ils devaient s’abstenir de toute mesure de rigueur dans l’intérieur de la ville. Forcé de battre en retraite devant la contradiction formelle des généraux, l’ambassadeur anglais imagina deux nouveaux moyens : il voulait exiger des Chinois l’érectionài Tien-sin d’un monument expiatoire sur lequel seraient inscrites, la date et les circonstances de l’attentat, en second lieu faire détruire, et raser jusqu’au sol le palais d’été de l’empereur, où les troupes françaises avaient bivouaqué du 7 au 9 octobre. Le baron Gros combattit très vivement cette double proposition. Comment pouvait-on espérer que le gouvernement chinois, si courbé qu’il fût par la défaite, subirait la honte du monument expiatoire ? Quant à la destruction du palais d’été, c’était aux yeux de l’ambassadeur français, dont l’opinion était énergiquement appuyée par le général Montauban, un acte brutal de vandalisme, une œuvre de vengeance indigne d’une nation civilisée, et de plus une faute des plus graves, car on risquait ainsi d’exaspérer le prince Kong, de le déterminer à prendre la fuite, et de briser à l’heure suprême l’unique instrument de la paix. Lord Elgin renonça, non sans regret, au monument expiatoire ; mais les instances de son collègue pour lui faire abandonner ses projets contre le palais d’été le trouvèrent inflexible. Pour la première fois depuis le commencement de la campagne, les deux ambassadeurs étaient en dissidence complète, et cela au moment décisif et à l’occasion d’un acte qui pouvait avoir des conséquences incalculables. Pour la première fois ils allaient, après avoir toujours agi et écrit de concert, transmettre au gouvernement chinois, que le prince Kong représentait alors à lui seul, des conditions différentes.

Il fallait en effet répondre à la lettre, du 12 octobre, par laquelle le prince affectait de considérer les difficultés comme entièrement terminées, et manifestait tant d’empressement pour signer la convention. Les réponses des deux ambassadeurs lui furent adressées le 17 à la suite des discussions dont nous venons de rendre compte. Le baron Gros, après avoir rappelé les manœuvres déloyales du cabinet de Pékin dans le cours des négociations et flétri en termes indignés l’attentat du 18 septembre, énonça les deux clauses additionnelles à insérer dans le projet de convention : 1° pour le paiement immédiat d’une indemnité de 1,500,000 francs, 2° pour la restitution des anciennes églises et de leurs dépendances à Pékin. L’ensemble des actes, y compris l’échange des ratifications du traité de Tien-tsin, devait être réalisé au plus tard le 23 octobre ; sinon, les hostilités seraient reprises sur terre et sur mer, et s’étendraient à toutes les provinces et a toutes les côtes de l’empire. Très catégorique au fond, la dépêche française était rédigée en termes mesurés et presque bienveillans pour le prince Kong, qu’elle s’appliquait à laisser en dehors des actes odieux dont elle demandait la réparation. — Tout autre était la dépêche de lord Elgin. L’ambassadeur anglais, signifia ses conditions dans un langage dur, hautain, impérieux. Il exigea 2,250,000 fr. d’indemnité pour les victimes de Tong-chaou (les Anglais comptaient plus de prisonniers et de victimes que les Français) ; il annonça que le palais d’été serait détruit et rasé, condition pour laquelle il disait n’avoir pas à attendre l’adhésion du prince, car les ordres étaient déjà donnés. Il déclara que, si tout n’était pas terminé le 23, l’armée anglaise s’emparerait du palais impérial à Pékin et recommencerait la guerre. Pas un mot d’égards ni de ménagemens pour le prince Kong. C’était une dépêche à tout rompre… Et le lendemain, 18 octobre, le palais d’été s’écroulait dans les flammes. Les Anglais seuls avaient allumé l’incendie.

On peut juger de l’anxiété qu’éprouva l’ambassadeur français en attendant la réponse du prince Kong. Cette réponse viendrait elle ? Donnerait-elle satisfaction ? L’attitude et le langage de lord Elgin, la destruction du palais d’été, la menace dirigée contre le palais impérial de Pékin, tout cela n’aurait-il pas à jamais compromis les affaires au moment même où la paix était indispensable et paraissait si proche ? Ces doutes étaient assurément permis. Enfin le 20 octobre arrivèrent les dépêches du prince, datées du 19. Voici ce qu’il écrivait au baron Gros :


« J’ai reçu, le 17 de ce mois, la dépêche que votre excellence m’a fait l’honneur de m’écrire, et j’en ai parfaitement compris le contenu. Je trouve juste que l’on donne aux familles de ceux de vos compatriotes qui ont été mal traités 200,000 taëls (150,000 francs), et je vous les remettrai moi-même avec exactitude. Les autorités qui ont fait subir de mauvais traitemens à vos nationaux seront punies conformément aux lois, et je viens de recevoir un décret impérial qui enlève à Sène-ouang (San-ko-lin-sin) sa dignité de prince, et prive de ses fonctions le ministre Choui.

« Je vais faire préparer dans Pékin un hôtel pour votre excellence.

« Quant aux églises catholiques élevées dans chaque province dès le règne de l’empereur Khang-ni, à leurs cimetières et à leurs dépendances, il est juste d’en faire une recherche exacte et de vous les rendre. C’est dans les conférences que tiendront ensemble les délégués des deux empires que ces questions pourront être définitivement arrêtées. »


Dans sa réponse à lord Elgin, le prince Kong acceptait les conditions anglaises. Il ne parlait point de la destruction du palais d’été, les injonctions hautaines de l’ambassadeur lui ayant à l’avance fermé la bouche et le fait étant accompli. Il ne parlait pas non plus de la disgrâce de San-ko-lin-sin ni des châtimens qui devaient être infligés aux auteurs de l’attentat du 18 septembre, omission qui pouvait d’ailleurs s’expliquer, parce que lord Elgin, se chargeant lui-même de sa vengeance par l’incendie du palais d’été, avait dédaigné de demander dans son ultimatum la punition des coupables. -— En résumé, le prince Kong se soumettait à tout ce qui était exigé de lui.

On a blâmé lord Elgin d’avoir ordonné la destruction du palais d’été. En France, la réprobation a été presque unanime ; en Angleterre, beaucoup de voix se sont élevées contre cet acte. Allant au-devant des critiques dont sa conduite pouvait être l’objet, critiques que lui faisait pressentir l’attitude « du baron Gros et du général Montauban, ambassadeur anglais exposa longuement, dans une dépêche adressée à lord John Russell le 25 octobre, les motifs de sa résolution. Selon lui, une réparation éclatante, exceptionnelle, était nécessaire : Réclamer une indemnité plus forte en argent, c’eût été demander l’impossible, le trésor impérial étant épuisé. Occuper un territoire ou une ville, c’eût été s’engager dans des complications sans fin. Fallait-il exiger qu’on livrât les coupables ? Mais alors les Chinois eussent sacrifié quelques méchans mandarins de la dernière classe, innocens peut-être, qui auraient payé pour les gros. Que restait-il donc ? Après avoir bien cherché, bien réfléchi, lord Elgin n’avait trouvé de praticable que la destruction de ce palais d’été, résidence favorite de l’empereur. Il atteignait ainsi l’empereur dans son orgueil et dans ses sentimens les plus chers. Il faisait un acte qui, en Chine, selon les idées chinoises, devait produire une vive et durable impression. Tels furent les argumens développés par lord Elgin. On pourrait jusqu’à un certain point les admettre. Les questions d’humanité, de civilisation, de générosité, nous semblent avoir été mal à propos invoquées au sujet de cet incident. Lord Elgin avait le cœur aussi haut que l’esprit ; il voyait un grand but à atteindre, et il ne s’arrêtait pas devant la rigueur du moyen, lorsqu’après tout il ne s’agissait que de démolir des amas de pierre et de bois, sans compromettre la vie d’un seul homme.

Ce n’est pas à ce point de vue cependant qu’il convient d’apprécier l’acte qui a excité tant de controverses. Il faut se placer dans la situation où se trouvaient les alliés la veille du jour où cet acte s’est accompli. Or à ce moment lord Elgin risquait beaucoup et jouait gros jeu. Pékin pris et l’empereur en fuite, le prince Kong était réellement acculé et n’avait plus qu’à se rendre. La paix était certaine. Pourquoi la compromettre ou même seulement la retarder par des prétentions exorbitantes ? Qu’aurait fait lord Elgin si le prince Kong, comme il en eut, dit-on, l’intention, avait quitté Pékin, préférant tout abandonner à la destinée plutôt que d’assister à un spectacle qui était pour lui, comme pour l’empereur, un affront à la fois national et personnel ? Il savait que l’armée ne pouvait passer l’hiver à Pékin ; il aurait donc été obligé de s’éloigner sans avoir traité et de rétrograder vers Tien-tsin, si même, avec l’éloignement forcé des escadres, la position de Tien-tsin eût paru tenable. C’était l’inconnu, et un inconnu plein de périls. Bien plus sage était assurément la politique du baron Gros, qui, tout en jugeant qu’il était nécessaire d’exiger satisfaction pour l’attentat du 18 septembre, ne voulait point pousser les choses au point d’inspirer au prince Kong des résolutions désespérées. Quant à l’effet moral, est-ce que les deux batailles de Chang-kia-wan et de Pa-li-kiao, la fuite de l’empereur, la présence du drapeau étranger au cœur de l’empire, et par-dessus tout la prise de Pékin, ne suffisaient pas pour laisser dans l’esprit des Chinois le souvenir ineffaçable de leur défaite et de leur humiliation ? La prudence conseillait donc de s’en tenir là, de saisir la paix qui s’offrait d’elle-même après tant de difficultés et de traverses, et de clore enfin une campagne qui militairement ne pouvait plus se prolonger. La politique violente de lord Elgin ne devait se justifier que par le succès ; en cas d’échec, elle eût été désastreuse. La politique modérée du baron Gros était, dans toutes les hypothèses, la plus sûre : elle conservait les résultats acquis sans compromettre l’avenir, elle arrivait naturellement au but par la conclusion d’une paix honorable, qui permettait le départ immédiat des troupes alliées.

Le 22 octobre, les indemnités convenues pour les prisonniers et pour les victimes de Tong-chaou furent exactement payées entre les mains des délégués anglais et français. Le 24 eut lieu dans Pékin, entre le prince Kong et lord Elgin, la signature de la convention anglaise, suivie de l’échange des ratifications du traité de 1858. Lord Elgin, accompagné d’une nombreuse escorte, n’arriva au rendez-vous que deux heures trois quarts après l’heure fixée. Le prince Kong eut à l’attendre. L’entrevue fut des plus froides. L’ambassadeur anglais exigea qu’à la suite du traité le prince écrivît un certificat attestant que le sceau apposé était bien celui qui engageait définitivement et sans réserve l’empereur de Chine, formalité insolite, blessante, au sujet de laquelle il avait consulté le baron Gros, qui, pour sa part, ne la jugeait pas nécessaire. — Le lendemain 25, on procéda aux mêmes formalités pour les actes intervenus entre la France et la Chine[5]. Autant lord Elgin s’était montré dur et sévère, autant le baron Gros s’appliqua à être courtois et même respectueux pour le prince Kong, qui parut lui en savoir gré. Il était évident que, depuis la destruction du palais d’été, les deux ambassadeurs n’avaient plus les mêmes sentimens ni le même langage. Sans être contraires, leurs attitudes étaient visiblement différentes. L’alliance diplomatique se maintenait pour l’intérêt commun ; mais dans la forme la bienveillance naturelle et la modération du baron Gros contrastaient avec la morgue britannique, que la raideur de lord Elgin poussait volontiers jusqu’à l’insulte.

Ce contraste se prolongea jusqu’à la dernière heure. Le général Montauban et sir Hope Grant étaient très pressés d’opérer leur mouvement de retraite. L’hiver commençait ; il était déjà tombé de la neige. Chaque jour perdu rendait plus difficile la marche des troupes et des convois. De leur côté, les amiraux déclaraient que l’approche de la saison des glaces et des coups de vent dans le golfe du Pe-tchi-li devait faire hâter autant que possible l’époque du rembarquement et le départ des escadres pour le sud. En conséquence, la date de la mise en marche des troupes alliées campées devant Pékin avait été fixée au 1er novembre ; mais lord Elgin, toujours défiant, ne voulut point quitter la capitale avant d’avoir entre les mains un décret impérial prescrivant la promulgation du traité dans toutes les provinces de la Chine. L’empereur étant à Jehol, ce décret pouvait se faire attendre quelques jours. Le général Montauban n’admit point cette cause de retard, et partit, comme il l’avait annoncé, le 1er novembre, laissant à Pékin un bataillon de garde pour le baron Gros, qui avec raison ne se souciait point que son collègue, dont il lui était permis de redouter les ardeurs, restât seul en présence des Chinois ; Sir Hope Grant, obtempérant à l’invitation de l’ambassadeur anglais, suspendit son mouvement. Le décret impérial ayant été transmis par le prince Kong, aucun prétexte ne supposait plus à la retraite définitive des troupes anglaises, et déjà l’avant-garde était en route lorsque, le 6 novembre, on vit arriver à Pékin M. Bruce, désigné pour remplacer lord Elgin en qualité d’ambassadeur.

Cet incident amena un second retard et donna lieu à une nouvelle discussion entre lord Elgin et le baron Gros. Que lord Elgin profitât de sa présence à Pékin pour présenter lui-même au prince Kong l’ambassadeur qui était appelé à traiter désormais les affaires avec le gouvernement chinois, il n’y avait rien là qui ne fût très rationnel ; mais il voulait que M. Bruce établît immédiatement sa résidence dans la capitale et y dépliât son drapeau d’ambassadeur de la Grande-Bretagne. Or M. Bruce, il ne faut pas l’oublier, était le ministre anglais qui, repoussé à Takou en 1858, avait envoyé l’ultimatum de mars 1859 ; c’était lui qui, aux yeux du gouvernement chinois, avait commencé la guerre ; c’était lui que les mandarins de Shang-haï avaient, dans toutes leurs correspondances, signalé comme un ennemi acharné de l’empire. N’était-ce pas assez de lui conserver, avec le titre d’ambassadeur, les fonctions de représentant de l’Angleterre en Chine, et fallait-il encore infliger aux Chinois le désagrément de le voir s’installer tout de suite dans Pékin comme dans une ville prise d’assaut ? Pourquoi ne pas attendre que l’empereur fût de retour, que les passions se fussent apaisées, que la situation de Pékin, si profondément troublée pendant ces deux derniers mois, fût redevenue calme ? Il serait temps alors de procéder à l’installation des ambassadeurs. Dans les conditions présentes, il importait essentiellement de ménager la transition, ne fût-ce que pour ne pas ébranler l’influence du prince Kong, et il y avait même quelque imprudence à exposer les ministres européens aux ressentimens et aux désirs de vengeance qui pouvaient, au lendemain du départ des troupes, exciter quelques fanatiques. Ces considérations, habilement développées par le baron Gros dans une dépêche du 7 octobre, furent accueillies par lord Elgin. Il fut décidé que M. Bruce et le ministre de France, M. de Bourboulon, passeraient l’hiver à Tien-tsin, d’où ils correspondraient sans intermédiaires avec le gouvernement chinois. Au mois d’avril seulement, ils devaient venir résider dans la capitale, où lord Elgin se contenta de laisser pour le moment un simple agent consulaire. A la suite de cet incident, qui n’était pas sans importance et qui avait fourni au baron Gros une nouvelle occasion de faire entendre ses conseils de modération, les deux ambassadeurs quittèrent Pékin le 9 novembre, s’arrêtèrent quelques jours à tien-tsin, et de là revinrent en Europe. Les généraux prirent leurs dispositions pour l’établissement des garnisons à Tien-tsin et sur les autres points qui devaient être occupés jusqu’au paiement des indemnités de guerre ; ils donnèrent des ordres pour l’évacuation de Chusan et prescrivirent le rembarquement des troupes destinées à rentrer directement en Europe ou dans l’Inde. Il était temps : les escadres, qui depuis plus de deux mois étaient demeurées à l’ancre dans le golfe de Pe-tchi-li, fournissant la garnison qui gardait les forts de Takou et assurant l’envoi des approvisionnemens et des munitions, avaient eu beaucoup à souffrir, et il leur eût été difficile de prolonger leur station à ce mouillage, devenu périlleux. L’opération du rembarquement et les départs se firent avec le plus grand ordre. La campagne était donc terminée.


Telle a été cette expédition, à la fois diplomatique, militaire et maritime, qui, en moins d’un an, a transporté les drapeaux de la France et de l’Angleterre jusqu’aux extrémités de l’Asie, dans la capitale d’un pays de trois cents millions d’hommes, à Pékin : expédition vraiment extraordinaire, qui n’a point sa pareille dans l’histoire de notre siècle, et qui est inscrite dans les annales chinoises en caractères indélébiles. Les murailles de Pékin ont répété l’écho de nos tambours et de nos clairons ; la cité sainte a vu nos bataillons camper dans ses pagodes ; la vieille église catholique, que l’on croyait à jamais fermée, s’est rouverte, et le Te Deum y a retenti. Dans cette ville où naguère encore les ambassadeurs étrangers n’étaient admis qu’en palanquins bien clos, comme si leurs regards devaient la profaner, nos soldats se sont promenés au milieu des foules surprises et à travers mille choses inconnues : l’enfant de Paris était là tout à l’aise dans cette nouvelle garnison, familier dès le premier jour avec la Chine, tutoyant Pékin et ravi de révolutionner une capitale. Quel tableau !

Mais il ne serait pas juste que la singularité et la poésie de cette expédition nous fissent oublier ce qu’elle présentait aussi de sérieux et de difficile. Il n’était pas aisé d’aller ainsi à Pékin. Si l’on étudie attentivement les documens anglais et français qui ont été publiés et qui, émanant de sources différentes, se complètent et se contrôlent les uns par les autres, on doit avouer qu’il n’y a peut-être pas de campagne de guerre qui, relativement, ait imposé au général en chef une responsabilité plus lourde, ni qui ait dû, dans le court espace de deux mois, inspirer de plus vives préoccupations. Battre les Chinois, l’événement a prouvé qu’avec une poignée de vaillans soldats il était assez facile d’en venir à bout ; mais encore, après la résistance éprouvée à l’assaut des forts de Takou, fallait-il une certaine audace pour s’aventurer, à la tête de quelques milliers d’hommes, dans un pays complètement inconnu, à la rencontre d’armées tartares formidables, au moins par le nombre, à la conquête d’une capitale que l’on devait s’attendre à voir défendre avec l’acharnement du fanatisme. Ce n’était pas tout que de battre les Chinois : le général en chef avait à s’inquiéter, plus qu’il ne l’eût fait ailleurs, de ses communications avec le littoral, des campemens, des approvisionnemens, des munitions et du temps. Enfin, sans compter les discussions inséparables de l’action commune avec une armée alliée, il se voyait parfois enchaîné par l’œuvre diplomatique au moment même où la raison militaire conseillait et commandait d’agir. Toutes ces difficultés, sans en excepter aucune, se sont rencontrées dans le cours de la campagne, et cependant le terme assigné au succès était fatalement marqué par l’approche de l’hiver : il était indispensable que tout fût achevé en deux mois ; autrement tout était à recommencer, peut-être même tout était perdu. Voilà ce qu’attestent les nombreux documens que nous nous sommes fait un devoir de compulser avant d’entreprendre ce récit. Ce n’est donc point seulement l’heureuse fortune de nos armes, ce n’est point l’infériorité militaire des Chinois qui a ouvert à notre drapeau les portes de Pékin : le succès est dû incontestablement à l’esprit de décision, à la prévoyance, à l’habileté du général en chef, secondé, partout où cela était possible, par le concours dévoué de l’escadre.

Quant à l’action diplomatique, nous nous sommes appliqué à la suivre pas à pas, tenant d’une main le livre bleu où ont été réunies, à l’usage du parlement anglais, les dépêches de lord Elgin, et de l’autre le livre jaune du baron Gros. Elle a abouti aux traités de Pékin ; mais on a vu comment l’entente, si cordiale au début, entre les deux ambassadeurs s’est presque rompue dans les derniers jours. Cette rupture, ou tout au moins ce grave dissentiment, accuse l’existence de deux systèmes tout à fait opposés pour l’établissement de nos rapports avec le gouvernement du Céleste-Empire. Doit-on, selon le système que paraissait vouloir adopter lord Elgin, et que l’on pourrait appeler le système anglais, doit-on aborder le gouvernement chinois avec le ton arrogant, lui arracher les concessions par la menace, faire violence à ses préjugés au nom de la civilisation, et lui enseigner à coups de canon notre droit des gens ? Vaut-il mieux au contraire le traiter avec quelques égards, tenir compte de ses traditions, ne pas exiger de lui des concessions qui lui paraissent humiliantes, et attendre que, par le développement des relations pacifiques du commerce, il se convertisse peu à peu aux lois et aux pratiques de notre civilisation ? Ces deux systèmes s’étaient déjà trouvés en présence, avec lord Elgin et le baron Gros, lors des négociations de 1858 à Tien-tsin ; ils se sont heurtés de nouveau avec les mêmes diplomates lors des négociations de 1860 à Pékin. Si l’on est pressé, il faut évidemment adopter le premier mode, car, dans les luttes de la force, l’Europe finira par l’emporter sur la Chine ; mais alors il faut se résigner à la perspective d’une guerre de Chine à peu près tous les dix ans. C’est pour n’avoir pas à recevoir des ambassadeurs étrangers en résidence permanente dans la capitale que le cabinet de Pékin a essayé de déchirer les traités de 1858, et cette clause, insérée seulement dans le traité anglais, n’avait pas été exigée par le baron Gros. De même c’est en grande partie la question de l’audience impériale, rappelée intempestivement par lord Elgin à Tong-chaou, qui a rendu si difficiles les négociations de 1860. Certes les résultats obtenus à la suite des deux guerres sont considérables ; mais n’ont-ils pas coûté bien cher ? N’a-t-on pas couru de grands risques pour les conquérir, et est-on sûr de les conserver sans qu’il soit besoin de recourir encore à la force ?

Il vaut mieux que l’Europe se montre indulgente et bienveillante pour le gouvernement chinois. Elle accomplira plus lentement l’œuvre qu’elle poursuit et qu’elle ne saurait abandonner ; mais le progrès, plus régulier, n’en sera que plus sûr. En bonne justice, quand nous accusons les Chinois d’être si ignorans, si arriérés, si obstinément fermés à notre civilisation, sommes-nous certains nous-mêmes de les comprendre et d’être compris par eux ? Peut-être existe-t-il entre eux et nous des malentendus que nos plus habiles linguistes ne sont pas en mesure de dissiper. On remarque par exemple, entre la traduction anglaise et la traduction française des mêmes pièces diplomatiques qui ont figuré dans les dernières négociations, des différences plus ou moins sensibles qui attestent combien il est encore difficile que les deux races se communiquent leurs idées. Il importe donc qu’avant de condamner les Chinois en dernier ressort nous nous appliquions à les mieux connaître. C’est le but que s’est proposé M. le comte d’Escayrac de Lauture en publiant des mémoires pleins d’intérêt sur les mœurs et les coutumes ainsi que sur l’organisation politique et administrative de la Chine. Espérons que désormais ce sera par la science, et non plus par l’épée, que nous attaquerons le Céleste-Empire.


C. LAVOLLEE.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.
  2. Quelques indications topographiques sont indispensables pour bien faire comprendre les mouvemens des troupes alliées. Tien-tsin est à 50 kilomètres environ à l’ouest de l’embouchure du Peï-ho et à 134 kilomètres de Pékin, qui est situé dans la direction du nord-ouest. Voici l’itinéraire de Tien-tsin à Pékin avec le calcul des distances entre chaque point :
    kilomètres
    De Tien-tsin a Pou-kao 10
    De Pou-kao à Yang-tsin 19
    De Yang-tsin à Tsaï-tsin 20
    De Tsai-tsin à Ho-si-hou 25
    De Ho-si-hou à Ma-te-hou 18
    De Ma-te-hou à Tong-chaou 25
    De Tong-chaou à Pékin 18


    Le fleuve Peï-ho arrose la plaine entre Tien-tsin et Tong-chaou ; les jonques peuvent le remonter jusqu’à cette dernière ville. Tong-chaou est relié à Pékin par un canal et par une chaussée en dalles de granit.

  3. Voici ce que nous lisons dans les Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, du père Lecomte, 1696 : « Il est permis à chaque mandarin d’avertir l’empereur de ses défauts, pourvu que ce soit avec les précautions que demande le profond respect qu’on lui porte. Voici comment cela se pratique. Le mandarin qui trouve quelque chose à redire à sa conduite par rapport au gouvernement dresse une requête dans laquelle, après avoir témoigné la vénération qu’il a pour la majesté impériale, il prie très humblement le prince de faire réflexion aux anciennes coutumes et aux exemples des saints rois qui l’ont précédé ; ensuite il marque en quoi il parait s’en éloigner… » Voilà bien le moyen qu’avait employé le censeur Tsao-yang, dont nous avons reproduit plus haut les vives remontrances.
  4. La traduction anglaise porte : « Mais sur leur route ils ont rencontré les troupes (chinoises) : une lutte s’est engagée, et ils ont été arrêtés dans la mêlée. » Selon cette version, le prince Kong semble attribuer l’origine du combat à une querelle fortuite survenue entre les fonctionnaires européens et les troupes chinoises. La différence entre les deux traductions est ici très importante.
  5. Voici le résumé du traité de Pékin (25 octobre 1860) : « 1° l’empereur de Chine exprime ses regrets au sujet des événemens survenus à Takou en juin 1859. 2° L’ambassadeur français sera reçu à Pékin avec tous les honneurs dus à son rang pour l’échange des ratifications du traité de Tien-tsin. 3° Le traité de Tien-tsin (du 27 juin 1858) sera fidèlement exécuté immédiatement après l’échange des ratifications. 4° L’indemnité de 15 millions stipulée par le traité de Tien-tsin est portée à 60 millions, qui seront payés au gouvernement français en plusieurs termes, dont les dates sont fixées. 5° Les établissemens religieux et de bienfaisance qui ont été confisqués seront rendus aux chrétiens. 6° La ville et le port de Tien-tsin sont ouverts au commerce. 7° Les troupes françaises évacueront Chusan. 8° Un édit impérial consacrera, pour les Chinois, la faculté d’émigrer et de s’embarquer sur des bâtimens français. 9° Le droit de tonnage pour les navires français est abaissé au même taux que pour les navires américains. » Le traité relate avec détail les époques et les conditions auxquelles les troupes françaises se retireront successivement de Pékin, de Tien-tsin, de Takou, etc.