L’Exposition du théâtre et de la musique au palais de l’Industrie/1

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Heugel (no 41p. 4).

L’EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
AU PALAIS DE L’INDUSTRIE


Le Palais de l’industrie jouit en ce moment de son reste, et, grâce à l’Exposition théâtrale et musicale qui s’y est ouverte depuis quelques semaines, jette un dernier éclat. Avant que l’année présente soit écoulée, cette horrible bâtisse, qui depuis si longtemps déshonore tout un côté de cette incomparable promenade des Champs-Élysées, unique au monde, aura disparu à jamais pour faire place aux constructions destinées à lui succéder dans l’ensemble des travaux relatifs à la prochaine Exposition universelle et qui, osons l’espérer, seront plus en rapport avec le merveilleux décor qu’elles seront appelées à compléter.

Avant que ledit palais soit passé à l’état de souvenir, jetons donc un coup d’œil sur cette aimable et intéressante Exposition théâtrale qui y a élu domicile et dont le succès, étant donné l’attrait du sujet et son caractère de nouveauté, ne pouvait être douteux.

Entrons d’abord dans l’immense nef, et jouissons du coup d’œil curieux et pittoresque qu’elle présente. Dès qu’on y pénètre, la vue se porte tout naturellement sur l’orchestre, placé juste en face de l’entrée et dont la vaste estrade, décorée à l’antique et surmontée d’un large velum destiné à la répercussion des ondes sonores, produit le meilleur effet. C’est là que chaque jour un excellent corps de symphonistes, habilement dirigé par M. Achille Kerrion, donne des concerts et des festivals qui sont un des attraits de l’Exposition et que le public accueille avec le plus vif plaisir.

Si nous avançons précisément du côté de l’orchestre, nous nous trouvons juste au milieu de la nef, divisée en deux parties égales. À droite, une rue formée de chaque côté de construction moyen âge d’un caractère pittoresque et saisissant, nous conduit au parvis Notre-Dame, en présence d’une gigantesque reproduction de la vieille et admirable cathédrale. C’est précisément devant l’église, sur le parvis, que sont installés les tréteaux sur lesquels Tabarin et ses compagnons, représentés par MM. Depas et Yves Martel, Mmes Frédérick et Deneige, donnent aux visiteurs, chaque après-midi, une reproduction aussi animée qu’amusante des célèbres parades qui naguère faisaient la joie des bons badauds parisiens. Je n’ai pas besoin de dire que les parades de l’Exposition, tout en restant joyeuses, sont moins incongrues que celles qui jadis attiraient la foule devant la baraque de Mondor et de Tabarin. Nos oreilles ne sauraient supporter ce que les deux compères faisaient entendre à celles de nos excellents aïeux.

Revenons à l’orchestre et engageons-nous dans l’autre rue, la rue romaine, qui nous conduira à l’extrémité opposée de la nef. Ici, les constructions antiques, d’un caractère à la fois noble, élégant et sévère, contrastent naturellement, par leur nature et par leur style, avec celles de la rue moyen âge, si pleines d’imprévu et d’originalité. Il est à peine besoin de dire, sans doute, que ces constructions, d’un côté comme de l’autre, abritent les boutiques et les magasins des exposants industriels. De même que la première rue nous conduisait au parvis Notre-Dame, la seconde nous mène au théâtre antique, sorte de reproduction en miniature du vaste amphithéâtre d’Orange, dont l’aspect est fort intéressant. Sur les gradins circulaires de ce théâtre, destiné à des spectacles athlétiques, peuvent d’ailleurs prendre place jusqu’à six cents spectateurs.

En dehors même des deux rues, l’exposition industrielle bat son plein, et de tous côtés l’œil est sollicité de la façon la plus attrayante. Puis, des divertissements variés appellent le promeneur et le flâneur. Derrière l’orchestre se trouve un café-concert qui commence ses séances lorsque celui-ci a terminé la sienne. Que voulez-vous ? il en faut pour tous les goûts, et je n’hésite pas à constater que ce café-concert est, lui aussi, fort achalandé, et que sa clientèle est nombreuse. Du même côté, l’amateur peut se donner le plaisir de plusieurs autres spectacles pittoresques. Il y a là une grotte mystérieuse, un guignol d’un caractère particulier, un cinématographe et diverses distractions d’un semblable acabit.

Je constate toutefois que, pour le public, le grand attrait de cette partie de l’exposition est assurément la rue moyen âge, avec ses maisons si curieuses, si amusantes, ses enseignes si caractéristiques, ses auvents si pittoresques. Il y a là une reconstitution charmante, vraiment artistique, d’un style plein de grâce et de vérité, dont l’attrait n’échappe pas aux visiteurs, qui s’y portent en foule et s’y arrêtent plus volontiers qu’ailleurs. Il est certain que M. Chaperon, l’excellent décorateur, auquel on doit en ce genre tous les travaux de l’exposition, a fait preuve ici d’un grand savoir et d’un goût exquis, et qu’il est parvenu à produire une impression d’art absolument excellente et d’une incontestable originalité.

Toute la nef est d’ailleurs, d’un bout à l’autre et de tous côtés, ingénieusement aménagée, souriante à l’œil, ordonnée avec goût et de toutes façons attrayante. Le public s’y presse avec un véritable plaisir, y promène son oisiveté à la fois indolente et curieuse, et voit le temps s’y écouler en une flânerie aimable et pleine de charme. Ce n’est pourtant là, si l’on peut dire, que le côté extérieur et en quelque sorte frivole de l’exposition. Quand on a bien visité cette partie, qu’on a écouté l’excellent programme exécuté par l’orchestre, qu’on a assisté à l’amusante parade qui se déroule devant les portes de Notre-Dame, il faut gravir le double escalier pratiqué de chaque côté de la reproduction de l’admirable cathédrale et pénétrer dans les salles du premier étage, où sont exhibées les précieuses collections historiques et artistiques qui en forment en quelque sorte le fond solide et instructif. Là se présente aux yeux tout ce qui peut intéresser l’amateur, le curieux et même le travailleur sérieux : estampes de toutes sortes, tableaux et dessins, portraits de comédiens et de chanteurs des deux sexes, de compositeurs, de virtuoses, livres rares, publications de toutes sortes, médailles, manuscrits précieux, autographes, modèles et plans de théâtres, décors, costumes, objets curieux, souvenirs de grands artistes, affiches et programmes de spectacles, partitions, livrets d’opéras, instruments de musique anciens et modernes, caricatures, marionnettes, que sais-je ? Il y en a pour tous les désirs, toutes les spécialités et tous les goûts.

C’est tout cela, si vous le voulez bien, que nous visiterons et que nous regarderons ensemble, avec quelque attention, et que je m’efforcerai de vous faire connaître aussi rapidement et aussi complètement que possible. La promenade dans ces galeries, autour de ces vitrines, à travers ces riches collections, sera tout à la fois intéressante, profitable et amusante, et le temps ne sera point perdu à considérer une telle foule d’objets curieux et précieux à plus d’un titre.

(À suivre.)

Arthur Pougin.