L’Exposition du théâtre et de la musique au palais de l’Industrie/3

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L’EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
AU PALAIS DE L’INDUSTRIE

(Suite.)

Une section intéressante, mais que l’on souhaiterait volontiers plus nombreuse, est celle des affiches illustrées qui occupe la salle 29. On sait quels progrès ont été faits sous ce rapport, surtout depuis la venue du grand artiste qui a nom Chéret, dont la fantaisie charmante a renouvelé un art par lui-même plein de grâce et d’imprévu. L’affiche illustrée, toutefois, existait avant lui, et, sans remonter bien loin encore, nous en trouvons là quelques spécimens intéressants dus à ses prédécesseurs.

Quelques-une d’abord d’un crayon mâle et superbe, d’une imagination ardente, dues à ce maître dessinateur et lithographe qui s’appelait Célestin Nanteuil et qui resta le dernier et le plus puissant des illustrateurs romantiques. Ce sont celles de Lala Roukh, de Lara, de José Maria, puis celles de Zémire et Azor et de Rose et Colas, faites lors des reprises de ces deux ouvrages qui eurent lieu à l’Opéra-Comique. Une de Nadar, très drôle, pour Ba-ta-clan : une de Bertall, pour Avant la noce : une de Stop, spirituelle et fine, pour l’Oie du Caire de Mozart ; une autre, de Cham, tout à fait burlesque, pour le Myosotis ; une gracieuse, de Barbizet, pour Babiole. Toutes mignonnes et toutes petites, ces dernières. Dans des proportions plus grandes, une excellente de Victor Coindre, pour les Saisons.

Plus près de nous, nous trouvons celle d’Alphonse de Neuville pour Hamlet, d’un caractère saisissant ; celle de Clairin pour le Cid, qui est un vrai tableau plein d’ampleur ; deux autres, charmantes et de caractères tout à fait différents, de Boutet de Monvel, pour la Petite Poucette et Madame Chrysanthème ; puis, celles de Willette pour l’Enfant prodigue, de Steinlen pour Hellé, de Maurou (très intéressantes), pour Salammbo, les Troyens, la Vivandière, la Falote, l’Attaque du moulin, et deux autres, signées Pal, tout à fait charmantes, pour le cirque Molier et le Casino de Paris.

Et nous arrivons aux petits chefs-d’œuvre de Chéret : Viviane, la Farandole, la Cigale madrilène, les Deux Pigeons, la Reine Indigo, Velléda, le Trône d’Écosse, le Casino de Paris, l’Eldorado, etc. Et je ne puis manquer de signaler comme elles le méritent, celles de la Navarraise, d’Aben Hamet, de Werther, de Thaïs, combien d’autres encore ? Mais ceci tourne trop au catalogue, et je m’arrête en recommandant aux visiteurs cette salle intéressante.

Dans celle-ci nous entrons tout droit dans la salle 26, qu’on pourrait appeler le salon carré de l’Exposition, non seulement à cause de ses vastes proportions, mais surtout à cause des véritables richesses qu’elle renferme. C’est ici que nous trouvons les superbes instruments anciens des maisons Érard et Pleyel, ceux de MM. Tolbecque, Vanet, Brenot, puis les collections Charles Malherbe, Étienne Charavay, Arthur Pougin, Henri Béraldi, Yveling RamBaud, Ricordi, Arman de Caillavet, Adolfo Calzado. Perrot, B. Brunswick, Bing, Georges Pfeiffer, etc.

Ici, nous trouvons d’abord, exposées par la manufacture de Sèvres, une série d’adorables petites statuettes en biscuit, dix-huitième siècle, qui sont de vrais bijoux et dont voici la liste :

Mme du Barry en cantatrice espagnole, 1774 ;

Poisson, en Crispin, 1775 ;

Préville, en Figaro, 1775 ;

La Danseuse française, 1775 ;

Volange, dans Eustache Pointu, 1779  ;

Volange, dans Jérôme Pointu, 1779 ;

Mlle Dangeville, dans la Pèlerine, 1780  ;

Volange, en Janot, 1781 ;

Demoiselle Laforest, en Janette, 1781 ;

Mlle Contat, rôle de Thalie, 1785 ;

La belle Provençale (avec son tambourin et son flûtet), 1780.

À l’exception de celle de Mlle Contat, qui est signée Boizot, toutes ces mignonnes statuettes sont l’œuvre d’un artiste nommé Leriche.

Je m’arrête devant la très riche collection d’autographes et de documents historiques de M. Étienne Charavay, qui occupe deux énormes vitrines. Il y a là quelques jolis portraits d’artistes, des pièces administratives curieuses, de précieux documents révolutionnaires relatifs au théâtre. À signaler parmi les objets les plus importants le manuscrit du Fils de Giboyer d’Émile Augier, et un autre assurément curieux, sinon d’une grande valeur littéraire, celui d’un mélodrame dû à l’auteur de la Maison blanche et de Gustave le Mauvais Sujet, à Paul de Kock en personne : cela s’appelle Stefano ou Erreur et Mystère, mélodrame en trois aces, et il serait curieux peut-être de lire cette sombre élucubration d’un écrivain auquel on doit tant de romans joyeux et… légers. Les lettres autographes sont nombreuses et souvent fort intéressantes. Il y en a d’auteurs dramatiques : Alexandre Duval, Beaumarchais, Victor Hugo, Étienne Arago ; de comédiens et comédiennes : Préville, Larive, Quinault l’aîné, Grandmesnil, Samson, Françoise Quinault, Louise Contat, Thérèse Bourgoin, Mlle Mézaray, Mlle Mars, Rachel ; de compositeurs et virtuoses : Spontini, Herold, Rossini, Meyerbeer, Weber, Paganini, Liszt, Donizetti, Grétry, Gossec, Cherubini, Mehul… Je ne résiste pas au désir d’en transcrire quelques-unes.

D’abord, ce très curieux reçu de Gounod :

« Reçu de M. J. Meissonnier, rue Dauphine, no 22, la somme de cent francs

comme premier payement de ma valse pour le piano dédiée à François Hünten dont je lui cède la propriété entière et exclusive.

7 mars 44.

Ch. Gounod.
 »


Nous sommes loin de Faust et de Roméo et Juliette. Mais qui pourra me donner des nouvelles de la valse dédiée à François Hünten ?

C’est en cette même année 1844 que Félicien David devenait tout à coup célèbre, à la suite de l’exécution de son Désert au Conservatoire. Voici un billet qu’il adressait quelques mois après à un marchand de musique, à propos de cet ouvrage :

« Monsieur,

À mon arrivée à Aix, je lis dans le Nouvelliste que vous venez de mettre en vente la partition avec piano du Désert. Ma présence momentanée à Aix permettant à mon ami Sylvain (Saint-Étienne) d’en placer et de faire les livraisons aux souscripteurs qui les ont demandées, ayez l’extrême obligeance d’en envoyer un certain nombre d’exemplaires demain matin par la diligence de 6 heures. Comptant sur cet envoi, Sylvain vient de le faire annoncer dans le Mémorial.

Sous peu de jours je serai à Marseille, où nous terminerons nos traités relativement aux concerts que je me propose de donner.

Votre dévoué serviteur.

F. David.
Vendredi 28 mars 1845. »


Voici maintenant une lettre charmante de Boieldieu, relative à une romance qu’il s’était chargé de mettre en musique. Je ne connais pas, à l’heure présente, où tant de musicastres qui n’ont rien produit n’en sont pas moins bouffis d’orgueil, beaucoup de compositeurs capables d’écrire une lettre empreinte de tant de bonne grâce et de modestie :

« Monsieur,

J’ai reçu avec reconnaissance la petite brochure que vous m’avez envoyée, et je désire sincèrement trouver un air digne du sujet que vous avez traité avec tant de charme. Je l’ai déjà essayé, Monsieur, et je n’ai point été satisfait de mon travail, il faut qu’il soit celui de l’inspiration, et nous sommes obligés souvent de l’attendre.

Je vous avoue, Monsieur, que la rime féminine à la fin de chaque couplet me gêne beaucoup… je retombe toujours dans une finale commune que je voudrais éviter

Enfin, je ferai tous mes efforts pour pouvoir réussir, et à moins que décidément mes vœux ne veuillent pas être exaucés, j’espère sous peu vous envoyer la romance mise en musique.

Je me conformerai à vos désirs, Monsieur, pour la dédicace.

Veuillez recevoir l’assurance des sentiments distingués de votre très humble et très obéissant serviteur.

Boieldieu.
Ce 18 mai 1814. »


C’est précisément à propos de Boieldieu — et de la cérémonie funèbre de son cœur à Rouen — qu’Adolphe Adam, qui avait été son élève préféré, écrivait l’intéressante lettre que voici :

« 
Paris, le 10 novembre 1834.

Monsieur.

Je viens de recevoir la lettre par laquelle vous m’invitez à me joindre aux compatriotes de mon illustre maître pour lui rendre les honneurs qu’a si bien mérités son beau génie.

Permette-moi de vous exprimer toute ma reconnaissance de l’honneur que me fait la ville de Rouen : je me garderai bien de manquer à cet appel fait à mon cœur, car qui plus que moi a pu sentir la perte immense que nous avons faite ? La ville de Rouen, riche de tant de célébrités, a perdu un de ses fils, et moi, c’est un père que je pleure. Si l’homme de génie a mérité vos hommages, l’excellent ami, l’homme doué de toutes les qualités du cœur et de l’esprit n’a pas moins droit à mes larmes. Je saisirai donc avec empressement cette occasion de lui donner une dernière marque de reconnaissance.

Daignez agréer, Monsieur, l’expression des sentiments distingués avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

Votre très dévoué serviteur.

Adolphe Adam.

P.-S. — Mes occupations ne me permettront pas de quitter Paris avant mercredi soir, mais j’arriverai à tems pour la cérémonie. Le célèbre pianiste

Zimmermann, aussi élève de Boieldieu, sera mon compagnon de voyage. »


Autre lettre de musicien, celle-ci de Victor Massé, qui l’adressait à M. Alfred Blanche, alors secrétaire général de la Préfecture de la Seine :

« 
7 août 1865.

Mon cher Monsieur Blanche,

On me dit que mon ami Pasdeloup a été nommé directeur du Théâtre-Lyrique. Pourra-t-il être directeur de théâtre, chef d’orchestre des Concerts populaires et des soirées du préfet, et directeur de l’Orphéon ? Il semble à première vue qu’il y a là de quoi remplis deux existences.

Si Pasdeloup était obligé de quitter l’Orphéon, je serais bien heureux de le remplacer. Voulez-vous bien me continuer votre bienveillance, qui, du reste, date déjà de loin, en me soutenant dans cette candidature hypothétique ?…

Vous avez toujours été si bon pour moi, que, le cas échéant, je sens que je pourrais compter sur votre puissant appui auprès du préfet de la Seine.

Permettez-moi de vous serrer la main affectueusement.

Victor Massé.
 »


Passons aux comédiens, ou plutôt aux comédiennes. Voici une lettre très digne et très fière que la séduisante Louise Contat adressait au commissaire du gouvernement chargé évidemment des intérêts de la Comédie-Française, lors de la reconstitution de ce théâtre à la suite des événements révolutionnaires qui l’avaient ruiné :

« 
Marseille, le 3 germinal ( ?).

Mon frère m’a instruite, citoyen commissaire, de la réclamation qu’il vous avait adressée, relativement au secours que vous avez fait distribuer aux artistes du théâtre de la République. Je m’empresse de vous informer qu’en faisant cette demande, il a consulté son zèle pour mes intérêts plus que mes intentions.

Je n’ai pas plus l’habitude d’exéder (sic) mes droits que de les abandonner, et quelque (sic) soit ma situation, je ne suis pas assez malheureuse pour que ma famille manque de ressource (sic) quand mes efforts lui sont consacrés.

J’ai eu l’avantage de vous écrire avant mon départ de Lyon, et j’ose me flatter que vous m’avez fait la grâce de me répondre aussi positivement qu’à mon frère.

Agréez, citoyen commissaire, l’assurance de mes sentiments.

Louise Contat.
 »


On croirait plutôt cette lettre écrite de la main d’un homme. En voici une plus féminine, d’une écriture fine, régulière et pleine d’élégance, due à cette toute charmante Juliette Mézeray que, quelques années plus tard, son terrible et funeste penchant à l’ivrognerie devait conduire à une fin lamentable :

« 
Ce dimanche deux décembre 1810.

Je n’ai pu vous donner des nouvelles, mon bon chat, puisque je n’en ai encore reçu aucune. Ce silence ne me dit rien de bon, et je suis déterminée à frapper maintenant aux grandes portes. Mais j’ai besoin de vos conseils ; je les réclame donc, et vous engage, si toutes fois (sic) vous n’avez rien de mieux à faire, à venir me voir lundy soir. Je ne joue que dans la première pièce, bien que l’on donne les Trois Sultanes : mais j’ai la poitrine et l’estomac tellement fatigués que je ne puis chanter, ce qui m’a obligée à refuser de rendre encore une fois ce service à la Comédie.

Bon jour, mon ami, faites-moi savoir si je puis compter sur le plaisir de vous voir demain.

Toute à vous, votre amie.

J. Mézeray.
 »


Il est ici question des Trois Sultanes, où Mlle Mézeray se faisait d’ordinaire applaudir doublement, non seulement pour son jeu, mais pour son chant. Elle était, en effet, douée d’une voix charmante et dont elle se servait avec habileté ; à ce point que pendant la Révolution et la débâcle de la Comédie-Française, lorsqu’une colonie de celle-ci s’en alla occuper le théâtre Feydeau conjointement avec la troupe lyrique, chacune d’elles jouant de deux jours l’un, il arriva qu’à diverses reprises {Mlle|Mézeray}} se joignit aux chanteurs de Feydeau et se montra dans plusieurs opéras-comiques.

Voici enfin un billet — non signé — de la grande Rachel, qu’elle adressait à Alexandre Dumas à l’époque des débuts très brillants de la jeune Madeleine Brohan à la Comédie-Française. On voit par ce billet que Dumas devait alors écrire une pièce pour elle :

« Venez me voir quand vous pourrez, et commencez dès ce soir à vous

mettre à l’œuvre. Faites deux pièces, l’une pour le lundi, l’autre pour le mardi, et la Comédie-Française aura quatre succès assurés dans la

semaine : Madeleine, Dumas et Rachel. »


La collection de M. Charavay, on lee voit, est intéressante. Je ne saurais pourtant l’épuiser, et il me faut ménager la place pour les autres.

(À suivre.)
Arthur Pougin.