L’Heptaméron des nouvelles/Prologue (deuxième journée)

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L’HEPTAMÉRON
D E S   N O U V E L L E S
DE
LA ROINE DE NAVARRE

DEUXIESME JOURNÉE


PROLOGUE


e lendemain se levèrent en grand desir de retourner au lieu où le jour précédent avoyent eu tant de plaisir, car chacun avoyt son compte si prest qu’il leur tardoyt qu’il ne fust mis en lumière. Après qu’ilz eurent ouy la leçon de Madame Oisille & la messe, où chascun recommanda à Dieu son esperit afin qu’il leur donnast parolle & grace de continuer l’assemblée, s’en allèrent disner, ramentevans les uns aux autres plusieurs histoires passées.

Et après disner, qu’ilz se furent reposez en leurs chambres, s’en retournèrent à l’heure ordonnée dedans le pré, où il sembloyt que le jour & le temps favorisast leur entreprinse, & après qu’ilz se furent tous assis sur le siège naturel de l’herbe verte, Parlamente dist :

« Puis que je donnay hier soir fin à la dixiesme, c’est à moy à eslire celle qui doibt commancer aujourd’huy, &, pour ce que Madame Oisille fut la première des femmes qui parla, comme la plus saige & ancienne, je donne ma voix à la plus jeune, je ne dictz pas à la plus folle, estant asseurée que, si nous la suyvons toutes, ne ferons pas attendre Vespres si longuement que nous feismes hier. Par quoy, Nomerfide, vous tiendrez aujourd’huy les rangs de bien dire ; mais, je vous prie, ne nous faictes poinct recommancer nostre journée par larmes.

— Il ne m’en falloit pas prier », dist Nomerfide, « car une de noz compaignes m’a faict choisir un conte, que j’ay si bien mis en ma teste que je n’en puis dire d’aultre, &, s’il vous engendre tristesse, vostre naturel sera bien mélencolicque :