L’Heure enchantée/Jeunesse

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L’Heure enchantéeAlphonse Lemerre, éditeur (p. 167-177).


JEUNESSE


 
Le jardin des églantines
Où mon cœur chantait Matines,

Le jardin s’est embrumé
Où nous avons tant aimé ;

Adieu, visions si blanches
Sur le vert doré des branches,

Baisers plus vite envolés
Que la caille dans les blés ;

Languissante, languissante,
S’en va l’heure adolescente,

 

Et dans la coupe des fleurs
J’ai vu scintiller des pleurs.

Ô chercheuse d’aventures,
Ô charme des créatures,

Lumière aux flots radieux,
As-tu déserté les cieux ?

Compatissantes étoiles,
Chères sœurs, pourquoi ces voiles ?

Quand vos flammes, ô couchants,
Brûlent la mer et les champs,

Quelle peine vous rend tristes ?
Qui pâlit vos améthystes,

Crépuscules si légers
Parmi les bois d’orangers ?

— Ah ! comment ne pas comprendre ?
Cette amoureuse si tendre,

Ce trésor de pureté,
Cette idéale beauté,

Ce n’était que ta jeunesse ;
Crois-tu donc qu’elle renaisse ?


II


Ô jeunesse aux grands yeux, jeunesse aux cheveux blonds
Qui poses, dés l’aurore, un pied dans la rosée ;
Dame du clair matin, pareille à l’épousée
Que le seigneur amène au son des violons,

Toi qui vas les bras nus, les tresses dénouées,
Rieuse, à travers l’ombre et la nuit et le vent ;
Toi qui pour diadème as le soleil levant
Et dont la robe rose est faite de nuées,

Que ton charme est puissant et doux ! Les plus hardis,
Fléchissant le genou, t’adorent en silence ;
Pur comme l’encensoir qu’une vierge balance,
Le ciel se teint pour toi d’un bleu de Paradis ;

Et dans le pays vert où ta grâce ingénue
Sous le baiser d’avril éclate en liberté,
Pleins de ton allégresse et fous de ta beauté,
Les oiseaux, par milliers, célèbrent ta venue.

Ta sveltesse ineffable est celle du bouleau,
Ta voix nous berce ainsi qu’une chanson lointaine ;
Comme un lys qui s’effeuille au bord d’une fontaine,
Ton corps délicieux a la fraîcheur de l’eau.


Tu ressembles parfois à la biche craintive
Qui, l’oreille aux aguets, sent venir le chasseur ;
Ta bouche, au clair de lune, a l’étrange douceur
De la belle-de-nuit et de la sensitive.

Parfois, lasse d’avoir suivi les papillons,
Tu mires ton visage à la source des fées,
Et l’odeur des lilas t’arrive par bouffées
Dans la brise qui vague et le chant des grillons.

Et puis, comme Diane errant par la clairière,
Le carquois sur l’épaule, avec ses lévriers,
Sur un fond d’azur pâle et de genévriers
Tu resplendis, superbe et chaste, ô ma guerrière.

Telle je t’aperçus pour la première fois
Dans le brouillard léger de l’aube qui se lève,
À cette heure où la vie est comme un divin rêve
Que traverse un soupir de flûte ou de hautbois.

Près du ruisseau d’argent, dans la forêt mystique
Où tremble, vers le soir, un chant de volupté ;
Près des cascades d’or, dans le cirque enchanté,
Ton appel virginal était comme un cantique.

Enfant émerveillé, j’allais par le chemin ;
Je regardais danser le soleil sur la mousse.
Adorable et terrible, éblouissante et douce,
Tu m’apparus, Jeunesse, une rose à la main !


III


Et, tandis qu’au ciel montait l’alouette,
Je courus à toi, timide et joyeux
Je courus à toi, charmeuse aux doux yeux
Couleur de pervenche et de violette.

L’aurore, en sa robe aux mille couleurs,
S’éveillait parmi les blondes feuillées ;
De sa traîne un flot de perles mouillées
Tombait lentement sur la terre en fleurs.

Sur le val fleuri, dans l’herbe fleurie,
Comme un ruban bleu la brume ondulait ;
Par delà les bois, au loin s’envolait,
Dans le grand silence, une sonnerie.

Avec la lumière, au lever du jour,
Égrenez longtemps vos notes légères,
Du frêle bonheur folles messagères,
Cloches de cristal, ô cloches d’amour !

Je suis prisonnier de dame Jeunesse
Et mon cœur bénit sa douce prison ;
Le jardin féerique est mon horizon,
Le seul à jamais que je reconnaisse.


Ô fraîcheur exquise, ô paix du matin,
Souffles vagabonds, brises familières !
La source bruit parmi les bruyères,
En son lit de moire et de vert satin.

Muguet, primevère, œillet, campanule,
Calices d’argent, d’or où de vermeil,
Tout s’ouvre au premier rayon de soleil
Où se jouent l’abeille et la libellule.

Dans l’air assoupi, sous les noirs fourre
Où le rossignol ardemment prélude
Passe un long soupir de béatitude
Dont tous les échos sont enamourés.

Et partout voici que se fait entendre,
Ainsi qu’un orchestre invisible et doux,
Le chœur des lutins caché dans les houx,
La chanson d’avril, éperdument tendre.

Ah ! ta chère aubade, ô musicien,
Comme elle nous berce, et comme elle est brève !
Où vont les serments qu’on se fait en rêve,
La voix qui se meurt et le charme ancien ?

Délices de l’âme, adorable ivresse,
Pourquoi tout à coup nous abandonner ?
Printemps de nos cœurs, pourquoi te faner
Sous les doigts rosés de l’Enchanteresse ?


IV


C’en est fait, c’en est fait. La rafale a soufflé,
Les arbres dépouillés ont incliné leur tête,
Le château de la Joie, hélas ! s’est écroulé.

Les ombrages discrets et les salles de fête
Où voltigeaient le rire et les propos galants,
N’entendront désormais parler que la tempête.

Porches enguirlandés, marbres étincelants,
Images de douceur et de mélancolie,
Endormez-vous, dans l’herbe, avec les rosiers blancs.

Celui qui vous a faits maintenant vous oublie ;
Votre gloire est à terre et ne peut refleurir.
Vous avez moins duré qu’un moment de folie !

Au prochain renouveau bien des cœurs vont s’ouvrir,
Mais tu ne viendras plus, à l’aube, ô mon aimée,
Me dire un de ces mots dont on voudrait mourir ;

Je n’irai plus, craintif, à travers la ramée,
Éveiller d’un baiser la Belle au bois Dormant ;
La porte aux clous d’ivoire est à jamais fermée.


Pourtant j’ai retenu le vieil enchantement.
Du profond de ma nuit, l’enfant aux longues tresses
Se lève comme un ange au seuil du firmament.

La voici comme au jour des dernières tendresses,
Un brin de marjolaine à son corset doré ;
J’ai sur la bouche encor le miel de ses caresses.

Je revois la splendeur de son corps adoré,
Mon désespoir tressaille au souffle de sa joie,
Je reconnais ses yeux qui n’ont jamais pleuré.

Ô Jeunesse, il te faut, sous l’azur qui flamboie,
Dans la maison qu’endort l’arôme du jasmin,
Le doux frémissement des échelles de soie.

Tu n’as pas comme nous la peur du lendemain,
Tu restes aux pays des fêtes éternelles,
Ton cœur est sans pitié pour qui tombe en chemin.

Ah ! combien vont brûler au feu de tes prunelles ?
Dis-leur tout bas ces mots qui nous rendaient heureux,
Unis pour un instant leurs âmes fraternelles.

Laisse nonchalamment, laisse tomber sur eux
L’illusion céleste et le divin mensonge ;
Qu’une chère minute ils se croient amoureux !


Moi, semblable à l’enfant qu’on éveille en plein songe
Et qui ne peut se faire à la réalité,
Je regarde, anxieux, ma route qui s’allonge.

Qui sait à quel désert, quelle morne cité
Aboutira soudain cette route inconnue ?
Devant ce blanc serpent je suis épouvanté.

Quel silence de mort dans la campagne nue !
Où sont les mille voix qui, sous les chênes verts,
Aux matins triomphants disaient ma bienvenue ?

Dois-je croire à présent que le vieil univers,
Comme un tableau fané, passe et se décolore ?
N’est-ce pas moi, jadis, qui vis les cieux ouverts ?

Il faut tourner le dos au pays de l’aurore ?
Quels marais abhorrés trouverai-je en marchant ?
Quelles roses de deuil à mon soir vont éclore ?

N’importe ! Je m’en vais, je m’en vais sans un chant
Qui puisse réjouir mon âme désolée,
Je m’en vais sans espoir au-devant du couchant.

Mais avant d’arriver à la sombre vallée,
Je veux sentir encor l’odeur de tes lilas,
Jeunesse inoubliable, enfant immaculée !


Je ne blasphème pas, je ne t’accuse pas.
Je sais trop aujourd’hui, Déesse que je pleure,
Quel éternel printemps doit naître sous tes pas.

Nous disparaissons tous et ta beauté demeure.
Immortelle, combien tu dois nous mépriser,
Nous dont l’enivrement ne dure pas une heure ?

Parfois nos cœurs chétifs ont l’air de s’embraser ;
Ce n’est qu’un feu de paille et la brise qui passe
Emporte nos ardeurs avec notre baiser.

Mais, toujours accablés du poids de ta disgrâce,
Comme des courtisans loin de leur souverain,
Nous languissons, privés du charme de ta grâce.

Et toujours nous revient le son du tambourin
Qui servait de signal à ceux de tes fidèles
Que fleurit la verveine avec le romarin.

Oiseau bleu, bel oiseau qui fuis à tire d’ailes,
Que ne peux-tu venir, ne fût-ce qu’un instant,
Consoler notre toit comme les hirondelles ?

Rien ne t’arrête, hélas ! Idéal inconstant ;
À peine voyons-nous ton ombre, ô Poésie,
Que vers d’autres soleils tu t’en vas en chantant.


Princesse du caprice et de la fantaisie,
Échanson de la joie, à de meilleurs que nous
Porte la coupe rose où mousse l’ambroisie.

Mais qu’une fois encor je tombe à tes genoux,
Comme l’amant qui pleure au nom de sa maîtresse
Et dont le triste amour ne fait pas de jaloux ;

Permets qu’à travers bois, ô nymphe chasseresse,
Je suive de bien loin le cœur de tes élus ;
Laisse-moi te bénir du fond de ma détresse

Jeunesse aux cheveux blonds qui ne me connais plus !