L’Heure enchantée/Clairs de lune

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L’Heure enchantéeAlphonse Lemerre, éditeur (p. 157-163).


CLAIRS DE LUNE


 
Ô perle du monde,
Délices des cieux !
Lune aux jolis yeux,
Lune rose et blonde,

Belle au cœur changeant,
Dame de mon rêve,
Dont le vent soulève
Les tresses d’argent,

Par delà les saules
À demi dans l’eau,
Derrière un bouleau
J’ai vu tes épaules.

 

Dans un halo d’or,
Ta forme hautaine
Apparaît lointaine,
Indécise encor.

Et puis elle passe,
Lente, sur les prés.
Tes cheveux cendrés
Parfument l’espace.

En sa douce fleur,
Ta gorge ressemble
À l’oiseau qui tremble
Devant l’oiseleur.

Où ton doigt se pose,
Frêle papillon,
S’envole un rayon,
S’entr’ouvre une rose.

Ta beauté soudain
Resplendit sans voiles.
Des claires étoiles
Pâlit le jardin.

L’étang qui s’allume
Berce ton corps blanc,
Ton corps nonchalant,
Tout fleuri d’écume.

 

Est-ce le grand jour
Ou la jeune aurore
Qui charme et colore
Les blés d’alentour ?

Ô nuit toute blanche,
Nuit d’enchantements !
De purs diamants
Sont à chaque branche !


II


 
Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

La nuit est brune.
On entend le pipeau.
C’est dame Lune
Qui garde son troupeau.

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

Ma petite âme,
Envole-roi gaiement.
On te réclame,
Là-bas, au firmament.

 

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

Voici qu’on ouvre
La maison du bon Dieu.
Pars et découvre
Le nid de l’oiseau bleu.

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

Vois dans les roses,
Au milieu du jardin,
Les moutons roses
Qui font dredin din din.

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

Pour toi, mon ange,
C’est fête en Paradis.
Chacun se range
Devant tes yeux hardis.

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !

Jésus t’ordonne
De venir l’embrasser,
Et la madone
A voulu te bercer.

 

Dodo, dodinette,
Dors, marionnette !


III


Tous les vains bruits se sont apaisés.
Dans l’or et le bleu du soir qui tombe,
Doux comme l’appel de la colombe,
Frémissent encor quelques baisers.

Bleu du crépuscule, ô bleu si tendre,
Doux comme les yeux qu’on aime tant,
Robe que la nuit passe en chantant,
Dès qu’un rossignol s’est fait entendre,

Rais de lumière au-dessus des monts,
Plaintes d’angelus dans la fumée,
Gazouillis d’oiseaux sous la ramée,
Pareils aux refrains que nous aimons,

Comme vous savez d’un autre monde
Parler à mi-voix au cœur lassé !
Évoquez pour moi le cher passé,
Le cher passé mort avec ma blonde.


Tous les vains bruits se sont apaisés.
Le soleil expire et la nuit tombe.
Au firmament avec la colombe,
Vite envolez-vous, derniers baisers.

Dans l’or et le bleu la lune rose,
Comme autrefois, s’éveille à demi.
À sa lueur le bourg endormi
Semble un insecte au cœur d’une rose.

Entrecoupé d’ombre et de clarté,
Le ruisseau d’argent bruit à peine.
On croirait entendre une âme en peine,
Pleurant tout bas le temps enchanté.

Et l’air fraîchit et le vent se lève.
Un souffle a passé par la forêt.
Sous les bouleaux voici qu’apparaît,
Dans l’or et le bleu, mon ancien rêve.

C’est la pâle fleur de mon printemps,
Cueillie à l’aube un jour de dimanche.
Un bouquet fané dans sa main blanche,
C’est le triste amour de mes vingt ans.

Sa chevelure qui se défrise
Nonchalamment flotte sur son cou.
Ses yeux, trop clairs, sont les yeux d’un fou.
Son manteau brodé fuit dans la brise.


Il vient lentement, et, sur ses pas,
Les lys d’antan s’efforcent d’éclore.
Ah ! c’est la nuit et c’était l’aurore ;
Il voudrait sourire et ne peut pas.

Ses belles couleurs sont effacées
Et l’heure est prochaine ou sur son front,
Dans l’or et le bleu, s’effeuilleront
Les volubilis et les pensées !