L’Heure enchantée/Tristesse de la Vierge

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Tristesse de la Vierge.

L’Heure enchantéeAlphonse Lemerre, éditeur (p. 149-153).


TRISTESSE DE LA VIERGE


I


 
Relevant de sa main blanche
Ses cheveux couleur de miel,
La Vierge un instant se penche
Au balcon doré du ciel.

Elle regarde le monde
Qui s’éveille à l’Orient,
Les étoiles dont la ronde
Passe, passe en tournoyant.

Aucun bruit dans l’étendue
À peine le cri lointain
D’une alouette éperdue,
Appelant le gai matin.

 

Et cette voix qui s’élance
Vers l’azur et les clartés,
Se fond dans le grand silence
Des espaces enchantés.


II


 
La Vierge écoute. Elle rêve,
Seulette au balcon des cieux.
Doucement le jour se lève,
Illuminant ses doux yeux.

Tout semé de rayons roses,
Le ciel s’éclaire, et soudain
La terre, au milieu des roses,
Apparaît comme un jardin.

Avec sa verte ceinture
De forêts au front changeant,
Elle semble, à l’aventure,
Voguer sur un lac d’argent.

Qu’elle est charmante et fleurie,
Sa face au-dessus des eaux !
Que d’allégresse attendrie
Dans le chant de ses oiseaux !

 

La vierge rêve. Elle admire
La parure des prés verts ;
En ses yeux divins se mire
La fraîcheur de l’univers.

Son âme s’est envolée,
Légère comme autrefois,
Vers l’heureuse Galilée
Où l’eau chante dans les bois.

Elle a connu cette aurore,
Quand elle était parmi nous ;
Elle croit sentir encore
Son enfant sur ses genoux.

À quoi bon le chœur des anges,
Le Paradis et sa cour,
Puisque Jésus dans ses langes
Lui sourit avec amour !


III


 
Délicate fleur du songe,
Que ton éclat dure peu !
Était-ce donc un mensonge,
Cette paix du grand ciel bleu ?

 

Sur le riant paysage
Une ombre noire a passé ;
L’homme a montré son visage,
La vie a recommencé.

La vierge qui s’inquiète
Se penche, et son cœur aimant
Entend la plainte que jette
Le monde éternellement.

Dieu, là-bas, tant de souffrance
Et qui fait si peu de bruit !
Que d’êtres sans espérance
Ont pleuré toute la nuit !

C’est grand’pitié. Notre Dame
Soupire en joignant les mains,
Comme au temps où, pauvre femme,
Elle errait par les chemins.

Elle se voit quasi morte
De lassitude et d’effroi ;
Chacun lui ferme sa porte ;
Son petit Jésus a froid.

Son enfant, tout son courage,
Ah ! comment le protéger !
Les bourreaux sont à l’ouvrage,
On va venir l’égorger.

 

Et celle dont la parole
Éblouit le firmament,
Sur la terre, hélas ! si folle,
Pleure, pleure amèrement.