L’Histoire de Merlin l’enchanteur/27

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Librairie Plon (1p. 95-98).


XXVII


Or, dans le temps que Jésus-Christ fut crucifié, Tiberius César tenait l’empire de Rome, et il le tint bien encore dix ans après. Ensuite vint Gaius, son fils, qui vécut sept ans. Puis Claudius, qui régna quatorze ans ; puis Titus. À la troisième année du règne de Titus, son fils Vespasianus tomba malade d’une lèpre si puante que ceux mêmes qui l’aimaient le plus n’en pouvaient supporter l’odeur, et qu’on le mit en une chambre de pierre où on lui donnait à manger par une petite fenêtre, au bout d’une pelle. Son père en avait grand deuil et promit qu’il accorderait à celui qui guérirait Vespasianus tout ce qu’il souhaiterait.

« Ainsi vint à lui un chevalier de Capharnaüm qui avait été en Judée au temps où Notre Sire était encore de ce monde. Et il dit à l’empereur :

« — Sire, moi aussi j’ai été malade en ma jeunesse, mais il y avait alors, outre-mer, en la terre de Judée, un homme que l’on appelait le bon prophète, et qui faisait marcher les infirmes et rallumait les yeux des aveugles.

« Quand l’empereur entendit cela, il envoya des lettres scellées au bailli de Judée, qui était alors Félix, et celui-ci fit crier par tout le pays que, si quelqu’un avait un objet que Jésus eût touché, il l’apportât. Une vieille femme, nommée Vérone, se présenta devant lui :

« — Sire, dit-elle, le jour que l’on menait le saint prophète au supplice, comme je passais près de lui portant une pièce de toile, il me pria d’essuyer son visage qui dégouttait de sueur, et je lui enveloppai le chef de ma toile et le lui séchai. Et quand, plus tard, je la regardai, je vis que sa face y était restée portraite.

« Ce disant, elle lui remit le linge, et Félix aperçut que le visage de Jésus-Christ s’y voyait aussi nettement que s’il y eût été nouvellement peint

« — Grand, merci, douce dame, dit-il à la vieille.

« Et il l’envoya à Home sans tarder, où l’empereur la reçut très bien. Lorsque Titus eut la toile entre les mains, il s’inclina trois fois, malgré lui, dont ceux qui étaient là s’émerveillèrent ; puis il porta le linge dans la chambre où son fils était emmuré. Et, sitôt qu’il eut vu la semblance de Notre Seigneur, que l’on appela plus tard la Véronique, Vespasianus se trouva aussi sain de corps que s’il n’eût jamais été souffrant.

« Alors il partit pour la Judée où il fit occire tant de juifs que je n’en sais le compte. Quand elle apprit cela, la femme de Joseph d’Arimathie vint lui conter comment son mari avait disparu. Mais Vespasianus avait beau brûler des juifs, ceux-ci ne voulaient rien dire. À la fin, pourtant, il y en eut un qui confessa la vérité et qui le mena devant le pilier. Le fils de l’empereur s’y fit descendre lui-même, par une corde, et il y trouva Joseph au milieu de la plus grande clarté du monde, qui lui dit tranquillement :

« — Bien venu sois-tu, Vespasianus !

« — Qui es-tu, toi qui me nommes ?

« — Je suis Joseph d’Arimathie.

« — Et qui t’apprit mon nom ?

« — Celui qui sait toutes choses, Celui qui t’a guéri. Si tu voulais, je t’enseignerais à Le connaître et à croire en Lui.

« Vespasianus consentit, et Joseph lui conta comment, au temps de l’empereur Augustin César, il advint que Dieu envoya son ange à une pucelle qui avait nom Marie, à qui il annonça qu’elle serait enceinte sans péché du Fils de Dieu ; et comment elle répondit : Notre Sire fasse de moi sa volonté comme de sa chambrière ! » et comment, étant venue à son terme, elle enfanta un beau valet qui eut nom Jésus-Christ ; et comment il fut mis en croix et ressuscité. Si bien que Vespasianus fut converti. Aussi, en sortant du pilier avec Joseph, il se mit à vendre à tous ceux qui en voulurent des juifs à raison de trente pour un denier.

« En voyant Joseph vivant, et plus jeune de corps qu’au jour de sa réclusion, trente ans plus tôt, tout le monde s’émerveilla ; et lui, il s’étonnait de leur étonnement, car il lui semblait que sa prison n’avait duré que du vendredi au dimanche. Sa femme accourut pour le baiser : il la regarda curieusement, parce qu’il la trouvait vraiment fort changée. La nuit il entendit une voix qui lui commandait de se faire baptiser, puis de partir avec sa femme, ses fils et tous ses parents, sans prendre ni or, ni argent, ni chaussure, ni rien autre que sa sainte écuelle. Et, en effet, dès le lendemain, il manda les siens et les convertit ; puis il s’en fut avec eux, emportant le vase très précieux dans une arche qu’il leur avait ordonné de construire, vers de lointaines terres qu’il convertit à Jésus-Christ.