L’Histoire de Merlin l’enchanteur/36

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Librairie Plon (1p. 123-125).


XXXVI


« Le lendemain Josephé connut que son dernier jour était arrivé. Il fit appeler son plus jeune frère, Alain le Riche Pêcheur, qui lui promit de servir le Graal aussi longtemps que l’âme lui battrait au corps.

« — Beau doux ami, vous serez donc gardien du saint vase après ma mort, lui dit Josephé : je vous en investis et revêts ; et, quand vous aurez laissé le monde terrestre, vos descendants en seront seigneurs après vous ; et, en souvenir de vous, ils seront surnommés les Riches Pêcheurs. »

« Après la mort de Josephé, Alain quitta le pays avec le Graal. Il parvint dans un royaume peuplé de sottes gens payennes qui ne savaient rien, hors cultiver les champs ; on l’appelait la Terre Foraine. La régnait un roi lépreux, nommé Kalaphe. Alain vint à lui et lui promit qu’il le guérirait pourvu qu’il fît ce qu’il lui dirait.

« — Si vous me jurez de me rendre la santé, répondit le roi, vous ne m’ordonnerez rien que je n’accomplisse.

« — Roi, abandonne donc la loi sarrasinoise, et fais-moi couper la tête si ensuite tu n’es guéri.

« Kalaphe commanda d’abattre et brûler ses idoles, et Alain lui donna le saint baptême, en le nommant Alphasem ; puis il fit apporter le Graal, et, dès qu’il l’eut vu, le roi se sentit tout à fait sain. Même, il devint si prud’homme qu’il fit occire tous ceux qui ne voulurent pas devenir chrétiens comme lui, de manière que tout le pays fut converti en moins d’un mois.

« Ensuite Alphasem donna sa fille à Alain. Puis, pour conserver le Graal, il construisit un fort château qui fut nommé Corbenic, c’est-à-dire Très Saint Vase en chaldéen, dont il le fit roi et seigneur. Et Alain engendra Aminadap, et Aminadap Cathelois, et Cathelois Manaal, et Manaal Lambor, et Lambor Pellehan, et Pellehan Pellès, qui tous furent surnommés les riches rois Pêcheurs.

« Du roi Pellès naîtra une pucelle qui passera en beauté toutes les femmes et elle mettra au monde celui qui connaîtra la vérité du Saint Graal et achèvera les temps aventureux. »

Merlin se tut un petit moment ; puis il dit encore au roi Artus :

— Roi, le chevalier qui occupera le siège périlleux à la table du Graal aura place sur un autre siège vide à une autre table qui sera établie en mémoire de celle de la Cène. Et il t’appartient de dresser cette table, qui sera la troisième, en mémoire de la sainte Trinité. Tu en auras grand honneur, car il en adviendra de ton vivant maintes merveilles dont il sera mémoire à travers les siècles.

Artus répondit qu’il en serait fait selon la volonté de Jésus-Christ.

— Mais où vous plaira-t-il de fonder cette table ? demanda Merlin.

— Où vous saurez, beau doux ami, que le souhaite Notre Sire.

— Ce sera donc à Carduel en Galles. Là, à la Noël, j’élirai les chevaliers qui y doivent siéger.