L’Homme à la longue barbe/6. L’Enlèvement

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CHAPITRE VI.

L’Enlèvement.


Mais le temps des persécutions était définitivement arrivé, et le Superbe ne put se soustraire plus long-temps aux poursuites de l’autorité, que lui suscitaient journellement sa haine contre le gouvernement républicain, ses dangereux exploits, et surtout les secours qu’à cette époque terrible son âme grande et généreuse lui commandait d’apporter à ses frères malheureux et proscrits.

Victimes de leur zèle pour la cause des Bourbons, arrêtés et condamnés à mort par un tribunal de sang, deux hommes, que nous nous abstiendrons de nommer, l’un parce que nous ne le connaissons pas, l’autre parce que nous le connaissons trop, tous deux jeunes et à cette saison de la vie où l’avenir est tout espérance, se préparaient en fredonnant à la quitter. Captifs et gardés à vue à l’Hôtel-Dieu de Bordeaux, le lendemain devait éclairer leur triomphe ; le lendemain ils montaient à l’échafaud.

Le Superbe résolut de les sauver ; ils devaient l’être. Il communique son projet à plusieurs jeunes gens intrépides comme lui, ou du moins sur qui rejaillissaient quelques reflets de sa propre intrépidité. L’on discute, l’on s’entend. Il fallait le mot d’ordre pour pénétrer à l’Hôtel-Dieu. Un individu le possède ; on l’invite à souper ; on le fait boire ; son secret lui est arraché ; c’est le mot victoire. Des habits de gardes nationaux sont indispensables ; comment se les procurer ? On court au théâtre ; la directrice, madame Latapie, prête les costumes ; on les emporte chez la maîtresse du Superbe ; les jeunes conjurés s’y travestissent ; on part, on arrive ; le cri d’usage qui vive ! est prononcé par les gardes républicaines : on leur répond par le mot victoire ! et, baïonnette au bout du fusil, les jeunes victimes sont enlevées.

Les faux gardes nationaux, comme on le pense bien, n’avaient eux-mêmes d’autre parti à prendre que celui de la fuite ; mais deux d’entr’eux, le Superbe et un autre, arrêtés à Saintes, furent plongés dans les fers jusqu’au moment de l’instruction du procès, dans lequel ils triomphèrent, grâce à la mâle éloquence du célèbre avocat Ferrère, venu de Bordeaux pour les défendre.