L’Homme et la Terre/II/06

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Librairie Universelle (tome 2p. 125-228).


EGYPTE : NOTICE HISTORIQUE

Sous réserve des observations présentées dans les pages suivantes, nous donnons ici la liste des dynasties égyptiennes, les principaux monarques et quelques-uns des travaux ou événements contemporains. Les chiffres entre parenthèses — durées des dynasties et dates — ressortent des listes de Manéthon, les autres dates — ère chrétienne — sont empruntées aux ouvrages de Flinders Petrie et Amélineau.

Epoque prépharaonique : ire pyramide de Sakkarah ? Sphinx ? Temple de Granit rose ?
ire 
Dynastie (263 ans). Ménès (Mina). Teti, Ateti, Ata, etc. (de −5833 à −5570).
2e 
Dynastie (302 ans). Binuter, Noferkheris, etc. Tombeau de Tothotep à Sakkarah.(à −5268)
Ces deux dynasties étaient d’origine thinite.
3e 
Dynastie (214 ans). Sesorthos, Tosertasis, etc. Tombeaux à Sakkarah.
4e 
Dynastie (284 ans). Snefru (Soris, Sosiris), Khufu (Kheops), Khafra (Khe-phren), Menkera, Aseskaf, etc. Pyramides de Giseh, statue en bois du Cheik-el-beled, etc.(à −4770) −4000
5e 
Dynastie (248 ans). Userkaf, Unas, etc. Pyramides à Sakkarah et tombeau de Ti.(à −4522) −3700
Ces trois dynasties étaient d’origine memphite.
6e 
Dynastie (205 ans), originaire de l’île d’Elephantine. Teti, Ati, Pepi Ier, Merenra, Pepi II, reine Nitokris, etc. Explorations africaines. Stèle d’Uni, achèvement de la 3e Pyramide de Giseh, tombeaux à Zauiet-el-Maietin.
7e 
et 8eDynasties (146 ans), d’origine memphite.(à −4171)
9e 
Dynastie (409 ans), originaire d’Heracleopolis ainsi que la
10e 
Dynastie (185 ans). Tombeaux à Siut.(à −3577)
11e 
Dynastie (43 ans). Nécropole de Drah-abul-Neggah.(à −3534) −2800
12e 
Dynastie (161 ans). Epoque des Amenemhat (I à IV) et des Usertesen (I à III). Luttes en Nubie. Obélisques, statues, temples, tombeaux à Beni-Hassan, Labyrinthe et lac Mœris.(à −3373) −2700
Ces deux dynasties sont d’origine thébaine.
13e 
Dynastie (453 ans). Sebekhotép, Nofrehotep, etc. ; peu de monuments.
14e 
Dynastie (184 ans), originaire de la ville de Xoïs ; peu de monuments.
15e 
et 16eDynasties, celles des rois pasteurs ; elles auraient régné respectivement 284 et 518 années : Bnon, Staan, Apophis. Sphinx à Tanis, leur capitale.(à −1834)
17e 
Dynastie (151 ans), délivra l’Egypte du joug des Hyksos.
18e 
Dynastie (263 ans), Ahmès Ier, Amonhotep Ier, Thutmos Ier, II (reine Hatchopset) et III, Amenhotep II, Thutmos IV, Amenhotep III et IV (crise religieuse), Horemheb, etc. Incursions en Syrie, en Ethiopie. Temple de Deir-el-Bahary, obélisque et pylône de Karnak, colosses de Memnon.(à −1420)
−1450
19e 
Dynastie (200 ans). Ramsès I, Seti I, Ramsès II, Menephtah, etc. Contact avec les Hittites. Temples d’Abydos, d’Ibsambul, Ramesseum, obélisques de Luksor, tombeaux à Biban-el-Moluk.
−1260
20e 
Dynastie (140 ans), Ramsès III, etc. Temple de Medinet-Habu.
−1100
Les dynasties 17 à 20 sont généralement groupées sous le nom de nouvel empire thébain.
21e 
Dynastie, tanite (150 ans). Pinodjem, etc. Grands prêtres d’Ammon régnent à Thèbes. Cachette de Deir-el-Bahary.
22e 
Dynastie (libyenne — 120 ans). Cheehonk (I à IV), Osorkon, etc, ; peu de monuments, décadence politique.
−950
23e 
Dynastie (89 ans), d’origine tanite.
24e 
Dynastie (6 ans), saïte. Tofnakht et Bokenranf. Luttes avec la Nubie.
25e 
Dynastie (éthiopienne). Ghabaku (reine Ameniritis), Chabatoka, Tahraka. Défaites répétées des Egyptiens par les Assyriens.
De −715 à −656
26e 
Dynastie (saïte). Stephinates, Niko (Nechao) I et II, Psamitik I et II, Uahibri, Ahmès (Amasis). Psamitik III. Rapports avec les Grecs, périple d’Afrique. Nombreux tombeaux, époque dite de la Renaissance saïte, restauration d’anciens monuments.
−525
27e 
Dynastie (perse); Kambyse, Darius, Xerxès, etc.
−405
28e
29e et 30e Dynasties, derniers rois égyptiens, originaires de Sais, de Mendès, et de Sebennytès. Temples de Philæ et restaurations. Nakletnebef (Nectanebo) battu par les Perses.
−340
31e 
Dynastie (perse), Darius III battu par Alexandre.
−332
32e 
Dynastie (macédonienne). Fondation d’Alexandrie.
−305
33e 
Dynastie, Ere des Ptolémées (I à X), Cléopâtre. — Contact avec les Romains. Les temples de Denderah, d’Edfu datent de cette époque, ainsi que de nombreuses restaurations d’anciennes œuvres d’art. — L’Egypte devient province romaine en l’an 728 de la fondation de Rome.
−30

masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
ÉGYPTE
Les alluvions se faisaient plantes
et les épis de blé se changeaient
en hommes.


CHAPITRE VI


VALLÉE DU NIL. — CLIMAT. — PRÉHISTOIRE. — FLORE ET FAUNE. — PROTOHISTOIRE

INVASIONS. — RÉGIME DES EAUX ET CULTURE
DESPOTISME. — DIVINITÉS. — PRÊTRES. — ROIS. — MORT ET IMMORTALITÉ
PYRAMIDES. — ARCHITECTURE. — SCIENCES ET INDUSTRIE

LITTÉRATURE. — ÉGYPTIENS ET ÉTRANGERS

Le grand fleuve africain correspond aux courants jumeaux du Tigre et de l’Euphrate, et sur ses bords naquit une civilisation parallèle à celle de la Mésopotamie, se perdant également dans l’obscurité des âges antérieurs à l’histoire. Ce parallélisme des deux cultures se montre d’une manière si frappante dans la perspective des siècles qui nous ont légué l’héritage du savoir que le souvenir des Chaldéens réveille aussitôt celui des Egyptiens : on ne saurait parler de l’œuvre des uns sans qu’on pense immédiatement au travail des autres. D’ailleurs, ils furent réellement associés dans une grande évolution commune, car ils ne cessaient d’agir et de réagir par leur influence réciproque, tantôt en un contact direct, tantôt par l’intermédiaire des populations limitrophes. Les analogies sont très nombreuses dans ce développement social des deux groupes ethniques, mais ce mouvement présente aussi de très frappants contrastes, provenant de la différence du milieu géographique.

La variété est beaucoup plus grande dans les va-et-vient historiques des peuples de la Mésopotamie, parce que la nature elle-même est plus variée dans le bassin des deux fleuves. L’espace intermédiaire qu’ils limitent de part et d’autre est, par endroits, d’une grande largeur, même de 100 à 150 kilomètres, et les canaux d’irrigation qui le parcouraient dans tous les sens le transformaient en une merveilleuse campagne de verdure ou de moissons jaunies. A l’est du Tigre, la plaine, çà et là cultivée, se prolonge jusque dans le cœur des monts par des vallées fertiles ; autant d’avenues naturelles qui facilitaient l’accès du plateau d’Iran. A l’ouest de l’Euphrate, le désert côtoyait, il est vrai, la rive du fleuve dans une partie de son cours, mais pour se changer peu à peu en steppe dans la direction du nord. De tous les côtés la Mésopotamie se trouvait donc en contact avec des tribus ou des peuples limitrophes, qui pouvaient modifier son évolution historique. Le Nil, au contraire, réduit à un seul courant, dans une étroite vallée que limitent des falaises et les pentes rocheuses des monts, n’est, en réalité, qu’un simple ruban, comparé à l’ensemble territorial de son bassin : de l’un à l’autre versant la zone des cultures varie de 5 à 25 kilomètres ; il existe même un défilé, entre Thèbes et Assuan, celui de la « Chaîne », large de 1 200 mètres, où la campagne se trouve complètement interrompue.

L’histoire de la vallée nilotique correspond à sa géographie. La population des laboureurs s’est pressée dans la longue cavité que remplissent les alluvions du fleuve, entre les deux escarpements opposés des montagnes, tandis que, de part et d’autre, les espaces sableux ou rocheux qui bordent la dépression du Nil sont ou bien sans habitants ou parcourus seulement par de pauvres tribus errantes, trop faibles pour qu’il leur ait été possible d’exercer la moindre intervention efficace dans l’évolution politique et sociale des populations de la vallée.

N° 128. Vallée du Nil, au-dessus de Memphis.
Les grands changements survenus dans l’évolution historique du peuple égyptien se sont tous propagés le long de la vallée, soit du sud au nord, dans le même sens que le courant du fleuve, soit du nord au sud, à contre-flot. Il ne pouvait pas en être autrement, car les migrations et les conquêtes devaient prendre l’une ou l’autre de ces directions par les portes largement ouvertes qu’offraient, d’un côté le delta, aux rameaux du fleuve épanouis, de l’autre le pays du haut Nil, avec son chevelu de rivières affluentes, nées des hautes terres de l’Ethiopie ou des vastes plaines centrales du continent. De ces deux mouvements qui se propagèrent en sens inverse dans la vallée du Nil inférieur, quel fut le plus important pour la destinée du peuple dont les multitudes se pressent dans les campagnes nilotiques ? C’est là ce que la protohistoire n’a point encore révélé ; mais le mouvement qui vint du nord nous est le plus connu, puisque les historiens, Sémites ou Grecs, étaient placés de ce côté de l’Égypte et ont décrit les événements tels qu’ils les voyaient de leur poste d’observation.

De la première cataracte à la ramification des branches maritimes, la vallée du Nil, se confondant absolument avec l’Égypte, offre un caractère de parfaite unité géographique ; de l’amont à l’aval tous les traits se ressemblent et les habitants, se trouvant dans un milieu analogue, ont le même genre de vie. Aussi, durant l’histoire connue de nous, le régime politique a-t-il été presque toujours le même pour la haute et la basse Égypte ; cependant la grande inégalité des proportions entre la longueur de la vallée, d’un millier de kilomètres environ, et sa largeur minime dut avoir pour résultat premier la constitution de nombreux petits groupements se succédant de l’amont à l’aval autour d’un lieu principal de marché.

Avant l’existence d’un royaume d’Égypte, la forme normale du régime politique de la vallée dut être celui de communautés autonomes et fédérées : maints échos de cet ancien état de choses se répètent dans les annales égyptiennes, et l’on croit que la division du territoire en « nomes » sous les Ptolémées correspond à peu près à la série linéaire des anciens Etats. La centralisation du pouvoir amena l’union de ces nomes, d’abord en deux royaumes, plus tard en un seul. Le mythe et la religion rappellent la phase intermédiaire du groupement par l’expression consacrée de « Deux Égyptes », appliquée à l’ensemble de la vallée du Nil en aval de la première cataracte : l’Égypte du nord et l’Égypte du sud, la basse Égypte et la haute Égypte. Deux terres, deux firmaments distincts correspondaient à ces deux Égyptes, que l’on disait être séparées par une ligne droite allant de montagne à montagne en passant par une pyramide ou un temple limite. Les dieux Horus et Set présidaient respectivement à ces deux mondes[1] : comme l’Égypte elle-même, ils ne constituaient qu’un seul être identique et cependant ils restaient en lutte éternelle.

Les centres naturels de ces deux Égyptes se formèrent, tout en se déplaçant quelque peu de droite et de gauche, en des endroits qu’indiquaient d’avance la direction des voies historiques et les facilités d’accès. Le collet du delta était un de ces lieux nécessaires comme centre de la basse Égypte ; pour la haute Égypte, l’endroit propice se trouvait sur la courbe rejetant le Nil vers l’est jusqu’à une faible distance de la mer Rouge.

No 129. Nomes de la Haute Égypte.
NOMES ET LEUR CAPITALE
I. La marche de Nubie.
Abu. Elephantine.
II. Le support d’Horus.
Zobu. Apollonopolis magna (Edfu).
III. Les deux Plumes.
Sni. Latopolis (Esneh).
IV. Le Sceptre.
Apitu. Thèbes.
V. Les deux Eperviers.
Kubti. Coptos (Kuft).
VI. Ait-ti.
Tentoririt. Tentyris (Denderah).
VII. Le Château du Sistre.
Haït. Diospolis parva (Hu).
VIII. Le Reliquaire d’Osiris.
Thini. Thinis (Girgeh).
IX. Le Serpent vert (?)
Zobui. Aphroditespolis (Idfu).
X. Le Sanctuaire (?)
Apu. Panopolis magna.
XI. Le Mont Serpent.
Du-kau. Antœopôlis(Kau-el-kebir).
XII. Le Térébinthe inférieur.
Siaut. Lycopolis magna (Siut).
XIII. L’Animal typhonien.
Chas-hotpu. Hypselis.
XIV. Le Térébinthe supérieur.
Kusit. Kusæ (el-Kusieh).
XV. Le Lièvre.
Khmunu. Hermopolis magna (Achmunein).
XVI. La Gazelle.
Hibonu. Nibis (Minieh).
XVII. Le Chacal.
Kaïsa. Kynopolis (el-Kaïs).
XVIII. Le Sceptre tordu.
Pimazit. Oxyrrhynchos (Bahnesa).
XIX. L’Epervier volant.
Habonu. Hipponon (el-Hibeh).
XX. Le Laurier rose supérieur.
Hininsuton. Heracleopolis magna (Ahnas).
XXI. Le Laurier rose inférieur.
Smenuhor. (Echment).
XXII. Le Couteau.
Pnebtepahe. Aphroditespolis magna (Atfieh).

Les noms en italique sont égyptiens, ceux en romain grecs et latins, ceux placés entre parenthèses sont arabes.


De ces deux centres, celui qui devait acquérir la plus durable influence ne pouvait être situé que près de l’épanouissement des branches nilotiques vers la mer : il commande en même temps la voie qui, de l’ouest à l’est, se porte vers l’isthme de Suez, pour se ramifier, d’un côté vers l’Arabie, de l’autre vers la Syrie et les pays de l’Euphrate. En ce lieu nécessaire, au croisement des routes, la ville mère, parfois rasée par des conquérants, ne manquait jamais de se reconstruire sous un autre nom. Le voisinage de la mer, le soudain élargissement des campagnes comprises entre les bras du Nil assuraient la prédominance historique à la cité placée près de la fourche des rameaux nilotiques, s’appelât-elle Memphis ou le Caire. C’est là que naquit la véritable Égypte et que d’ailleurs elle prit son nom — Gypti, Aigyptos —, d’après un des surnoms de Memphis, Ki-Phtah[2], la « demeure de Phtah », le dieu solaire. Là, plus qu’en toute autre partie de la vallée du Nil, devaient se rencontrer, se superposer et se féconder mutuellement les deux civilisations nourricières, l’une, d’origine méridionale, qui avait donné surtout la taille des instruments et les animaux domestiques, l’autre, de provenance sumérienne, qui apporta l’emploi des métaux et la culture des céréales[3].

Suivant que les révolutions intérieures assuraient la domination à l’une ou à l’autre capitale des deux Égyptes, la politique et l’ensemble de la civilisation prenaient une orientation différente. La ville d’amont, perdue au loin dans l’intérieur des terres, représentait toujours un monde plus fermé, plus strictement opprimé par les prêtres : sa prépondérance correspondait à une période de recul matériel ou moral, tandis que la capitale du nord, en communication beaucoup plus libre avec le reste du monde, entraînait tout le pays dans une période de progrès.

No 130. Nomes de la Basse Égypte.
nomes et leur capitale
I.
Le Mur blanc 
Memphis. XI.
La Cible septentrionale. 
Sais.
II.
Le Prince 
Heliopolis. XII.
Le Taureau sauvage 
Xoïs.
III.
La Cuisse de Bœuf 
Letopolis. XIII.
L’Ibis 
Bahu.
IV.
La Cible méridionale 
XIV.
Le Taureau emmailloté. 
Pharbæthos.
V.
La Vache noire 
Athribis. XV.
L’Infant, nome inférieur 
Amit.
VI.
Nome d’Occident 
Hapis. XVI.
La Marche orientale 
Tanis.
VII.
Le Seigneur 
Busiris. XVII.
Le Harpon occidental 
VIII.
L’Infant, nome supérieur 
Bubastis. XVIII.
Le Dieu Veau 
Sebennytos.
IX.
L’Epervier couronné 
Pisapti. XIX.
Le Solure 
Mendès.
X.
Le Harpon oriental 
Heropolis XX.
Samhudit 
Les noms en italique sont égyptiens, les autres grecs.

Les indigènes eux-mêmes, conscients de l’unité géographique du pays, limitaient volontiers leur monde à une faible distance au delà des frontières naturelles de la dépression dans laquelle serpente le cours septentrional de leur fleuve. D’un côté, le rebord grisâtre des solitudes constituait la borne infranchie, excepté par les rares visiteurs des oasis, et l’on imaginait dans cette direction l’existence d’un sommet inaperçu, le Manu, qui symbolisait le point cardinal de l’occident ; de l’autre côté, un pic de Bakhu, que l’on croit être le plus haut sommet du massif dominant l’entrée du golfe de Suez, le Djebel Gharib actuel (1 885 m. ? 3 050 m. ?[4] ), près de la mer Rouge, était considéré comme la borne par excellence vers l’orient ; au nord les étangs du delta, au sud, le défilé de la Chaîne ou la première cataracte marquaient les barrières du monde. Et dans ce domaine, si étroit relativement à l’ensemble des terres continentales, les Egyptiens n’occupaient qu’une mince bande ; séparés de toutes nations étrangères par leurs murs de rochers et leurs dunes de sable, ils développaient isolément leur civilisation, « comme en un vase clos[5] ».

Toutefois, on ne doit pas oublier qu’il fut un temps où l’Egypte n’était pas encore une étroite bande de terre alluviale enfermée entre deux déserts. Certains indices font penser que les premiers hommes pénétrant dans la vallée nilotique trouvèrent les pentes des rochers recouvertes sinon de gazon, du moins d’herbes nourrissantes ; le climat n’était pas le même ; les pluies étaient plus abondantes, le bétail avait à discrétion la pâture qui lui était nécessaire. Dans un ravin qui s’ouvre au sud-est du Caire, dans le désert arabique, Schweinfurth a découvert les restes d’un énorme barrage qui n’aurait plus aucun sens aujourd’hui, tant les pluies torrentielles qui parcourent la vallée, entre les parois grises de la roche, sont un phénomène rare[6]. Les anciennes inscriptions nous parlent de troupeaux énormes paissant en des régions où l’homme ne trouverait plus aujourd’hui la moindre récolte nourricière. Et combien de monuments, avec inscriptions et sculptures, s’élèvent en plein désert, alors que la piété des fidèles ne manque pas de les dresser en terres habitées, les destinant à être vus et admirés par la foule des passants[7].

Flinders Petrie, Griffith, Blankenhorn, Fraas et autres ne doutent pas qu’il y ait eu modification de la pluviosité pendant la période humaine, d’aucuns disent pendant la période historique. Breadnell et Schweinfurth, très connaisseurs de l’Egypte, protestent à des degrés divers contre cette dernière opinion[8]. D’ailleurs, quelles que puissent être les vues particulières des explorateurs et leurs erreurs d’appréciation, il est certain que la question de l’ancien climat d’Egypte ne pourra être élucidée par la seule observation de l’Afrique septentrionale. Le moindre recul que l’on puisse donner à l’apparition de sociétés embryonnaires en Chaldée et en Égypte — soit dix mille ans — nous ramène à une époque où, suivant l’avis de maints géologues, les glaciers couvraient partie de l’Europe. C’est la connaissance plus approfondie des périodes glaciaires et de leurs effets sur la physique du globe qui éclairera l’étude du climat égyptien aux temps de la préhistoire et de la protohistoire. H. Driesmans ne pense-t-il pas que les refroidissements successifs de l’Europe ont amené la crise qui fit de l’animal un homme[9] ?

le sphinx de giseh

« La civilisation du roi Menés n’est pas un commencement, c’est un apogée ; elle a dû être précédée de nombreux siècles d’essais et de progrès nécessairement très lents. Le grand sphinx, le temple souterrain qui est près de lui, les pyramides de Sakkarah sont assurément antérieurs au roi Menés. » Emile Guimet.

Adoptant la chronologie de Manéthon, on doit rejeter le sphinx de Giseh à 8 000 années en arrière de notre époque.

Mais antérieurement à la période pendant laquelle les Egyptiens, s’adonnant à la mise en valeur de la vallée nilotique, devinrent la nation originale entre toutes que nous décrit l’histoire, quelles furent les destinées du pays, par quelle race d’hommes fut-il occupé, d’où vinrent ses premiers colons et quel était leur genre de vie ? Autant de questions auxquelles il est encore impossible de répondre, quoique de vagues inductions permettent de hasarder des hypothèses plausibles et même de constater des faits préhistoriques de capitale importance.

Ainsi, l’on sait désormais que l’Égypte eut, comme l’Europe, son âge de pierre. Les savants, éblouis par le nombre, la variété, la grandeur, la magnificence des monuments laissés par les Egyptiens des temps historiques, ne donnèrent jusqu’à une époque récente aucune attention aux humbles débris des âges qui précédèrent les temps racontés par les annales écrites. C’est en 1869 seulement qu’Ancelin fit son premier rapport sur l’industrie primitive de la pierre en Égypte[10]. Ce document intéressa les archéologues, mais les découvertes de grattoirs, de couteaux, de flèches, de haches et d’autres objets, outils et armes analogues à ceux que nous ont laissés dans l’Europe occidentale nos ancêtres des âges éolithique, paléolithique et néolithique, restèrent longtemps comme un fait isolé, sans lien avec le développement connu des populations égyptiennes. Ces trouvailles n’ont pris une réelle importance qu’après les fouilles, exécutées par milliers en des tombeaux très anciens, où des instruments néolithiques étant mêlés à des vases de pierre dure et à des ivoires sculptés, un point de repère commun fut donné aux étudiants de la préhistoire et aux archéologues.

Les outils en silex n’étaient pas encore tombés en désuétude lors des temps pharaoniques et s’associaient au développement d’une très haute civilisation ; mais l’époque à laquelle prédominait l’emploi de la pierre et des os fut de beaucoup antérieure aux premières dynasties. Dans l’état actuel de nos connaissances, les plus anciennes pierres utilisées par l’homme en Égypte sont celles que Schweinfurth a déblayées récemment sur la terrasse intermédiaire de Kurna, à l’endroit où, vingt ans plus tôt, en 1882, Pitt Rivers avait déjà signalé des silex taillés ; elles remontent au début de l’époque quaternaire. Sur la terrasse inférieure, on trouve des éolithes de même nature mélangés à des instruments paléolithiques, tandis que sur le plateau et dans la vallée, les vestiges humains — silex, débris de cuisines, etc. — sont d’âge postérieur[11]. Des ateliers, néolithiques pour la plupart, sont parsemés à l’ouest du Nil, à Nagada, à Abydos et autres lieux de l’Egypte moyenne, sur les limites du désert, H. Driesmans ne pense-t-il pas que les refroidissements successifs de l’Europe ont amené la crise qui fit de l’animal un homme[12] ?
appareil à produire le feu
trouvé en égypte par flinders petrie
et même plus loin dans les espaces complètement inhabitables de nos jours. Les oasis du désert libyque possèdent aussi des quantités énormes de pierres taillées. Quant au désert oriental, compris entre le Nil et le golfe Arabique, il ne présente qu’un petit nombre d’anciens gîtes de silex travaillés, situés dans le voisinage du fleuve[13].

Dans les tombeaux datant de 6 000 à 7 000 ans ou plus, on a trouvé non seulement des silex taillés d’une délicatesse extraordinaire, mais aussi des objets en ivoire et en os, en cuivre et en or, des statuettes et figurines diverses, ainsi que des vases d’argile noire, avec empreintes. Les animaux représentés sont d’une vérité saisissante et les potiers qui les figurèrent savaient utiliser des argiles de couleurs diverses, mieux vernissées qu’elles ne le furent dans les âges postérieurs. Certainement, ces premiers artistes d’Egypte appartenaient à des races dont les affinités étaient autres que celles des habitants de la période historique.

Les déserts de Nubie, à l’est du Nil, notamment la région de l’Etbaï, que parcourent les Ababdeh et les Bichârin, paraissent, comme les pays à silex de l’occident du fleuve, avoir été à l’époque préhistorique un centre de civilisation important. Là, on ne trouve point de rognons de silex, ou du moins ils sont extrêmement rares, mais il est évident qu’on y travaillait diversement les pierres de la contrée, surtout une sorte de stéatite ou pierre ollaire, très résistante au feu : on en fabriquait des ustensiles de cuisine, assiettes, pots et marmites. Pour les pièces de choix, on employait une espèce de serpentine métamorphique très dure, et ce sont principalement des vases de cette provenance que l’on trouve à côté des vieux silex dans les tombes des Pharaons antiques. Or, depuis les temps de la préhistoire, l’industrie des Ababdeh et les Bichârin n’a point changé, et c’est toujours de la même manière qu’ils fabriquent leur batterie de cuisine.

Schweinfurth émet l’hypothèse que les indigènes, maintenant dégénérés, de la Nubie orientale prirent une grande part dans l’occupation de la vallée du Nil, à l’époque où, par ses allures incertaines, ses marais et la végétation de ses bords, le bas fleuve ressemblait au Nil bleu de Senâr, entre les monts de l’Abyssinie et le confluent de Khartum. Alors la basse Égypte n’était qu’un vaste marécage, et le cours fluvial, entre la première cataracte et le delta, encore laissé à l’état de nature, se composait d’un labyrinthe de coulées changeant de direction et d’importance relative suivant la force des crues et la durée des sécheresses ; des massifs de papyrus et d’autres plantes aquatiques se formaient rapidement sur les fonds vaseux, retardant le flot et l’écartant vers un autre lit, tandis que sur le sol plus affermi des îlots et des rives naissaient les arbres s’unissant en un impénétrable fourré où se cachaient les animaux sauvages. Ce n’est point en une pareille région que naquit une nation civilisée : les éléments devaient s’en former au dehors, au milieu d’espaces faciles à parcourir, où les hommes, d’allures très mobiles, pouvaient se grouper en masses considérables. Les âpres régions de l’est, quoique entièrement arides dans une forte partie de leur étendue, offraient cependant des lieux de passage et de réunion, et c’est là, pense-t-on, que se préparèrent les événements préliminaires pour la mise en valeur de la vallée nilotique.

Actuellement, le contraste absolu que présentent les fécondes campagnes riveraines du Nil, couvertes de villages, et les solitudes orientales, grises et rocailleuses, parsemées çà et là de quelques tentes indistinctes, rend l’hypothèse de Schweinfurth presque dérisoire en apparence ; mais on ne saurait douter que le Nil, de même que tous les autres fleuves historiques, n’ait commencé par être un cours d’eau redouté, hanté par les fièvres nées des miasmes, des microbes, des insectes, et dont seuls les vaillants osaient affronter le voisinage ; le fleuve égyptien devait être ce que sont encore les grands courants fluviaux de l’Amérique tropicale, tels que l’Atrato, la Magdalalena, la rivière des Amazones.

N° 131. Désert oriental.


La légende des « plaies d’Egypte », que répète le Pentateuque[14] d’après de plus anciens documents, n’est peut-être qu’un écho des souffrances qu’eurent à endurer les premiers colons établis dans les vasières du fleuve.

Le désert au sol dur, à l’air salubre, ne pouvait, comme les bords fangeux du Nil, donner au laboureur d’abondantes récoltes, décuples, vingtuples de la semence, mais les hommes y restaient vigoureux et sains de corps, audacieux de volonté. « Les nations ne naissent pas dans le limon mou »[15], quoi qu’en dise un mythe d’origine relativement récente. Mais l’individu isolé, le novateur hardi, ne craignant pas de travailler le limon mou, crée les conditions nouvelles qui permettent à la société de surgir derrière lui. Ces premiers stades restant ignorés, il était naturel que le pullulement des nations agricoles sur les terres grasses nilotiques donnât naissance, comme tous les autres faits de l’histoire, à une légende spéciale destinée à prendre la place de celles qui l’avaient précédée.

Ainsi, pouvons-nous affirmer avec Sehweinfurth : avant que les dynasties pharaoniennes pussent amasser dans leurs greniers les magnifiques récoltes obtenues par le travail du « rouge laboureur », les populations errantes qui campaient dans les arides plissements du sol entre le Nil et la mer jouèrent le rôle important de pionniers de l’humanité. Mais on peut se demander si l’initiative de ces travaux, préalables à toute civilisation, appartient en propre aux nomades du désert oriental, ou s’il ne faut pas plutôt en faire remonter l’honneur aux immigrants de l’Arabie Heureuse.

En effet, les pays nubiens, et surtout la partie du territoire qui longe au nord la base du massif éthiopien, présentent une grande valeur historique comme lieux de passage. Les Hymiarites ou autres émigrants du Yemen, qui fut un des plus antiques foyers de civilisation, devaient traverser cette contrée dans leur marche vers l’Occident. Après avoir franchi le détroit, ou bien la mer plus large et semée d’îles qui s’ouvre plus au nord, les voyageurs se trouvaient obligés, soit de monter à l’escalade des plateaux éthiopiens, et sans nul doute, des bandes nombreuses, pacifiques ou guerrières, prirent cette direction, — soit de suivre le littoral vers le nord jusqu’aux larges brèches et aux chemins naturels que surveille actuellement le port de Suakin ; là, se dirigeant vers l’ouest, ils atteignaient par la voie la plus courte les rives du Nil, à Berber ou au grand coude occupé par la ville d’Abu-Hamed, lieux historiques et préhistoriques. aussi anciens que la civilisation elle-même. En se portant vers la vallée fluviale, ou du moins dans son voisinage, les émigrants, bergers nomades pour la plupart, obéissaient à la force d’attraction que devaient exercer sur eux les beaux pâturages fertilisés périodiquement par les eaux de crue et les lisières de forêts où foisonnaient les animaux de chasse.

Cl. David Gardiner.

canal d’irrigation et tombe de l’époque arabe

Aux visites des pâtres et des chasseurs succéda sporadiquement, puis de proche en proche, rétablissement fixe des bêcheurs du sol, et c’est ainsi que naquit peu à peu, et d’éléments hétérogènes, le peuple d’Egypte auquel la nature si originale du pays habité et transformé par lui assigne un rôle distinct parmi les nations.

Combien de siècles, à compter peut-être par centaines et par milliers, durent s’écouler avant que la race nouvelle déterminée par le milieu spécial de la vallée nilotique prît un caractère durable ! Quelle succession d’efforts, souvent infructueux, pour accommoder les cultures au sol inégal, spongieux, coupé de fondrières et de marécages, pour le distribuer en champs et en sillons, pour concilier ces travaux contradictoires en apparence : protéger les demeures contre les crues et solliciter le flot pour l’irrigation des jardins ! Une légende qui symbolise les luttes de l’Egyptien primitif contre le fleuve indompté nous dit que Menés, le fondateur prétendu de l’empire, le constructeur des digues et l’excavateur des canaux, fut, pour sa peine, dévoré par un crocodile. C’est qu’en effet il y eut de terribles retours dans l’appropriation graduelle des inondations fluviales aux besoins de l’agriculture ! De nombreuses générations périrent à ce labeur. Aux voisins les plus rapprochés de la vallée inférieure du Nil se mêlèrent, sans doute en des temps très anciens, des représentants de toutes les populations du bassin fluvial, y compris des nègres, soit venus en hommes libres, soit importés comme esclaves. Des riverains de la Méditerranée appartenant à diverses nations de navigateurs ne pouvaient manquer de débarquer sur le littoral et d’y fonder des colonies, les unes ayant maintenu longtemps leur individualité distincte, les autres bientôt réduites, absorbées dans la masse de la population. L’histoire écrite nous donne, quelques témoignages de ces immigrations par mer, de même qu’elle nous raconte aussi des exodes de provenance asiatique amenant des Sémites et gens de race apparentée, ainsi que des Aryens et jusqu’à des Mongols. Parmi ces visiteurs de l’ancienne Égypte, il en est que des savants ont pu signaler comme étant complètement distincts du type égyptien tel qu’il s’est constitué pendant le cours des âges.

Des peintures, décrites par Champollion[16], mais disparues depuis, prouvent que les Egyptiens divisaient en races l’humanité connue d’eux. Dans le tombeau de Menephtah, à Biban-et-Moluk, on pouvait distinguer, il y a 80 ans, l’Egyptien rouge, « l’homme par excellence », l’Asiate jaune, le nègre et l’Européen, l’homme blanc ayant « le nez droit ou légèrement voussé, les yeux bleus, la barbe blonde ou rousse, la taille haute et très élancée, vêtu de peaux de bœuf conservant encore leur poil, véritable sauvage tatoué sur diverses parties du corps ». Les momies royales présentent des types ethniques différant beaucoup les uns des autres. D’après Myer[17], le squelette de Hennekht (?)
Cl. Lekegian.
type d’égyptienne
laisse supposer une origine nègre ; Thutmos III pourrait au contraire être pris pour un Européen.

A une cinquantaine de kilomètres au nord de Thèbes, sur les bords d’un lit desséché du Nil, l’archéologue Flinders Petrie a découvert les restes d’une station d’hommes paléolithiques ayant vécu probablement entre la septième et la neuvième dynastie, c’est-à-dire il y a près de cinq mille années. Ils doivent avoir été assez répandus dans cette région de l’Egypte, car on trouve de leurs flèches et autres instruments à de grandes distances au nord et au sud du campement principal. Sans prognathisme, le nez aquilin, la barbe longue, pointue, et la chevelure ondulée, ils n’appartenaient certainement pas à la race nègre. Peut-être avaient-ils des pratiques d’anthropophagie religieuse, car on ne saurait expliquer autrement pourquoi les mains et les têtes manquent à tous les cadavres retirés des fouilles. Parfois les corps étaient dépecés et l’on plaçait en tas ici les côtes, là les vertèbres[18]. En dépit de leurs rites sanglants, ces inconnus devaient avoir une civilisation matérielle assez avancée, à en juger par leur talent à tourner les vases et à tailler les pierres en brutales effigies ; mais ils ne paraissent pas avoir connu l’écriture. D’où venaient-ils ? Schweinfurth serait enclin à voir en eux de ces Khamites du sud-est qui furent les intermédiaires naturels entre l’Egypte et l’Arabie sud-occidentale, tandis que Petrie s’est demandé s’ils n’étaient point des « Libyens venus de l’Ouest ». Le mode d’enterrement des morts semble lui donner raison, car ils étaient toujours placés les genoux pliés et la face tournée vers le soleil couchant. Mais peut-on, de ce simple fait, tirer une déduction en faveur de la théorie climatique d’après laquelle les oasis de l’ouest étaient, il y a quelques milliers d’années, plus vastes, les déserts moins arides et moins difficiles à franchir, le climat moins brûlant et plus propice à l’homme[19] ?

N° 132. Territoires d’Influence égyptienne.
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N° 133. Bassin du Nil.
l’ibis sacré

La provenance des plantes cultivées et des animaux domestiques contribue à jeter un certain jour sur les influences premières auxquelles fut soumise la nation des Egyptiens. Ainsi l’on sait que les marchands d’aromates et autres précieux produits végétaux de l’Arabie sud-occidentale apportaient aussi des arbres dont quelques-uns prirent dans l’esprit des indigènes un caractère sacré : tel le sycomore (Ficus sycomorus) au large branchage noir, incliné sur les eaux du Nil ; tel aussi le persea des auteurs grecs (Mimusops Schimperi), que des inscriptions mentionnent dès l’époque de la quatrième dynastie, et que l’on ne voit plus sur les bords du Nil depuis trois siècles environ[20], mais qu’on retrouve encore au Yemen, dans sa patrie d’origine. C’est par la même voie, celle de l’Atbâra et du Nil moyen, que les Egyptiens reçurent probablement une de leurs plus précieuses richesses, leur meilleur aide dans le labour. On considère en effet que l’âne domestique descend de l’âne sauvage de la Nubie, et non de l’onagre des déserts de la Syrie et de la Perse. C’est l’âne aux jambes rayées (Equus tœnopius Heaglin), bondissant sur les rochers de l’Etbaï, qui devint le compagnon de l’homme dans ses voyages à travers les solitudes et qui prit et prend encore en Égypte une si grande part à la vie domestique. Quant aux chevaux à front bombé, desquels sont descendus les chevaux barbes, c’est aux envahisseurs touraniens que Piètrement en attribue l’introduction, par la voie de l’isthme au nord-est du delta[21].

D’après le résultat de ces recherches zoologiques et botaniques, il reste constant que l’Asie et l’Afrique eurent l’une et l’autre une part
gavage des oies d’après un bas-relief égyptien
considérable dans le développement historique des Egyptiens. Sans doute les premiers animaux vivant dans la familiarité des riverains, le chien, le chat, la gazelle, la demoiselle de Numidie, les oies et les canards, les grues, cigognes et tourterelles, étaient de provenance africaine, mais dès les premières époques, on remarque sur les monuments égyptiens la figuration du bœuf, originaire d’Asie. Les bœufs d’un bas-relief de Giseh, très remarquables par la grande dimension de leurs cornes en forme de lyre, la hauteur du garrot et l’obliquité de la ligne dorsale qui descend du train antérieur à la croupe, sont très certainement des bœufs asiatiques, et les méprises que l’on a faites au sujet de deux prétendues races bovines en Égypte, proviennent de ce que les archéologues ont confondu les taureaux de l’unique espèce avec des bœufs à courtes cornes[22].

Les moutons, les chèvres, qui furent introduits à des âges anciens de la civilisation égyptienne sont également d’origine asiatique et vinrent après le bœuf, mais antérieurement à l’introduction du cheval. C’est pendant la période de l’histoire relativement récente que le chameau fut amené sur les bords du Nil, où il paraît maintenant tout à fait indispensable comme élément de paysage. La poule fut aussi une acquisition moderne, relativement à celle des canards et des oies. Ainsi l’Egypte s’enrichit successivement de toutes ces conquêtes de premier ordre dans le monde animal : mais dès les origines elle semble avoir possédé presque toutes les plantes alimentaires que mentionnent les anciens auteurs.

Les plus vieux monuments que nous aient légués les riverains du Nil n’ont peut-être que soixante-dix siècles, mais ils appartiennent à une époque dont la civilisation est si remarquablement développée à certains égards, caractérisée par des institutions si complexes, que l’on doit admettre en toute exactitude une longue durée de culture pendant les âges antérieurs[23]. La croissance d’une nation est fort lente, comme celle d’un chêne prodigieux, poussant au loin ses racines dans la profonde terre. On peut donc rejeter à des milliers d’années en arrière les premiers linéaments mythiques, au sens incertain, de la protohistoire égyptienne. Du reste, à l’encontre de certains spécialistes qui tiennent toujours comme un article de foi à l’antériorité de la civilisation égyptienne sur toute autre, il n’est plus permis de traiter séparément de l’antiquité des groupements nilotiques et mésopotamiens. L’influence chaldéenne a été l’un des facteurs de la société égyptienne à ses débuts et J. Oppert n’a pas dû se tromper de beaucoup en faisant remonter au delà du dixième ou onzième millénium avant l’ère chrétienne les premières associations humaines aux bords de l’Euphrate.

Cependant, quelques chronologistes, tout en parlant de l’ancienneté immémoriale de la nation nilotique, ont été amenés à réduire de beaucoup la durée de la monarchie égyptienne, telle que l’établissaient les annales transmises par les prêtres et que la constata le grand-prêtre d’Heliopolis, Manéthon, pour renseigner son maître, le Ptolémée Philadelphe.

L’impuissance d’embrasser par la pensée de longs siècles d’une histoire à laquelle manquent tous les détails explique partiellement cette abréviation cursive ; mais on doit y ajouter aussi, chez quelques écrivains, le désir de subordonner les chroniques d’une nation profane à celle du peuple sacré des Hébreux. Il leur faut à tout prix enfermer l’histoire de l’Egypte dans les trois ou quatre mille années que, suivant les diverses versions, les commentateurs des livres juifs disent s’être écoulées entre le déluge et la naissance du Messie, et si un historien chrétien admet la véracité des listes des rois d’Egypte, il ne peut accorder que cinq ou six cents ans au peuple égyptien pour approprier la vallée du Nil et s’élever jusqu’à la civilisation qui produisit le sphinx de Giseh[24].

Cl. Bonfils.
le piquage du blé

Telle est la cause de cette hypothèse que Manéthon aurait présenté comme successives des dynasties régnant à la même époque en des parties différentes de l’Egypte ; toutefois, rien ne justifie cette supposition, qui, d’après Brugsch, réduirait de cinq cents ans, et d’après Lepsius, de quatorze siècles, la vraie durée des tables de Manéthon. La liste des règnes, copiée par ce grand prêtre, concorde avec celle que donne Erathosthènes et avec des inscriptions hiéroglyphiques, celles des ruines du temple d’Abydos, par exemple. D’ailleurs, il existe des monuments d’architecture sur lesquels un même roi se trouve mentionné, en des contrées distinctes l’une de l’autre, où l’on s’imaginait précisément que des dynasties contemporaines auraient vécu indépendantes[25]. Il n’y a pas le moindre doute que Manéthon ne se soit trompé plus d’une fois, mais les erreurs ne sont pas toutes du même sens. S’il semble logique d’admettre que la 17e dynastie, la première du nouvel empire thébain, était contemporaine des derniers rois pasteurs qu’elle combattit, il est certain que pour la 7e et la 11e, les durées traditionnelles de 70 jours et de 43 ans sont insuffisantes ; les monuments ont révélé l’existence de vingt-deux rois de cette dernière dynastie, dont neuf Entef et six Mentahotep, alors que Manéthon n’en connaissait que seize. Il est donc parfaitement rationnel d’accorder une valeur historique à la succession des divers personnages royaux énumérés par Manéthon ; ils auraient occupé le trône pendant une période cinquante ou soixante fois séculaire, et Menés serait devenu roi 5 833 ans avant l’ère vulgaire des chrétiens[26].

Cette période, si longue qu’elle soit en comparaison de la durée du genre humain d’après les légendes juives, est évidemment bien peu de chose dans l’évolution d’un peuple qui en était arrivé à un degré très élevé de civilisation et qui cependant avait vécu longtemps sous la domination des prêtres dans un âge de développement fort lent, parfois stationnaire ou même régressif. Aussi les fastes égyptiens admettent-ils qu’avant les dynasties humaines, plusieurs milliers d’années de protohistoire se passèrent sous le règne des héros et des dieux.

Un précieux document, dit « papyrus de Turin », d’après la bibliothèque où il est conservé, divise ces temps de l’ancienne Égypte en trois périodes comprenant ensemble plus de dix mille années et symbolisant sans doute dans la pensée des annalistes égyptiens la puissance des forces primitives de la terre et du ciel. Les sept grands dieux, figurés par les sept astres par excellence, auraient régné les premiers, puis seraient venus les douze dieux présidant aux douze mois et les trente demi-dieux correspondant aux trente jours du mois ; la domination de ces forces élémentaires était donc réglée par les mouvements des astres, preuve que les savants égyptiens connaissaient la marche du soleil sur le plan de l’écliptique. Si les périodes dont ils ont allongé leurs annales ne correspondent pas à l’histoire de leur propre pays, parce qu’ils en ignorent les éléments, du moins racontent-ils réellement l’histoire du ciel.

Cl. David Gardiner.
pyramides de giseh

Peu de temps après l’époque de la protohistoire, mentionnée dans les annales de Manéthon comme ayant vu Menés fonder la première dynastie à Memphis, près de la bifurcation des bouches fluviales, la royauté se trouvait assez forte, assez puissamment établie sur l’asservissement de tous pour que les souverains aient pu faire construire à leur glorification les prodigieuses masses des pyramides. Ces étonnants colosses prouvent que l’influence des Babyloniens était alors très considérable à la cour des rois d’Egypte et dans les temples des dieux, car ces premières pyramides ne sont pas bâties en pierre dure comme il serait naturel de s’y attendre en une étroite vallée que des rochers dominent de part et d’autre. Elles sont maçonnées en briques, exactement comme les tours à degrés de la Mésopotamie, où la nature du sol rendait nécessaire l’emploi de ces matériaux. L’origine babylonienne de ce genre d’édifices serait d’autant plus difficile à contester que la forme la plus ancienne de la pyramide d’Egypte, telle qu’elle est encore conservée à Sakkarah, est celle d’un temple à gradins, comme les observatoires de la Chaldée[27].

D’autres indices nous montrent combien les Sumériens de la Mésopotamie, visitant les bords du Nil, 70 ou 80 siècles avant notre génération, eurent d’influence sur les populations d’Egypte : ce sont eux, dit Fr. Hommel, qui dressèrent les Egyptiens au travail des métaux et leur enseignèrent la culture des céréales. Une forte proportion des mots égyptiens de l’ancienne période sont de racine suméro-akkadienne et, dans les deux contrées, la généalogie des anciennes divinités est identique : les noms même se confondent. Plus tard l’écriture cunéiforme des Assyriens pénétra jusque dans les temples et les bibliothèques de l’Egypte, ainsi qu’en témoignent les tablettes trouvées à Tell-el-Amarna, près de Minieh ; à cette époque les cours échangeaient des correspondances régulières des bords du Tigre à ceux du Nil ; pour les rois du moins, le service de la poste était créé.

Mais, quelque grande qu’ait été l’influence babylonienne sur la civilisation de l’Egypte et sur ses procédés scientifiques, les riverains du Nil n’en gardaient pas moins leur originalité. Ainsi la division sexagésimale de la Chaldée, qui fut si importante dans le monde de la science et qui est encore la division la plus usuelle en géographie, ne paraît pas avoir été introduite dans les méthodes ordinaires des arpenteurs et des calculateurs égyptiens. Le « papyrus de Londres », qui date d’environ trente-huit siècles, et la table à calcul de Giseh, étudiée par Brugsch et considérée par lui comme beaucoup plus ancienne, indiquent pour les opérations mathématiques un autre multiplicateur, 320, qui renferme les facteurs deux et cinq mais n’est point divisible par trois[28].

Le pouvoir égyptien, de quelque origine qu’il fût, chercha toujours à se garantir des incursions violentes venant d’Asie et, dans le voisinage des lacs Amers, on maintint longtemps une grande muraille de défense[29] que le roi Snefru, fondateur de la quatrième dynastie, avait fait élever pour arrêter les pillards bédouins. Néanmoins mainte invasion passa outre ; d’après Flinders Petrie, à l’époque de la 3e dynastie ou au début de la 4e, une race venue d’Asie par l’isthme aurait submergé les travailleurs primitifs, vingt-cinq siècles peut-être avant l’irruption ethnique — celle des Hyksos — qui mit les Egyptiens pendant plusieurs centaines d’années sous la domination étrangère.

N° 134. Delta du Nil.

Comparer cette carte avec celle de la page 133 (N° 130) pour avoir une idée des modifications que deux mille années ont apportées dans le tracé des côtes et des branches du Nil.

L’invasion des Hyksos, que l’on croit avoir été en majorité des pasteurs arabes, renouvela l’influence sémitique, mais sous une forme nouvelle très différente de celle qu’avait eue la civilisation de la Chaldée. D’ailleurs, des éléments très divers paraissent avoir eu leur part dans cette invasion des conquérants orientaux, et l’on pense même que des « Scythes », c’est-à-dire des Mongols, auraient pénétré en maîtres dans le territoire égyptien et contribué à former la population nilotique. Les bustes des « rois hyksos » que l’on a trouvés dans les ruines de San, l’ancienne Tanis, avaient été d’abord désignés comme présentant un faciès sémitique et Mariette spécialement les avait décrits comme tels, il attribuait aussi à la population actuelle des bords du lac Menzaleh une apparence sémitique ; mais un examen plus attentif, dit Piètrement, aurait démontré qu’il fallait reconnaître à ces différents types des caractères essentiellement mongols[30].

Quoi qu’il en soit, l’action de l’Asie sur l’Afrique fut si puissante que, même après l’expulsion des Hyksos, à l’époque des Ramessides, les écrivains à la mode se piquaient d’écarter les expressions purement égyptiennes pour les remplacer par des vocables et tournures des langues de l’Asie antérieure. Tous les flatteurs cherchaient à imiter la façon de parler des hauts fonctionnaires sémitiques[31], de même que trois mille ans plus tard, à la cour de France, les courtisans affectaient de jargonner l’italien afin de plaire aux Concini et autres aventuriers d’outre-monts. Précisément à l’époque où la domination arabe se faisait sentir sur l’Egypte, une dynastie de conquérants « cananéens », appartenant probablement à la même nappe d’invasion ethnique, était devenue maîtresse de la Babylonie et y avait introduit ses dieux[32].

Des étrangers vinrent aussi par mer. Outre les Hymiarites, dont les générations successives se propagèrent par les chemins de l’Ethiopie, il se produisit des migrations à travers la mer Rouge, par la route, jadis fréquentée, qui réunit le port de Kosseïr à la grande courbe du Nil. L’histoire mentionne aussi des colonies de Méditerranéens qui s’installèrent dans le delta du Nil. Venaient-ils des côtes de la Cyrénaïque, de la Sicile, de l’Italie, de la Sardaigne, de la Crète ? Il en arriva en tous cas d’Asie Mineure. Les inscriptions égyptiennes mentionnent les navigateurs Kafti, qui dominaient dans les îles de la Méditerranée et qui vendaient des objets d’art analogues à ceux que Schliemann a trouvés dans les fouilles de Mycènes. Ce furent des Asiates, à n’en pas douter, mais non des Phéniciens, dont l’influence fut postérieure : peut-être le siège de leur puissance était-il en Cilicie[33]. Les marchands étrangers avaient certainement fondé dans N° 135. Edfu et le Défilé de la Chaîne.
(Voir page 156.)

la vallée du Nil des communautés prospères, car les Egyptiens qui les bannirent du pays, il y a trente et un siècles, recueillirent comme butin des quantités d’or et d’argent, des épées, des cuirasses et des vases précieux[34]. Et parmi ces immigrants en Égypte, combien de milliers et de centaines de milliers y en eut-il d’involontaires ? malheureux captifs noirs, blancs et cuivrés, que l’on entraîna de tous pays et qui partout se mêlèrent, en proportions variables mais très fortes, à la population résidante.

Lorsque l’équilibre s’établit entre les races diverses qui contribuèrent à former le peuple égyptien, celui-ci se composait principalement de gens de couleur bronzée, qui se disaient des « Rouges » et se distinguaient nettement des hommes à peau noire vivant plus en amont. Aux origines de l’histoire écrite, la limite de séparation traversait la vallée du Nil en aval du défilé des Chaînes. Là où s’élevait le temple de Teb, devenu l’Apollonopolis Magna, puis l’Edfu des modernes, là, et non plus haut vers la première cataracte, comme on le répète ordinairement, se faisait la brusque transition entre les « Rouges » et les « Noirs », entre l’Egypte et le pays des Nuba ou « Barbardus » (Barabra)[35].

Certainement la nation, composée d’éléments très distincts par la provenance, avait reçu son empreinte particulière du milieu si essentiellement un qui constitue l’Egypte : la nappe d’eau sinueuse et resplendissante réglait de son flot continu la vie du riverain, elle lui donnait sa religion et ses mœurs, en même temps que son pain. Hérodote a dit que l’Egypte était un « présent du Nil », les Egyptiens étaient également son œuvre. Les alluvions se faisaient plantes et les épis de blé se changeaient en hommes.

Le Nil se distingue par des traits tout à fait caractéristiques, en faisant une individualité très distincte parmi tous les grands fleuves de la terre. D’abord il se développe en direction linéaire du sud au nord, comme un méridien visible et, sur ses bords, nombre de tribus, ignorantes du vaste monde, ont pu croire que l’ensemble des terres était divisé exactement en deux parties par le fleuve, le serpent mythique enroulé an tour du globe et se mordant la queue[36]. Autre fait des plus remarquables dans le régime hydrologique du fleuve, sa ramure occupe seulement la moitié supérieure du bassin. A Khartum se réunissent les deux grands courants qui constituent le Nil : le « Fleuve Blanc » épanché par les lacs de l’Afrique centrale et le « Fleuve Bleu » déversé par le lac Tana et les gaves impétueux des monts éthiopiens. C’est là, pendant une partie de l’année, que cessent les apports du flot, et d’ordinaire la portée du Nil s’amoindrit progressivement en aval du confluent jusqu’à la mer, éloignée de 2 700 kilomètres. Peut-être cependant des sources profondes, issues des roches latérales, viennent-elles, dans l’immense parcours fluvial, soutenir l’eau décroissante. Durant la saison des pluies, un affluent considérable gonfle le Nil entre Khartum et Berber : c’est l’Atbâra, l’antique Astaboras, alternativement fleuve sans eau, dans le lit duquel les voyageurs déploient leurs tentes, et courant superbe, mer soudainement apparue. Cette rivière intermittente est le « Nil », que les Ethiopiens se vantèrent avec raison de pouvoir détourner vers la mer Rouge pour priver les campagnes égyptiennes de son flot bienfaisant : il leur serait possible en effet de diriger les eaux sauvages du haut Takkaze et du Mâreb dans une dépression du désert où coule la rivière de Barka.

N° 136. L’Atbâra et la Mer Rouge.


Cette jactance des montagnards ne fut jamais que vaine parole, mais elle avait été prise au sérieux par la légende, et maintes fois on la voit reparaître dans l’histoire comme étant à la veille de se changer en réalité. Ce qui est vrai, c’est que l’emploi judicieux des eaux de tout le haut Nil et de ses affluents dans les campagnes riveraines aurait certainement pour résultat d’appauvrir ou même de supprimer les crues et de ruiner complètement la basse Égypte[37].

Entre les deux rivières composantes du Nil, le fleuve Blanc et le fleuve Bleu, s’opère une division du travail, qui fonctionne avec une étonnante régularité.

Cl. Al. Vista.
palmeraie en temps de crue du nil


Le cours d’eau majeur, dont le débit est mesuré par les grands lacs équatoriaux et par des marais encombrés d’îles flottantes, forme le flot constant qui se maintient en toute saison, même pendant les longues sécheresses, grâce à l’escalier de rapides et de « cataractes » qui règle le mouvement du flot et transforme le Nil en un véritable canal aux biefs étages. Quant au Nil Bleu, notablement moindre en temps de sécheresse que le fleuve Blanc, il roule pendant la saison des pluies une masse liquide beaucoup plus considérable : en grande crue, il représente même un débit deux fois plus fort que la portée moyenne du bas Nil à ses embouchures. C’est l’excédent des pluies éthiopiennes qui se déverse par le Nil Bleu dans la Nubie et dans l’Égypte, et grâce auquel a pu se développer la merveilleuse agriculture de la basse vallée. A la première et grande crue fluviale causée par le Nil Bleu, l’Atbâra vient en ajouter une seconde, formant, d’après le langage des riverains, une « corne » dans le profil régulier de l’inondation. En vertu du contraste que présentent les fleuves dans leur régime et dans leurs effets, on a pu dire que le fleuve Blanc ou Bahr-el-Abiad « fait le Nil », tandis que le Bahr-el-Azrak et l’Atbâra « font l’Egypte » elle-même.

L’aspect du sol aussi bien que les traditions locales témoignent de crues beaucoup plus élevées dans les temps antiques. Les cataractes N° 137. Bonne crue du Nil.
étaient plus hautes et les masses liquides retenues par le barrage affleuraient à une plus grande hauteur dans les vallées. Même des inscriptions rappellent l’ancien état de choses : à Semneh, en amont de la deuxième cataracte, Lepsius a retrouvé des marques au burin datant d’Amenemhât III — il y a quarante-sept siècles — et donnant pour cette époque un niveau de crue supérieur de 8 mètres à celui de nos jours[38]. Des couches de limon nilotique occupent à la base du roc des fonds qui restent maintenant à une grande distance de l’ourlet d’inondation et l’on remarque aussi en maints endroits des traces de cultures qu’il serait impossible de restaurer aujourd’hui.

L’abaissement des crues en amont des cataractes s’expliquerait par l’usure des barrages de rochers qui retiennent le fleuve, mais le niveau d’inondation a-t-il également diminué en aval des cataractes dans le Nil égyptien ? S’il en est ainsi, la masse liquide roulant dans le lit fluvial était alors plus abondante, et dans ce cas, les digues riveraines du Nil devaient être plus élevées qu’elles ne le sont actuellement. De nos jours, elles sont construites de manière à soutenir un flot de crue s’élevant à 8 mètres au plus en amont de la « fourche » du delta ; or, la statue du Nil qui se trouve au musée du Vatican et que Vespasien avait dédiée à César Auguste est entourée de seize enfants portant des cornes d’abondance et représentant, dit-on, les « seize coudées » qui correspondent à une crue de grande portée : seize coudées égyptiennes équivalent à 7 mètres 20, ce qui de nos jours est bien, devant le Caire, le flot d’une ample inondation. Il n’y aurait donc pas eu de modifications dans le régime du fleuve depuis deux mille ans.

C’est avec une poignante anxiété que les riverains devaient attendre la montée de cette crue fécondante des eaux, dont dépendait leur existence. Avec quel plaisir on voyait apparaître le petit crocodile ou ack, précurseur divinisé qui venait avec la première nappe d’inondation. Puis on suivait avec sollicitude chacun des phénomènes successifs de la crue, d’abord la poussée des eaux « vertes » produites par les débris de végétation corrompue des marais du Nil Blanc ; ensuite l’arrivée des eaux « rouges », dues aux argiles qu’entraînent les torrents de l’Ethiopie, réunissant leur flot dans le Nil Bleu et dans l’Atbâra. Lorsque le niveau du courant fluvial affleure la crête des digues, le moment solennel est arrivé ; on enlève les vannes ou plutôt les remparts de terre qui empêchaient l’entrée de l’eau limoneuse dans les canaux d’irrigation. « Salut, ô Nil, toi qui viens donner la vie à l’Egypte ! » s’écriaient les prêtres, et la foule applaudissait avec frénésie. Un témoin de terre laissé au milieu du canal est bientôt rongé par le flot qui s’y précipite. C’est la « fiancée » du fleuve, dit le symbolisme populaire qui s’imagine que tout bienfait des dieux doit être compensé par un sacrifice : on jette aussi une poupée dans le courant, peut-être en souvenir d’une véritable victime que l’on offrait jadis à la divinité du Nil pour acheter sa faveur.

Aussi loin que remonte l’histoire dans le passé de la vallée nilotique on y retrouve une même pratique agricole en harmonie parfaite avec le régime des eaux fluviales. Les ingénieurs de l’époque profitaient d’une circonstance favorable : le Nil a durant le cours des âges peu à peu exhaussé de son limon les surfaces qu’il mouille en temps de crues, et il existe en général une légère pente du sol depuis le bord du fleuve jusqu’au pied des coteaux. Le Nil appuyant sur sa droite, c’est surtout sur la rive occidentale que l’on constate cette inclinaison de la plaine ; un canal d’égouttement accompagne le fleuve sur plus de 500 kilomètres de longueur. Aux basses eaux, pour l’irrigation artificielle,
châdûf des bords du nil
il suffisait de soulever l’eau par-dessus les berges ; on se contentait de vases ou de paniers solidement tressés que soulevaient de gradin en gradin des leviers manœuvres à bras ; c’était exactement le même procédé que celui des châdûf, employés encore tout le long du Nil par les pauvres fellâhin. La science de l’hydraulique n’était pas encore assez avancée, aux temps des Pharaons, pour que l’on pût construire en amont du delta un barrage pareil à celui qui règle maintenant le débit des branches fluviales en relevant de 4 mètres le plan d’eau ; de même les Egyptiens ne pouvaient songer à l’œuvre colossale, actuellement accomplie, consistant à donner un régime fixe aux eaux de la Nubie par le barrage de la première cataracte ; d’ailleurs les seuils étant plus élevés à cette époque, la nature avait partiellement réalisé ce que le travail de l’homme parfait aujourd’hui.

Mais il est une œuvre des ingénieurs égyptiens que jusqu’à nos jours les savants modernes n’ont pas su restaurer : c’est le lac Mœris, la « mer en entier creusée et faite de main d’homme », dont le périmètre développé atteignait la même longueur que la côte du delta[39]. Les reconstructions idéales que font les archéologues de cette « merveille des merveilles » ne s’accordent pas entre elles, mais l’existence de l’ancien réservoir n’est point douteuse.

Cl. Bonfils.
rapides de la première cataracte avant l’établissement du barrage


En cette région de l’Egypte, l’industrie moderne fut certainement distancée par les hydrauliciens du temps de Mènes, l’antique Mitsraïm, c’est-à-dire du personnage légendaire qui représente la plus haute antiquité de la civilisation égyptienne.

Grâce à l’art avec lequel les agriculteurs géomètres de la vallée du Nil avaient su établir leurs bassins de réserve et le réseau de leurs rigoles d’irrigation, chaque goutte était utilisée et changée en plante savoureuse, en graine, en fruit. L’extrême sobriété des laboureurs économisait si bien les récoltes que les cabanes des fellâhin se pressaient en un village presque continu le long des deux rives fluviales. Aux époques où les populations vivaient en paix, sept ou huit millions d’êtres humains occupaient l’étroit fossé de la vallée nilotique en aval des cataractes.

N° 138. Le Fayum et le Uadi-Rayan.

Le lac Mœris occupait tout ou portion du Fayum actuel, jusqu’à la cote + 23, dit W. Willcocks. Les ingénieurs modernes, cherchant à s’assurer des réserves d’eau pour l’irrigation, ne peuvent plus se servir de ce territoire, habité maintenant, mais ils pensent utiliser le Uadi Rayan, dépression analogue au Fayum. En temps de crue, l’eau du Nil pourrait s’écouler suivant A B C, mettant un milliard de mètres cubes à la disposition des cultivateurs, de quoi irriguer 200 000 hectares. Le trop-plein retournerait au fleuve en D.


Mais aussi, quand la guerre ou quelque autre désastre interrompait les travaux d’irrigation, la famine, la peste enlevaient les bouches inutiles ; la rapide extermination des hommes succédait au trop-plein.

La mise en culture des terres apportées par le Nil était si générale que la flore originaire en fut complètement changée. Les plantes qui croissaient dans l’étroite bande alluviale avant que l’homme en prît possession ont presque entièrement disparu, ainsi que le reconnaissent les botanistes à l’aspect et aux mœurs des végétaux de l’Égypte, mais la flore primitive du plateau désertique a gardé sa physionomie immuable. Les seules espèces de la vallée qui aient résisté à la destruction sont les végétaux aquatiques, parmi lesquels le papyrus et le lotus, le premier symbolisant la basse Égypte sur les monuments anciens, le deuxième pris comme plante caractéristique de l’Égypte supérieure. A vrai dire, il n’est pas certain que le papyrus et le lotus soient réellement originaires de la vallée du Nil : nombre d’écrivains pensent que le papyrus fut toujours cultivé à cause de sa valeur industrielle provenant de la moelle nourrissante, des tiges souples et flexibles qu’emploient les vanniers, et surtout de l’épiderme qui fut le « papier » des anciens ; et c’est, dit-on, précisément parce que le papyrus n’était pas une plante nilotique indigène qu’il a maintenant à peu près complètement disparu des eaux égyptiennes, jadis cultivées à la façon des rizières ; pourtant, aucun fait botanique ne vient à l’appui de cette supposition, et de toutes les hypothèses, la plus simple est celle de l’indigénat[40]. Quoi qu’il en soit, la substitution complète d’une flore à une autre flore, de même que celle d’une faune à une autre faune, témoigne surabondamment de la longue durée des cultures dans la terre d’Égypte ; cette période de l’histoire représente certainement une centaine et peut-être des centaines de siècles.

On a prétendu que l’universalité de l’inondation dans la vallée du Nil et l’unité matérielle de ce phénomène devaient avoir pour contrecoup, dans le monde religieux, l’idée d’un maître tout-puissant et dans le monde politique, celle d’un souverain absolu « dirigeant les eaux dans les campagnes et reconstituant les limites effacées des propriétés particulières »[41]. La prévoyance d’un dieu qui guide le soleil dans les chemins de l’espace, qui remplit jusqu’aux bords le lit du fleuve et en modère les eaux aurait été spontanément admise comme un article de foi par les riverains du Nil et aurait eu en conséquence pour contre-partie dans le monde politique la foi dans la sollicitude constante d’un souverain. Mais il se trouve que les faits sont en désaccord avec cette théorie, inspirée par le désir qu’elle soit
fleur de lotus, bas-relief égyptien
vraie, et ne s’appuyant dans l’histoire que sur une période du développement des Egyptiens. Avant qu’un roi se chargeât d’administrer la terre et de prélever la dîme des produits, il avait fallu qu’un peuple les créât ; on avait commencé le travail bien avant qu’un maître eût cru nécessaire de diriger cette œuvre « au profit de tous » comme l’affirmait l’historien courtisan, ou plutôt à son profit personnel, ainsi que le constate l’histoire. Sur les bords du Mississippi, sur ceux de l’Amazone, de même que dans toutes les vallées fluviales où nous voyons les agriculteurs conquérir graduellement leurs jardins et leurs champs sur le marais primitif, nulle part nous ne constatons cette « unité de commandement » que se sont imaginée des théoriciens du pouvoir absolu. Les initiateurs de la grande conquête économique furent les familles dispersées qui, entre deux inondations, se hasardaient dans les boues pour préparer le sol et lui dérober une récolte précaire. Une chose est certaine : l’expérience est mère de la science. Avant que les géomètres et les ingénieurs égyptiens eussent imaginé un ensemble de digues et de contre-digues, de canaux et de filioles, d’écluses et de vannes qui donnassent à l’aménagement de la vallée nilotique un caractère d’unité et qui permissent à un maître de se poser en régulateur général des eaux et des cultures, bien avant ces âges de longue pratique, transformée en routine sous la direction de fonctionnaires officiels, des essais de culture rudimentaire avaient été faits par milliers et par millions ; des levées de terre avaient été dressées autour de champs sans nombre, et des fossés d’égouttement avaient asséché d’année en année les flaques et les marais. C’est peu à peu, par la lutte contre les violences du fleuve et par l’utilisation de ses flots et de ses boues, que les riverains apprirent à résoudre le problème hydrologique et agricole dans son ensemble : maintenir au Nil un lit régulier, conduire et étaler l’eau fécondante par des canaux et des nappes d’irrigation sur la plus grande surface possible ; régler la durée du séjour de l’eau dans chaque compartiment latéral ; diviser le sol en un damier de cultures recevant successivement leur part d’inondation suivant un ordre régulier ; faciliter l’écoulement par un système de canaux fonctionnant à rebours du mouvement d’amenée ; construire des instruments d’usage facile pour tous les cultivateurs ; établir les résidences sur des îlots artificiels supérieurs au niveau des crues ; ce sont là des travaux immenses qui furent l’œuvre de longs siècles et que d’innombrables initiatives personnelles, unies à des ententes collectives, purent seules mener à bonne fin.

Sans doute, il dut y avoir fréquemment des conflits, car les intérêts immédiats des communautés ou des propriétaires isolés se trouvent souvent en désaccord, et de l’amont à l’aval, l’incurie où la malveillance causèrent parfois les plus grands désastres. Mais ces conflits pouvaient être évités ou du moins grandement amoindris par un sentiment d’équité provenant de la compréhension des intérêts majeurs ; il dut s’organiser spontanément un conseil d’entente et de gérance commune, analogue à ceux que, dans toute société humaine, fait naître un danger imprévu ou permanent. C’est ainsi que se constitue tout droit entre les hommes par la recherche d’une égale répartition conforme aux intérêts de chacun. Dans les campagnes des contrées les plus diverses, partout où il s’agit d’une loyale distribution des eaux d’arrosement entre propriétaires intéressés, ne voyons-nous pas se fonder des syndicats dont les décisions sont respectées de tous, précisément parce que tout caprice personnel leur est interdit dans le prononcé de leur jugement ? Même en pays de longue tradition monarchique et de pouvoir royal absolu, comme dans les campagnes de Murcie et de Valence, le « tribunal des eaux », dont l’origine est essentiellement populaire, ne s’est-il pas maintenu par la force même des choses, par le fonctionnement continu des nécessités et des travaux de chaque jour ?

faucilles en bois a dents de silex, et autres antiques instruments aratoires trouvés en egypte par flinders petrie

La mainmise de l’autorité royale sur le service des eaux n’eut pas pour raison d’être, comme l’affirme Ranke, la « reconstitution des propriétés particulières confondues par l’inondation », mais au contraire leur accaparement à son profit. La Bible, qui reproduit très certainement des fragments d’origine égyptienne, raconte expressément comment Joseph, profitant de l’implacable famine, acquit pour le Pharaon les chevaux, les troupeaux de brebis, les bœufs et les ânes, puis toutes les terres de l’Egypte, à l’exception de celles qui appartenaient aux prêtres[42].

En présence de pareils textes, est-il permis de maintenir que la mise en culture des campagnes nilotiques n’eût pu s’accomplir sous un autre régime que celui du despotisme ? Certes, le régime du pouvoir absolu s’établit en Égypte, mais peu à peu, par l’effet de ces empiétements graduels que la légende hébraïque attribue à Joseph. Le maître profita de ce que la multitude du peuple était forcément attachée au sol nourricier pour l’asservir à sa volonté et le transformer en un troupeau d’esclaves. L’agriculture, non plus que le caractère et la civilisation de l’Égypte, ne gagna à cette évolution politique : toute initiative disparut et, après avoir été la chose de pharaons indigènes, la nation devint, et après des milliers d’années reste encore, la proie des étrangers.

Peut-être les invasions des Hyksos furent-elles pour une bonne part dans le répit qui fut accordé aux paysans avant la période de l’oppression définitive et complète. En effet, les Pharaons, menacés par des ennemis puissants, ne pouvaient opprimer leurs peuples à libre caprice ; pour le maintenir dans la fidélité, ils devaient respecter les champs, procéder discrètement à la perception de l’impôt. Or, cette période d’invasion dura longtemps : plus de neuf cents ans, dit Manéthon, cinq cents, d’après un commentateur, deux ou trois cents d’après un autre ; mais, venant par l’isthme de Suez, ils avançaient plus ou moins loin dans l’intérieur de la vallée, et peut-être même ne pénétrèrent-ils jamais jusqu’à Thèbes : la civilisation égyptienne, avec ses sciences et ses arts, put se maintenir contre ces étrangers, la tradition ne fut jamais rompue. Pendant ce temps, les rois égyptiens pouvaient se gérer en héros unis à leur peuple dans une même cause d’indépendance nationale, de même qu’avant Ferdinand le Catholique et Charles Quint, les Espagnols voyaient tout naturellement dans leurs souverains les champions de la foi contre le Maure détesté.

Mais, débarrassés de leurs craintes à l’égard de l’étranger, les Pharaons purent se retourner contre leurs propres sujets et appliquer en toute rigueur le principe de maintenir le peuple pauvre et occupé. Les travailleurs de la terre, désormais privés de la libre disposition de leurs champs, furent sous les Usertesen et sous les Ramsès ces mêmes lamentables fellâhin qui peinaient trois ou quatre mille années plus tard sous les Mehemet-Ali. Ils étaient serfs, soumis en même temps au caprice du maître et à la dure surveillance de la loi. Attachés à la glèbe du champ cultivé, ils ne pouvaient le quitter sans un passeport en règle ; leur vie tout entière s’écoulait dans la compagnie des animaux domestiques, et « quand ils étaient malades, ils restaient couchés sur le sol nu, foulé par les troupeaux ». Dans les villes, la plupart des ouvriers étaient également des serfs héréditaires, dont le travail aussi bien que le corps appartenaient au maître, et que l’on payait uniquement en pain et en blé ; dans les grandes occasions on ajoutait un peu d’huile à la pitance ordinaire. Mais, lorsque le paiement se faisait seulement chaque mois, la nourriture fournie par les maîtres était généralement consommée dans la première quinzaine, et les artisans, dépourvus de toute ressource, devaient forcément jeûner ou voler des provisions dans les greniers publics et privés.

Cl. Brogi.
travaux agricoles d’après un bas-relief du musée archéologique de florence


Souvent aussi, ils se révoltaient, ou cherchaient par la grève à obtenir des salaires plus élevés. Puis, quand la mort les avait enlevés à l’existence misérable, on les jetait, cadavres anonymes, dans l’hypogée commun, après de très sommaires cérémonies, jugées suffisantes pour la tombe sans nom. Ainsi que l’a dit Maspero, en s’aventurant beaucoup trop dans le champ des prophéties — car une transformation pour le mieux a certainement lieu à l’époque contemporaine —, « l’Egypte peut changer de religion, de langue, d’origines, le maître peut s’appeler Pharaon, Sultan ou Pacha, le sort des fellâhin n’en sera pas moins toujours le même. »

Le musée de Turin contient un papyrus où Hatnekht, surveillant de travaux à Thèbes, a inscrit ce qui se passait autour de lui dans la 29e année du règne de Ramsès III. Les plaintes des ouvriers, les quartiers enclos de murs, leur croyance absolue dans la bonté du Pharaon, « si seulement il savait leur misère ! », la facilité avec laquelle les fonctionnaires les faisaient rentrer dans la sujétion, tout cela semble une description de quelque scène récente, par exemple de la situation des Cafres ou des Chinois dans les compounds du Goldrand au Transvaal. A trente-deux siècles de distance, nous sommes contemporains de ces travailleurs qui ne demandaient qu’à manger suffisamment pour remplir la tâche imposée.

Un régime qui comporte pour règle fondamentale que le travailleur ne possédera pas en propre le produit de son travail ne peut reposer que sur la terreur, et telle était en effet l’essence même du gouvernement égyptien. Huit livres de la loi, toujours placés sous les yeux des juges, énuméraient les crimes que la mort du coupable pouvait seule expier. La qualification de crime digne de mort s’étendait de l’assassinat aux fautes qui sont actuellement considérées comme contraventions ou délits, ou même seulement comme simples péchés. Ainsi le mensonge et l’âpreté au gain pouvaient être punis de mort[43].

En réalité, tout était punissable si le caprice du maître en jugeait ainsi. Il pouvait ordonner la mort, mais d’ordinaire il se contentait de faire couper le nez et les oreilles du délinquant ou de lui faire distribuer libéralement des coups de bâton. D’autre part, une savante organisation de la hiérarchie des fonctionnaires tenait aussi grand compte de leur vanité ; les Egyptiens étalaient leurs décorations avec la même puérilité que nos contemporains. Les uns portaient l’ordre du lion, récompensant le mérite guerrier ; les autres très fiers encore, quoique moins bien lotis, ornaient leurs vêtements de l’ordre de la mouche, réservé au mérite civil[44].

Le régime d’autorité absolue qui avait fini par prévaloir dans le gouvernement du peuple devait être également appliqué pour l’éducation des enfants. Au mode d’enseignement des premiers âges qui se fait par l’apprentissage de la vie, dans la liberté des champs, sous les yeux de la mère, des camarades et de la parenté, avait succédé l’école proprement dite, sous la direction d’un maître ayant une mission bien définie, celle de dresser des sujets obéissants. Le bâton était toujours dans la main de l’instituteur. « C’est sur le dos de l’enfant que se trouvent ses oreilles », disait un proverbe égyptien. L’école était souvent dite « la maison du châtiment » ; châtier et enseigner étaient deux expressions qu’on pouvait considérer comme synonymes[45]. « Tu es pour moi comme un âne qu’on bâtonne vertement chaque jour ; tu es pour moi comme un nègre stupide qu’on amène en tribut. On fait nicher le vautour, on apprend à voler à l’épervier. Je ferai un homme de toi, méchant garçon, sache-le bien ! » Ainsi s’exprime, dans un traite de morale, un maître parlant à son élève.
tête de lit dorée : le dieu Bès présidant aux rêves et peut-être aussi à l’amour
Musée de Bulak.
Les aigres conseils, les menaces brutales, les corrections corporelles « sévères jusqu’à la mort » furent par excellence dans l’Egypte des Pharaons le « procédé qu’employaient les magistrats et les magiciens pour diriger la conscience publique et façonner la jeunesse ». Nul papyrus de cette époque ne permet de supposer que les maîtres aient donné aux sujets et aux élèves d’autres raisons de bien agir que la crainte du châtiment[46].

Le parasitisme royal, avec la foule des courtisans et des fonctionnaires, n’est pas le seul qui se développa sur le grand organisme agricole de l’Egypte ; la sollicitude des laboureurs, qui, pour la prospérité de leurs cultures, dépendaient absolument de la montée des eaux fluviales, les avait disposés à écouter l’avis des sages ou de ceux que leur vieillesse ou leur expérience pouvaient faire passer pour tels, et peu à peu naquit une caste de nouveaux parasites, les prêtres, qui se chargeaient de négocier avec les dieux la régularité des crues.

Les perspectives les plus lointaines de l’histoire nous montrent, sur les bords du Nil, un peuple gai, fort peu préoccupé des mystères de l’au delà ; Renan l’a remarqué : « On ne peut douter, dit-il en contemplant la statue du scribe connu sous le nom de Gheik-el-beled, qu’avant la période de royauté despotique et somptueuse, l’Egypte n’ait eu une époque de patriarcale liberté»[47]. Mais graduellement, la domination religieuse pesa davantage sur les populations, et les magiciens, qu’on avait eu le tort de consulter bénévolement aux premiers âges, en arrivèrent à dicter des ordres. Aidés par la crédulité publique, par la peur de l’inconnu, ils surent persuader aux rudes ouvriers des champs que leur travail ne suffit point, même aidé par celui des ingénieurs et des géomètres, qu’il faut aussi des invocations et des sacrifices au dieu des cataractes, à la divinité « bleue », ainsi nommée sans doute de la couleur de l’eau qu’elle épanchait à travers les rochers. Entre le peuple qui peine et le redoutable destin devaient s’interposer les prêtres. Un roc de l’île d’Elephantine, en face d’Assuan, porte une très curieuse inscription de l’époque grecque, rédigée par des scribes religieux comme la reproduction réelle d’une prière qu’aurait proférée un roi de la troisième dynastie, c’est-à-dire des temps vieux alors de cinq mille ans peut-être. D’après le texte de l’inscription, ce personnage s’adresse au dieu de la cataracte pour régler avec lui, moyennant la dîme annuelle sur les récoltes et les douanes, payée à ses trésoriers, les prêtres, une crue annuelle et régulière des eaux fécondantes. Le dieu s’engage formellement à ouvrir les portes de ses rapides ; mais la menace reste suspendue sur la tête des Egyptiens : si la dîme devait jamais manquer, la montée des eaux manquerait aussi. C’est pour cette raison que jadis, d’après une légende bien inventée pour les intérêts des prêtres, sept terribles années se seraient succédé sans que l’eau fluviale fût assez haute pour entrer dans les fosses d’irrigation. Des centaines, peut-être des milliers d’années avant Joseph, les prêtres montraient à leurs fidèles la série des « sept vaches maigres » suivant les « sept vaches grasses », en punition d’un retard dans le paiement du denier sacré[48].

Musée de Bulak.

coffre et fauteuil de la reine tia, épouse de amenhotep IV

C’est donc comme magiciens que les prêtres avaient graduellement conquis une si haute place dans la société d’Egypte ; la lecture des inscriptions que l’on a trouvées depuis 1880 dans les pyramides de Sakkarah nous montre que le livre par excellence, il y a cinq mille années, était surtout un recueil de conjurations et de formules magiques. Mais, si habiles qu’aient été les prêtres dans l’exploitation de la crédulité populaire et dans l’élaboration des dogmes qui en faisaient les interprètes nécessaires du dieu inconnu, il est certain que, dans une nature aussi simple que l’Egypte par l’ensemble de ses traits, l’imagination du peuple dut être impressionnée surtout par deux êtres qu’elle transformait en personnes divines : le grand soleil qui décrit immuablement sa course dans le ciel bleu, évoquant les eaux et donnant la vie à toutes choses, le Nil qui chemine incessamment vers la mer, épandant la nourriture dans la terre féconde. Aussi, la divinité par excellence change-t-elle suivant les désirs et les moments dans l’esprit des adorateurs qui les invoquent. Elle se confond d’ordinaire avec l’astre souverain, mais souvent elle est identifiée avec le fleuve, ou bien encore elle est à la fois l’un et l’autre. Une tradition nous dit que l’homme est sorti du grand « œil de Dieu »[49], c’est-à-dire du soleil ; mais un autre mythe, tellement populaire qu’il a fini par devenir un patrimoine commun et qu’on le retrouve dans toutes les langues modernes, donne à l’homme une autre origine : il serait né du limon nilotique. D’ailleurs n’est-il pas vrai, en substance, que la chaleur et l’humidité sont réellement les forces qui nous ont fait surgir du sol, après des millions et des millions d’espèces devancières ? Peu de vérités scientifiques paraissent plus évidentes sous le voile transparent qui les recouvre.

Les symboles sont indéfiniment extensibles ; d’abord simple fantaisie de l’esprit, puis dogmes religieux que le fidèle confesse sur le bûcher, — d’abord germes à peine perceptibles, puis végétations immenses —, ils obéissent à l’imagination qui les créa, qui les nourrit et qui peut, s’il lui plaît, leur faire envahir le ciel et la terre. Osiris, Isis, Horus, Typhon sont autant de protées que l’on adora sous mille formes puisque l’âme émue les fait surgir à volonté pour leur confier la réalisation de son désir. Osiris est évidemment le soleil, le dieu évocateur de toute vie terrestre, et comme tel, celui qui jugera ses créatures au seuil d’une vie nouvelle ; mais puisqu’il donne naissance aux plantes et aux hommes, il marie sa force à celle du fleuve fécondant, le Nil, dont les flots se répandent sur la terre : il est le fleuve lui-même. Isis, sœur et épouse d’Osiris, est la lune qui chemine paisiblement pendant les nuits, mais elle est surtout la bonne terre qui reçoit la semence. Le vrai mariage d’Osiris et d’Isis se fait dans le champ qui nous donne le pain, et leur jaloux, leur ennemi, qui est également une grande force de la nature, est le vent desséchant du désert, ou bien encore le lourd rayon du soleil de l’été. Ainsi le méchant Typhon devient aussi le soleil comme le bon Osiris.

La multitude des dieux dans la mythologie égyptienne s’explique par les origines multiples de la civilisation nationale : toutes les divinités N ° 139 — Première Cataracte.

Le barrage dit d’Assuan est établi entre les points A et B. Il peut actuellement mettre deux milliards de mètres cubes en réserve et quatre milliards dans quelques années.
locales eurent à trouver leur place dans le Panthéon. Phtah était le grand dieu de Memphis, Ammon était celui de Thèbes, et Ra habitait le sanctuaire de la ville qui d’après lui, a pris le nom grec d’Heliopolis, « Cité du Soleil ». De même Osiris, un autre mythe solaire, fut un dieu local, originaire de This ou d’Abydos, capitale antérieure à Memphis, et, quoique son apothéose définitive comme dieu de l’Egypte entière soit un événement qui date d’au moins cinquante siècles, on pense que c’est un dieu relativement moderne dans le ciel des Egyptiens, car c’est à lui, ainsi qu’aux autres dieux de son cycle spécial, Isis, Naphthys, Horus et Typhon, que sont consacrés les cinq jours supplémentaires de l’année de 365 jours, qui succéda, dans le calendrier des égyptiens, à l’année primitive de 360 jours seulement : les autres dieux étaient pourvus d’honneurs avant ce nouveau venu qui devait prendre l’Empire du monde et juger les vivants et les morts.

Une grande confusion ne peut manquer de régner parmi tous ces dieux que les imaginations humaines avaient suscités en différents lieux et qui se substituaient si facilement les uns aux autres, qui se mariaient, s’apparentaient vaguement comme fils ou comme pères, changeaient
Musée du Louvre.Cl. Giraudon.
osiris entre isis et horus
même de sexe, se modifiant dans le ciel comme les nuées de l’espace. Parfois deux grands dieux se fondaient en un seul : l’Ammon de Thèbes et le Ra d’Heliopolis devenaient le dieu Ammon-Ra ; plus tard, ils s’unirent encore au Zeus des Hellènes, au Jupiter des Romains ; les Alexandre et les César entrèrent dans la famille et le peuple asservi crut volontiers ces monarques participant à la puissance divine.

Le culte symbolique des animaux, considérés comme personnification de forces naturelles, d’attributs divins, prit une très grande importance en Égypte : le rôle tout exceptionnel qu’ils eurent dans le culte s’explique par ce fait que les hiéroglyphes en reproduisaient les formes de toute antiquité et que, graphiquement, ils se trouvaient ainsi constamment associés aux dieux ; l’imagination populaire finit par les confondre en une même adoration, par leur attribuer la même vertu d’intervention secourante, la même puissance pour le miracle, de semblables prodiges accompagnent même leur existence.

N° 140. De Memphis à Heliopolis.


Ainsi le taureau Apis, qui s’associe intimement à Phtah, le dieu solaire de Memphis, et qui représente par excellence la force de création, participe comme les dieux à la pureté absolue de la naissance ; on croyait pour lui, ou du moins, on feignait de croire au dogme de l’immaculée conception : une génisse vierge, fécondée par un rayon de soleil et sans tache elle-même, ayant enfanté cet animal sans tache. Mais la plupart des bêtes ne jouissaient que d’une adoration locale : c’étaient plutôt de saints patrons que des dieux proprement dits ; de même que les tribus indiennes, les villes de l’Egypte avaient leur symbole totémique, et souvent il régnait une grande rivalité, même une guerre déclarée, entre ces animaux protecteurs des cités.

Le polythéisme égyptien, si vaste par le nombre de ses dieux qu’il embrassait des milliers de bêtes, n’empêchait nullement que, par ses côtés élevés, la religion des Egyptiens touchât à l’idée d’un dieu unique, tout-puissant. La tendance naturelle qui portait chaque adorateur d’un dieu à le doter de toutes les forces créatrices, à lui reconnaître toutes les qualités, toutes les énergies que se représente l’idéal humain devait nécessairement créer en maints esprits un véritable monothéisme, non moins absolu dans ses expressions, non moins ferme dans ses ardeurs que le fut plus tard celui des Juifs talmudistes et des Arabes musulmans. Le culte d’un seul dieu, de même que tous les autres d’ailleurs, retrouve pleinement ses origines dans le monde égyptien et, certes, il serait difficile de trouver dans la littérature sémitique ou chrétienne un passage plus décisif à cet égard que ceux dont Brugsch[50] a donné la traduction :

« Dieu est le Un et le Seul, et nul autre n’est que Lui ; Dieu est celui qui a tout fait ; Dieu est un esprit, un esprit caché, l’esprit des esprits, le grand esprit des Egyptiens, le divin esprit ; Dieu existe dès le commencement ; Il existait quand rien n’existait encore ; Il est le père des origines ; Dieu est l’Eternel ; Il est toujours vivant et sans fin, perpétuel et de durée constante ; Dieu est caché et nul ne connaît sa forme… Dieu est la Vérité : Il vit par la vérité ; Il se nourrit de vérité ; Il s’appuie sur la vérité ; Il crée la vérité ; Dieu engendre et n’est point engendré ; Il donne la naissance mais ne l’a point reçue ; Il se produit lui-même, se donne naissance à soi-même : Il est le créateur de sa forme et le sculpteur de son corps. »

La conception monothéiste de la divinité prit une si grande part
Musée de Bulak.Cl. Giraudon.
bœuf apis et le prêtre psamitik
d’influence dans la religion égyptienne qu’il se trouva même un roi pour tenter d’accomplir une révolution de culte : Amenophis IV, dont le Louvre possède une statuette d’un merveilleux travail, entreprit d’amener tous les Egyptiens à l’adoration d’un dieu unique, symbolisé par la splendeur du disque solaire, de même que le dieu des Juifs l’était par le feu d’un « buisson ardent », autre emblème du soleil. Aten était le nom de l’Eternel qu’adorait Amenophis, et peut-être est-ce à bon droit que l’on a rapproché de cette appellation celle d’Adonaï donnée par les Sémites juifs à leur « Seigneur »[51].

Les prêtres, comme magiciens, comme maîtres de l’inconnu, de toutes les formes mystérieuses qui s’agitent autour de la pauvre humanité souffrante et angoissée, disposèrent toujours d’un très grand pouvoir, quoique certains faits nous portent à croire que l’impression générale de terreur laissée dans les esprits par les cérémonies magiques et mortuaires ait été exagérée. La vie de tous les jours, celle du travail, de la famille, les mille incidents qui se succèdent détournent les hommes de la hantise du tombeau. Ainsi dans les ruines de la ville de Kahun, qui fut bâtie il y a trente-huit siècles, près de l’entrée du Fayum, on n’a découvert, parmi de nombreux papyrus, aucune pièce qui parlât de mort, de religion ou de cérémonies magiques[52]. D’ailleurs, la puissance redoutable exercée par les jeteurs de sortilèges trouvait heureusement sa limite dans la faillibilité des hommes qui prétendaient commander aux éléments et aux esprits. Leur autorité pouvait devenir précaire, incertaine ou même s’évanouir après chaque méprise, chaque insuccès.

Cependant, dès que l’on vit dans les prêtres non pas les simples détenteurs des sorts et des recettes mais les représentants des dieux, puis les confidents du dieu suprême et les intercesseurs directs auprès du trône, ils acquirent une majesté surhumaine. Agrandie dans le domaine moral, leur puissance tendait logiquement à la conquête de tous les pouvoirs. La propriété ecclésiastique devint formidable et s’étendit sur les meilleures terres ; en Égypte plus qu’ailleurs, le mort saisissait le vif, lui suçait le sang du corps, le laissait débile et exténué. L’ambition suprême des divins interprètes put aussi se satisfaire pendant un certain temps, sinon en Égypte, du moins dans le pays de Méroé, domaine de civilisation égyptienne. La caste sacerdotale avait su s’y imposer à tous et tenait sous sa tutelle le roi ou gouverneur qu’il lui plaisait d’investir des charges de l’administration. L’usage avait même prévalu que, sur l’invitation du Sacré Collège, le prince devait, sans mot dire, résigner les fonctions qui lui avaient été confiées[53]. Il est vrai que l’un de ces rois finit par prendre son rôle au sérieux et, commandant à ses troupes de cerner le « temple d’or », fit massacrer les prêtres et leurs novices[54].

Ainsi la lutte s’était établie entre prêtres et rois pour la conquête du pouvoir et pour celle de la suprématie divine, qui, par son action sur l’imagination craintive des sujets, transformait leur conduite d’obéissance en servilité. Les rois, qui étaient prêtres eux-mêmes, l’emportèrent dans ce conflit, et pendant une grande partie de l’histoire de l’Egypte, le véritable culte, du moins sous sa forme officielle, ne fut autre chose que l’adoration basse des rois, divinisés de leur vivant même, par le seul fait de la possession du pouvoir souverain. D’ailleurs, en inscriptions solennelles, ils ne négligent point de se présenter comme de réelles divinités, et la masse colossale de leurs statues, dressées en pierres indestructibles, n’a d’autre sens que de les montrer à la foule sous leur aspect de dieux. Souvent leurs traits, nobles et tranquilles comme s’ils étaient éclairés déjà par la lumière de l’éternel repos, n’ont rien de personnel et ne trahissent point l’individualité terrestre, mais il y eut aussi des rois qui, croyant réellement à leur divinité, se firent représenter sous leur vraie forme ; ainsi des figures royales, frappées incontestablement d’idiotisme, nous ont été conservées[55].

Ce culte de l’adoration perpétuelle des rois, se transformant pratiquement en un asservissement complet des âmes et des corps, rejeta les populations dans les espérances chimériques de l’au delà.

Les esprits étaient hantés par l’idée d’une fin, mais d’une fin qui serait en même temps un recommencement, et nul autre peuple que celui d’Egypte n’a plus brillamment brodé sur ce thème, ceux du moins des Egyptiens qui gardaient le loisir d’avoir des croyances, car comme partout et toujours, la masse des sujets se contentait de vagues aspirations, des pratiques de la magie courante, des incantations, des gestes, des formules toutes faites qui ne diffèrent guère de peuple à peuple ni d’époque à époque.

Nos cerveaux ont quelque peine à se figurer la lumineuse (khu), distincte de l’âme (ba), différente elle-même du double (ka), toutes émanations de l’individu après sa mort, au même titre que l’image et l’ombre perpétuant la mémoire du défunt en d’autres civilisations. Le « double » des Egyptiens était un second exemplaire du corps, le reproduisant trait pour trait, en une matière aérienne et colorée. C’était pour lui que se préparait la bonne demeure, ou la demeure éternelle, pour lui que les parois de la tombe se couvraient de serviteurs affairés — car la peinture d’un serviteur est bien ce qu’il faut à l’ombre d’un maître[56] —, pour lui, la momification et les soutiens artificiels qu’on lui procurait sous forme de statues, pour lui que des fellâhin par centaines de mille entassaient pierre sur pierre.

Le « double » était lié à la tombe, l’ « âme ». circulait librement, habitait parmi les dieux, visitait un autre « pays du Nil », un royaume d’Osiris, par delà le sommeil de la mort. Il est bien, parfois, question d’un enfer, mais l’idée de sanction reste confuse, les croyances des Egyptiens ne différaient guère sur ce point de celles des chrétiens de nos jours ; pourtant, ils ne croyaient pas qu’une faute temporelle, si grande fût-elle, pût mériter un supplice éternel[57].

La religion des Egyptiens ne fut pas cet immuable ensemble de croyances que les historiens grecs et, d’après eux, les égyptologues classiques s’étaient imaginé d’abord : elle évolua. Après la sollicitude pour le sort du « double », le fidèle concentra ses aspirations sur une seconde vie, il demande « l’haleine pour son nez », il trouve la béatitude dans la phrase de bienvenue prononcée par Osiris : « Je te donne les renouvellements indéfinis ». L’Egyptien d’alors ne croyait pas à la résurrection, mais à une série sans fin de renaissances[58].

De tous les documents légués par l’antique Égypte, celui qu’on peut considérer comme la « Bible », comme le livre sacré par excellence, comprenant le fond même de la religion, est le « Livre des Morts » que l’on plaçait dans les bandelettes des momies et qui suivait le « double » dans le royaume de l’Occident. On possède plusieurs formes de ce livre, et les variantes sont nombreuses, mais quelles que soient les différences des formules et des invocations, le rituel parle toujours un langage d’auguste solennité qui témoigne de l’intensité d’émotion causée par le passage de la première à la seconde vie.

Cl. Beats.
peinture à l’intérieur d’un tombeau royal (tombeau nakht)


Les phrases consacrées nous présentent l’existence terrestre comme une préparation à celle qui suivra quand l’homme, complètement purifié par les épreuves de l’Amenti ou « Monde Occidental », finira par être reconnu « juste » et par entrer, Osiris humain, en un état de divinité véritable ; c’est alors qu’il reviendra vers son corps pour l’animer de nouveau, le transformer en une enveloppe glorieuse qui ne connaîtra plus ni la douleur, ni le déclin, ni la mort[59].

La toute-puissance du sacerdoce donnait aux rites, aux incantations et surtout aux offrandes très profitables à la caste une importance suprême dans le salut des morts ; toutefois le fond de justice et de bonté qui s’était maintenu dans ces populations agricoles revient incessamment dans le formulaire du rituel comme une survivance de l’ancienne Égypte que les premiers agriculteurs avaient conquise sur les marais du Nil par leur âpre labeur, leur étroite solidarité et ce sens de la mesure qui en fit d’admirables géomètres. « J’ai donné du pain à qui était affamé, j’ai donné de l’eau à qui avait soif, j’ai donné des vêtements à qui était nu » ; et chaque maître, chaque préposé au travail se vante, dans ses panégyriques mortuaires, de son esprit d’inépuisable charité : « Moi, je suis le bâton du vieillard, la nourrice de l’enfant, l’avocat du misérable, le réchauffeur de ceux qui ont froid, le pain des abattus ». « Je suis le père de ceux qui n’ont pas de père, la mère de celui qui n’a pas de mère »… « Jamais je n’ai fait travailler qui que ce soit plus que je ne travaille moi-même »… « Jamais je n’ai calomnié l’esclave auprès de son maître ». Et non seulement le défunt prétend avoir été bon et juste, il se vante aussi de sa vaillance dans la défense des faibles contre les forts : « J’ai détourné le bras des violents, opposé la force à la force, j’ai été hautain pour les hautains, et j’ai abattu l’épaule de qui levait l’épaule ». Il est vrai que ce sont là de simples épitaphes, menteuses comme elles le sont presque toutes, mais l’insistance avec laquelle les éloges posthumes parlent des qualités du mort prouvent du moins qu’il avait la conscience de ce qui est noble, équitable et bon.

Cette grande ambition de la vie future divinisée se traduisait pratiquement dans l’existence des Egyptiens par le soin prodigieux que l’on donnait aux cadavres, et ceci dès la période préhistorique : dans les plus anciens tombeaux, les ossements recueillis gardent les traces d’ingrédients employés pour la conservation des corps[60]. Mais pour être sûr de faire durer le cadavre dans l’attente de la résurrection future, il ne suffisait pas de l’embaumer, il fallait aussi le protéger contre les bêtes féroces, aux attaques desquelles le double front des montagnes désertiques l’exposait plus qu’en tout autre pays, il fallait le cacher sous des amas de pierres ou même dans le roc vif, il fallait aussi l’entourer de paroles magiques pour le défendre contre le mauvais sort et les méchants esprits, et c’est à quoi servait le Livre des Morts, le recueil de formules que devaient réciter ou psalmodier les parents et les amis du défunt.

sarcophage d’un scribe royal de la xixe dynastie Musée du Louvre. Cl. Giraudon.

Tous les usages des temps historiques nous prouvent combien le riverain du Nil tenait à être religieusement « recueilli vers ses pères », et c’est à la réalisation de ce vœu que s’appliquait la plus forte part des revenus personnels. La momification des corps appartenant à quelque haute famille coûtait un talent, soit plusieurs milliers de francs en monnaie moderne ; même le traitement des cadavres appartenant à la classe pauvre revenait à des sommes relativement considérables et prenait toujours soixante-dix jours réglementaires de préparation. Aussi les indigents, ceux qui n’avaient rien, qui ne pouvaient s’acheter les drogues, ni payer les ouvriers, ni disposer d’un caveau familial, ni même de quelques pieds carrés dans la nécropole commune, devaient également renoncer à l’espérance de renaître dans une vie plus heureuse : ils périssaient tout entiers. Les prêtres étaient assez riches pour conserver par multitudes les corps des animaux sacrés, ibis, vautours, éperviers, hiboux, chats, chacals, crocodiles et singes, souris et chauves-souris, serpents, poissons et scarabées, mais à nombre d’humains ce privilège était refusé. Toutefois, c’est par millions et par millions que les générations successives ont déposé leurs momies dans les hypogées de l’Égypte : en maints endroits, la poudre que l’on foule
momie de la reine tia
aux pieds est en entier de la poussière humaine. C’est en ce sens surtout que l’on a pu dire de l’antique vallée du Nil : « Rien de profane en ce pays. Tout est sacré »[61].

Les archéologues constatent avec étonnement la prodigieuse importance qu’avait prise en Égypte cette industrie des embaumeurs qui occupait des ouvriers par centaines de mille. Ils ont essayé de se rendre compte de la quantité de produits immobilisés dans les tombeaux : étoffes communes et précieuses, liqueurs odoriférantes et antiseptiques, gommes, matières bitumineuses et substances chimiques, sans compter les amulettes, les charmes, les formules de conjuration, cousus ou placés dans les vêtements. Pour un seul cadavre on employait parfois des bandelettes ayant une longueur totale de « 1 000 aunes », et chacune d’elles avait été parfumée des drogues de l’Arabie Heureuse ; l’entretien des morts absorbait les soins de plus de la moitié des vivants peut-être.

Mais l’histoire de la momification évolua comme toutes choses. Dans les premiers tombeaux, fouillés par Amélineau, sous les buttes d’Abydos, les squelettes sont placés dans une position accroupie, qui est l’attitude naturelle des indigènes, lorsqu’ils se reposent le soir, auprès de leurs huttes, après les travaux du jour : c’est à peu près la position des momies péruviennes dans leurs huacas. En ces mêmes tombeaux, Amélineau a découvert des corps ayant déjà subi quelques essais de momification au moyen du natron ou de substances qui produisent à peu près les mêmes effets[62]. Les premières momies traitées suivant les procédés classiques, celles des nécropoles de Memphis, sont
masque d’or de la reine tia
noires, sèches, cassantes, tandis que celles de Thèbes ont un reflet doré et présentent une certaine élasticité ; le pied d’une momie au Musée Guimet semble une pièce d’ivoire poli. Aux basses époques, elles redeviennent noires, lourdes, informes, l’habitude d’embaumer les corps n’était plus qu’une vaine pratique, la foi s’étant évanouie.

Même évolution dans le décor des tombeaux. Avant l’époque de la douzième dynastie, c’est-à-dire avant les âges de la gloire de Thèbes, lorsque les Egyptiens n’étaient pas encore hantés par l’idée de la mort et que l’art de conserver les corps était relativement peu développé, les maisons éternelles, les tombeaux, notamment ceux de la nécropole de Sakkarah, près de Memphis, nous révèlent que la société contemporaine était assez libre d’esprit, ne s’était point encore rapetissée sous la main du sacerdoce. Aucune image n’y représentait le dieu : Osiris en était absent ; seulement Anubis gardait déjà la porte funéraire. Là, le mort était chez lui, avec sa femme et ses enfants, avec ses domestiques aussi, car la grande, propriété était déjà constituée ; tout dans la maison mortuaire était disposé pour que le propriétaire y fût à son aise et qu’il pût y continuer les travaux accoutumés. Mais surtout on avait grand soin que nul étranger ne vînt le troubler dans la solitude où il devait rester à jamais.

Combien différents de ces premiers tombeaux confortables et décorés de joyeuses images sont les effroyables hypogées où les prêtres, désormais vainqueurs, ont enfoui les malheureux qui vécurent sous la terreur de leurs enseignements redoutables. Dans ces tombes, construites sous la direction sacerdotale, toute image est effrayante : les âmes des morts, ayant vécu dans l’effroi, se réveilleront dans l’épouvante[63].

Cl. Al. Vista.
village sur le nil, maisons surmontées de pigeonniers


Et des caveaux, ce vertige de la mort monte à la surface, poursuit l’homme dans tous les actes de sa vie, assiste même à ses banquets. Durant les festins on promenait un cercueil autour de la table, pour rappeler aux convives combien courte est la vie. Puis vint l’époque d’évolution finale où toutes ces pratiques ne sont plus que des survivances dépourvues de signification, où les inscriptions des stèles parlent une langue oubliée, où des idées toutes nouvelles, celles de la vie joyeuse et libre, se mêlent à celles de la mort, et, comme un rayon de lumière, pénètrent dans le noir caveau. C’est ainsi que peu de temps avant la conquête romaine, un grand prêtre qui venait de perdre sa femme rédigea pour elle une inscription dont la phraséologie pieuse rappelle les graves enseignements d’autrefois, mais à laquelle s’ajoute cette exhortation singulière : « Ne t’arrête point de boire, de manger, de t’enivrer, de faire l’amour ; ne laisse point entrer le chagrin dans ton cœur. »

Uniques parmi les tombes égyptiennes sont les étonnantes pyramides dont, pendant des milliers d’années, l’une resta le plus haut édifice élevé par les hommes et qui, par leur forme même, apparaissent indestructibles. « Peut-être ces gigantesques sarcophages, les monuments les plus anciens du monde, survivront-ils à tous les autres », dit un auteur[64] parlant avec quelque emphase de ces constructions
coupe de la grande pyramide

1. Entrée de la Pyramide.
2. Grand passage.
3. Chambre de la reine.
4. Chambre du roi ou du sarcophage.
5 et 6. Canaux de ventilation.

7. Chambre souterraine.
qui ne furent point des premières, ayant été évidemment imitées des temples à degrés érigés sur les bords du Tigre et de l’Euphrate. Les générations qui se sont succédé depuis que ces énormes amas de pierres se dressent sur la limite du désert libyen ne sont point revenues de la stupeur que leur ont causée ces prodigieux entassements, et des légendes obstinées font intervenir dans cette œuvre tantôt les génies d’en haut, tantôt les démons d’en bas ; d’autre part, maints esprits d’élite, auxquels répugnait l’idée que pour le cadavre d’un seul homme on eût employé le travail de tout un peuple pendant des années, se sont refusé à voir de simples tombeaux dans les hautes masses des pyramides. On y a cherché des monuments d’ordre scientifique, témoignant des connaissances auxquelles les Egyptiens étaient parvenus, il y a des milliers d’années, à l’aurore de l’histoire. Certes, les « pierres parlent » : elles disent que les constructeurs de la vallée du Nil pouvaient tailler leur matériaux avec une étonnante précision et qu’ils avaient la solution de maint problème géométrique ; ils avaient aussi, comme leurs devanciers des fleuves chaldéens, des notions astronomiques fort étendues et savaient orienter leurs édifices ; mais on a voulu voir une signification plus haute dans les rapports que présentent entre elles les diverses parties des pyramides, surtout de la plus grande, la pyramide dite de Kheops ou de Khufu, d’après le roi qui la fit élever pour recevoir son corps. D’abord on a considéré ce monument comme un résumé de la science géodésique, chacune de ses dimensions, des arêtes, de ses divisions et subdivisions devant correspondre à des fractions simples du diamètre équatorial.
Renseignements sur quelques Pyramides.
l, longueur de la base, h, hauteur actuelle de la pyramide en mètres, d’après Piazzi-Smith ; α, angle à la base ; 50° à 52° sauf indication contraire.
Abu Roach,
pyramide en ruines, ne fut jamais terminée 
 l = 96 h = 12
Giseh,
pyramide de Kheops 
 l =231 h =135
pyramide de Khefren 
 l =207 h =134
pyramide commencée pour Menkera, terminée et revêtue de syénite pour la reine Nitôkris 
 l =101 h = 61
Rigah
ou Zauïet-el-Aryan, une pyramide en ruines l = 90 h = 18 et une autre à deux pentes, α = 75° et 50° 
 l = 30 h = 13
Abusir,
pyramides construites pour les rois de la 5e dynastie (?) ; deux pyramides ont l = 64 ou 65, h = 32 ou 35 ; pour la plus grande, on a 
 l = 97 h = 49
Sakkarah,
pyramide à degrés, α = 73°, la première en date de toutes (?), à base non carrée 
 l = 92 et 105 h = 55
Cinq autres ont été élevées pour Unas (5e dyn.), Teti, Pepi Ier, Merenra et Pepi II (6e dyn.) 
 l = 62 à 81 h = 18 à 32
Dachur,
d’après G. Maspero, une de ces pyramides fut construite pour Snefru, deux autres pour Usertesen III et Amenemhat II.
Une des pyramides est à deux pentes, α = 54° et 43°, 
 l =185 h = 96
une autre est très aplatie, α = 43° 
 l =210 h = 98
et une autre très abrupte, α = 57° 
 l =120 h = 47
Licht,
pyramide d’Usertesen Ier, en ruines, α = 49° 
 l =107 h = 21
pyramide d’Amenemhat Ier, en ruines 
 l = 90 h = 15
Meidum,
d’après Flinders Petrie, fut construite pour Snefru, la seule édifiée par revêtements inclinés successifs 
 l = 60 h = 37
Illahun,
pyramide d’Usertesen II, d’après Flinders Petrie, base formée par la roche naturelle taillée 
 l =108 h = 34
Hawara,
pyramide d’Amenemhat III et de sa fille, d’après Flinders Petrie 
 l = 90 h = 32

On a également prétendu que la grande pyramide était une sorte d’écrin contenant le « secret du Nil »[65]. Tandis que la masse du peuple restait condamnée pendant des milliers d’ans à ignorer les sources du grand fleuve, que les rois, siégeant majestueusement sur les trônes, et les savants, pérorant sous les portiques, se succédaient en s’interrogeant vainement sur les origines de l’eau sacrée, les prêtres se seraient transmis mystérieusement la carte figurée par la disposition des chambres ménagées dans les ténèbres de la pyramide : ici le grand lac auquel on donne aujourd’hui le nom de Nyanza, puis les lacs occidentaux et les autres traits hydrographiques du Nil supérieur, tels que les explorateurs modernes les ont redécouverts depuis le milieu du dix-neuvième siècle.

N° 141. Territoire des Pyramides.

Enfin des savants se sont imaginé que la grande pyramide et, dans une moindre mesure, les autres constructions de même genre, révélations directes d’en haut, donnaient une forme monumentale aux « vérités » religieuses. D’après l’astronome Piazzi-Smith, qui étudia pendant longtemps les pyramides égyptiennes, celle de Kheops est une « Bible de pierre », construite sous la direction de Melchisedec, un « testament » analogue à ceux qui furent dictés aux voyants et aux apôtres. On trouve non seulement le diamètre de la terre dans la lecture des dimensions des diverses parties, mais encore sa densité, la distance exacte du soleil à la terre et aux planètes, la longueur de l’année en jours et celle de la période précessionnelle en années ; on y lit aussi la date qui séparait la construction de la pyramide de la naissance de Jésus-Christ : 2170 ans, enfin une prophétie annonçant la venue du millenium pour l’année 1882[66].

Un autre astronome, Lagrange, fait siennes des croyances analogues : il professe également que le dieu des Hébreux s’est manifesté par des œuvres inespérées, la Bible et la pyramide de Kheops, car les autres constructions, d’élévation moindre, sont de simples travaux humains, et l’on pourrait même se demander si elles ne sont pas d’impuissantes imitations de l’éternel tentateur. Mais à ces deux manifestations saintes de la volonté céleste, qui, d’après lui, sont la clef de l’histoire et celle de l’avenir, le savant mystique ajoute une autre manifestation, celle d’un géodésien moderne, Bruck[67], dont l’ouvrage offrirait une telle concordance avec la révélation qu’en prenant à la lettre les raisonnements de son interprète, on serait porté à lui attribuer également une inspiration divine[68].

Nous savons pourtant que la « loi de Bruck », d’après laquelle l’histoire de l’humanité serait régulièrement découpée en périodes d’un peu plus de cinq siècles, concordant avec la grande période de déclinaison magnétique, et voyagerait pour ainsi dire de foyer en foyer dans la direction de l’est à l’ouest, se trouve en désaccord avec un grand nombre de faits historiques et géographiques : elle ne peut être admise comme article de foi que par des esprits religieux. Cependant, elle a de très fervents adeptes qui ne reculent devant aucune absurdité.

Cl. Bonfils.
aspect actuel d’un angle de la grande pyramide


Les « pyramidistes » de la Grande-Bretagne ne sont-ils pas d’accord pour dire que la nation anglaise descend directement des douze tribus d’Israël ? Le docteur John Lightfoot, chancelier adjoint de l’Université de Cambridge, n’a-t-il pas reconstitué — après un travail de 15 ans (1888-1903), nous dit-on, — l’acte de naissance d’Adam qui fut créé en l’an 4004 avant J.-C, le 23 octobre à 9 heures du matin[69] ?

Ainsi les pyramides ont tellement frappé les imaginations par leur masse imposante que, même dans le pays le plus civilisé du monde, nombre d’hommes à l’esprit très élevé voient des pierres sacrées dans les matériaux qu’entassa peut-être un inepte orgueil. Toutefois, les diverses théories relatives à la signification mathématique, astronomique et religieuse des lignes, des arêtes, des plans et des diagonales de la grande pyramide reposaient sur des mesures dont l’exactitude n’avait pas été suffisamment contrôlée et dont les meilleures présentaient des écarts d’un mètre ou davantage. La première triangulation tout à fait précise du monument de Kheops est celle que l’on doit à l’égyptologue Flinders Petrie, devenu troglodyte pendant cette étude, car, durant les deux années 1880 et 1881, il résida dans une chambre sépulcrale au pied de la pyramide : ce travail a déterminé les dimensions de l’édifice avec toute la rigueur habituelle en géodésie. Les alignements et les angles des ouvriers égyptiens sont en général d’une grande exactitude, l’erreur moyenne n’atteignant pas 2 millimètres ; mais l’orientation est plus défectueuse, puisque l’axe de l’édifice se dirige vers 3′ 43″ à l’ouest du nord[70].

Flinders Petrie trouve absolument justifié le tableau que donne Hérodote de l’organisation du travail ; la grande pyramide — et les autres également, sauf celle de Meidum, — fut édifiée d’un seul jet avec le sarcophage au centre, et les pierres de revêtement taillées avant d’être mises en place, mais il y eut du flottement dans la direction du travail. Certains détails contrastent d’une manière scandaleuse par la grossièreté de la main-d’œuvre avec l’exactitude de l’ensemble et la perfection admirable de la plupart des fragments. Des tours de force furent effectués dont un artisan de nos jours pourrait être fier.

N° 142. Triangulation des Pyramides de Giseh.
A. Base mesurée.
B. Excavation sur la face orientale de la grande pyramide pour dégager les pierres de revêtement restées en place.
C. Temple de la pyramide de Khefren.
D: Temple de granit rose, prépharaonique (?)
E. Temple de la pyramide de Menkera.
F. Ruines de casernements d’ouvriers.
G. Grand sphinx, prépharaonique (?).
Des vestiges d’anciennes chaussées et de murs sont indiqués en pointillé.

La plupart des théories relatives aux dimensions de la pyramide ne résistent pas à l’observation précise ; un seul fait reste acquis : l’angle des faces avec le sol horizontal est tel (52° environ) que le côté de la base de la pyramide et la hauteur sont dans un rapport exprimé par la moitié de la valeur Π des mathématiciens ; on peut aussi dire que l’aire d’une face latérale de la pyramide est égale au carré de la hauteur[71], et il est remarquable qu’Hérodote[72], ainsi que l’a montré John Herschell, ait déjà connu cette particularité, bien qu’il ne se soit point exprimé en termes rigoureux. En outre, cet angle est à quelques minutes près le même dans une quinzaine des plus importantes pyramides, dont pourtant les longueurs absolues diffèrent toutes entre elles.

Se rappelant que le dieu de la mort, Seth, a son image visible dans Sirius de la constellation du Chien, Mahmud Bey[73] a cherché une corrélation entre l’inclinaison de la face (sud) et l’incidence du rayon de cette étoile à sa culmination ; il a calculé ainsi que la grande pyramide remontait à 8266 ans avant J.-C ; mais il y a contradiction entre un élément astronomique à variation rythmique et la constance d’un angle qui se retrouve en des monuments édifiés à intervalles de plusieurs siècles.

On peut se demander d’ailleurs si ces connaissances étaient bien celles des bâtisseurs égyptiens ou plutôt celles d’architectes venus de la Mésopotamie chaldéenne, à la suite de conquérants ou de migrateurs. On est tout d’abord frappé de ce fait capital que les 67 pyramides comptées par Lepsius en 1842, et dont on ne retrouve plus qu’une quarantaine, sont toutes situées dans la basse Égypte, entre le bassin du Fayum et le collet du delta. A l’exception d’une petite pyramide du début de la première dynastie, découverte par J. de Morgan à Nagada, et dont les faces, parées et ornées de moulures, avaient été noyées dans une enveloppe de maçonnerie, il faut remonter le Nil sur plus de 2 000 kilomètres, jusqu’aux environs de Méroé, pour trouver une centaine d’autres pyramides, plus petites et plus récentes. Tous ces monuments se dressaient dans la région de la vallée la plus voisine des plaines arrosées par le Tigre et l’Euphrate. Si des maîtres étrangers, venus de l’Orient, se sont établis en Égypte, apportant leurs usages et leur civilisation, c’est par cette contrée largement ouverte que dut s’accomplir l’invasion, comme se produisit plus tard celle des Hyksos. Peut-être n’est-il pas téméraire de supposer que les annalistes de l’Égypte se seront gardés d’enregistrer la venue de dynasties étrangères et les auront volontiers remplacées par des énumérations de rois indigènes, mais le peuple aurait eu mémoire d’un autre ordre de choses. Si l’on ne s’est point moqué d’Hérodote qui répète l’assertion, les Egyptiens attribuaient la construction des pyramides à un berger, Philition, qui paissait ses troupeaux en cet endroit[74]. Or, qu’était-ce qu’un berger pour les Egyptiens agriculteurs ? C’était un étranger, un ennemi, un homme de l’Est !

Cl. Bonfils.
les deux pylones du temple de ramses iv, à karnak


Ne pourrait-on pas interpréter dans le même esprit ce dire d’Hérodote que les Egyptiens seraient restés pendant plus de cent ans sans ouvrir leurs temples ? Si c’eût été en haine de leurs rois nationaux, comment ceux-ci, assez puissants pour asservir tout le peuple à la construction des pyramides, n’auraient-ils pas eu assez d’autorité pour tenir les temples ouverts ? Mais tout s’explique si les maîtres étaient des envahisseurs étrangers et s’ils avaient eux-mêmes ordonné la fermeture des sanctuaires.

Quoi qu’il en soit, de grands changements se produisirent dans l’architecture et dans le symbolisme des pyramides pendant les âges de leur construction, que l’on évalue à un millier d’années. Tout d’abord, lorsque les bâtisseurs chaldéens vinrent directement d’Eridu à Memphis — c’est-à-dire, en traduisant les mots des deux langages, de la « Bonne ville » à la « Bonne ville » ou plutôt de la « ville du Bon Dieu » à une autre « ville du Bon Dieu »[75], — les pyramides étaient bâties en briques faites avec le limon du Nil et par gradins successifs comme les observatoires et « tours de Babel », puis le nombre des terrasses, qui aurait dû toujours se maintenir à sept, conformément à la tradition, augmenta graduellement en diminuant de saillie, tandis que la pierre remplaçait la brique. A la fin, toutes traces d’inégalités extérieures dans le tétraèdre pyramidal disparurent, et la construction ne fut plus qu’un solide géométrique parfaitement régulier, aux surfaces polies. Le mastaba, c’est-à-dire le tombeau royal, qui primitivement se dressait à part, sans pyramide qui l’enfermât, fut placée, dès les premiers temps des dynasties historiques, au milieu de l’emplacement que devait surmonter la masse énorme des pierres entassées.

Les rois soupçonneux auraient voulu à tout prix que leurs corps, ornés d’étoffes précieuses et de bijoux, fussent soustraits aux regards profanes : ils cherchaient à satisfaire d’un côté à l’immensité de leur orgueil et de l’autre aux lois de la prudence. Les monuments funéraires devaient se montrer de fort loin par la puissance de leur masse, et des temples, des statues, des pylônes triomphants, des allées de sphynx ajoutaient à la gloire de leur tombe, mais il fallait que la dépouille divine fût si bien cachée dans l’intérieur des constructions que nul ne pût la découvrir pendant la succession des siècles. Le corps de Kheops, dans son étroit réduit de la Grande Pyramide, échappa en effet aux regards pendant des milliers d’années : on ne le trouva qu’après la conquête de l’Egypte par les Arabes, sous le règne du calife Mamun, vers l’an 200 de l’hégire.

Après la construction du tombeau qui contint la momie de Kheops et qui avait coûté tant de souffrances aux captifs des populations vaincues, de même qu’à la multitude lamentable des malheureux sujets, la décadence se produisit rapidement pour ce genre d’édifices.

Cl. Bonfils.
biban-el-moluk, tombeaux des rois, près de thèbes
Si les pyramides étaient des œuvres d’origine étrangère, on comprend que la révolution architecturale se produisît chez les Pharaons thébains sous l’influence d’un sentiment d’hostilité contre des dynasties venues du dehors ; mais d’autres causes peuvent également expliquer l’abandon de cette architecture, par trop rudimentaire, des pyramides. Faire plus grand était pratiquement impossible, puisqu’il eût fallu y appliquer toutes les ressources de la nation au détriment des cultures et des industries : la nouvelle dynastie préféra adopter un autre style de monuments funéraires, et l’antique genre de constructions devint bientôt ce qu’il est encore aujourd’hui, un banal modèle de sépulture pour de vaniteux parvenus.

On a également émis l’idée que le changement de milieu fut la raison qui décida les souverains à changer la forme de leur tombeau. A Memphis et à Thèbes, la nature présente des aspects différents. Au lieu d’une simple berge rocheuse limitant le désert à l’ouest de la vallée du Nil et présentant une succession de piédestaux à de colossales constructions, de hauts escarpements ravinés se dressent au-dessus de l’étroite lisière des campagnes. Il n’y a pas de place pour l’érection de masses pyramidales, dont les arêtes se profileraient sans grandeur sur le fond gris des rochers voisins. Ce sont ces parois elles-mêmes qui par leurs pentes irrégulières remplacent les triangles géométriques des grands tombeaux du nord. En y faisant déposer leurs corps, les Pharaons de Thèbes pouvaient espérer les cacher plus sûrement : aucun ornement n’en signalait l’existence, et les ouvertures en étaient masquées prudemment par des amas de pierres ressemblant à des éboulis. On comprend ces précautions. Le respect de la mort n’était pas si puissant en Égypte qu’il pût empêcher les misérables et les faméliques de jeter des regards d’envie vers les tombeaux des rois, où ils savaient que de grands trésors étaient ensevelis à côté des momies vénérées ; ils connaissaient l’existence de ces « salles d’or » où les prêtres et les courtisans avaient déposé tout ce qui avait appartenu au roi pendant sa vie : ses armes, ses vêtements, ses meubles, ses bijoux, et maintes fois les pillards pénétrèrent en bandes dans ces riches hypogées. D’anciens papyrus parlent de ces vols : du temps de Strabon, quarante tombeaux de rois avaient été complètement saccagés ; le public entrait librement dans les galeries et les murs se couvraient d’inscriptions grecques et latines. C’est pour éviter la profanation des momies royales non encore violées que les prêtres inventèrent la cachette habilement masquée, finalement découverte par les fureteurs arabes en 1881, et où l’on a retrouvé les corps étonnamment conservés de Ramsès II et d’autres Pharaons.

N° 143. Thèbes et ses Faubourgs.
1. Biban-el-Moluk, tombeaux des Rois, Seti Ier, Menephtah, Ramsès III, etc.
2. Drah-abul-Neggah, 11e et 17e dyn. 3. Temple de Deir-el-Bahary et cachette.
4. Kurna, terrasses préhistoriques. 5. Tombeaux des Reines.
6. Temple de Seti Ier. 7. Temple de Thutmos III.
8. Ramesseum. 9. Temple d’Amenhotep III.
10. Statues d’Amenhotep III, dites de Memnon, d’où le nom du faubourg.
11. Temple de Thutmos II, et Medinet-Habu, temple de Ramsès III.
12. Allée de sphinx et temple de Amenhotep III.
13. Temples d’Ammon, de Thutmos Ier, etc. ; lac Sacré. C’est sous le temple d’Ammon que, en 1903, Georges Legrain découvrit une cachette renfermant plusieurs centaines de statues dont les dates s’étendent sur une période de plus de 5 000 années, de la 2e dynastie à celle des Ptolémées.
14. Avenue de sphinx, temple de Mut. 15. Temples de Luksor, Amenhotep III et autres.

L’architecture des temples subit également de grandes modifications pendant les âges de cette ancienne Égypte, prétendue immobile. Dès les premiers temps auxquels remonte la connaissance de la vallée nilolique, on voit les habitants s’accommoder aux conditions de leur milieu.

Cl. Bonfils.
temple de dendérah


Ils ne gîtaient point, comme on l’a cru longtemps, dans les grottes des monts riverains du fleuve[76], et pourquoi l’eussent-ils fait ? puisqu’il leur était plus commode de vivre sur les levées qu’ils avaient construites, sous les branchages des arbres qu’ils avaient plantés, à côté des sillons jalousement cultivés par eux ? Ils savaient édifier des cabanes en bois léger ; le sycomore et le palmier, arbres les plus communs de la vallée, répondaient bien à leurs besoins ; ne se donnant pas même la peine d’équarrir les troncs abattus et de redresser les branches, ils n’avaient qu’à les superposer et à les entremêler en comblant les interstices et en recouvrant le tout de limon durci. Ces humbles bâtisses en bois et en boue, types encore imités pour les demeures où sont blottis les fellâhin de nos jours, se voyaient à peine au pied des énormes tombeaux pharaoniques, et pourtant les moins misérables de ces huttes servirent de modèle aux premiers édifices —
colonne du temple de karnak
telles les portes d’hypogée — qui témoignent d’un certain souci de l’architecture. L’ornement extérieur de ces petits monuments de pierre consiste en bandes alternativement horizontales et verticales, ressemblant à des troncs de palmiers entrecroisant leurs extrémités à l’angle d’une cabane : l’habitation des morts avait été faite d’après le même type que celle des vivants.

Les souvenirs de l’architecture primitive des laboureurs se retrouvent aussi dans les colonnes des temples. Suivant les régions, ces piliers de soutènement sur lesquels on refît poser les voûtes furent nécessairement ou bien des fragments verticaux détachés du rocher ou bien de puissants troncs d’arbres, beaucoup moins lourds que la pierre et cependant moins fragiles et plus résistants. Mais on aurait tort de s’imaginer que les chapiteaux en forme de fleur de lotus aient été dès l’origine une imitation. Il n’est pas admissible que les architectes égyptiens aient eu tout d’abord l’idée saugrenue de figurer une fleur pour supporter l’énorme poids de l’architrave et de toute la partie supérieure des édifices. Les changements graduels accomplis pendant un nombre illimité de siècles ont dû accoutumer peu à peu les bâtisseurs à l’idée bizarre, illogique, d’assimiler des colonnes, toujours si lourdement chargées, à des plantes se développant joyeusement dans l’air.

temple de ombos (kum-umbu)

Un élément de la transition naturelle qui s’accomplit dans le style des colonnes et dans l’accoutumance du regard à sa forme finale est dû à ce fait que les Egyptiens enguirlandaient de fleurs aux jours de fêtes les colonnes de leurs temples[77] : or l’une des plus aimées était celle du lotus, symbole du soleil, car on répétait volontiers que l’astre et son image florale disparaissaient également chaque nuit, pour renaître au matin. Aux guirlandes naturelles succédèrent des peintures de fleurs faites sur des panneaux de bois et constituant une sorte de chapiteau. Puis, la nécessité esthétique poussant les architectes à relier le fût de la colonne à l’entablement par des lignes agréables à l’œil, on apprit à tailler la masse cylindrique en forme de colonnettes fasciculées, se continuant chacune par un bouton de lotus.

Cl. David Gardiner.
temple de philæ, vu de l’ile de bigeh
Ce temple est maintenant partiellement noyé par le barrage d’Assuan.


L’ensemble du pilier, jadis trop massif, se trouva donc, peut-être après des milliers d’années, changé en une gerbe de fleurs s’épanouissant au-dessous du lourd fardeau de la pierre. La plus ancienne colonne « lotiforme » que l’on connaisse fut découverte en 1803 près d’Abusir : elle date de la 5e dynastie. Du reste, ultérieurement des colonnes de style différent continuèrent à être mployées. Si le bois fut pour quelque chose dans l’architecture des Egyptiens, la richesse et la beauté des pierres qui se dressent nues à l’orient et à l’occident de la vallée contribuèrent plus encore à la splendeur des temples : les falaises environnantes étaient autant de modèles pour les architectes. Les admirables roches des monts égyptiens avaient tenu en réserve, pour ainsi dire, la merveilleuse architecture du monde nilotique ; les granits de Silsileh, celui qui prit le nom de « syénite », les porphyres et les serpentines donnèrent aux riverains du fleuve les matériaux superbes de leurs temples, tandis que les calcaires de Mokattam, de Ptolemaïs, compactes ou nummulitiques, si faciles à travailler, fournissaient les blocs de pierre pour les pyramides, les constructions moins somptueuses et les blocages.

N° 144. Plan de Nekab (Elkab, Eileithyiaspolis).
1. Débris Temontant à la 4e dynastie. 2. Inscriptions des 5e et 6e dynasties.
3. Tombeaux de la 18e dynastie. Là se trouve racontée la prise d’une ville des Hyksos,
Hauaru (Avaris, Hawara ?), par Ahmes. 4. Temple de Thutmos III.
5 et 6. Temples d’Amenhotep III. 7. Temple de Ramsès II.
Sur les hauteurs de Nekab, Somers Clark a trouvé des restes préhistoriques, analogues à ceux de Kurna, Nagada, Abydos, etc.

Les cotes sont données par rapport au niveau des plus hautes crues, marqué par la ligne 0m.

Quelques-uns des temples présentaient des proportions superbes par la hauteur de leurs pylônes et de leurs colonnades, mais les édifices, maîtres de l’espace, s’étendaient surtout en longueur et en largeur ; en ce pays sans pluie, leur niveau supérieur s’arrêtait aux dalles horizontales des terrasses, parallèles à la grande plaine que parcourt le fleuve. Les monuments égyptiens ont un caractère de majestueuse uniformité, qui ressemble à celui de la contrée, aux grandes lignes régulières fuyant vers l’horizon lointain[78].

Lorsque les Egyptiens élevèrent les monuments grandioses qui nous étonnent par leurs nobles dimensions, mais n’en sont pas moins d’une remarquable simplicité de style, ils avaient acquis déjà des connaissances techniques très étendues, et certains détails de leur œuvre témoignent, plus encore que la construction des pyramides, de leur initiation aux lois astronomiques.

Trois années d’études en Égypte ont persuadé Norman Lockyer que les temples étaient construits en vue de l’observation des étoiles et du soleil ; ils étaient disposés de manière à permettre de noter les positions relatives et de mesurer certains arcs, soit aux solstices, soit aux équinoxes. Ainsi, ayant visité le temple de Karnak en 1891, l’astronome anglais constata qu’un corridor était orienté de telle sorte que, de l’autel, le prêtre vît le soleil au moment de son coucher à l’équinoxe, comme par le tube d’un prodigieux télescope, les pylônes de l’entrée servant de diaphragmes. De même, en un temple voisin, une porte était destinée, il y a 31 siècles, à l’observation de Canopus[79].

couloir conduisant au tombeau de ramses iv


Les temples pouvaient donc servir d’horloges astronomiques pour déterminer les heures du jour et de la nuit et la longueur des années. Jusqu’en ces derniers temps, tous les physiciens répétaient avec une parfaite certitude que la découverte du paratonnerre est un fait moderne dont on est redevable à l’illustre Franklin. Sans doute les recherches et l’invention du diplomate américain furent très authentiques ; mais il n’était pas le premier, comme il le pensait, à « ravir la foudre », à « l’arracher au ciel comme il avait arraché le sceptre aux tyrans ». Cette conquête avait été faite avant lui par des savants égyptiens.

Légende de la Carte N° 145.
Thini, capitale des lre et 2e dynasties ; tombeaux à Abydos.
Memphis, antérieure peut-être à Thini ; capitale des 3e à 8e dynasties, ne disparut que vers le 7e siècle de l’ère chrétienne, après la fondation de Fostât, le vieux Caire, ville succédant elle-même à une Babylone grecque et romaine.
Heracleopolis, capitale des 9e et 10e dynasties.
Thèbes, ville très ancienne ; capitale des 11e à 13e et 17e à 22e dynasties, etc. ; mise à sac par Kambyse, elle perdit peu à peu son importance primordiale.
Xoïs (X. Delta), 14e dynastie. Tanis (T. Delta), 15e, 16e et 23e dynasties.
El Amarna, capitale d’Amenhotep IV, sous le nom de Kuitenaten.
Saïs (Sa. Delta), 24e, 26e et 28e dynasties.
Mendès (M. Delta), 29e dynastie. Sebennytès (Se. Delta), 30e dynastie.
Alexandrie, fondée par Alexandre de Macédoine, capitale sous les Ptolémées et les empereurs romains.
Ptolemaïs, capitale de la Haute Égypte sous les Ptolémées.
Le Caire, El Kâhireh, fondée en 969 (an 348 de l’hégire) par Gowher.
Nakadeh, sur la rive gauche du Nil, et non Neeadiyeh, sur la rive droite, est la Nagada citée dans le texte.
A quelques kilomètres au nord de Beni Hassan (tombeaux de la 12e dynastie) se trouve Zauiet el Maietin (tombeaux de la 6e dynastie).
L’Antinoë d’Hadrien se trouve aussi dans le même angle de la vallée.
Berenice était une importante ville d’entrepôt à l’époque grecque.
Hawara est identifiée par W. Willcocks avec Hauaru, Avaris, le dernier refuge des rois Hyksos, que les égyptologues cherchent sur un bras du Nil, près de Tanis.


Chacune des deux tours latérales qui précèdent les temples était rayée du haut en bas de profondes cannelures dans lesquelles s’adaptaient exactement deux mâts dépassant de beaucoup la hauteur de la construction et se terminant par quatre banderoles aux couleurs sacrées, rouge, blanc, bleu et vert : d’après les inscriptions, ces mâts, que l’on croit avoir été faits avec le bois d’une espèce d’acacia, se dressaient à plus d’une trentaine de mètres en hauteur, et l’extrémité en était garnie d’une armature en cuivre. Les textes disent expressément que ces hautes perches avaient été élevées pour « couper l’orage dans les hauteurs du ciel »[80]. Peut-il y avoir aucun doute ? N’est-ce point là exactement le paratonnerre, imaginé d’ailleurs de manière à égayer de ses drapeaux la masse nue de l’édifice ? Ces mâts, dit le symbole, étaient les deux sœurs divines, Isis et Nephthys, qui, de leurs grandes ailes, protégeaient leur frère Osiris contre les ruses et les violences du méchant Typhon.

N° 145. Capitales et Routes.


Et les pyramidions des obélisques, revêtus de plaques en or ou plutôt en cuivre doré, ainsi que les premiers envahisseurs musulmans purent le constater dans la ville sainte d’Heliopolis, n’étaient-ils pas également inventés en vue d’attirer, de diviser la foudre, et de l’écarter ainsi du sanctuaire ?

Les monuments d’Egypte nous montrent donc un état de civilisation déjà très avancé, réalisant des œuvres qui demandaient à la fois de grandes facultés d’observation, une très habile pratique des métiers et le sentiment de l’art. De même que les habitants de la Mésopotamie et peut être grâce à eux, les Egyptiens disposaient de nombreux métaux, y compris l’or, le plus précieux de tous, mais l’argent était rare[81].

Les riverains du Nil étaient grands consommateurs de cuivre, que leur fournissait la presqu’île de Sinaï depuis une très haute antiquité — au moins sept mille ans —, et les fouilles nous ont révélé qu’aux mêmes époques, les artisans employaient encore les silex[82]. Plus tard, ils apprirent à mélanger le cuivre et l’étain en des proportions très différentes pour la fabrication des vases, des miroirs et des armes, et à changer les procédés de martelage en vue de l’emploi des instruments : c’est ainsi qu’ils réussissaient à donner aux lames de poignard une étonnante élasticité[83]. De très bonne heure aussi, avant même qu’on fit usage du bronze, la civilisation égyptienne connut le fer. L’archéologue Hill en a même trouvé un morceau pris dans les maçonneries de la principale pyramide de Giseh ; un objet en fer fut aussi recueilli par Maspero dans le tombeau du roi Unas, datant certainement de plus de soixante siècles. Enfin, le « rituel des morts » mentionne à diverses reprises des termes interprétés dans le sens de « fer » ; mais, si utile que soit depuis devenu ce métal, on se refusait alors à l’employer pour les travaux nobles. On le considérait comme une impure production du sol : d’après le mythe ancien, c’est avec un instrument de fer qu’Osiris aurait été tué par Typhon, et la rouille dont le fer se recouvre en peu de temps dans l’air humide de la plaine nilotique n’était autre chose que le sang du dieu, continuant de transsuder à travers le métal[84]. L’idée de profanation, de réprobation de la part des dieux s’attachait tellement au fer que les Egyptiens n’avaient même pas de nom pour le désigner directement : ils se servaient d’une périphrase. Et pourtant, le firmament céleste était considéré comme une voûte de fer et non de cristal, ainsi que d’autres peuples l’ont imaginé[85]. La couleur du ciel a peut-être dicté aux Egyptiens l’emploi du pigment bleu qu’ils appliquaient aux objets en fer dans les figures coloriées.

Cl. David Gardiner.
labourage dans la plaine de memnonia

On sait aussi maintenant, d’une manière indubitable, que les Egyptiens connaissaient la fabrication de la porcelaine, c’est-à-dire de produits céramiques à pâte compacte et translucide. Brongniart attribuait une origine chinoise à tous les échantillons de porcelaine que l’on a trouvés en Égypte, mais un fragment de statuette funéraire, évidemment de fabrication locale, que l’on a trouvé à Sakkarah, près de Memphis, prouve que l’auteur du Traité de céramique se trompait. Cette statuette porte des inscriptions hiéroglyphiques, et sa composition est absolument différente de celle des porcelaines chinoises, elle est colorée en bleu pâle par du cuivre. D’ailleurs, la pâte humide en était peu plastique à cause de sa faible teneur en argile et ne pouvait convenir que pour le moulage d’objets de forme très ramassée, comme l’étaient les statuettes égyptiennes[86]. Les alluvions du Nil, les hypogées des collines riveraines et les éboulis des rochers livrent aux chercheurs des objets de plus en plus nombreux permettant de constater que les constructeurs des édifices joignaient à leur science réelle l’aide d’ouvriers très habiles, géomètres, maçons, sculpteurs, fondeurs, émailleurs, peintres, ciseleurs, décorateurs, et l’on sait combien haute était leur ambition. En parlant des temples élevés par lui, Ramsès mentionne surtout les « pierres éternelles » qu’il dressa pour la gloire des dieux et pour la sienne propre.

Ainsi que le dit Charles Blanc[87], un peuple aussi préoccupé de la vie future que l’était celui d’Egypte, et qui momifiait ses cadavres en vue de l’éternité, devait surtout se préoccuper, dans son architecture, de donner à ses monuments de très larges assises pour en assurer la solidité et la durée sans fin : tout dans ces constructions était robuste, épais et court. Cependant, un très grand nombre de bâtiments énormes ont disparu, à commencer par le Labyrinthe, la ville funéraire fondée par Amenemhat III et qui d’après Hérodote contenait plus de 3000 chambres. On peut se demander aussi, avec W. Willcocks, si cette vaste construction, dont on ne reconnaît plus que l’emplacement, indiqué par un village de briques, près de la pyramide de Hawara à l’entrée du Fayum, ne remplissait pas le rôle de régulateur des eaux à l’entrée et à la sortie du lac Moeris. De nos jours, des maisonnettes sont parsemées sur les décombres de la pierre et du béton, occupant une prodigieuse étendue du sous-sol. On constate que tous les temples de Karnak et de Luksor, auxquels on ajouterait plusieurs autres temples thébains de la rive gauche, tiendraient dans l’espace que recouvrait autrefois le Labyrinthe. Pline nous raconte que, pendant des siècles, cet édifice étonnant servit de carrière pour tout le district environnant : un peuple d’excavateurs s’était fondé une véritable ville à côté des fouilles[88].

La démolition par la main de l’homme, travail directement régressif, bien que souvent indispensable, telle est la cause principale de la disparition de tant de « pierres éternelles » dont parlent les Anciens. Ainsi, les temples d’Eléphantine furent démolis en 1822 comme matériaux à bâtir, l’arc de triomphe d’Antinoë fournit la pierre à chaux nécessaire à une sucrerie, le temple de Mut fut pareillement exploité. De même, les chercheurs de trésors fouillent au-dessous des pavés et des murs ; les maçons pilent les fragments de la pierre pour la mélanger avec l’humus et en faire des composts ; enfin, les chaufourniers brûlent les décombres calcaires.

medinet-habu, bas-relief du grand temple

Mais de tous les iconoclastes, les plus féroces furent les prêtres chrétiens : ils déployèrent une rage indescriptible à tout briser, à tout détruire, à tout incendier[89]. Le grès, le granit, le porphyre sont les matériaux qui ont été les plus épargnés. Nombre de temples ont été pourtant protégés par les sables que le vent du désert accumule sur leurs assises, et des villages modernes, humbles héritiers des cités antiques, s’élèvent au-dessus du site nivelé par la dune mouvante : c’est ainsi que nous a été conservé, presque dans la perfection de sa nouveauté, le merveilleux temple de Medinet-Habu, dont les inscriptions et les reliefs, représentant des scènes religieuses historiques et autres, constituent une véritable encyclopédie de l’ancienne Égypte.

Si grande qu’ait été l’œuvre de destruction, il n’en reste pas moins encore d’admirables édifices que les artistes respectueux visitent en pèlerinage. Thèbes, « aux cent pylônes » — et non aux cent portes car la ville n’est pas fermée —, est une de ces cités saintes avec ses nobles allées de sphynx, sa merveilleuse salle « hypostyle » dont les 134 colonnes sculptées se dressent à 28 mètres de hauteur, ses colosses qui jadis chantaient au soleil du matin, ses porches triomphaux, ses tombeaux mystérieux creusés dans la « montagne de l’occident ». En remontant le fleuve, on s’arrête ainsi d’étape en étape pour revoir les œuvres étonnantes des ancêtres : la plupart des voyageurs pieux dépassent même la première cataracte pour contempler les colosses augustes du dieu-roi Ammon et de Ramsès, taillés dans le roc de grès rouge au flanc de la montagne d’Ibsambul. Non moins curieuses que les temples et les statues sont les carrières de granit, de porphyre et d’autres roches où l’on voit encore les colosses et les obélisques gisant sur le sol en attendant le charroi, ou même à demi engagés dans la masse de la pierre, comme si, quelques minutes auparavant, un brusque appel avait éloigné les ouvriers.

La décadence de l’architecture égyptienne date des grands siècles monarchiques de gloire et de conquêtes. Aux temples primitifs dont les pierres sont polies avec tant de soin et jointes d’une manière si parfaite, succèdent des édifices qui, par la médiocrité de l’exécution, chagrinent et scandalisent les artistes modernes : on croit que les souverains d’alors avaient hâte de voir sortir de terre les monuments élevés à leur renommée et que tout, chez les bâtisseurs asservis, était sacrifié à l’apparence[90]. « L’orgueil marche devant l’écrasement », dit la Bible, et le règne fastueux de Ramsès II, connu sous le nom grécisé de Sésostris, fut le signal par excellence de la régression dans la science et dans les arts. Batailleur, avide de hauts faits, il porta la guerre en Asie pour reculer les frontières de son royaume, et bien qu’il n’eût guère réussi dans ses entreprises, il fit tellement chanter ses louanges, ordonner la construction de tant de pylônes commémoratifs, l’érection de tant de statues colossales, le grattage à son profit de tant de monuments antérieurs, qu’il finit par « donner le change à l’histoire » (Fr. Lenormant), et que les auteurs grecs le décrivirent, en effet, comme le plus grand des rois.

N 146. Du Temple d’Ombos à celui de Soleb.

La plupart des constructions antiques de cette région du Nil datent de la 18e dynastie. A Ombos (Nubit, Kum Umbu sur la carte n° 135, on voit les noms d’Amenhotep Ier et de Thutmos III ; à Semneh, ceux de Usertesen III (12e dynastie) et de Thutmos III; à Amada, Thutmos III fit construire le temple de Ra ; à Soleb, Thutmos III et Amenhotep III sont glorifiés.

A Ibsambul se trouve le temple souterrain de Ramsès II, dont les statues colossales ornent l’entrée ; à Philœ, Nectanebo (30e dynastie) est le plus ancien souverain dont on retrouve le nom, les temples appartenant surtout à l’époque des Ptolémées.


D’après ses propres écrits, il serait resté au milieu de la foule des guerriers hétéens, abandonné de ses propres soldats, et, se trouvant environné par 2 500 chars, par des « millions d’ennemis », lui, « tout seul », il aurait néanmoins triomphé par la force de son bras. Mais ses exploits véritables consistèrent
ustensiles de scribe
surtout à faire capturer chaque année chez les peuples noirs de l’Ethiopie des milliers d’esclaves et à les enchaîner pour le travail des carrières. Sous sa férule, le pays s’appauvrit, la faim ravagea les campagnes, enfin, l’art disparut avec la liberté civile : après Sésostris, les sculptures ne furent plus que des œuvres barbares. On cessa complètement d’étudier les traits des modèles et, laissant de côté la nature, on se contenta de la représentation hiératique des individus. D’après F. Regnault[91], les artistes anciens auraient poussé le scrupule jusqu’à copier les défauts physiques des personnages, y compris le rachitisme et les déformations du crâne. Mais Sésostris avait trop de vanité pour ne point se faire modeler comme « le plus beau des hommes », et ceux qui contemplent ses traits superbes, taillés dans le grès rouge ou dans le granit, se laissent aller à répéter qu’il fut, en effet, « le plus beau[92]». Par une singulière ironie du sort, la momie de ce fanfaron devait être conservée jusqu’à nos jours, et les visiteurs qui déambulent dans le musée de Giseh peuvent étudier à leur aise, débarrassée de sa couche de goudron, la physionomie de Sésostris, à l’air peu intelligent, légèrement empreinte de bestialité, mais orgueilleuse, têtue, et de majesté souveraine[93].

Les temples, les colosses, les pylônes, les sphinx et les obélisques sont avec les pyramides les seuls monuments que nous ait laissés l’antique Égypte : aucune construction civile ne nous est restée ; on dirait que rien n’exista dans ce monde ancien en dehors des rois et des prêtres. Certes, les hommes pullulèrent dans la riche vallée, mais ils furent tenus pour rien, pour une foule faite pour servir. Les conditions du milieu géographique ont même voulu que les villes n’aient point laissé trace de leur existence comme organisme collectif. Situées dans une vallée linéaire, qui se développe comme un fil sinueux du sud au nord, les cités d’Egypte n’avaient point à craindre d’attaque de leurs voisins : les rares Bédouins des ravins latéraux, ouverts à droite et à gauche du Nil dans les montagnes, n’eussent pas osé attaquer les populations si denses de la plaine. Les villes n’avaient donc pas eu besoin de se donner une individualité précise, limitée par une ceinture de remparts.

D’après Champollion.
détails de la toilette d’une dame égyptienne, il y a 3 000 ans, peinture murale de thèbes


Les agglomérations urbaines de l’Egypte différaient à cet égard des cités de la Chaldée, qui avaient dû se fortifier puissamment, ainsi que le raconte Hérodote, à cause de leur position très exposée dans un large territoire ouvert de plusieurs côtés[94] : divers royaumes hostiles pouvaient y naître, s’entre-heurter, déplacer leurs frontières, et les invasions des montagnards, échelonnés à l’est sur les gradins des plateaux, constituaient pour les cités d’en bas une menace incessante.

Si les demeures fragiles des foules innombrables qui peuplaient l’Egypte ont disparu, du moins l’école reste, car on peut considérer toute la vallée du Nil comme une immense salle de classe, tant elle était couverte d’inscriptions contenant les enseignements donnés au peuple par les prêtres et les rois, et surtout par l’engeance des flatteurs et des scribes. La manie de l’écriture administrative s’était emparée de la hiérarchie des fonctionnaires : les graveurs d’inscriptions étaient partout à l’œuvre. Tous les monuments de l’Egypte, toutes les statues, corps et même visages y compris, les meubles, les amulettes sont couverts de lettres pressées qui prétendaient éterniser les personnages dont les noms étaient mentionnés, et qui continuent de nous imposer certains détails des plus insignifiants, ainsi que d’interminables redites et formules. La pierre était à cette époque aussi chargée de vétilles que le furent plus tard les parchemins et les papiers. Mais heureusement, les chercheurs n’ont pas été découragés par la banalité de la plupart des inscriptions, par l’insignifiance de presque tous les papyrus, copie de copies et formulaires dont le sens est perdu.

De nombreux lecteurs s’occupent de déchiffrer ces documents et parfois, comme une pépite d’or en une charretée de boue, on découvre des faits d’histoire, des noms de lieux et de peuples, des dates importantes, des recettes de chimie ou de thérapeutique, des paroles de haute morale, des pensées profondes et de nobles sentiments. Car, on ne doit point s’imaginer, comme on se laisse aller volontiers à le faire, que nos aïeux, si éloignés dans le temps, n’aient pas éprouvé toutes nos passions, réfléchi sur les mêmes problèmes et n’aient pas su exposer leur âme avec la même puissance d’expression que nos contemporains. Quelques-uns de ceux-ci croient avoir tout inventé, y compris l’amour, et certains ouvrages d’ethnologie affirment sérieusement de telle ou telle peuplade que le mystère de la tendresse passionnée y reste absolument inconnu. Quoi qu’il en soit, nous savons que les Egyptiens, dès le commencement de leur histoire écrite, avaient trouvé le langage du cœur ; or, ces paroles, si menteuses qu’elles puissent être en mainte circonstance, n’auraient certainement pu se formuler si parfois un sentiment vrai ne les avait évoquées. Ainsi, l’on reçoit une impression de sincère vérité humaine en lisant sur une stèle de Snefru, trouvée, sur une paroi des monts Sinaï, l’inscription qui mentionne l’ « épouse de celui qu’elle aime » et la « chérie de son père, la fille aimée qui est sortie de ses flancs »[95].

Cl. David Gardiner.
le nil a luksor

Mais à l’époque où toute parole émue est sacrifiée aux redites des prêtres, à la vanité des souverains, on put croire que l’Egypte tout entière allait être momifiée comme les cadavres de ses morts. Telle est la raison pour laquelle les Grecs, en hommes si mobiles, si impressionnables à toute nouveauté et si prompts à changer eux-mêmes, virent dans les Egyptiens ce peuple « immuable » dont parle encore Bossuet. Cette impression première ressentie par les voyageurs hellènes nous est restée, et si tout le décor extérieur a changé par suite des invasions étrangères et des grandes évolutions mondiales, il est certain qu’à maints égards les masses profondes de la population ont gardé l’empreinte reçue pendant les âges pharaoniques. Pratiques ordinaires de la vie, recettes de ménage, superstitions se sont aussi maintenues d’une manière surprenante à travers toutes les révolutions, les changements de régime politique, de religion et même de langue. C’est ainsi que les procédés de l’arpentage des terres ne se sont en rien modifiés depuis le temps des Pharaons jusqu’à la récente domination britannique. Vers 1890, les Anglais ayant eu à procéder au nouveau cadastre de la vallée du Nil, pour fixer l’impôt exactement en proportion de la surface des cultures, constatèrent que les règles d’arpentage suivies actuellement par les paysans égyptiens étaient exactement celles dont les formules, utilisées il y a quatre mille ans, se déchiffrent maintenant sur les papyrus retrouvés dans les tombeaux. Telle de ces règles donne des résultats étonnamment rapprochés des opérations mathématiques exactes employées aujourd’hui[96].

Si l’histoire marche d’un pas lent dans les contrées dont la population est, par suite du milieu de nature, astreinte pendant la succession des siècles à la continuation traditionnelle des mêmes travaux agricoles, elle marche cependant, et, sous la pression des peuples environnants, l’Egypte elle-même ne cessa d’évoluer, tantôt en un mouvement de progrès, tantôt régressivement. Toujours par suite de la fascination qu’exercent sur la postérité les dires des auteurs grecs, c’était encore hier un axiome d’histoire que l’Egypte ne s’était pas ouverte au commerce international avant l’époque du premier Psamitik, c’est-à-dire il y a de vingt cinq à vingt-six siècles. Mais les témoignages historiques abondent pour nous prouver que, bien auparavant et à diverses reprises, les alternatives des événements et la puissance des intérêts en jeu avaient mis l’Egypte en relations régulières avec ses voisins, et d’ailleurs, les origines mêmes de la nation peuvent-elles se concevoir autrement que par l’arrivée d’étrangers du nord et du midi s’établissant dans la vallée du Nil, alors marécageuse et forestière, pour en conquérir graduellement le sol et le mettre en défense contre les retours du fleuve, à la fois désirés et redoutés.

N° 147. Communications intermaritimes.

Le canal du Nil à la Mer Rouge par le lac Timsah et les lacs Amers est indiqué par un triple trait discontinu, le canal maritime récent par un triple trait continu.

On ne sait à quelle époque lointaine faire remonter l’existence du premier canal ; entre autres souverains, Séti Ier, Ramsès II, Niko II, Darius, Ptolémée hiladelphie, Trajan, Amun attachèrent leur nom à cette œuvre.

Les tombeaux des premiers rois contiennent, en grand nombre, des objets qui, n’étant pas de provenance égyptienne, furent nécessairement introduits par la voie du commerce : le doute n’est plus permis à cet égard, les Egyptiens avaient certainement, dès les premiers âges, des rapports directs ou indirects avec les populations de l’Ethiopie, de la Libye, de l’Arabie voisine. Certes, il eût été fort étrange qu’un peuple, établi sur le bord d’un fleuve qui faisait du transport incessant des denrées une condition essentielle de la vie nationale, pût arrêter brusquement son trafic à toutes ses frontières, et des faits nombreux, constatés par les archéologues, ont en effet démontré que le mouvement du commerce, se propageant au loin, était irrépressible. Ainsi, les « bois pharaoniques », c’est-à-dire les planches des cercueils trouvés dans les fouilles des nécropoles royales, appartiennent, du moins en partie, à des arbres dans lesquels l’examen microscopique a permis de reconnaître avec certitude l’if commun (Taxus baccata). Or, cette espèce ne pousse pas en Égypte, et même ne saurait y pousser « en raison de ses exigences biologiques » ; il fallait donc que ce bois fût importé d’un pays étranger, qui, d’après les données de la géographie botanique, ne peut être que la Cilicie. Voilà donc une preuve positive qu’un certain commerce maritime existait entre l’Égypte et les pays d’outre-mer aux premiers âges historiques[97].

Ce n’est pas tout : les annales nous parlent aussi de voyages lointains accomplis par des explorateurs d’Égypte. Sous le Pharaon Assa, de la cinquième dynastie, c’est-à-dire à une époque de soixante siècles antérieure à nous, un général fameux, Urdudu, avait pénétré dans le pays de Punt, d’où il ramena un nain, un de ces Âkka que nos voyageurs modernes ont redécouverts avec étonnement. Un autre voyageur, envoyé dans les contrées du sud, Khirkuf, poussa plus avant qu’Urdudu, jusque dans la « Terre des Bienheureux » où il prit également un nain ou donka, dont la vue « remplit de joie et d’amour le cœur du Pharaon ». C’est là ce que raconte l’inscription dite de Khirkuf, découverte en 1892 par Schiaparelli sur une colline des environs d’Assuan. Ainsi, des témoignages convaincants établissent qu’il exista des rapports anciens entre l’Égypte et les bords de la Méditerranée ainsi que ceux de la mer Rouge ; de même, des relations fréquentes s’étaient certainement nouées entre les deux centres de civilisation, Memphis et Babylone ; mais on n’a jusqu’à maintenant constaté aucune trace certaine de va-et-vient direct entre l’Égypte et l’Inde ; même sous les Ptolémées et leurs successeurs les empereurs romains, nulle dénomination ethnique égyptienne ne révèle l’existence de communications maritimes entre les pays du Nil et ceux de l’Indus. Peut-être, dit Ollivier de Beauregard, le nom de « Terres Sacrées », appliqué par les Egyptiens aux contrées situées au delà du golfe Arabique, « pourrait-il être interprété comme donnant une idée nébuleuse de l’Inde[98] », mais aucun texte ne favorise cette hypothèse.

défilé des ambassadeurs amenant des animaux inconnus a l’egypte et présentant les tributs, lingots et sacs de poudre d’or, plumes d’autruche, etc.

On sait seulement que, trente-cinq siècles avant nous, une flotte égyptienne ayant pénétré dans les mers du Sud, en rapporta des singes, dont le nom, kafa, a une certaine analogie avec l’appellation sanscrite de Kapi — hébreux Gôf, grec πιθηϰος — et semble nous ramener ainsi vers les pays de l’Inde[99].

Lorsque le pouvoir à la fois royal et divin des Pharaons fut très solidement établi et que la masse de la population dut absolument se conformer à la volonté du maître, celui-ci ne manqua pas, suivant le mode de toutes les autorités jalouses et soupçonneuses, de chercher à faire le vide autour de ses peuples pour les soustraire aux influences du dehors, les priver de toute alliance possible avec l’étranger, détruire en germe toute velléité de révolte. La nature géographique du pays se prêtait facilement à cette politique. L’Egypte, ramenée sur elle-même par la forme et le relief de son territoire que des solitudes sablonneuses ou marécageuses enveloppent de tous les côtés, devait tendre à se concentrer dans son existence continentale et à se détourner spontanément de la mer. Les rois-prêtres jouissaient ainsi de la complicité du milieu pour tenir leurs sujets à l’abri des dangereux novateurs, porteurs d’idées et incitateurs de révolutions. Sous cette double influence, peut-être spontanée de la part de la nation, très consciente de celle des maîtres, la mer avait fini par être maudite, exécrée, vouée aux dieux terribles, et les naufragés étaient représentés comme de justes punitions d’en haut.

On avait oublié la part qu’avait eue la mer aux origines de la nation et de la culture égyptiennes, aux âges où des Méditerranéens étaient venus de l’Ouest et du Nord pour débarquer sur les plages du Delta, et où les populations des deux massifs similaires de l’Hymiarie et de l’Ethiopie étaient entrées en relations suivies à travers le détroit, jetant, pour ainsi dire, un pont sur la mer, vers le milieu de la voie historique entre la vallée de l’Euphrate et la vallée du Nil, La mer Rouge s’éloigna, pour ainsi dire, dans la direction de l’Orient, et c’est de la fin de la onzième dynastie, il y a certainement plus de quarante siècles, que date la première expédition officielle racontée par les annales comme ayant été dirigée vers ce golfe lointain. Lorsque, sous le règne d’un Pharaon Sanch-Kak, le fonctionnaire et courtisan Hannon fut chargé de traverser la mer Arabique et de conduire des soldats vers le pays des Aromates pour rapporter au roi de ces gommes précieuses, l’expédition, que tant d’autres de même nature avaient précédée dans les âges inconnus, fut considérée comme un événement presque prodigieux. Hannon fit graver sur des rochers le récit de son exploit : « Jamais, dit l’inscription, jamais il ne s’était fait rien de pareil depuis qu’il y a des rois… depuis les temps du soleil »[100].

Pourtant, aux longues époques d’oppression où les lois et, par suite de la routine, les mœurs elles-mêmes s’accordaient pour interdire aux Egyptiens la navigation maritime, d’autres la pratiquaient à leur place. Les villes de Phénicie ayant, durant la plus grande partie de leur existence commerciale, avidement accepté la suzeraineté profitable des Pharaons, les bouches du Nil étaient ouvertes à leurs marins, et grâce à ceux-ci le mouvement des échanges avec l’extérieur se faisait en toute liberté. Heureux de leur vasselage, les Phéniciens
Musée du Louvre.Cl. Giraudon.
bijoux égyptiens, époque saïte
possédaient le monopole du trafic entre l’Orient et l’Egypte et, d’autre part, ils pouvaient en pays lointain se réclamer du prestige d’une puissante monarchie ; ils naviguaient, comme on dirait aujourd’hui, « sous pavillon égyptien »[101], et c’est sur l’ordre d’un Pharaon, Niko, que s’accomplit, il y a vingt-cinq siècles, la circumnavigation de l’Afrique, le grand exploit géographique de l’antiquité.

Mais à cette époque, l’Egypte n’était plus l’Egypte ; elle appartenait déjà au monde œcuménique de la Méditerranée où la lumière de la Grèce commençait à briller comme un phare. Sous la pression de la civilisation extérieure, la vallée du Nil était obligée de s’ouvrir, comme l’ont fait de nos jours la Chine et le Japon, comme ne manquera pas de le faire le plateau du Tibet. Au lieu d’accueillir simplement en hôtes les étrangers, on était même forcé d’avoir recours à eux, de leur demander conseil et direction. Une ville complètement grecque, Naucratis, peuplée surtout de Phocéens et d’autres Hellènes de la côte occidentale d’Asie, s’était élevée sur la bouche canopique du Nil ; Tahpanhes ou Daphnæ, également grecque, avait occupé la frontière asiatique, vers le désert, et dans plusieurs enclos sacrés, en dehors de ces deux colonies, s’étaient dressés les temples des marchands. Un Panhellenion, avec un autel commun pour tous les Grecs établis en Égypte, fut érigé dans Naucratis. Sans doute, des rois, tels Amasis, réagirent contre ce mouvement d’hospitalité et de libre-échange, on essaya de rétablir la vieille politique de la fermeture et du monopole ; mais il était trop tard : l’isolement était rompu, et bientôt vint Alexandre qui annexa l’Égypte au monde de la Grèce.


masque remplaçant les gravures de František Kupka - cul-de-lampe
masque remplaçant les gravures de František Kupka - cul-de-lampe


  1. Read ; Maspero, Histoire ancienne des Peuples de l’Orient classique, p. 41.
  2. Brugsch, Histoire d’Égypte, pp. 5, 6.
  3. Georg Sehweinfurth, De l’Origine des Égyptiens. Bulletin de la Société khédiviale de Géographie, 2e Série, N° 12.
  4. G. Schweinfurth, Esploratore, 1878. — Le dernier chiffre est donné par l’édition récente de la carte de Lannoy de Bissy (1898).
  5. G. Maspéro, Histoire ancienne des Peuples de l’Orient classique, p. 45.
  6. Ein altes Stauwerk aus der Pyramidenzeit. Extr. d’Illustrierte Deutsche Monatshefte, 1895.
  7. Oscar Fraas, Aus dem Orient, p. 215.
  8. La Terra Incognito de l’Egitto, p. 13. Extr. dell’Esploratore, 1898.
  9. Rasse und Milieu, p. 29.
  10. Adrien Ancelin, La question préhistorique.
  11. Rutot, note manuscrite.
  12. Rasse und Milieu, p. 29.
  13. Georg Schweinfurth, De l’Origine des Égyptiens, Bull, de la Société khédiviale de Géographie, 4e Série, N° 12.
  14. Exode, chap. VII à XI.
  15. Georg Sehweinfurth, mémoire cité, p. 11.
  16. Lettres écrites d’Égypte et de Nubie, citées par Piètrement, Société d’Anthropologie, 6, xii, 1883.
  17. Man, oct. 1901.
  18. Edinburgh Royal Society.
  19. Oscar Fraas, Aus dem Orient.
  20. G. Schweinfurth, De l’Origine des Egyptiens, Bull. de la Soc. khédiviale de Géographie.
  21. Revue d’Ethnographie, t. II, 1884, pp. 369-388.
  22. Piètrement, Les Chevaux dans les Temps préhistoriques et historiques, Bull. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, 1896, pp. 657 et suiv.
  23. G. Maspero, Histoire ancienne des Peuples de l’Orient classique, p. 44.
  24. L. J. Morié, Histoire de l’Ethiopie, I, pp. 50, 51.
  25. Ernest Renan, Mélanges d’Histoire et de Voyages, pp. 32 et suivantes.
  26. G. Rodier, Antiquité des Races humaines, p. 11.
  27. Fr. Hommel ; — R. Von Ihering, Les Indo-Européens avant l’Histoire, trad. O. de Meulenaere, p. 113.
  28. Aus dem Morgenlande, Die älteste Rechenkunst, pp. 35 et suiv.
  29. Wiedmann, Die Urzeit Ægyptens und seine atteste Bevölkerung.
  30. Revue d’Ethnographie, t. III, 1884, pp. 369-385.
  31. Brugsch, Aus dem Motgenlande, p. 61.
  32. Hugo Winkler, Die Völker Vorderasiens, pp. 12, 13.
  33. Max Mûller, Asien und Europa nach altägyptischen Denkmälern.
  34. Flinders Petrie, Contemporary Review, may, 1897.
  35. H. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 83.
  36. Felkin, Uganda and the Egyptian Sudan, vol. II.
  37. Scott Moncrieff, Royal Institution.
  38. Richard Lepsius, Briefe aus Aegypten.
  39. Hérodote, Histoires, liv. II, 149.
  40. Ch. Flahaut, Notes manuscrites.
  41. Leopold von Ranke, Weltgeschichte, t. I, p. 5.
  42. Genèse, chap. XLVII, 15-26.
  43. Diodore de Sicile ; — Ollivier de Beauregard, Bulletin de la Soc. d’Anthrop. 16. x, 1890.
  44. Mariette ; Fr. Lenormant.
  45. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 58.
  46. Ollivier de Beauregard, Bulletin de la Société d’Anthropologie, Séance du 16 oct. 1890.
  47. Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 44.
  48. Brugsch, Aus dem Morgenlande.
  49. L. von Ranke, Weltgeschichte, I, p. 7.
  50. Religion und Mythologie der alten Aegypter.
  51. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations, l’Antiquité égyptienne à l’Exposition Universelle de 1867.
  52. Griffith, The Petrie Papyri.
  53. Ollivier de Beauregard, En Orient, Etudes ethnologiques et linguistiques.
  54. Diodore de Sicile, t. II, liv. 1.
  55. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations, L’Antiquité égyptienne à l’Exposition de 1867.
  56. G. Perrot, De la Tombe égyptienne. Revue des Deux Mondes, 1881.
  57. E. Amélineau, Résumé de l’Histoire d’Egypte, p. 56 ; — E. Maurice Lévy, Note manuscrite.
  58. A. Gayet, Coins d’Égypte ignorés.
  59. G. Maspero, Mémoire sur quelques Papyrus du Louvre.
  60. E. A. Wallis Budge, The Book of the Dead.
  61. Leop. von Ranke, Weltgeschichte, t. I, p. 7.
  62. Les nouvelles Fouilles d’Abydos, p. 25.
  63. Ernest Renan, Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 47.
  64. Gustave Lebon, Les premières Civilisations, p. 11.
  65. L. Mayou, Le secret des Pyramides de Memphis.
  66. M. Piazzi-Smith, Our Inheritance of the great Pyramid. Trad. de l’abbé Moigno : La grande Pyramide, pharaonique de nom, humanitaire de fait
  67. L’Humanité, son Développement, sa Durée.
  68. C. Lagrange, Sur la Concordance entre la Chronologie de la Bible et celle de la grande Pyramide.
  69. L. J. Morié, Histoire de l’Ethiopie, p. 48.
  70. W. M. Flinders Petrie, Ten Years Digging in Egypt, p. 22.
  71. La première définition correspond à la valeur 51° 51′ pour l’angle de base, la seconde à 51° 49′.
  72. Histoires, II, 124.
  73. l’Age et le Butt des Pyramides lus dans Sirius. — Calcul corrigé par Valère Maes, Note manuscrite.
  74. Hérodote, Histoires, livre II, 128.
  75. Fritz Hommel, Der babylonische Ursprung der segyptischen Kultur, p. 1.
  76. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations.
  77. G. Perrot et Ch. Chipiez, Histoire de l’Art dans l’Antiquité. Tome I, p. 584 ; — G. Foucart, Histoire de l’Ordre lotiforme.
  78. Aug. Mattauzzi, Les Facteurs de l’Evolution des Peuples, p. 53.
  79. Mohamed Moktar Pacha, Atti dal primo Congress geografico (Venezia), tome II, p. 46.
  80. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 128 et suiv.
  81. Alfred Ditte, Revue scientifique, 25 nov. 1899.
  82. Ollivier de Beauregard, En Orient, Etudes linguistiques et ethnologiques.
  83. Paul Pierret, Dictionnaire d’Archéologie égyptienne, article Bronze.
  84. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations.
  85. Devéria, Mélanges d’Archéologie égyptienne et assyrienne, p. 9.
  86. De Morgan ; H. Le Châtelier, Revue scientifique, 1899, II, p. 311.
  87. Grammaire des Arts du Dessin.
  88. Flinders Petrie, Ten Years Digging in Egypt. pp. 91, 92.
  89. A. Gayet, Coins d’Egypte ignorés, et Tour du Monde.
  90. Ernest Renan, Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 40.
  91. Bull. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, séance du 20 déc. 1894.
  92. Amelia Edwards Two Thousand Miles up the Nile.
  93. H. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 172.
  94. National Society of Geography, 1897, p. 173. Washington.
  95. Bonola, Bull. de la Soc. khédiviale de Géogr., 1896, n° 10.
  96. H. Brugsch, Aus dem Morgenlande, pp. 25 et suiv.
  97. Beauvisage, Recueil des Travaux relatifs à la Philologie et à l’Archéologie égyptiennes et assyriennes, tome XVIII.
  98. En Orient, Etudes sociologiques et linguistiques.
  99. Dümichen, Die Flotte einer ægyptischen Königin… ; — Hermann Brunnhofer, Vom Aral bis zur Ganga, IX.
  100. Chabas, Voyage d’un Egyptien.
  101. Georges Perrot et Gh. Chipiez, Histoire de l’Art dans l’Antiquité, t. III, p. 28, 29.