L’Honorable L.A. Dessaules et le système judiciaire des États-pontificaux/05

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V.

L’honorable L. A. Dessaules, rédacteur du « Pays. »


Monsieur. — Vous avez eu des défaillances dans le cours de cette discussion, comme le témoigne votre article du 5 décembre intitulé Le Bataillon Sacré ; et vous avez eu aussi le cauchemar ; car depuis quand deux jouvenceaux suffisent-ils à faire bataillon, sacré ou non sacré ?… C’est par commisération pour l’état de faiblesse où vous voilà réduit, que je termine ce matin, en vous fesant sophistiquer à votre aise.

« La législation pontificale est fondée sur l’ancien droit Romain d’abord.

« La législation pontificale est la négation du droit Romain. »

Ces deux propositions ne peuvent supporter la forme syllogistique, parce que duo contradictoria non possunt simulesse vera.

« Le latin est la langue des tribunaux à Rome.

« Un accusé est de suite qualifié de il reo, le coupable. »

Pas de syllogisme possible encore, parce que idem non potest esse simul et non esse. Si le latin est la langue judiciaire, il reo n’appartient pas par conséquent à la terminologie du droit pontifical.

« Nous accusons réception des Tablettes Historiques Canadiennes dues à la plume laborieuse, de M. le Professeur Bibaud, jeune, LL. D. Ce petit ouvrage sous le rapport du volume bien entendu, renferme des renseignements dont l’utilité est incontestable.

« M. Bibaud est un homme qui veut tout savoir sans rien étudier. »

Toujours des contradictions, qu’on nous offre à accoupler !

« À Rome, tout ecclésiastique qu’on appelle Monsignor est évêque.

« Or, Liverani s’appelle Monsignor Liverani.

« Donc Liverani est évêque. »

Ce syllogisme n’est pas présentable, parce que la majeure se nie sans cérémonie.

« À Rome, ou donne du Monsignor aux chanoines.

« Or, Liverani est chanoine.

« C’est donc pour cela qu’on l’appelle Monsignor. »

Ce syllogisme a le même vice que le premier.

« La justice des États Pontificaux est secrète. »

« Donc elle est mauvaise. »

Cet antimemme ne contient qu’une pétition de principe, car nous avons prouvé que le système du secret vaut pour le moins le système de publicité, et qu’il serait excellent, mêlé à ce dernier, et vice versa.

« À Rome, la justice est venale partiale, inquisitoriale, — lente au civil, prompte au criminel. »

« Donc Pie IX est un méchant prince. »

O judices, diligite justitiam, nam qui justificat impium, et qui condemnat justum, abominabilis est uterque apod Deum, disent en effet les Proverbes.

Vous ne réussirez point a repousser une conclusion que vous n’avez que dissimulée. Qu’importe le plus ou le moins d’audace des subalternes, quand les chefs ont conclu, eux, avec une précision et une clarté farouches ? Vous n’auriez point plus de droit de rougir d’eux, que vous en avez, situé comme vous l’êtes, de rougir de Voltaire. Et que signifient ces bulletins systématiquement réitérés de la mort imminente de Pic IX ? Votre parti a tué autant de personnages illustres en Europe, que les Américains du Nord en ont tué dans le Sud ; mais heureusement ses traits sont vraiment tela inbella sine ictu ; ce n’est pas comme Dieu, quand il tue, lui ; il a couché Cavour mort à n’en plus revenir.

Au reste, si vous me disiez que tout ce que j’ai dévoilé de hideux en Angleterre peut y exister sans que Victoire soit une méchante princesse, je dirais transeat[1], voulant bien accepter pour ce qu’elle peut valoir une fiction constitutionnelle. Mais tout le monde convient que le Pape est un souverain absolu, et vous avez été assez imprévoyant pour écrire qu’il est au-dessus des lois[2]. Vous avez cité aussi les paroles que Mgr Sagresti a dites à Pie IX, et l’intercession de la reine de Naples : tout cela prouve contre vous que s’il n’a point pardonné, c’est que, dans toute la plénitude de son libre arbitre, il n’a point jugé à propos de pardonner. En raisonnant comme vous le voudriez faire, vous pourriez aussi bien vouloir nous faire accroire que les Tibère, les Néron et les Hélagabal étaient de bons princes, mais que c’était leur entourage qui était mauvais ! Mais quelle logique attendre de vous, qui prétendez en Amérique que des États souverains n’ont point droit de séparation, tandis que vous prétendez qu’en Italie, les sujets ont le droit de se donner à un prince étranger ?… qui approuvez qu’en France la révolution ait effacé les provinces et tout concentré dans Paris, en même temps que vous trouvez mauvais qu’en Autriche le souverain veuille tout concentrer à Vienne ! À propos, vous avez oublié de nous dire que M. Roebuck, l’ami des Canadiens de 37 ne pense point comme vous de l’Autriche, et que l’historien Sir Archibald Alison préfère le gouvernement de l’Autriche à celui de la Grande-Bretagne. Vous n’avez pas dit un mot de l’affaire de Vicence, qui prouve que les soldats autrichiens ne sont pas, après tout, si impopulaires que vos semblables voudraient bien le faire accroire. Croyez moi, revenez de bonne foi sur l’amas énorme de suppressio veri au moyen duquel vous avez tenu vos lecteurs étrangers aux affaires du monde.

De votre côté, vous ne me ferez point sophistiquer aussi facilement que je vous le fais faire. Vous ne ferez ressortir de mes écrits aucun syllogisme où j’aie dit que Pie IX était irréprochable. Je le crois actuellement aussi irréprochable qu’homme peut l’être ; mais il ne l’a pas toujours été pour moi, qui n’ai jamais pactisé avec la démocratie, puisqu’il ne fut pas plus tôt exalté qu’il imprima une forte impulsion à cette démocratie par son suffrage, aussi imprudemment donné, pour le moins, qu’il était imputable à bonne intention. Et c’est parce que le Pontife croyait alors pouvoir être avec les démocrates qu’il avait à son service un Rossi, dont vous nous accusez de ne rien dire, mais dont je dirai qu’il n’est nullement une autorité pour moi, parce que jamais un démocrate ne pourra l’être. Vous pourrez connaître le fort et le faible de Rossi dans un ouvrage en deux volumes intitulé Les Français à Rome. Vous y verrez de lui, du reste, un rapport très favorable touchant les finances romaines !

Je suis, Monsieur,
Votre très-humble serviteur,
BIBAUD.
  1. Le gouvernement constitutionnel n’ayant jamais existé qu’en vertu d’un contrat, n’est point du droit naturel, qui ne modèle le gouvernement que sur la famille ; il est à craindre que le Juge des juges n’y voit qu’une subtilité anglaise.
  2. Les princes absolus sont-ils au-dessus des lois ?… M. le président Dubois d’Angers vient de le nier aussi péremptoirement qu’impunément, en se refusant à obéir à l’injonction de Bonaparte de ne point prier l’évêque d’Orléans à l’ouverture des cours.