L’Honorable L.A. Dessaules et le système judiciaire des États-pontificaux/04

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IV

L’honorable L. A. Dessaules, rédacteur du « Pays. »


Comment, monsieur, vous avez capitulé au milieu des hurrahs d’encouragement que vociférait après vous votre parti ?

Vraiment, je ne puis y voir qu’un mouvement stratégique pour vous rapprocher de Minerve[1] et unir vos forces aux siennes pour obérer vos concitoyens de taxes en faveur d’une municipalité qui ne paie pas même l’intérêt de sa dette, mais qui bâtit huit belles foires à la fois. Pourriez-vous m’informer si de pareils articles sont soldés par les économistes de la Corporation ?

Revenons à nos moutons. Je vous ai beaucoup scandalisé en traitant d’espion l’ambassadeur de Bonaparte. Je tiens à justifier une accusation que je n’aurais pas mise en avant si elle n’était pas appuyée d’un aussi grave témoignage que celui de l’ancien ministre, comte de Falloux.

On traite d’espion le duc de Grammont, parce qu’il a servi d’instrument pour combiner l’assassinat en grand de Castelfidardo ; parce qu’il a été convaincu de mensonge au sujet des prétendues ovations qui auraient été faites aux volontaires bretons dans l’enceinte du Vatican ; parce qu’enfin, en sa qualité d’ambassadeur, il a affecté plusieurs fois de s’affranchir du cérémonial de la cour de Rome, c’est-à-dire, dans sa situation, de manquer au décorum.

Quel autre motif au reste, que l’espionnage, pouvait avoir Bonaparte de laisser le duc de Grammont à Rome, quand le Pape n’avait plus de Nonce à Paris ?[2]

Mgr , aujourd’hui le cardinal Sacconi, avait dû quitter la cour impériale, à cause de l’impossibilité de présider invariablement avec dignité le corps diplomatique en présence d’un prince aussi oublieux des convenances que de la parole donnée, et qui livrait à la presse ses lettres autographes au Souverain Pontife en même temps qu’elles parvenaient à leur adresse.

La cour romaine, d’autant plus grave qu’elle est à la fois ecclésiastique et civile, ne souffre point de légèretés et les évite. Elle aurait traité avec l’Angleterre au sujet de l’institution des douze diocèses catholiques ; mais le très noble lord Normanby nous apprend qu’il fut tellement compromis à Paris par le parlage indiscret des ministres dans l’enceinte du Parlement britannique, que le Nonce Apostolique, qui avait commencé à traiter avec lui, dut lui faire l’affront de ne plus vouloir l’écouter.

La conduite disgracieuse que Bonaparte, fumant son cigare, a tenue plusieurs fois, ne me fait que trop comprendre que l’épée seule n’anoblit pas. L’imperator des Français est éduqué comme en Angleterre la classe moyenne. Quant à Plon-Plon, nous l’avons vu ici ; vous qui vous y connaissez, sa mine vous a-t-elle paru bien prestigieuse ?

Et si nous mettons en face les ambassadeurs romains et les ambassadeurs bonapartistes, jugez du cardinal Sacconi par le cardinal Bedini, que vous avez vu ici, et auquel vous avez présenté une adresse quelconque ; vous a-t-il eu l’air d’un écorcheur ? Et que dire du duc de Grammont, du baron Brenier !… un ambassadeur qui fait de l’agitation dans les rues et que le menu peuple bâtonne, n’a, après tout, que ce qu’il cherche.

Voulez-vous un prince au vrai cœur de roi ?… ce n’est pas Bonaparte, qui, à la tête de quarante millions d’hommes et adossé à la Grande-Bretagne, jette partout la discorde. On peut faire cela, et n’avoir que le cœur d’un franc-maçon[3]. Le vrai roi, c’est Ferdinand des Deux-Siciles, qui, chef de six millions d’Italiens, défie avec succès l’ingérence du Breton brutal et du Gaulois perfide. Qu’il ait été Bomba, et son chevaleresque fils, Bombino, je le veux bien, pourvu qu’on m’accorde que l’Inde anglaise est remplie de Bombas, qu’il y a en Irlande une foule de Bombas, qu’un Bomba pèse sur les Îles Ioniennes, et qu’il y a eu des Bombas jusque en Canada : il y en a qui en conviendront, puisqu’ils ont appelé Colborne brûlot et satan !

Avant de terminer cette lettre, je vous dirai que je ne m’accorde point avec l’écrivain de la Minerve sur le comte de Maistre, qu’il vous a cité comme une autorité irrécusable. Cet homme a été un prophète politique paradoxal, absolu, étrange, génie sauvage et rétrograde, auquel force aurait été de concéder au moins la sincérité, mais qui n’en fesait pas un moindre tort à la religion en ne prouvant rien pour elle, de cela seul qu’il prouvait invariablement trop. Et cette sincérité apparente est aujourd’hui elle même tout-à-fait compromise par la publication de sa correspondance quand il était ministre de Sardaigne à Saint-Petersbourg.

Je suis, Monsieur,
Votre très humble serviteur.
Bibaud

« Le prince qui a donné à la religion, tant de témoignages de déférence et d’attachement ; qui, après les mauvais jours de 1848, a ramené le Saint-Père au Vatican, est le plus ferme soutien de l’unité catholique, et il veut que le chef suprême de l’Église soit respecté dans tous ses droits de souverain temporel. Le prince qui a sauvé la France des invasions de l’esprit démagogique, ne saurait accepter ni ses doctrines, ni sa domination en Italie. » — Circulaire du 4 mai 1859, signée Rouland, ministre des cultes.




« Dans l’ardeur d’une expédition annoncée sous les plus brillants auspices, on promettait alors (qui ne se le rappelle ?) tout ce qui était demandé, et même ce qui ne l’était pas : aux Italiens, la liberté complète de leur patrie, et une fédération d’états dont tous n’éprouvaient pas le désir ; au Pape, le maintien de tout son pouvoir, et une présidence des futurs confédérés, dont il n’avait jamais réclamé le fardeau. L’Italie devait être libre jusqu’à l’Adriatique ; toutes les dépêches en portaient l’assurance souscrites du sceau impérial. Le Pape serait conservé dans l’intégrité de tous ses droits temporels. Toutes les voûtes des églises retentissaient de cet engagement signé du confident attitré de la pensée souveraine. Devant de telles assertions, le doute que quelques personnes s’obstinaient à concevoir était considéré comme un outrage, et on leur enjoignait de cesser d’être inquiets sous peine de devenir factieux. Des mandemens épiscopaux, qu’on n’empêchait pas alors les journaux de reproduire, envoyaient acte de la parole donnée dans les moindres paroisses de France ; mention en était faite au début de toutes les prières. Si les sermens des hommes sont reçus dans le ciel, jamais aucun ne lui fut porté par tant de bouches à la fois.

« On sait ce qui est advenu : la rencontre de fortes citadelles, en Vénétie, et l’apparition précisément aussi inattendue d’élémens révolutionnaires en Italie ; la guerre subitement arrêtée ; la paix plus subitement conclue. L’Italie ne peut être libre tout entière, et l’intégrité des États du Pape est entamée par l’insurrection. Les promesses ne se trouvent remplies envers personne ; on les remplace par des conseils qui furent également offerts à tout le monde : conseil aux Italiens de renoncer à toute tentative d’unité exagérée, et de retour de bonne grâce sous l’autorité des princes déchus ;[4] conseil au Piémont de renoncer à la poursuite d’annexions exorbitantes ; conseil à l’Autriche de relâcher la dureté de son joug en Vénétie, et d’ouvrir ses citadelles à des troupes italiennes ; conseil au Pape de désarmer ses sujets par l’offre de concessions faites à leurs vœux supposées. Chacun de ces avis différens eut sa dépêche officielle et même son épitre autographe.

« Les conseils ont eu le même sort que les promesses. Comme les unes n’avaient pu être tenues nulle part, nulle part aussi les autres ne furent agréés. Les Italiens ne firent pas mine un seul instant de se prêter au retour des autorités renvoyées. Le Pape ne jugea point convenable d’offrir à ses sujets insurgés des concessions refusées d’avance. Tout se traînant ainsi dans l’incertitude, c’est la politique française qui a dû faire un pas de plus. La période des conseils avait succédé à celle des promesses : elle est remplacée aujourd’hui par celle des exigences et des sacrifices.

« Seulement, voici la différence : hier encore, on parlait à tout le monde ; aujourd’hui, c’est au Pape seul qu’on s’adresse. C’est lui, et lui seul, qui doit liquider à ses dépens les frais de la succession embrouillée qu’ont laissé derrière elle une guerre qui a tout ébranlé et une paix qui n’a rien raffermi. Sous une forme polie, discrète, mais claire, la lettre du 31 décembre, s’il faut en croire plusieurs de ses commentateurs de la presse, est une sommation respectueuse adressée au Pape de sacrifier ce qu’il a perdu, sous peine de perdre ce qu’il possède. Par cela même que la garantis des provinces encore soumises à l’autorité du Saint-Siège n’est accordée qu’en échange du sacrifice des provinces insurgées, il est évident, de leur aveu, que le refus du sacrifice doit entraîner la perte de la garantie : c’est à prendre ou à laisser. Au début de la crise, tout était promis sans condition ; huit mois à peine écoulés, on offre en échange d’une perte certaine une caution conditionnelle. » — Le prince de Broglie.




« L’empereur quitta l’Italie laissant derrière lui un conseil, mais n’y joignant aucune mesure effective pour que ce conseil prévalût. Florence, Parme, Modène, Bologne, passèrent sans précautions, sans garanties, sans contrepoids sous l’influence exclusive des Piémontais. Le marquis Pepoli vint, en qualité d’allié de la famille impériale et de plénipotentiaire des Romagnols, demander à l’empereur une audience qui demeura mystérieuse comme l’avait été l’entrevue du comte de Cavour à Plombières. Une seule chose fut connue, c’est que le marquis Pepoli sortit de l’audience impériale comme le comte de Cavour était sorti un an avant, plein de feu pour l’action et respirant la confiance qu’il répandait autour de lui. Ainsi encore devaient sortir plus tard de Chambéry, MM. Farini et Cialdini !  ! » — Le comte de Falloux.




« Le général Lamoriciére a publié, dans le Journal de Rome du 24 octobre, une réponse à l’article du Moniteur du 15, qui niait la promesse de secours prêtée à M. de Grammont, et établissait qu’il ne pouvait être question, à cette époque, d’envoyer des troupes françaises pour s’opposer à l’entrée de l’armée sarde dans les États Pontificaux. Il donne le texte d’une dépêche de M. de Grammont annonçant au consul de France à Ancône, avant le 16 septembre, que le gouvernement français ne tolérerait pas la coupable agression du gouvernement sarde. Les expressions de cette dépêche prouvent, suivant lui, que, quoi qu’en dise le Moniteur, il était déjà question, à cette époque, d’envoyer des troupes françaises dans les États Pontificaux, et il ajoute que la dépêche de M. de Grammont ayant été envoyée par le consul de France à Ancône au général Cialdini, ce général se contenta d’en accuser réception, et continua sa marche. On prétend même — mais le général ne répète point ce propos — qu’il aurait dit au consul de France : « Je sais mieux que vous quelle est la véritable politique de l’empereur. »  » — Correspondance du Courrier des États-Unis.




« Si l’on veut trouver des causes à ces appréhensions, on pourrait peut-être les trouver, soit dans la fameuse proclamation impériale adressée de Milan aux Italiens, soit dans l’interprétation donnée communément à l’entrevue qui eut lieu à Chambéry entre l’empereur des Français et un des généraux piémontais ; soit dans l’introduction du principe de non-intervention, entendu de manière à favoriser la révolte et empêcher les puissances catholiques d’accourir à la défense du Souverain-Pontife… » — Le cardinal Antonelli.




« Notre diplomatie affectait de réclamer des réformes, et reculait quand elle paraissait sur le point de les obtenir. Et le dernier manifeste de notre politique était l’Italie pacifiée n’importe comment, c’est-à-dire avec ou sans traités, avec ou sans spoliations, avec ou sans ce respect du droit qui assure à une œuvre la durée en même temps que l’honneur. À l’aide de quels artifices et par quelle habileté nous réduisait-on à cette inexplicable attitude ? Hélas ! il faut le dire, ce n’était que par un tissu de contradictions cyniques, par une révolution perpétuelle et sans pudeur entre des principes opposés, selon qu’ils caressaient ou importunaient la révolution en marche ou le complot en travail. S’agissait-il du Pape, il était coupable lorsqu’il n’avait point d’armée, parce que la répression des délits et le cours de la justice n’étaient point garantis à ses sujets. Formait-il un noyau d’armée, on le trouvait plus coupable, parce que, dès lors, l’invasion de ses États devenait plus difficile. Quant à la France, elle avait eu le droit d’intervenir lorsqu’il s’agissait d’ouvrir au Piémont Milan et Venise ; elle ne l’avait plus, s’il s’agissait de lui retirer Florence, Parme et Bologne. S’agissait-il de nationalités, Pie IX et le roi de Naples cessaient d’être Italiens, et la maison de Savoie, la moins Italienne de toute l’Italie, avait seule le privilège de répondre au programme national. S’agissait-il d’institutions politiques, on ne pouvait établir en Italie une centralisation trop arbitraire ; mais cette même centralisation, on appelait la révolte pour la combattre en Hongrie. » — Le comte de Falloux.




« Vous avez deux faces, et vous les montrez toutes deux tous les jours. Vous dites aux catholiques : Ne me reconnaissez-vous plus ? Je suis le gouvernement qui a fait l’expédition de Rome, qui a accablé le Pape de ses sympathies, avant, pendant et après la guerre ; qui a signé la paix de Villa-Franca ; qui a renforcé la garnison de Rome, en rappelant son ambassadeur de Turin ; qui seul a maintenu ses vaisseaux devant Gaëte. » Vous dites aux partisans exaltés de la révolution italienne : « Pourquoi vous défiez-vous de moi, et que vous fait la présence de mes troupes à Rome ? Avez-vous oublié que j’ai consenti jadis à contrecœur à l’expédition de Rome ? ce que j’ai écrit à Edgard Ney ; que la paix de Villa-Franca a été dans mes mains une lettre-morte ; que j’ai dit bon voyage à celui qui partait pour Castelfidardo ; que j’ai rappelé, après tout, ma flotte de Gaëte, et qu’il n’y a plus aujourd’hui ni États Pontificaux ni royaume de Naples ? » — Le duc d’Aumale.




« Je crois qu’on peut professer des opinions libérales sans admirer toutes les entreprises révolutionnaires ; et pas plus en politique qu’en religion je n’accepte la maxime, que la fin justifie les moyens. Je confesse donc n’aimer guères ni les expéditions secrètement encouragées, publiquement désavouées, et dont on s’empresse ensuite de recueillir les fruits ; ni ces invasions soudaines que n’accompagne aucune des formalités salutaires et protectrices consacrées par le droit des gens ; ni cet acharnement contre un jeune roi, dont on tient à précipiter la chute dès qu’on le voit entrer dans la voie des réformes, et dont on se hâte de consommer la ruine dès qu’on le voit disposé à se défendre. Et surtout, je le déclare, je ne puis m’incliner et battre des mains quand je vois le général piémontais, qui venait complimenter l’empereur en Savoie, accourir de Chambéry, la main encore chaude de l’étreinte du chef de l’État, pour écraser cette poignée de Français autorisés par lui à défendre les États du Pape ! » — Le duc d’Aumale.




« La Sardaigne a accepté le conseil de non-intervention comme un avis qu’elle pouvait envahir sans crainte le territoire de ses voisins. N’est-ce pas le cas de citer ces paroles du Pape : « qu’il est étrange qu’il soit impunément permis au seul gouvernement piémontais de mépriser et de violer un pareil principe, celui de la non-intervention, lorsque nous le voyons avec une armée ennemie, et aux yeux de toute l’Europe, faire irruption dans les États d’autrui, et en chasser les princes légitimes ? De là, découle, continue le Pape, cette pernicieuse absurdité qu’on n’admet l’intervention étrangère que pour provoquer et entretenir la rébellion. »

« Tel est, en effet, le principe de non-intervention appliqué par la Sardaigne en ce qui regarde les États Pontificaux. Mais son application en ce qui regarde Naples est encore plus extraordinaire… Que penser de la conduite de Victor-Emmanuel, lorsque ses armées envahissent, dans le but de les annexer, les États mêmes d’un souverain auquel il a témoigné, jusqu’à la dernière heure, ses amicales intentions ?

« Qu’en penser, lorsque, sans déclaration de guerre, sans alléguer aucun motif pour un tel changement, il se précipite tout-à-coup pour dépouiller de ses domaines héréditaire un souverain dont il n’a reçu ni provocation ni défi ? Si cela n’est pas une intervention, c’est alors que ces mots non-intervention signifient permission d’envahir et de prendre les droits, les propriétés et les domaines de ses voisins ; c’est que le brigandage n’est pas une intervention ; c’est que, la fin justifiant les moyens, il est permis de voler avec impunité et avec gloire. » — Le Morning Herald.




Complicité entre la France et le Piémont dans les affaires de Naples : — « De la lacune qui se rencontre sur ce point dans les correspondances communiquées au sénat, il faudrait inférer, ou bien que ces observations sont demeurées sans réponses, ou que celles-ci ont revêtu un caractère confidentiel. » — Les affaires d’Italie d’après les Documents.




Épisode de la Session actuelle du Sénat.

Une voix : — Quand a commencé la défiance ?

Le vicomte de Ségur-d’Aguesseau : — C’est, messieurs, quand on a cru voir que le gouvernement ne restait pas fidèle en Italie à la politique proclamée dans les précédentes déclarations ; c’est quand on a cru voir que la France ne laissait plus au Piémont seul la responsabilité de certains actes. Lorsqu’on a vu cette déviation dans la politique de la France ; lorsqu’on a vu le principe de la non-intervention, qui devait profiter aux puissances italiennes, ne profiter qu’à l’audacieuse ambition du Piémont, oh ! alors, il n’y a plus eu de doute : il y avait un changement de système. Ajoutez toutes les complaisances successives qu’on a eues pour le Piémont ; après les odieux mensonges de Chambéry ; ajoutez le silence dans lequel nous avons supporté les insultes prodiguées au premier ministre du Souverain-Pontife confié à la garde de notre drapeau.

Plusieurs voix crient : À la question.

Le vicomte : — Je cherche simplement à expliquer par une autre cause que M. Fould, la défiance qui existe certainement en Europe vis-à-vis de la politique impériale.




« Vous me demanderez de quel droit je parle au nom de tous. Vous avez compté peut-être sur nos divisions. Oui, nous sommes et nous demeurerons divisés sur bien des questions. Mais la France et le Piémont semblent s’être entendus pour nous rapprocher. Il n’y a plus que les aveugles ou les complices qui puissent, devant la politique française, nier les avantages de la liberté, et, devant la politique piémontaise, imposer silence aux révoltes de la conscience. » — Montalembert à Cavour.




« En 1830, le parti whigh arriva aux affaires, et introduisit dans la politique de l’Angleterre un système nouveau, celui de la propagande constitutionnelle.

« Ce système, qui eut pour principal organe en Italie, pendant l’année 1847, lord Minto, n’était pas seulement contraire à l’ordre public européen ; il portait en lui des vices radicaux. En général, il tendait à compromettre l’existence même des États secondaires, trop faibles pour résister à des secousses périodiques ; dans la question italienne en particulier, il tendait à tromper les populations en leur montrant une chimère, — le rêve d’une Italie indivise, et en ne leur prêtant qu’un appui moral ou occulte qui était loin de leur suffire. Ainsi, pendant que la Sicile se soulevait, lord Palmerston, dont les excitations avaient puissamment contribué à la prise d’armes, écrivait à lord Normanby pour déclarer que la Grande-Bretagne ne se considérait nullement comme garante de la constitution de 1812.

« Le système du parti whigh va donc directement contre son but, en tant que destiné à favoriser en Europe le développement du régime constitutionnel. En tant que destiné à affaiblir systématiquement les petits États, nous demandons s’il est aussi conforme au droit des gens, aux principes de l’équilibre européen, qu’aux intérêts particuliers de la Grande-Bretagne.




« Cette même multitude qu’on appelle la nation, le pays, le peuple, partout où elle criera vive la réforme, devient immédiatement la plus vile populace, dès qu’elle s’avise d’acclamer la royauté.

« Quel que soit le nom qui lui appartient, toujours est-il que cette multitude salue Ferdinand II de ses vivats chaque fois qu’il se montre dans la rue, et que ce prince, qu’on veut représenter comme un tyran détesté, laisse approcher la foule jusqu’au marche-pied de sa voiture. »




L’intervention collective des diplomaties anglaise et française entre le roi de Naples et son peuple, n’a pas laissé que d’inspirer en Europe un certain étonnement.

Que l’Angleterre, cachant ses vues ambitieuses sous le masque de l’humanité, qu’elle ne manque jamais de prendre quand il s’agit de ses intérêts, cherche à ressaisir la Sicile, et encourage à ce dessein le parti de la révolution, elle est dans rôle, et reste de tout point fidèle aux nobles traditions du Foreign Office.

« Mais que la France se croie les mêmes intérêts que l’Angleterre en de telles circonstances, et qu’elle songe à pousser une puissance étrangère dans une voie dont elle a reconnu pour elle-même le danger, voilà ce qui semble impossible à comprendre, à moins de supposer, au fond de cette question complexe, quelque côté mystérieux qui échappe aux yeux du public. Nous ne chercherons pas à lever ce voile ; un tel examen nous entraînerait sur un terrain trop brûlant et trop périlleux pour qu’il nous soit donné de l’aborder. » — Le baron Juchereau d’Harvey.




L’évêque d’Orléans a abordé le sujet, et l’habileté avec laquelle il a démontré combien la diplomatie française du jour est souple sous la main de la diplomatie anglaise, est ce qui a surtout pris au cœur à Bonaparte, dont, le courageux prélat ne réclame point du reste le pardon.




Depuis que les préliminaires de Villa Franca ont mis un terme à la guerre d’Italie, une série d’actes contraires au droit, a été accompli dans la Péninsule, et y a créé la situation anormale dont nous voyons maintenant les conséquences extrêmes se développer.

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« Le gouvernement sarde a ordonné à ses troupes au milieu d’une paix profonde, sans déclaration de guerre et sans provocation, de passer la frontière romaine ; il a pactisé ouvertement avec la révolution établie à Naples ; il a sanctionné ses actes par la présence des troupes piémontaises et des hauts fonctionnaires sardes qui ont été mis à la tête des forces insurgées, sans cesser d’être au service du roi Victor Emmanuel. Enfin il vient de couronner cette série de violations du droit en annonçant à la face de l’Europe son intention d’accepter l’annexion au Piémont des territoires appartenant à des souverains qui sont encore dans leurs états et qui défendent leur autorité contre les violentes attaques de la révolution. Par ces actes, le gouvernement sarde ne nous permet plus de le considérer comme étranger au mouvement qui a bouleversé la Péninsule. Il prend sur lui leur responsabilité et se met en opposition flagrante avec le droit des nations. La nécessité qu’il allègue de combattre l’anarchie ne se justifie pas, puisqu’il se place sur la voie de la révolution pour recueillir son héritage et non pour arrêter sa marche ou pour réparer ses iniquités. Des prétextes de cette nature ne sont pas admissibles. Il ne s’agit pas ici d’intérêts purement italiens, mais d’un intérêt général commun à tous les gouvernements. Il s’agit de ces lois éternelles sans lesquelles il ne peut y avoir aucun ordre social, ni paix, ni sécurité pour l’Europe. Si M. l’empereur ne voit pas qu’il soit possible que sa légation réside là où elle peut assister à de pareils actes. » Le prince Gortschakoff.




Extrait du Manifeste de François II en réponse à la Circulaire de Ricasoli.

« Par rapport au caractère de férocité que M. Ricasoli attribue à l’insurrection, il ne fait par là que rejeter sur les bandes nationales les atrocités commises par les Piémontais ; car il est clairement prouvé que partout où l’insurrection s’est manifestée, elle n’a fait que désarmer les gardes nationaux, et qu’il n’y a eu à déplorer d’autres malheurs que ceux qui sont les conséquences naturelles des combats. Il est également constaté qu’elle a généreusement renvoyé les prisonniers piémontais, tandis que ceux-ci ont poussé l’inhumanité jusqu’à immoler tous ceux qui tombaient entre leurs mains avec un cruel raffinement de barbarie, à fusiller sur de simples soupçons des malheureux inoffensifs, arrachés à leurs familles et à leurs champs. L’Europe a dû frémir au récit de la destruction de villes entières, comme Auletta et Montefalcione ; et les ruines de Pontelandolffo, San Marco, Casalduni, Riguaro, Viesti, Spinelli sont encore fumantes, là où les Piémontais ont fait périr femmes, enfans, vieillards et malades, et commis des actes de brutalité que la pudeur nous défend de mentionner.

« Les rapports de quelques agents anglais résidant dans le royaume, cités par le baron Ricasoli, n’ont aucune valeur, car sans tenir compte de l’esprit d’hostilité avec lequel ils sont rédigés, nous devons du moins faire observer que leur date est trop ancienne pour servir dans les circonstances présentes ; et ils ont reçu dernièrement un démenti formel par une série de lettres et correspondances anglaises et surtout par la lettre d’un autre Anglais fort connu dans le royaume de Naples, Mr. Craven, qui a été publiée par les feuilles françaises.

« Que M. de Ricasoli veuille bien se rappeler le commerce éteint, les manufactures abandonnées, l’agriculture languissante, le gaspillage du trésor anéanti en peu de mois par les Verrès et les Pisons envoyés comme proconsuls du Piémont. »




« Rien de plus détestable que l’altération de la vérité dans la bouche d’un ministre anglais ; car il profite de la confiance qui s’attache à ce caractère pour fausser la réalité des faits. Nous aurions donc pu croire que la tentative sanglante des Piémontais pour imposer une tyrannie armée aux Napolitains, était un fait trop connu en Europe pour ne pas arrêter le leader ministériel dans ses affirmations hasardées. D’ailleurs, le véritable état des choses est parfaitement connu ; on sait le progrès continu de la réaction, fondé sur le patriotisme et le sentiment d’indépendance nationale ; on sait que les télégrammes des gouvernemens locaux l’ont formellement reconnu ; on sait que les lieutenans de Victor Emmanuel ont tous échoué tour à tour ; et Farini et le prince de Carignan, et le chevalier Nigra et enfin Ponza di San Martino, qui n’a pas voulu, lui, partager la responsabilité des exécutions militaires d’un Cialdini. Tous ces faits ont été reconnus avec douleur par les députés napolitains au Parlement de Turin ; Ricciardi se plaignait il y a trois mois du traitement subi par le duc de Cajanello, qui languit encore en prison. Ce même député a ajouté que, ce qu’il demandait, c’est qu’on traitât le duc comme il avait été traité, lui, par Ferdinand II « Et sachez le bien, c’est enfin écrié M. Ricciardi, si vous osiez recourir aujourd’hui au vote populaire, il ne serait plus en faveur de l’annexion. Conçoit-on maintenant qu’à la fin de la session, lord Palmerston ait pu se déclarer satisfait d’un tel état de choses ; qu’il ait pu, en plein Parlement, laisser tomber ces paroles.

« Nous espérons que la vigueur de Cialdini et de Pinelli réussira à rétablir la tranquillité dans les provinces troublées où ces méfaits se commettent, que leurs misérables auteurs seront bientôt châtiés comme ils le méritent ; enfin, que la population sera délivrée des malheurs dont la cause première est Rome.

« Comment attribuer à l’ignorance une aussi absurde altération des faits ? Pareille ignorance serait impardonnable dans la position de lord Palmerston. Ce ne peut donc être de sa part qu’une absence complète de tout sentiment d’humanité, et alors, comment n’en pas être indigné ? Quoi ! lord Palmerston ignorerait qu’il y a aujourd’hui dix mille personnes emprisonnées dans le royaume de Naples ? que depuis six mois, 617 personnes ont été passées par les armes ? Un écrit récemment publié à Bologne, Il Martyrologio, accuse les anciens souverains de l’Italie d’avoir fait périr 333 personnes en cinquante-quatre ans, et en voilà 617 sacrifiées en six mois ! Lord Palmerston s’étonnerait-il encore que ces gens ne veuillent pas le moins du monde les changement qu’il désire produire ? Manque-t-il, par hasard, d’informations récentes ? Nous lui en fournirons. » — Lord Normanby.




« Votre seigneurie applique aux peuples insurgés du royaume le nom de brigands ! Mais ce nom est d’origine française, mylord, et quand les Français le donnaient aux insurgés de ce même peuple, vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, la presse et la tribune anglaise les appelaient les hommes forts, indépendant et même des héros. Les brigands, mylord, étaient alors armés et approvisionnés par les généraux anglais ; ils étaient caressés et choyés ; ils couraient ça et là sur leurs bâtimens, ils prenaient place à la table des généraux et amiraux anglais, et les soldats de Stuart ne dédaignèrent pas de les avoir à leurs côtés dans les luttes de l’insurrection calabroise. Troubridge, lieutenant de Nelson, donnait le titre de gracioso compagno à Giuseppe Vitello, qui n’était pas le plus humain de ces insurgés. » — Le général Ulloa à lord Palmerston.




« Pour donner le change à l’opinion publique sur les atrocités qui se commettent dans les Deux-Siciles, le télégraphe de Turin et la presse révolutionnaire, insultant chaque jour avec un cynisme éhonté au bon sens et à la vérité, persistent à donner la qualification de brigands aux milliers de Napolitains qui protestent les armes à la mains contre l’asservissement et la spoliation de leur pays par les Piémontais, qui les fusillent et les dépouillent.

« Contrairement à ce que l’on croit généralement, la propriété est très divisée dans le royaume de Naples, et le peuple de ce pays, doué d’une intelligence peu commune, jouit d’un bien-être, d’une aisance que l’on chercherait vainement ailleurs. En bien ! ces propriétaires chez qui le sentiment national se joint à la foi religieuse et monarchique la plus vive, qui renonçant aux joies de la famille et aux douceurs du repos, se soulèvent de toutes parts contre les Piémontais, qu’ils considèrent comme les oppresseurs de leur pays, les usurpateurs des droits de leur légitime souverain, et enfin les persécuteurs de leurs croyances religieuses.

« Pour achever de faire ressortir la différence entre la conduite des troupes royales et celles des envahisseurs, nous devons ajouter qu’alors que ceux-ci fusillaient les prisonniers, il y avait au château de Gaëte près de quinze cents prisonniers garibaldiens qui, bien que devant être considérés comme forbans, étaient cependant traités avec humanité. » — William Lumley Woodyear, Henry Lumley Woodyear et Stephen Lumley Woodyear.




Garibaldi d’après Veillot.

« On voit toute l’Europe trembler devant un pauvre diable, dont toute la force et le génie sont de s’habiller d’un chiffon rouge et de porter des bottes éculées. Que de gens qui ont insulté à la robe de bure et aux sandales du capucin, vont s’incliner devant ce haillon rouge et baiser ces bottes éculées, et admirer les proclamations du prophète, écrites en style d’Alexandre Dumas ! Mais ce n’est pas tout, et il faut payer la dîme, dîme double et quadruple, en sang, en écus, en avanies de toutes sortes. Tant de gens ne verront clair que si leur maison brûle ! Et bien donc ! que cette chandelle soit aussi allumée ; il le faut bien, pour que les adorateurs du progrès connaissent leurs dieux. »




« La force ne constitue pas le droit.

« Le succès ne justifie rien.

« La parole humaine est sacrée ; la violer, c’est un crime.

« La politique n’a jamais le droit d’appeler le mal bien, et le bien mal.

« La félonie et la trahison seront toujours méprisées par tout ce qui a un cœur d’homme. » — Dupanloup.

  1. Un même article a paru et dans le Pays et dans la Minerve.
  2. Mgr Chighi va toujours à Paris, mais il ne s’y rend jamais.
  3. Si actuellement la hideuse révolution s’extravase* par le monde, à qui s’en prendre, sinon à celui qui a donné l’impulsion à toutes les passions mauvaises qui minent surtout l’assiette de la vieille Europe ?

    * Ce mot ne convient pas à M. Dessaules. Le prince de Talleyrand s’en sert pourtant au congrès de Vienne, en s’adressant aux souverains alliés !

  4. Accompagné, comme le remarque le comte de Rechberg, de l’assurance que l’empereur des Français n’entendait cependant les gêner nullement, s’ils ne désiraient point leurs princes.